Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4P.26/2005 /ech
Arrêt du 23 mars 2005
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, président, Favre et Kiss.
Greffier: M. Carruzzo.
Parties
X.________,
recourante, représentée par Me Philipp Dickenmann, avocat
contre
A.________,
B.________,
intimés, tous deux représentés par Me Antoine
Zen Ruffinen
Fédération Internationale de Football Association (FIFA),
intimée,
Tribunal Arbitral du Sport (TAS),
Objet
arbitrage international; droit d'être entendu; ordre public,
recours de droit public contre la sentence du Tribunal Arbitral du Sport (TAS) du 21 décembre 2004.
Faits:
A.
A.________ et B.________ (intimés), deux footballeurs professionnels brésiliens, ont joué depuis juillet 2003 pour le compte du X.________, un club de football du pays Z.________ avec qui ils avaient conclu chacun un contrat de travail. N'ayant pas touché leur salaire, les intimés ont quitté le club, le 18 octobre 2003, et sont rentrés au Brésil.
B.
La recourante a introduit une procédure auprès de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA). La "Dispute Resolution Chamber" a considéré le comportement des deux joueurs comme justifié. Par deux décisions du 24 mars 2004, elle a donc rejeté la demande de la recourante et condamné celle-ci à payer 26'304 US$ à B.________ et 33'031 US$ à A.________.
La recourante a interjeté appel contre ces décisions auprès du Tribunal Arbitral du Sport (TAS). Le professeur C.________ a été désigné comme arbitre unique. Il a rendu, le 21 décembre 2004, une sentence arbitrale au terme de laquelle il a rejeté les appels et confirmé les décisions attaquées.
C.
X.________ a formé un recours de droit public au Tribunal fédéral. Se plaignant de la violation tant de son droit d'être entendue (art. 190 al. 2 let. d LDIP) que de l'ordre public matériel (art. 190 al. 2 let. e LDIP), la recourante conclut à l'annulation de la sentence arbitrale et au renvoi de la cause au TAS pour qu'il continue la procédure.
Les intimés concluent au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. La FIFA a renoncé à formuler des observations, tout en proposant le rejet du recours. Le TAS a également renoncé à déposer une réponse, invitant le Tribunal fédéral à se référer à la sentence entreprise. Il a produit le dossier de la cause.
Par ordonnance du 28 février 2005, le président de la Cour de céans a rejeté la requête d'effet suspensif présentée par la recourante.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
La sentence attaquée est rédigée en français. Dans les mémoires qu'elles ont adressés au Tribunal fédéral, les parties ont employé, qui l'allemand (la recourante), qui le français (les intimés). Conformément à sa pratique, le Tribunal fédéral rendra son arrêt en français (cf. art. 37 al. 3 OJ).
2.
Selon l'art. 85 let. c OJ, le recours de droit public est recevable contre les sentences des tribunaux arbitraux en vertu des art. 190 ss LDIP.
2.1 Le siège du Tribunal arbitral se trouve à Lausanne. Aucune des parties n'a son siège, respectivement son domicile, en Suisse. Comme les parties n'ont pas exclu par écrit l'application du chapitre 12 de la LDIP, les dispositions de ce chapitre sont applicables en l'espèce ( art. 176 al.1 et 2 LDIP ).
2.2 Le recours ne peut être formé que pour l'un des motifs énumérés de manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP (ATF 128 III 50 consid. 1a p. 53; 127 III 279 consid. 1a p. 282). Les règles de procédure étant celles du recours de droit public, la partie recourante doit invoquer ses griefs conformément aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF 128 III 50 consid. 1c p. 53). S'agissant plus particulièrement du motif de recours prévu par l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, il lui appartient de démontrer de façon circonstanciée en quoi la sentence attaquée est, à son avis, incompatible avec l'ordre public (ATF 117 II 604 consid. 3 p. 606). Le Tribunal fédéral n'examine que les griefs qui ont été invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours.
3.
Se plaignant d'une violation de son droit d'être entendue (art. 190 al. 2 let. d LDIP), la recourante reproche au TAS d'avoir totalement ignoré l'argument, invoqué par elle, selon lequel il n'avait pas été valablement mis fin aux rapports de travail des intimés pour des raisons de forme.
3.1 En vertu de l' art. 182 al. 1 et 2 LDIP , les parties et, au besoin, le tribunal arbitral peuvent régler la procédure arbitrale. Toutefois, l'art. 182 al. 3 LDIP soustrait à leur libre disposition les garanties de procédure minimales que constituent l'égalité des parties et leur droit d'être entendues en procédure contradictoire. Le motif de recours prévu à l'art. 190 al. 2 let. d LDIP sanctionne la violation des seuls principes impératifs de procédure réservés par l'art. 182 al. 3 LDIP. En conformité avec cette dernière disposition, il incombe donc au Tribunal arbitral de respecter le droit d'être entendu des parties. Ce droit correspond - à l'exception de l'exigence de motivation (ATF 128 III 234 consid. 4b p. 243) - à celui qui est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF 130 III 35 consid. 5 p. 37; 127 III 576 consid. 2c). Selon la jurisprudence, il confère à chaque partie la faculté d'exposer tous ses moyens de fait et de droit pertinents pour le sort du litige, de rapporter les preuves nécessaires, de participer aux audiences et de consulter le dossier (ATF 130 III 35 consid. 5 p. 38; 127 III 576 consid. 2c et les références).
3.2 La jurisprudence a également déduit du droit d'être entendu un devoir minimum pour les autorités d'examiner et de traiter les problèmes pertinents (ATF 126 I 97 consid. 2b; 121 III 331 consid. 3b p. 333; Bernard Corboz, Le recours au Tribunal fédéral en matière d'arbitrage international, in SJ 2002 II p. 1 ss, 23 et la jurisprudence citée). Toutefois, une autorité ne viole pas le droit d'être entendu si elle n'examine pas des questions qu'elle n'estime pas décisives, à bon droit, pour la solution du cas.
3.3 Le devoir d'examen des autorités suppose, comme première condition, que des moyens pertinents leur aient été valablement soumis. En l'espèce, la recourante soutient qu'elle a indiqué au TAS les motifs établissant qu'une résiliation des rapports de travail faisait défaut pour des raisons de forme. Elle se réfère, à cet égard, à son écriture du 26 avril 2004 ainsi que, de manière globale, aux actes de la procédure conduite devant le TAS.
Cependant, on cherche en vain pareil argument dans l'écriture de la recourante du 26 avril 2004. L'intéressée y soutenait bien plutôt le point de vue voulant que, en droit du pays Z.________, le salaire constitue une dette quérable et non une dette portable. Elle faisait valoir qu'il n'était pas prouvé que les intimés lui aient réclamé leur salaire, qu'elle était prête à payer, partant qu'aucun d'eux n'était en droit de résilier unilatéralement le contrat le concernant du seul fait qu'il n'avait pas touché son salaire. Telle était l'unique question soumise à l'examen du TAS et, préalablement, à celui de la "Dispute Resolution Chamber".
Il ne ressort pas non plus des actes de la procédure conduite devant le TAS que la recourante y aurait allégué l'absence de résiliation des rapports de travail pour des motifs de forme. De toute façon, il n'appartient pas au Tribunal fédéral de rechercher lui-même dans ces actes d'éventuels éléments susceptibles d'établir l'existence d'une allégation allant dans ce sens. C'est à la recourante qu'il incombait de les indiquer.
Il appert, en revanche, de la sentence attaquée (p. 8, ch. 34) que la recourante a invoqué l'argument selon lequel, si le moyen - fondé sur l'art. 270 du code du travail du pays Z.________ - tiré du caractère quérable de la dette de salaire venait à être écarté, il y aurait lieu d'admettre que les intimés ne pouvaient résilier valablement leur contrat sans avoir suivi, au préalable, la procédure spécifique prévue par le règlement de la fédération du pays Z.________, qui leur imposait de saisir d'abord un jury d'arbitres indépendants.
Le TAS a mentionné cet argument subsidiaire dans sa sentence, ce qui démontre que la recourante a été entendue sur ce point aussi. Sans doute ne l'a-t-il pas réfuté explicitement dans la partie juridique de ce prononcé. Il l'a cependant écarté implicitement en retenant que l'initiative prise par les intimés de quitter le club était imputable à l'inexécution répétée d'une obligation essentielle incombant à la recourante, inexécution qui avait entraîné la rupture avant terme des contrats de travail. Admettant, par cette motivation, que la recourante avait provoqué elle-même l'extinction des rapports de travail, le TAS pouvait dès lors se dispenser d'examiner si les intimés avaient procédé formellement de manière correcte.
Quoi qu'il en soit, l'obligation de motiver ne constitue pas l'un des éléments de la garantie du droit d'être entendu, au sens des art. 190 al. 1 let. d et 182 al. 3 LDIP (cf. consid. 3.1 ci-dessus). Aussi la recourante ne saurait-elle se plaindre de la violation de cette garantie du simple fait que le TAS n'a pas rejeté expressément l'argument précité dans les considérants juridiques de sa sentence.
4.
La recourante reproche, en outre, au TAS d'avoir violé l'ordre public matériel (art. 190 al. 2 let. e LDIP) en fondant sa sentence sur les règles de l'équité plutôt que sur le droit convenu et en parvenant à un résultat qui s'écarte largement de celui auquel l'aurait conduit l'application de ce droit.
4.1 L'examen matériel d'une sentence arbitrale internationale, par le Tribunal fédéral, est limité à la question de la compatibilité de la sentence avec l'ordre public (ATF 121 III 331 consid. 3a). Une sentence est contraire à l'ordre public lorsqu'elle viole des principes juridiques fondamentaux du droit de fond au point de ne plus être conciliable avec l'ordre juridique et le système de valeurs déterminants; au nombre de ces principes figurent, notamment, la fidélité contractuelle, le respect des règles de la bonne foi, l'interdiction de l'abus de droit, la prohibition des mesures discriminatoires ou spoliatrices, ainsi que la protection des personnes civilement incapables. L'annulation de la sentence attaquée ne s'impose que si le résultat auquel celle-ci aboutit, et non pas déjà les motifs censés justifier ce résultat, est incompatible avec l'ordre public (ATF 128 III 191 consid. 6b; 120 II 155 consid. 6a p. 166; 116 II 634 consid. 4; Corboz, op. cit., p. 26).
4.2 La recourante se réfère à l'ATF 116 II 634 consid. 4a. Il y est indiqué qu'une sentence rendue en équité plutôt que selon le droit convenu ne viole en tout cas pas l'ordre public si elle n'a pas conduit à un résultat sensiblement différent de celui commandé par le droit applicable, en d'autres termes si elle s'écarte de ce dernier résultat d'une manière qui reste compatible avec l'ordre public.
En l'espèce, il n'est pas établi que le TAS aurait fondé sa sentence exclusivement sur les règles de l'équité. Le considérant critiqué par la recourante (p. 13, ch. 55), où il est notamment fait référence aux "règles de l'équité", s'inscrit dans le cadre de la réponse donnée à la question de savoir si le salaire constituait en l'espèce une dette quérable ou une dette portable. Le TAS n'a pas tranché cette question au regard des seules règles de l'équité. Au contraire, il a interprété l'art. 270 du code du travail du pays Z.________, invoqué par la recourante, pour en déduire qu'à défaut d'une manifestation de volonté inverse de la part du travailleur, seul ce dernier est légitimé à recevoir directement le paiement du salaire. Le TAS a encore souligné qu'aucune clause des contrats de travail des intimés ne stipulait que leurs salaires ne devaient pas leur être versés directement ni qu'ils devaient en réclamer le versement. De surcroît, les annexes auxdits contrats révélaient bien plutôt que les salaires étaient payables le 5ème jour de chaque mois.
Ainsi, le TAS a considéré que la question du caractère quérable ou portable de la dette de salaire était réglée par les contrats de travail, à tout le moins en ce sens que ceux-ci ne contredisaient pas de manière reconnaissable l'usage, fondé sur la protection des travailleurs, voulant que le salaire soit une dette portable. Dans la mesure où la recourante, s'en prend implicitement à l'interprétation du contrat telle qu'elle a été faite par le TAS, elle formule un grief irrecevable, étant donné qu'une interprétation erronée d'un contrat ne constitue pas une violation de l'ordre public (Corboz, ibid.).
La recourante soutient enfin que le TAS aurait méconnu le principe de la fidélité contractuelle en reconnaissant aux intimés le droit de résilier les contrats de travail, alors même qu'elle avait adopté un comportement conforme à ses obligations contractuelles. Elle a tort puisque, ce faisant, elle se borne à maintenir son point de vue et à critiquer l'opinion contraire adoptée par le TAS.
Par conséquent, le moyen pris de la violation de l'ordre public matériel tombe à faux.
5.
La recourante, qui succombe, devra payer l'émolument judiciaire afférent à la procédure fédérale (art. 156 al. 1 OJ) et indemniser les deux joueurs intimés (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera aux intimés A.________ et B.________, créanciers solidaires, une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et au Tribunal Arbitral du Sport (TAS).
Lausanne, le 23 mars 2005
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: