Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1P.688/2006 /col
Arrêt du 21 décembre 2006
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président,
Reeb et Eusebio.
Greffière: Mme Truttmann.
Parties
A.________,
recourante, représentée par Me Céline de Weck-Immelé, avocate,
contre
B.________, C.________ et D.________, représentées par Me Pascal Labbé, avocat, r
E.________,
intimées,
Ministère public du canton de Neuchâtel,
rue du Pommier 3, case postale 2672, 2001 Neuchâtel 1,
Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, case postale 3174,
2001 Neuchâtel 1.
Objet
procédure pénale, appréciation des preuves
recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel du 8 septembre 2006.
Faits:
A.
De mars à mai 2001, puis à compter de début octobre 2001, F.________, ainsi que sa mère, B.________, ses soeurs, C.________ et D.________, et l'une de ses amies intimes en 2002, E.________, ont reçu une multitude de messages SMS à caractère très menaçant ainsi que des appels téléphoniques anonymes provenant d'un téléphone portable dont le numéro leur était inconnu. Ils ont déposé plainte pénale pour ces faits.
A.________, qui a été la compagne de F.________ dès septembre 2000, a également déposé plainte pour avoir été importunée de la sorte.
Le 19 février 2003, F.________ s'est suicidé. Sa relation avec A.________ s'était interrompue peu avant.
B.
Les soupçons se sont tout d'abord portés sur une ancienne amie de F.________, qui a toutefois été mise hors de cause. Ils se sont ensuite dirigés sur A.________.
Par jugement du 12 avril 2005, le Tribunal de police du district de Neuchâtel a reconnu A.________ coupable d'infraction aux art. 173, 174, 179septies, 180 et 304 CP et l'a condamnée à 45 jours d'emprisonnement avec sursis pendant quatre ans, ainsi qu'à 26'313 fr. de frais de justice et à 3'000 fr. d'indemnité de dépens en faveur des plaignantes. Il a également alloué à la mère et aux soeurs de F.________ une indemnité pour tort moral de 10'000 francs.
A.________ s'est pourvue en cassation contre ce jugement, en concluant à son acquittement. Par arrêt du 8 septembre 2006, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel (ci-après: la Cour de cassation pénale) a rejeté le pourvoi.
C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt rendu par la Cour de cassation pénale le 8 septembre 2006. Elle se plaint d'une violation de la présomption d'innocence et d'arbitraire dans l'appréciation des preuves et invoque les art. 32 al. 1 et 9 Cst.
Le Ministère public n'a pas formulé d'observations et a conclu au rejet du recours. La Cour de cassation pénale s'est référée à son arrêt. B.________, C.________ et D.________ n'ont pas souhaité répondre au recours et ont conclu à son rejet.
Par ordonnance du 10 novembre 2006, le Président de la Ire Cour de droit public a admis la demande d'effet suspensif formulée par A.________.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Contre un jugement en matière pénale rendu en dernière instance cantonale, la voie du recours de droit public est en principe ouverte, à l'exclusion du pourvoi en nullité, à celui qui se plaint de la violation de garanties constitutionnelles, en contestant notamment les constatations de fait ou l'appréciation des preuves par l'autorité cantonale (art. 84 al. 1 let. a OJ, art. 86 al. 1 OJ, art. 269 al. 2 PPF).
En l'espèce, la recourante se plaint d'une violation de la présomption d'innocence et d'arbitraire dans l'appréciation des preuves, de sorte que le recours de droit public est recevable.
2.
2.1 Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue en dernière instance cantonale que si elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de la décision soit insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF 131 I 217 consid. 2.1. p. 219, 57 consid. 2 p. 61; 129 I 173 consid. 3.1 p. 178; 128 I 273 consid. 2.1. p. 275).
2.1.1 L'appréciation des preuves est en particulier arbitraire lorsque le juge de répression n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9). Il en va de même lorsqu'il retient unilatéralement certaines preuves ou lorsqu'il rejette des conclusions pour défaut de preuves, alors même que l'existence du fait à prouver résulte des allégations et du comportement des parties (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30). Il ne suffit pas qu'une interprétation différente des preuves et des faits qui en découlent paraisse également concevable pour que le Tribunal fédéral substitue sa propre appréciation des preuves à celle effectuée par l'autorité de condamnation, qui dispose en cette matière d'une grande latitude. En serait-il autrement, que le principe de la libre appréciation des preuves par le juge du fond serait violé (ATF 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.).
2.1.2 Lorsque, comme en l'espèce, l'autorité cantonale de recours avait, sur les questions posées dans le recours de droit public, une cognition semblable à celle du Tribunal fédéral, ce dernier porte concrètement son examen sur l'arbitraire du jugement de l'autorité inférieure, à la lumière des griefs soulevés dans l'acte de recours. Cependant, pour se conformer aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, le recourant ne peut pas simplement reprendre les critiques qu'il a formulées en instance cantonale devant l'autorité de cassation, mais il doit exposer pourquoi cette dernière aurait refusé à tort de qualifier d'arbitraire l'appréciation des preuves par l'autorité de première instance. Le Tribunal fédéral se prononce librement sur cette question (ATF 125 I 492 consid. 1a/cc et 1b p. 495 et les arrêts cités).
3.
La présomption d'innocence est garantie par l'art. 6 par. 2 CEDH et par l'art. 32 al. 1 Cst., qui ont la même portée. Elle a pour corollaire le principe in dubio pro reo, qui concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves. En tant que règle de l'appréciation des preuves, ce principe, dont la violation n'est invoquée que sous cet angle par la recourante, signifie que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Le Tribunal fédéral ne revoit les constatations de fait et l'appréciation des preuves que sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4 p. 211; 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.). Il examine en revanche librement la question de savoir si, sur la base du résultat d'une appréciation non arbitraire des preuves, le juge aurait dû éprouver un doute sérieux et insurmontable quant à la culpabilité de l'accusé; dans cet examen, il s'impose toutefois une certaine retenue, le juge du fait, en vertu du principe de l'immédiateté, étant mieux à même de résoudre la question (cf. arrêts non publiés 1P.460/2006 du 18 octobre 2006 consid. 2.2, 1P.477/2006 du 14 septembre 2006 consid. 2.2, 1P.283/2006 du 4 août 2006 consid. 2.2, 1P.454/2005 du 9 novembre 2005 consid. 2.1, 1P.428/2003 du 8 avril 2004 consid. 4.2, 1P.587/2003 du 29 janvier 2004 consid. 7.2).
4.
En l'espèce, la recourante ne fait valoir plus qu'un seul argument. Elle rappelle que, lors du dépôt de sa plainte le 9 décembre 2001, le gendarme qui recueillait ses déclarations aurait appelé le numéro litigieux et aurait reçu une réponse injurieuse. Selon elle, l'autorité cantonale aurait refusé à tort de tenir compte de cet élément, qui serait de nature à remettre en question l'appréciation de l'ensemble des autres preuves.
Sur ce point, le Tribunal cantonal a considéré que si ce fait était certes à première vue troublant, il n'était toutefois pas documenté à satisfaction, parce que le rapport du 14 mai 2002 qui relate cet incident, au demeurant cinq mois plus tard, n'émane pas du policier qui a recueilli la plainte le 9 décembre 2001. Ce dernier n'aurait par ailleurs pas même évoqué cet épisode, pourtant peu banal, dans son propre rapport.
Selon la recourante, au moment du dépôt de sa plainte, elle n'était cependant pas encore soupçonnée d'être l'auteur des actes en cause. Il n'était donc pas surprenant qu'un tiers réponde à l'appel téléphonique. C'est pour cette raison que cet élément a pu sembler anodin au gendarme.
Ce raisonnement est peu convaincant. En effet, s'il est vrai que la recourante n'était pas soupçonnée à cette époque, il n'en demeure pas moins que l'identification de l'auteur des messages et des appels litigieux revêtait une importance primordiale. Il est donc difficilement compréhensible que le policier n'en ait pas fait mention. Il aurait en effet pour le moins pu déterminer le sexe de l'interlocuteur. A cela s'ajoute le fait que cet épisode n'est relaté que cinq mois plus tard, qui plus est par un tiers.
Par ailleurs, il est surprenant de lire dans une communication du 4 octobre 2002, soit postérieure seulement de quelques mois au rapport contesté, émanant de Willy Zürcher de la police cantonale bernoise, que "dans le courant de la soirée de jeudi 3 octobre 2002, le soussigné a tenté à plusieurs reprises, de joindre l'utilisateur du téléphone portable 076.403.20.49 et ce entre 20h40 et 22h20, au moyen d'un portable dont le numéro n'était pas masqué. L'interlocuteur n'a jamais répondu. Les appels partaient sur la boîte vocale. Tout laisse à penser que cette personne n'utilise ce téléphone cellulaire que pour les messages litigieux et ne répond pas aux autres appels". Lors de l'audition de F.________ le 15 octobre 2002, les agents de police ont demandé à ce dernier s'il avait également appelé les numéros inconnus et dans l'affirmative, si une voix féminine ou masculine lui avait répondu. F.________ a expliqué qu'il avait essayé d'appeler plusieurs fois, sans jamais obtenir de réponse. Cela est confirmé par le rapport final du 18 février 2003, qui constate que "Avec notre accord, M. F.________ a tenté d'entrer en contact avec ce mystérieux correspondant, mais sans succès. L'échange s'est résumé à quelques SMS et quelques appels, sans réponse".
Ainsi, si les faits rapportés dans le rapport du 14 mai 2002 étaient avérés, il aurait été inutile d'interroger F.________ sur le sexe de l'interlocuteur, puisque cette information aurait déjà dû être connue.
Ces contradictions sont de nature à faire naître des doutes à ce sujet sur le contenu du rapport du 14 mai 2002. Dans ces circonstances, le Tribunal cantonal pouvait considérer sans arbitraire que le fait n'était pas suffisamment documenté et qu'il ne revêtait pas une importance primordiale.
Quoi qu'il en soit, il existe de nombreux indices qui étayent la culpabilité de la recourante. Cette dernière ne les conteste d'ailleurs plus dans son recours de droit public.
Le Tribunal cantonal a en effet retenu que vu le contenu des messages, leur auteur devait être un proche de F.________ et de sa famille. Il a également constaté que l'ensemble des SMS et des appels litigieux provenait de la région neuchâteloise, région dans laquelle la recourante est la seule proche à être domiciliée. Il a également tenu compte que la recourante avait passé aux aveux, qu'elle avait certes aussitôt rétractés. Le Tribunal cantonal a en outre relevé que l'une des cartes SIM litigieuses s'était retrouvée dans le téléphone portable de la recourante et que la carte SIM de l'une de ses filles avait été introduite dans le portable en cause. Il a par ailleurs observé que lors de la perquisition au domicile de la recourante, les policiers avaient discrètement fait des appels au numéro litigieux et que ces derniers avaient été relevés sur le portable de la recourante sous forme d'appels en absence, ce qui supposait que la fonction de renvoi d'appels avait été activée. Sur la base des renseignements fournis par le DETEC, le Tribunal cantonal a estimé que l'on ne pouvait pas exclure que les SMS aient été pré-programmés, ce qui expliquerait pourquoi la recourante aurait reçu des messages alors qu'elle était notamment en présence de F.________. Enfin, le Tribunal cantonal a pris - avec prudence - la personnalité de la recourante en considération. Selon l'expertise psychiatrique, cette dernière avait en effet eu tendance à l'affabulation à une époque de sa vie.
Au vu de l'ensemble de ces indices non contestés par la recourante, et au vu des contradictions qui entourent le fait relaté dans le rapport du 14 mai 2002, ce dernier ne saurait à lui seul faire naître des doutes irréductibles quant à la culpabilité de l'intéressée. Les griefs tirés d'une appréciation arbitraire des preuves ainsi que d'une violation du principe de la présomption d'innocence doivent donc être rejetés.
5.
Il s'ensuit que le recours de droit public doit être rejeté. La recourante, qui succombe, doit supporter l'émolument judiciaire ( art. 153, 153a et 156 OJ ). Il n'est pas alloué de dépens aux intimées qui n'ont pas déposé d'observations.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours de droit public est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 1'000 fr. est mis à la charge de A.________.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Ministère public et à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.
Lausanne, le 21 décembre 2006
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: