Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1P.252/2006 /svc
Arrêt du 21 août 2006
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffier: M. Rittener.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Michel Bise, avocat,
contre
Y.________,
intimé, représenté par Me Jean Oesch, avocat,
Ministère public du canton de Neuchâtel,
rue du Pommier 3, case postale 2672, 2001 Neuchâtel 1,
Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal
du canton de Neuchâtel, case postale 3174, 2001 Neuchâtel 1.
Objet
procédure pénale,
recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel du 14 mars 2006.
Faits:
A.
Par jugement du 30 novembre 2005, le Tribunal de police du district de Boudry (ci-après: le Tribunal de police) a condamné X.________ à sept jours d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans et à 500 fr. d'amende pour lésions corporelles simples et diverses infractions à la Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité ainsi qu'à la Loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers. Le Tribunal de police a notamment retenu les faits suivants:
Le 13 novembre 2004, une dispute est survenue entre deux employés du restaurant exploité par X.________. Celui-ci est intervenu et a demandé à Y.________, qui était impliqué dans la dispute, de s'expliquer. X.________ a alors injurié Y.________, qui était occupé à couper du pain et tenait de ce fait un couteau. Il lui a donné une "très violente baffe", provoquant un saignement à la lèvre. Y.________ a dit à son patron qu'il trouvait son attitude inadmissible et, comme il tenait un couteau à la main, lui a déconseillé de l'approcher à nouveau; il ne s'agissait pas d'une menace, mais uniquement de l'expression de la volonté de se défendre contre une nouvelle attaque. Très en colère, il a ensuite jeté le couteau sur la table et a déclaré qu'il quittait sa place de travail avec effet immédiat. X.________ l'a empêché de sortir par la terrasse, de peur que ses clients ne voient son employé saigner de la bouche. Alors que Y.________ s'apprêtait à sortir par un autre endroit, X.________ s'est précipité sur lui et l'a saisi violemment par les cheveux, en lui passant un bras autour du cou. Il l'a traîné à travers la salle du personnel, puis lui a arraché une grosse poignée de cheveux. Y.________, a porté plainte contre son patron pour lésions corporelles, voies de fait et injure. Quant à X.________, il a déposé plainte contre son employé pour menaces. Un examen médical effectué le 15 novembre 2004 a révélé que Y.________ présentait une rougeur du cuir chevelu au niveau pariéto-occipital, avec beaucoup de cheveux arrachés, de même qu'une plaie de 0,5 cm à la face intérieure de la lèvre inférieure, ainsi qu'une tuméfaction.
Les faits retenus par le Tribunal de police correspondent à la version donnée par Y.________. Confronté à une version différente de X.________, le premier juge l'a écartée. Il a notamment relevé des divergences importantes dans les témoignages favorables à X.________ et a acquis la conviction que seule la version de Y.________ correspondait à la réalité.
B.
X.________ a recouru contre ce jugement auprès de la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel (ci-après: le Tribunal cantonal), qui l'a confirmé par arrêt du 14 mars 2006. En substance, le Tribunal cantonal a considéré que le Tribunal de police n'avait pas fait preuve d'arbitraire en privilégiant la version de Y.________.
C.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Il invoque les art. 9 Cst. et 6 par. 2 CEDH pour se plaindre d'arbitraire dans l'appréciation des preuves et d'une violation du principe de la présomption d'innocence. Il se plaint également du fait qu'il n'a pas pu se prévaloir de l'état de légitime défense au sens de l'art. 33 CP. Y.________ s'est déterminé; il conclut au rejet du recours et requiert l'assistance judiciaire gratuite. Le Tribunal cantonal et le Ministère public du canton de Neuchâtel ont renoncé à formuler des observations.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 131 II 571 consid. 1 p. 573; 130 I 312 consid. 1 p. 317 et les arrêts cités).
1.1 Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral n'étant pas ouvert pour se plaindre d'une appréciation arbitraire des preuves et des constatations de fait qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83) ni pour invoquer une violation directe d'un droit constitutionnel ou conventionnel, tel que la maxime "in dubio pro reo" consacrée aux art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH (ATF 121 IV 104 consid. 2b p. 107; 120 Ia 31 consid. 2b p. 35 s.), la voie du recours de droit public est ouverte à cet égard (art. 84 al. 2 OJ).
1.2 Le grief relatif à la légitime défense est irrecevable en tant que le recourant reproche à l'autorité attaquée de n'avoir pas appliqué l'art. 33 CP en sa faveur; un tel moyen aurait en effet dû être présenté dans un pourvoi en nullité (art. 268 ss PPF) et non dans le cadre du recours de droit public, qui est subsidiaire (art. 84 al. 2 OJ; art. 269 al. 2 PPF). Pour le surplus, dans la mesure où ce moyen a trait à la constatation des faits par le premier juge, il sera examiné avec le grief tiré de l'arbitraire dans l'appréciation des preuves, avec lequel il se confond.
1.3 La condamnation du recourant se trouve confirmée par l'arrêt attaqué, de sorte qu'il a qualité pour contester ce prononcé (art. 88 OJ). En revanche, selon une jurisprudence constante, le plaignant n'a en principe pas qualité pour recourir contre le classement, le non-lieu ou l'acquittement (ATF 125 I 253 consid. 1b p. 255; 123 I 25 consid. 1 p. 26 s.; 122 I 267 consid. 1b p. 270). Le recours est donc irrecevable en tant qu'il reproche aux autorités cantonales d'avoir acquitté l'intimé de l'infraction de menaces.
2.
Le recourant se plaint d'une violation du principe de la présomption d'innocence et d'arbitraire dans l'appréciation des preuves.
2.1 Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue en dernière instance cantonale que si elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de la décision soit insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17; 131 I 217 consid. 2.1 p. 219, 57 consid. 2 p. 61; 129 I 173 consid. 3.1 p. 178).
2.1.1 L'appréciation des preuves est en particulier arbitraire lorsque le juge de répression n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9). Il en va de même lorsqu'il retient unilatéralement certaines preuves ou lorsqu'il rejette des conclusions pour défaut de preuves, alors même que l'existence du fait à prouver résulte des allégations et du comportement des parties (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30). Il ne suffit pas qu'une interprétation différente des preuves et des faits qui en découlent paraisse également concevable pour que le Tribunal fédéral substitue sa propre appréciation des preuves à celle effectuée par l'autorité de condamnation, qui dispose en cette matière d'une grande latitude. En serait-il autrement, que le principe de la libre appréciation des preuves par le juge du fond serait violé (ATF 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.).
2.1.2 Lorsque, comme en l'espèce, l'autorité cantonale de recours avait, sur les questions posées dans le recours de droit public, une cognition semblable à celle du Tribunal fédéral, ce dernier porte concrètement son examen sur l'arbitraire du jugement de l'autorité inférieure, à la lumière des griefs soulevés dans l'acte de recours. Cependant, pour se conformer aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, le recourant ne peut pas simplement reprendre les critiques qu'il a formulées en instance cantonale devant l'autorité de cassation, mais il doit exposer pourquoi cette dernière aurait refusé à tort de qualifier d'arbitraire l'appréciation des preuves par l'autorité de première instance. Le Tribunal fédéral se prononce librement sur cette question (ATF 125 I 492 consid. 1a/cc et 1b p. 495 et les arrêts cités).
2.2 La présomption d'innocence est garantie par l'art. 6 ch. 2 CEDH et par l'art. 32 al. 1 Cst., qui ont la même portée. Elle a pour corollaire le principe "in dubio pro reo", qui concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves. En tant que règle de l'appréciation des preuves, ce principe, dont la violation n'est invoquée que sous cet angle par le recourant, signifie que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Le Tribunal fédéral ne revoit les constatations de fait et l'appréciation des preuves que sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4 p. 211; 120 Ia 31 consid. 2d p. 37/38). Il examine en revanche librement la question de savoir si, sur la base du résultat d'une appréciation non arbitraire des preuves, le juge aurait dû éprouver un doute sérieux et insurmontable quant à la culpabilité de l'accusé; dans cet examen, il s'impose toutefois une certaine retenue, le juge du fait, en vertu du principe de l'immédiateté, étant mieux à même de résoudre la question (cf. arrêts non publiés 1P.454/2005 du 9 novembre 2005, consid. 2.1; 1P.428/2003 du 8 avril 2004, consid. 4.2, et 1P.587/2003 du 29 janvier 2004, consid. 7.2).
