Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_108/2022
Arrêt du 22 septembre 2022
Ire Cour de droit social
Composition
MM. les Juges fédéraux Wirthlin, Président,
Maillard et Abrecht.
Greffière : Mme Elmiger-Necipoglu.
Participants à la procédure
SWICA Assurances SA,
Römerstrasse 37, 8401 Winterthur,
recourante,
contre
A.________,
représentée par Me Mathias Eusebio, avocat,
intimée.
Objet
Assurance-accidents (révision, reconsidération),
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura du 14 janvier 2022
(AA / 114 / 2020 + AJ / 115 / 2020).
Faits :
A.
A.a. A.________ travaillait comme fille de buffet et nettoyeuse au café B.________ et était à ce titre assurée obligatoirement contre le risque d'accident auprès de SWICA Assurances SA (ci-après: SWICA). Le 15 juillet 1994, alors qu'elle se trouvait en vacances en Espagne, elle a dû sauter par la fenêtre d'une hauteur de plus de 7 mètres en raison d'un incendie dans sa maison. Cet accident s'est soldé par une fracture du bassin et du fémur gauche avec protrusion acétabulaire traitée conservativement par traction et immobilisation.
D'après le rapport d'expertise du 7 août 1996 du docteur C.________, spécialiste FMH en chirurgie, la capacité de travail de l'assurée dans son ancienne activité était de 50 %. A la demande de SWICA, le spécialiste a précisé dans un avis complémentaire du 17 février 1998 que l'assurée "serait peut-être capable de travailler à 100 %" dans une activité adaptée, telle que caissière, réceptionniste ou téléphoniste, mais que de telles activités se heurtaient probablement à des problèmes de formation et de langue. Se fondant sur les avis de cet expert, SWICA a rendu le 23 octobre 1998 une décision par laquelle elle a alloué à l'assurée une rente complémentaire d'invalidité d'un taux de 50 % dès le 1er octobre 1998, ainsi qu'une indemnité pour atteinte à l'intégrité fondée sur un taux de 15 %.
A.b. Ensuite d'une procédure de révision initiée en décembre 2006, SWICA a, par décision du 27 novembre 2007, confirmée le 28 mars 2008, réduit la rente d'invalidité à un taux de 17 %. Cette décision était fondée sur un rapport d'expertise du 11 juin 2007 du docteur D.________, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, selon lequel l'assurée pourrait travailler dans une activité adaptée à un taux d'activité de 100 %, avec une baisse de rendement de 20 %. L'assurée a déféré cette décision au Tribunal cantonal de la République et Canton du Jura, qui a admis son recours et a annulé la décision du 28 mars 2008 par arrêt du 10 décembre 2008.
A.c. Par courrier du 5 septembre 2019, SWICA a annoncé à l'assurée qu'elle allait procéder à un nouvel examen de la rente. A cet effet, elle a confié une expertise au docteur E.________, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur et spécialiste de la colonne vertébrale, qui a rendu son rapport le 28 février 2020.
Sur la base des conclusions contenues dans ce rapport d'expertise, SWICA a rendu le 26 mai 2020 une décision, confirmée sur opposition le 6 octobre 2020, par laquelle elle a supprimé la rente d'invalidité avec effet au 30 juin 2020. Elle a indiqué que lors des expertises du docteur C.________ et du docteur D.________, les experts n'avaient pas toutes les images radiographiques à disposition, de sorte que l'état de santé antérieur de l'assurée n'avait pas été détecté, ce qui avait faussé les diagnostics. Or, ensuite de l'analyse de toute la documentation médicale et radiologique, il apparaissait qu'il n'existait pas de lien de causalité naturelle entre les lésions ayant justifié la rente et l'accident dont l'assurée avait été victime. La décision du 23 octobre 1998 allouant une rente d'invalidité dès le 10 mai 1995 était manifestement erronée, ce qui entrainait la suppression de la rente d'invalidité dès le 30 juin 2020.
B.
Par arrêt du 14 janvier 2022, la Cour des assurances du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura a admis le recours interjeté par l'assurée contre la décision sur opposition du 6 octobre 2020, qu'elle a annulée.
C.
SWICA forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à sa réforme en ce sens que la décision sur opposition du 6 octobre 2020 soit confirmée. Elle sollicite en outre l'octroi de l'effet suspensif à son recours.
Sans se déterminer sur la requête d'effet suspensif, l'intimée conclut au rejet du recours et demande à être mise au bénéfice de l'assistance judiciaire.
D.
Par ordonnance du 31 mars 2022, le juge instructeur a admis la requête d'effet suspensif.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2.
2.1. Le litige porte sur le point de savoir si la cour cantonale a violé le droit fédéral en annulant la décision de suppression de la rente complémentaire d'invalidité de 50 % allouée par l'intimée depuis le 1er octobre 1998.
2.2. Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF . Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF) et n'est limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Cela étant, le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes (ATF 145 V 304 consid. 1.1).
2.3. La présente procédure porte sur l'octroi ou le refus de prestations en espèces de l'assurance-accidents, de sorte que le Tribunal fédéral n'est pas lié par l'état de fait constaté par la juridiction précédente (art. 97 al. 2 et art. 105 al. 3 LTF ).
3.
3.1. Aux termes de l'art. 53 al. 2 LPGA, l'assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu'elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable.
3.2. Par le biais de la reconsidération, on corrigera une application initiale erronée du droit. En revanche, selon la jurisprudence (ATF 146 V 364 consid. 4.2), les instruments de la révision ( art. 53 al. 1 et 17 LPGA ) sont prévus pour corriger, à certaines conditions, un état de fait qui, initialement, avait été constaté de manière erronée ("anfängliche tatsächliche Unrichtigkeit"; art. 53 al. 1 LPGA) ou un état de fait déterminant qui a notablement changé depuis la décision, laquelle n'était pas initialement erronée ("nachträgliche tatsächliche Unrichtigkeit"; art. 17 LPGA).
3.3. Pour juger s'il est admissible de reconsidérer une décision pour le motif qu'elle est manifestement erronée, il faut se fonder sur les faits et la situation juridique existant au moment où cette décision avait été rendue, compte tenu de la pratique en vigueur à l'époque (ATF 140 V 77 consid. 3.1; cf. 138 V 147 consid. 2.1; 125 V 383 consid. 3 et les références). L'exigence du caractère manifestement erroné de la décision est en règle générale réalisée lorsque le droit à des prestations d'assurance a été admis en application des fausses bases légales ou que les normes déterminantes n'ont pas été appliquées ou l'ont été de manière incorrecte (ATF 147 V 167 consid. 4.2; 140 V 77 précité consid. 3.1; 138 V 147 consid. 2.1; 125 V 383 consid. 3 et les références). Pour des motifs de sécurité juridique, l'irrégularité doit être manifeste, de manière à éviter que la reconsidération devienne un instrument autorisant sans autre limitation un nouvel examen des conditions à la base des prestations de longue durée. En particulier, les organes d'application ne sauraient procéder en tout temps à une nouvelle appréciation de la situation après un examen plus approfondi des faits. Ainsi, une inexactitude manifeste ne saurait être admise lorsque l'octroi de la prestation dépend de conditions matérielles dont l'examen suppose un pouvoir d'appréciation, quant à certains de leurs aspects ou de leurs éléments, et que la décision initiale paraît admissible compte tenu de la situation antérieure de fait et de droit. S'il subsiste des doutes raisonnables sur le caractère erroné de la décision initiale, les conditions de la reconsidération ne sont pas remplies (arrêts 8C_424/2019 du 3 juin 2020 consid. 5.1; 9C_580/2015 du 4 mars 2016 consid. 3 publié in SVR 2016 IV n° 22 p. 65).
3.4. L'autorité de la chose jugée (ou force de chose jugée au sens matériel; res iudicata) interdit de remettre en cause, dans une nouvelle procédure, entre les mêmes parties, une prétention identique qui a été définitivement jugée (ATF 142 III 210 consid. 2.1 et les références). Il y a identité de l'objet du litige quand, dans l'un et l'autre procès, les parties soumettent au tribunal la même prétention, en reprenant les mêmes conclusions et en se basant sur le même complexe de faits (ATF 147 III 166 consid. 3.3.3; 139 III 126 consid. 3.2.3). Pour savoir si ces conclusions ont été définitivement tranchées dans un jugement précédent, il convient de se fonder sur le dispositif dudit jugement, qui définit en principe l'étendue de la chose jugée au sens matériel (ATF 144 I 11 consid. 4.2; 142 III 210 consid. 2.2; arrêt 8C_635/2021 du 13 janvier 2022 consid. 5.2). Cependant, il faudra parfois recourir aux considérants du jugement pour connaître le sens exact, la nature et la portée précise du dispositif (ATF 142 III 210 consid. 2.2; 128 III 191 consid. 4a in fine et les références; arrêt 9C_292/2019 du 29 janvier 2020 consid. 3.2).
4.
Il convient d'examiner, si ensuite de l'arrêt cantonal du 10 décembre 2008, la décision d'octroi de la rente complémentaire d'invalidité du 23 octobre 1998 pouvait encore être reconsidérée.
4.1. La juridiction cantonale a apporté une réponse négative à cette question en considérant que la décision initiale du 23 octobre 1998 ainsi que les décisions subséquentes des 27 novembre 2007 et 28 mars 2008 avaient déjà fait l'objet d'une procédure ayant abouti à l'arrêt cantonal du 10 décembre 2008. La décision initiale d'octroi de la rente d'invalidité ne pouvait dès lors pas faire l'objet d'une reconsidération, dans la mesure où elle avait acquis l'autorité de chose jugée.
4.2. A juste titre, la recourante ne conteste pas ce raisonnement de la cour cantonale, qui ne prête pas le flanc à la critique.
En effet, le litige ayant donné lieu à l'arrêt du 10 décembre 2008 portait sur le point de savoir si la décision de réduction de la rente d'invalidité du 28 mars 2008 était bien fondée. Après avoir considéré qu'en l'absence d'un changement de l'état de santé de l'intimée, les conditions d'une révision (art. 17 LPGA) n'étaient pas remplies, le tribunal cantonal avait alors examiné si, par substitution de motifs, la décision du 23 octobre 1998 pouvait être reconsidérée (art. 53 al. 2 LPGA). A cet égard, le tribunal cantonal avait exposé que le fait que la recourante n'avait pas procédé à d'autres actes d'instruction ensuite de l'avis du docteur C.________ quant à la capacité de travail de l'intimée ne permettait pas sans autre de considérer la décision du 23 octobre 1998 comme manifestement erronée, dans la mesure où il s'agirait ni plus ni moins de procéder à une nouvelle appréciation de la situation après un examen plus approfondi des faits. Par conséquent, le tribunal cantonal avait admis le recours de l'intimée contre la décision du 28 mars 2008, qu'il avait annulée, perpétuant ainsi l'état de droit qui existait ensuite de la décision du 23 octobre 1998, soit le droit de l'intimée à une rente complémentaire d'invalidité de 50 %. Il appert ainsi que la question d'une éventuelle reconsidération de la décision du 23 octobre 1998 a bel et bien fait l'objet d'une procédure antérieure entre les mêmes parties et qu'elle a été tranchée par arrêt du 10 décembre 2008, entré en force, si bien que l'autorité de la chose jugée interdit de revenir là-dessus.
4.3. On ne saurait suivre l'argumentation de la recourante en tant qu'elle cherche à remettre en cause l'arrêt du 10 décembre 2008 en soutenant que les premiers juges auraient commis une "erreur manifeste" en se fondant sur l'expertise du docteur C.________ alors que l'expertise recueillie à ce moment-là, soit celle du docteur D.________, mettait en évidence une capacité de travail de 100 % avec une réduction de rendement de 20 % dans une activité adaptée. En effet, sous l'angle procédural, les seules voies de droit possibles pour attaquer l'arrêt du 10 décembre 2008 étaient, d'une part, la voie de droit ordinaire d'un recours de droit public au Tribunal fédéral (art. 82 ss LTF) et, d'autre part, la voie de droit extraordinaire d'une requête de révision de l'arrêt cantonal selon le droit jurassien (cf. art. 208 de la loi du 30 novembre 1978 de procédure et de juridiction administrative et constitutionnelle; RS/JU 175.1). Or, la recourante n'a utilisé aucune des voies de droit possibles contre cet arrêt, qui ne peut plus être remis en cause, étant précisé que seule une décision ou une décision sur opposition peut faire l'objet d'une reconsidération au sens de l'art. 53 al. 2 LPGA, à l'exclusion d'un jugement cantonal (ou fédéral).
5.
Au vu de ce qui précède, le recours se révèle mal fondé et doit être reje té. La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et versera une indemnité de dépens à l'intimée ( art. 68 al. 1 et 2 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'avocat de l'intimée la somme de 2800 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Cour des assurances, et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 22 septembre 2022
Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Wirthlin
La Greffière : Elmiger-Necipoglu