Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_675/2023
Arrêt du 22 mai 2024
IVe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président,
Heine et Métral.
Greffière : Mme von Zwehl.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par M e Jacques Philippoz, avocat,
recourant,
contre
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), Division juridique, Fluhmattstrasse 1, 6002 Lucerne,
intimée,
Mutuel Assurance Maladie SA,
Service juridique, rue des Cèdres 5, 1920 Martigny.
Objet
Assurance-accidents (lien de causalité),
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du Valais du 20 septembre 2023 (S2 21 36, S2 21 42).
Faits :
A.
A.________, né en 1973, travaillait en qualité de plâtrier-peintre au service de l'entreprise B.________ SA. Le 21 mai 2020, alors qu'il circulait en VTT, une roue de son vélo s'est bloquée dans un trou de la chaussée, ce qui l'a déséquilibré et fait chuter avec réception sur son épaule droite. Le jour même, il a consulté le docteur C.________, qui a attesté une incapacité de travail dès la date de l'accident. La Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), auprès de laquelle A.________ était obligatoirement assuré contre les accidents professionnels et non professionnels, a pris en charge le cas.
Le docteur D.________, qui a repris le suivi médical, a posé le diagnostic de probable lésion de la coiffe des rotateurs et recommandé un examen spécialisé; il a mentionné le fait que l'assuré avait déjà présenté des douleurs à cette épaule droite par le passé. A la suite d'une arthro-IRM de l'épaule droite réalisée le 10 juin 2020, qui a notamment montré une rupture complète des tendons du sus-épineux et du sous-épineux ainsi qu'une rupture partielle du tendon du sous-scapulaire, le nouveau médecin traitant de l'assuré, le docteur E.________, a adressé celui-ci au docteur F.________, spécialiste en chirurgie orthopédique. Ce chirurgien a opéré l'assuré le 8 juillet 2020. Dans un rapport du 6 octobre 2020 adressé à la CNA, il a indiqué que le résultat de l'opération était bon et le processus de guérison plus rapide qu'attendu, mais conseillait de rester prudent avec les exercices de poids au-dessus de la tête. Une reprise d'activité pouvait être planifiée à 50 % dès le mois de janvier 2021.
Entre-temps, la CNA a interpellé son médecin d'arrondissement, le docteur G.________, sur la question du lien de causalité. Celui-ci a estimé que l'accident du 21 mai 2020 avait tout au plus provoqué une aggravation temporaire de lésions préexistantes, de l'ordre de 3 à 6 mois, et que le lien de causalité entre les lésions opérées et l'accident était tout au plus possible.
Sur cette base, la CNA a rendu le 16 octobre 2020, une décision par laquelle elle a mis fin à la prise en charge des prestations d'assurance au 20 novembre 2020.
L'assuré et son assureur-maladie, Mutuel Assurance Maladie SA (ci-après: Mutuel), ont tous deux formé opposition contre cette décision. Mutuel a produit une prise position de son médecin-conseil, le docteur H.________, selon lequel le statu quo n'était pas atteint. Requis de se prononcer à nouveau, le docteur G.________ a confirmé ses précédentes conclusions dans une appréciation médicale du 25 novembre 2020. Dans deux nouvelles décisions du 2 mars 2021, la CNA a écarté les oppositions.
B.
Saisie d'un recours de l'assuré ainsi que d'un recours de Mutuel contre les décisions sur opposition du 2 mars 2021, la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du Valais les a rejetés par arrêt du 20 septembre 2023.
C.
A.________ interjette un recours en matière contre cet arrêt dont il demande l'annulation, en concluant principalement au versement des prestations d'assurance et, subsidiairement, au renvoi de la cause à l'autorité inférieure pour statuer à nouveau après instruction complète.
La CNA conclut au rejet du recours. Mutuel conclut en substance à l'admission des conclusions formulées par le recourant. La cour cantonale et l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2.
Le litige porte sur le droit du recourant à des prestations d'assurance au-delà du 20 novembre 2020 pour les suites de l'événement du 21 mai 2020.
Dans la mesure où les prestations en question peuvent être en espèces (indemnités journalières) et en nature (prise en charge du traitement médical), le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par l'autorité précédente (art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF) en ce qui concerne les faits communs aux deux types de prestations (cf. arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 2 et les références).
3.