3.
3.1 En l'espèce, le recourant reproche en substance au Tribunal cantonal d'avoir fait preuve d'arbitraire en confirmant l'appréciation du premier juge, privilégiant la version de l'intimé à la sienne. Il soutient que cette version est contredite par les déclarations de quatre témoins. De plus, le seul témoignage favorable à l'intimé, celui de W.________, serait dépourvu de toute crédibilité. Enfin, le certificat médical déposé par l'intimé ne serait pas déterminant, dès lors qu'il reconnaît lui avoir tiré les cheveux, en réaction à une situation menaçante. Selon le recourant, une appréciation des faits dénuée d'arbitraire aurait dû lui permettre de bénéficier du principe de la présomption d'innocence.
3.2 Pour l'essentiel, le recourant se borne à répéter les arguments qu'il a déjà soulevés devant le Tribunal cantonal, mais il ne démontre pas en quoi l'autorité attaquée aurait refusé à tort de qualifier d'arbitraire l'appréciation du Tribunal de police. Il est dès lors douteux que le recours satisfasse sur ce point aux exigences de motivation posées par l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. supra consid. 2.1.2). Quoi qu'il en soit, il y a lieu de constater avec l'autorité attaquée que le premier juge n'a pas fait preuve d'arbitraire en privilégiant la version de l'intimé. En effet, c'est à juste titre qu'il a relevé des divergences importantes dans les déclarations des témoins favorables au recourant. De même, il n'était pas insoutenable de retenir que le changement de version du témoin W.________ s'expliquait par le fait qu'il avait cessé de travailler pour le recourant - dont il avait peur - ni de considérer que ses nouvelles déclarations étaient plus crédibles que les premières. Les deux nouveaux arguments soulevés par le recourant contre l'arrêt querellé n'y changent rien. En effet, il n'est pas déterminant que le témoin S.________ n'ait pas changé de version après avoir cessé de travailler pour le recourant, dans la mesure où il n'est pas établi qu'il se trouvait dans la même situation que W.________. Au demeurant, le recourant ne saurait être suivi lorsqu'il affirme que S.________ a "clairement confirmé" ses déclarations, dès lors que ce témoin n'a pas été entendu par le tribunal et qu'il a seulement écrit qu'il n'avait "rien à ajouter" en motivant sa demande de dispense de comparution à l'audience. Enfin, on ne peut pas non plus suivre le recourant lorsqu'il soutient que le certificat médical déposé par l'intimé n'accrédite pas sa version. En effet, s'il est vrai que le recourant reconnaît avoir saisi son employé par les cheveux, les lésions constatées dans l'attestation médicale litigieuse excèdent celles qu'aurait pu causer le simple geste de défense allégué par le recourant; une rougeur au cuir chevelu, de nombreux cheveux arrachés, une plaie à la lèvre inférieure et une tuméfaction correspondent davantage aux conséquences de l'agression décrite par l'intimé.
3.3 Dans ces circonstances, c'est à juste titre que le Tribunal cantonal a considéré que le premier juge n'avait pas usé de son large pouvoir d'appréciation des preuves de manière arbitraire. Dès lors qu'au terme de cette appréciation des preuves exempte d'arbitraire il ne subsiste pas de doute sérieux et irréductible quant à la culpabilité du recourant, le grief tiré de la violation de la présomption d'innocence doit être rejeté.
4.
Manifestement mal fondé, le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Le recourant, qui succombe, doit supporter un émolument judiciaire (art. 156 al. 1 OJ). L'intimé, qui s'est déterminé, a droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ), de sorte que sa demande d'assistance judiciaire est sans objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le recourant versera à l'intimé une indemnité de 1800 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Ministère public et à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.
Lausanne, le 21 août 2006
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: