Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1B_653/2021
Arrêt du 23 mai 2022
Ire Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Kneubühler, Président, Chaix et Jametti.
Greffière : Mme Arn.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Jean-Claude Schweizer, avocat,
recourant,
contre
B.________, c/o C.________ SA,
intimé,
Ministère public du canton de Berne,
Région Jura bernois-Seeland,
rue du Château 13, 2740 Moutier.
Objet
Procédure pénale; récusation d'expert,
recours contre la décision de la Cour suprême
du canton de Berne, Chambre de recours pénale,
du 4 novembre 2021 (BK 21 176).
Faits :
A.
A.a. Une instruction pénale a été ouverte le 16 mai 2017 pour homicide par négligence, à la suite du décès la veille de D.________ et E.________ dans le port Jean-Jacques Rousseau à la Neuville; des négligences dans l'installation électrique des prises du port auraient pu jouer un rôle ou entraîner la mort des deux victimes. L'instruction a été étendue, notamment l'encontre de A.________ le 3 avril 2019.
A.b. Le 1
er juin 2018, un mandat d'expertise a été confié à B.________ (ci-après: l'expert), de l'entreprise C.________ SA visant à la réalisation d'une expertise technique desdites installations électriques. Par courrier du 13 novembre 2018, l'expert a fait parvenir son rapport d'expertise (expertise menée en partie avec F.________) du 8 novembre 2018 au Ministère public Région Jura bernois-Seeland (ci-après: Ministère public), lequel a été transmis aux prévenus. Par courrier du 12 septembre 2019, l'expert a fait parvenir au Ministère public ses réponses aux questions complémentaires formulées par les parties qui lui avaient été transmises le 26 juin 2019. En vue de l'audition de l'expert, le Ministère public a fait parvenir à ce dernier, en date du 5 août 2020, les questions complémentaires qu'il avait reçues des parties. L'audition de l'expert a entre-temps été reportée au 17 mars 2021. Par courriel du 16 mars 2021, l'expert a fait parvenir au Procureur les réponses aux questions complémentaires des parties et le Procureur a transmis ce document aux parties le jour même.
A.c. Le 17 mars 2021, le Ministère public a effectué une visite des lieux et procédé à l'audition de l'expert, en présence des parties. A cette occasion, le défenseur de A.________ a déclaré que "au vu du dernier rapport qui nous a été fourni nous allons également demander la récusation de M. B.________. Cette demande sera faite par la suite. Cette demande va se faire notamment en lien avec la forme et le ton utilisé et les affirmations manquant de référence" (cf. procès-verbal d'audition n° 2 [après-midi] du 17 mars 2021).
A.d. Par courrier du 9 avril 2021, le défenseur de A.________ a déposé une demande de récusation formelle auprès du Ministère public qui l'a transmise avec sa prise de position, à la Chambre de recours pénale de la Cour suprême du canton de Berne (ci-après: la cour cantonale) comme objet de sa compétence. L'expert s'est également déterminé au sujet de la demande de récusation.
B.
Par décision du 4 novembre 2021, la cour cantonale a rejeté la demande de récusation dirigée à l'encontre de l'expert.
C.
Par acte du 7 décembre 2021, A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt du 4 novembre 2021, concluant à son annulation, à la récusation de l'expert B.________, ainsi qu'à l'annulation et au retrait du dossier de tous les actes de procédure effectués par cet expert, soit "notamment le rapport d'expertise du 18 novembre 2018
[recte 8 novembre 2018]et le rapport complémentaire du 16 mars 2021". Subsidiairement, il conclut au renvoi de l'affaire à l'instance précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Invités à se déterminer, la cour cantonale et le Ministère public renoncent à déposer une réponse. Les parents de la victime E.________ déposent des observations spontanées. L'expert formule ses déterminations.
Considérant en droit :
1.
Selon les art. 78, 80 al. 2 in fine et 92 al. 1 LTF, une décision prise en instance cantonale unique relative à la récusation d'experts peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière pénale nonobstant son caractère incident (ATF 144 IV 90 consid. 1). Le recourant, prévenu dont la demande de récusation a été rejetée, a qualité pour recourir en vertu de l'art. 81 al. 1 LTF. Les conclusions prises sont recevables au sens de l'art. 107 al. 2 LTF et le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière.
2.
Invoquant les art. 56 let. f et 183 al. 3 CPP, le recourant estime que la forme ainsi que le contenu du document du 16 mars 2021 rédigé par l'expert permettraient objectivement de douter de l'impartialité de ce dernier.
2.1. L'art. 56 let. f CPP - applicable aux experts en vertu du renvoi de l'art. 183 al. 3 CPP - prévoit que toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est récusable "lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention". Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes de l'art. 56 CPP (ATF 143 IV 69 consid. 3.2). Elle concrétise les droits déduits de l'art. 29 al. 1 Cst. garantissant l'équité du procès et assure au justiciable une protection équivalente à celle de l'art. 30 al. 1 Cst. s'agissant des exigences d'impartialité et d'indépendance requises d'un expert (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2). Les parties à une procédure ont donc le droit d'exiger la récusation d'un expert dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Cette garantie tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause puissent influencer une appréciation en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective de l'expert est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de sa part. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 143 IV 69 consid. 3.2; arrêts 1B_338/2021 du 23 novembre 2021 consid. 2.1; 1B_647/2020 du 20 mai 2021 consid. 3.1).
2.2. Dans sa décision, l'instance précédente a tout d'abord rappelé qu'il existait un premier rapport d'expertise établi par l'Inspection fédérale des installations à courant fort (ESTI) le 25 août 2017. Quant à l'expert intimé, désigné le 1er juin 2018 pour une seconde expertise, il a rendu son rapport le 13 novembre 2018 (expertise du 8 novembre 2018), puis a répondu aux questions complémentaires des parties dans un document rendu le 12 septembre 2019. Enfin, le 16 mars 2021, l'expert intimé a fait parvenir ses réponses à de nouvelles questions des parties en vue de la descente sur les lieux du drame appointée au lendemain, le 17 mars 2021. L'instance précédente a en substance considéré que ni la forme ni le contenu de ce document du 16 mars 2021 rédigé par l'expert - présentant lesdites réponses complémentaires - ne permettait de conclure à une apparence de partialité. La cour cantonale a entre autres précisé que les critiques sur la forme du document du 16 mars 2021 étaient faibles et manquaient de manière flagrante de pertinence. Elle relevait par ailleurs que la différence de point de vue entre l'expert et le prévenu - quant à la question de savoir si une protection supplémentaire par exemple un DDR était nécessaire - devait être examinée dans la procédure au fond. Pour l'instance précédente, les affirmations de l'expert ne permettaient pas de douter de son impartialité. Selon la cour cantonale, il semblerait plutôt que le recourant contestait la méthodologie employée et le résultat des conclusions de l'expert.
2.3. Le recourant critique l'appréciation de l'instance précédente. Il remet en cause la qualité formelle et matérielle du rapport écrit du 16 mars 2021 de l'expert intimé présentant ses réponses complémentaires et y voit un motif de récusation. Il persiste à affirmer que le caractère illisible du document du 16 mars 2021 témoignerait de la légèreté inquiétante dont fait preuve l'expert et dénoterait une certaine antipathie envers les parties. De plus, sur le fond, les déclarations écrites de l'expert seraient péremptoires et ne feraient référence à aucune norme ou ouvrage scientifique, ce qui permettrait de douter de son impartialité; le recourant se limite sur ce dernier point à invoquer la certitude de l'expert au sujet de l'application des normes liées aux marinas alors que, selon lui, "cette certitude ne repose sur rien".
Ces critiques du recourant ne permettent pas de remettre en cause l'appréciation de l'instance précédente sur ce point. Certes, la forme du document du 16 mars 2021 manque d'uniformité et les copiés-collés, l'usage de plusieurs polices et tailles d'écritures, le choix des couleurs et les divers surlignages ne permettent pas une lecture fluide de son contenu. Toutefois, comme l'a relevé l'instance précédente, on ne saurait en déduire la marque d'une prévention objectivement fondée à l'égard du recourant. L'expert a, à cet égard, expliqué que ce document du 16 mars 2021 ne constituait que le premier jet d'un document de travail établi afin de faciliter la rencontre des parties sur les lieux le lendemain, soit le 17 mars 2021. L'instance précédente pouvait dans ces circonstances sans arbitraire admettre les explications de l'expert à ce sujet. Ce dernier a ainsi exposé qu'il avait intégré à son document, par voie informatique, via une reconnaissance de caractères, les dispositions auxquelles il se réfère et les questions des avocats, afin d'éviter de faire des renvois à divers documents car on lui avait reproché précédemment d'abuser de ces renvois qui rendaient difficilement compréhensibles ses réponses. Dans ces conditions, le manque d'uniformité de l'écrit du 16 mars 2021 dénote certes une carence de l'expert dans la mise en forme de ce document, mais ne constitue pas en tant que tel la marque d'une inimitié de celui-ci à l'égard du recourant ou des autres prévenus.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le recourant et comme relevé par l'instance précédente, l'expert cite dans le document litigieux les dispositions qu'il estime applicables; il se réfère ainsi notamment à la norme sur l'installation électrique à basse tension (NIBT), mais également à l'ordonnance sur les installations électriques à courant fort. Le recourant se plaint ainsi à tort de l'absence totale d'esprit scientifique de l'expert. La cour cantonale a d'ailleurs mis en évidence, sans que cela ne soit contesté par le recourant, que l'expert intimé disposait notamment de la formation, des diplômes et de l'expérience professionnelle requises pour procéder à l'expertise technique des installations.