L'arrêt attaqué a correctement exposé les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs au droit aux prestations d'assurance en cas d'accident (art. 6 al. 1 LAA), à l'exigence d'un lien de causalité naturelle et adéquate entre l'événement dommageable et l'atteinte à la santé (ATF 148 V 138 consid. 5.1.1; 142 V 435 consid. 1; 129 V 177 consid. 3.1) et à l'appréciation des rapports médicaux (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3 a). Il suffit d'y renvoyer.
On rappellera qu'en vertu de l'art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l'atteinte à la santé n'est que partiellement imputable à l'accident. Lorsqu'un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l'assurance-accidents d'allouer des prestations cesse si l'accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l'accident. Tel est le cas lorsque l'état de santé de l'intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l'accident (statu quo ante) ou à celui qui existerait même sans l'accident par suite d'un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n'est pas rétabli, l'assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l'état maladif préexistant, dans la mesure où il s'est manifesté à l'occasion de l'accident ou a été aggravé par ce dernier (ATF 146 V 51 consid. 5.1 et les arrêts cités). En principe, on examinera si l'atteinte à la santé est encore imputable à l'accident ou ne l'est plus (statu quo ante ou statu quo sine) sur le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1), étant précisé que le fardeau de la preuve de la disparition du lien de causalité appartient à la partie qui invoque la suppression du droit (ATF 146 V 51 précité; arrêt 8C_606/2021 du 5 juillet 2022 consid. 3.2).
4.
4.1. Dans son appréciation médicale du 25 novembre 2020, le docteur G.________ a relevé que l'assuré avait déjà eu des antécédents au niveau de son épaule droite. Une IRM du 12 mars 2019 montrait déjà une atteinte de la coiffe décrite comme incomplète, une amyotrophie ainsi qu'une infiltration graisseuse attestant de la présence d'un problème ancien. Quant à l'IRM réalisée vingt jours après le traumatisme, il montrait une rupture importante de la coiffe des rotateurs avec une importante rétraction de deux tendons jusqu'à la glène associée à une atrophie musculaire avec une infiltration graisseuse et une réduction de l'espace sous-acromial. Tous ces signes parlaient en faveur d'une lésion ancienne clairement supérieure à 20 jours. Le docteur G.________ a inféré de ces constatations que l'événement initial avait provoqué avec une vraisemblance prépondérante une aggravation passagère d'une pathologie préexistante et que la persistance des plaintes au-delà d'une période de six mois devait être attribuée à l'état maladif préexistant.
4.2. En l'espèce, la cour cantonale a considéré que l'assuré n'apportait aucun élément objectif et probant qui venait contredire et jeter le doute sur cette appréciation du médecin d'arrondissement de la CNA, qu'elle a fait sienne. Le médecin traitant, le docteur E.________, ne pouvait être suivi lorsqu'il soutenait qu'il ne fallait pas tenir compte de la tendinopathie antérieure dans la mesure où son patient avait à l'époque repris le travail sans douleurs. Selon la cour cantonale, un état dégénératif pouvait rester asymptomatique durant de nombreuses années avant d'être décompensé; en outre, ce médecin ne précisait pas quels tendons auraient été déchirés lors de la chute, alors que l'IRM du 10 juin 2020 n'avait pas montré de lésions fraîches. S'agissant de l'expression de rupture "post-traumatique" de l'épaule droite utilisée par le docteur F.________ dans son rapport du 6 juillet 2020, la cour cantonale a retenu qu'elle devait être interprétée, vu les autres documents établis par le même médecin, dans son sens temporel, c'est-à-dire que la rupture était survenue après un traumatisme; rien ne permettait de conclure que ce chirurgien avait voulu se prononcer sur la causalité des atteintes. Enfin, pour la cour cantonale, les explications convaincantes du docteur G.________ n'étaient pas remises en cause par le docteur H.________, médecin-conseil de Mutuel, qui estimait que l'aggravation de l'état de santé de l'assuré était définitive en raison de lésions apparues à la suite du traumatisme et qu'une surveillance de 10 à 12 mois après l'intervention chirurgicale était encore nécessaire avant de conclure à la stabilisation du cas. En effet, les notions de stabilisation de l'état de santé et de statu quo sine ne se confondaient pas.
Aussi bien la cour cantonale a-t-elle jugé que la CNA avait à juste titre pris en charge les suites de l'accident puis mis un terme à ses prestations au 21 novembre 2020 (soit 6 mois après l'accident et 4 mois après l'opération) dès lors que le statu quo sine était acquis à cette date.
4.3. Le recourant conteste qu'il se trouverait 6 mois après sa chute dans la même situation que sans cet événement. Il ne faisait aucun doute que c'était l'accident du 21 mai 2020 qui l'avait conduit à nécessiter des soins médicaux et à subir une intervention chirurgicale conséquente. Le docteur F.________ avait clairement précisé que le suivi postopératoire serait long, d'une durée supérieure à une année, et que des limitations fonctionnelles seraient à prévoir en relation avec le port des charges même en cas de cicatrisation complète. Or, pour fonder l'arrêt des prestations, l'intimée se référait uniquement à un avis de quelques lignes de son médecin d'arrondissement lequel s'était exprimé sur la base de quelques pièces et sans consultation médicale.
4.4. En l'occurrence, on ne saurait confirmer le point de vue de la cour cantonale selon laquelle le dossier ne contient aucun avis laissant subsister des doutes quant à la fiabilité et à la pertinence des conclusions du médecin d'arrondissement de l'intimée.
Tout d'abord, la cour cantonale se trompe lorsqu'elle retient que le docteur F.________ ne s'est pas exprimé sur l'existence d'un lien de causalité. Sur le protocole opératoire du 13 juillet 2020, ce chirurgien a posé le diagnostic du recourant en ces termes: "Traumatische Subscapularis- und Infraspinatussehnen-Ruptur, chronische Supraspinatussehnen-Ruptur, Pseudoparalyse Schulter rechts". Or, le terme "traumatisch" fait plutôt référence à une origine accidentelle et le médecin opère clairement une différenciation à cet égard entre les diverses ruptures constatées. Ensuite, la cour cantonale ne pouvait pas simplement mettre de côté l'avis du docteur H.________, qui s'est prononcé à trois reprises en procédure administrative et cantonale, au prétexte qu'il semblait confondre les notions de stabilisation de l'état de santé et de statu quo sine. Sans nier l'existence d'un état antérieur chez le recourant, ce médecin a déclaré que l'événement du 21 mai 2020 avait entraîné une aggravation définitive et non pas temporaire de cet état antérieur sous la forme de nouvelles lésions de tendons de la coiffe des rotateurs qui n'existaient pas avant l'accident et qui ont rendu nécessaire l'intervention du 8 juillet 2020. Le docteur H.________ a également souligné que le médecin d'arrondissement omettait de prendre en considération l'absence de signe clinique avant l'accident. Finalement, on peut encore observer que le docteur G.________ fonde ses conclusions sur la rétraction de deux tendons à l'imagerie alors que le protocole opératoire fait état de trois tendons rompus, dont un partiellement et deux complètement, et qu'il n'explique pas, comme le relève Mutuel dans sa détermination sur le recours, en quoi l'intervention aurait été rendue nécessaire à la date à laquelle celle-ci a eu lieu sans l'accident.
Ces éléments sont suffisants pour susciter des doutes sur la fiabilité et la validité des conclusions du médecin précité. Partant, une instruction par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA s'impose en vue de se déterminer sur le lien de causalité entre les atteintes constatées à l'épaule droite du recourant et l'accident ainsi que, le cas échéant, sur la date éventuelle à laquelle un statu quo sine peut être établi. La cause sera renvoyée à l'intimée afin qu'elle mette en oeuvre une telle expertise et rende une nouvelle décision sur le droit du recourant aux prestations d'assurance. Dans cette mesure, le recours se révèle bien fondé.
5.
Vu l'issue du litige, les frais judiciaires seront mis à charge de l'intimée (art. 66 al. 1 LTF). Par ailleurs, le recourant a droit à une indemnité de dépens (art. 68 al. 1 LTF). La cause sera renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les dépens de la procédure antérieure (art. 68 al. 5 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est partiellement admis. L'arrêt de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du Valais du 20 septembre 2023 et les décisions sur opposition de la CNA du 2 mars 2021 sont annulés. La cause est renvoyée à la CNA pour instruction complémentaire et nouvelle décision. Le recours est rejeté pour le surplus.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
3.
L'intimée versera au recourant la somme de 2'800 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
4.
La cause est renvoyée à l'instance précédente pour nouvelle décision sur les dépens de la procédure antérieure.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Mutuel Assurance Maladie SA, à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du Valais et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 22 mai 2024
Au nom de la IVe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Wirthlin
La Greffière : von Zwehl