Enfin, on rappellera, avec l'instance précédente, qu'il appartient au juge du fond d'apprécier la valeur probante de l'expertise et que celui-ci n'est pas lié par les conclusions de l'expert. Il incombe en particulier au juge, et non à l'expert, de résoudre les questions juridiques qui se posent dans le complexe de faits faisant l'objet de l'expertise (cf. ATF 142 IV 49 consid. 2.1.3; 138 III 193 consid. 4.3; arrêt 1B_163/2020 du 20 juillet 2020 consid. 2.4). Ainsi, la question de savoir s'il convient ou non in casu d'appliquer les règles relatives aux marinas doit être examinée dans le cadre de la procédure au fond et non pas dans le cadre de la procédure de récusation.
2.4. Le recourant voit encore un motif de récusation dans le fait que l'expert a compris son mandat comme étant celui de "relever tous les points «oublier»
(sic) dans l'installation et dans les contrôles afin de démontrer que les différents intervenants ont failli dans leurs tâches et ont rendu une installation non conforme". Selon le recourant, cette affirmation, figurant dans l'écriture du 16 mars 2021, attesterait que l'expert a déjà acquis la conviction de la culpabilité des prévenus et qu'il ne cherche qu'à trouver des moyens de la démontrer, faisant ainsi fi du principe de la présomption d'innocence.
Contrairement à ce qu'affirme le recourant, on ne saurait voir dans la phrase en question un indice de prévention de l'expert à l'égard des prévenus. A l'instar de l'instance précédente, il y a en effet lieu de relativiser cette affirmation du 16 mars 2021 dans la mesure où elle est intervenue alors que l'expert avait déjà investigué sur l'installation électrique et rendu son rapport d'expertise principal le 8 novembre 2018 qui faisait état de défauts et erreurs d'ordre technique et qu'il avait de plus répondu aux questions complémentaires des parties. Ainsi, le 16 mars 2021, lorsque l'expert intimé répond aux questions supplémentaires posées par les parties et qu'il formule cette affirmation, il a déjà pu se forger une opinion sur le plan technique, en particulier sur la non-conformité de l'installation et les manquements des personnes impliquées dans les contrôles. On ne saurait en l'occurrence déduire de l'affirmation litigieuse, certes maladroite, que l'expert a conçu son mandat comme étant celui de trouver les moyens de démontrer la culpabilité du recourant et des prévenus. Il s'agit ici d'une autre manière pour l'expert de dire qu'il recherche les causes et le déroulement de l'accident. Le recourant ne formule d'ailleurs aucune critique à l'encontre du rapport principal du 8 novembre 2018 - dans lequel l'expert a exposé le contenu de son mandat - et de ses réponses du 26 juin 2019. De plus, lors de son audition du 17 mars 2021, l'expert a précisément rappelé que sa mission consistait "à savoir si cette installation était dans les normes". On ne saurait partant donner à l'affirmation litigieuse de l'expert, la portée que lui prête le recourant.
De manière générale, on relèvera que le fait que l'expert formule, dans son rapport, des conclusions défavorables à l'une des parties ne constitue pas un motif de récusation (ATF 132 V 93 consid. 7.2.2; arrêt 1B_123 /2013 du 26 avril 2013 consid. 3.2).
2.5. En définitive, aucun des motifs avancés par le recourant, pris séparément ou dans leur ensemble, ne permet d'admettre l'existence de circonstances exceptionnelles justifiant une récusation de l'expert intimé dans la présente cause. Partant, la Chambre de recours pénale n'a pas violé le droit fédéral en rejetant la requête de récusation déposée par le recourant.
3.
Il s'ensuit que le recours est rejeté. Le recourant qui succombe supporte les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Ministère public du canton de Berne, Région Jura bernois-Seeland, et à la Cour suprême du canton de Berne, Chambre de recours pénale.
Lausanne, le 23 mai 2022
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
La Greffière : Arn