Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_493/2022
Arrêt du 24 janvier 2024
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales
Jametti, Présidente, Kiss et May Canellas.
Greffier: M. Botteron.
Participants à la procédure
A.________ Sàrl,
représentée par Me Fabien Mingard, avocat,
recourante,
contre
B.________,
représentée par Me Elodie Chevrey-Allievi, avocate,
intimée.
Objet
contrat de travail,
recours contre l'arrêt rendu le 30 septembre 2022 par la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura
(CC 2 / 2022 (AJ 13 / 2022)).
Faits :
A.
A.________ Sàrl (ci-après: l'employeuse) et B.________ (ci-après: l'employée ou la demanderesse) ont conclu un contrat de travail de durée indéterminée.
Les rapports de travail ont débuté le 2 janvier 2019. Ils ont été résiliés avec effet immédiat par l'employeuse le 6 février 2019.
L'employée a contesté être liée par le contrat écrit du 2 janvier 2019 invoqué par l'employeuse, lequel prévoyait un taux d'activité de 50 % et un salaire mensuel brut de 2'000 fr. Elle a soutenu avoir été engagée selon contrat oral conclu en décembre 2018, à temps complet et pour un salaire mensuel brut de 4'000 fr.
B.
B.a. Suite à l'échec de la conciliation, l'employée a saisi le Conseil de prud'hommes de Porrentruy le 8 octobre 2019 d'une demande tendant au versement par l'employeuse de 12'000 fr. à titre de salaire de janvier, février et mars 2019 - sous déduction de la somme de 1'700 fr. versée par l'employeuse le 30 janvier 2019 - et de 12'000 fr. (soit l'équivalent de trois mois de salaire) à titre d'indemnité pour licenciement immédiat injustifié, subsidiairement pour licenciement abusif, plus intérêts; elle a également conclu à la remise de différents documents.
Par jugement du 6 décembre 2021, le Conseil de prud'hommes a condamné l'employeuse à verser à l'employée 10'000 fr. à titre de salaires de janvier à mars 2019 (12'000 fr. dont à déduire le montant brut de 2'000 fr. déjà touché) et 4'000 fr. à titre d'indemnité pour licenciement immédiat injustifié (art. 337c al. 3 CO). Il lui a également fait obligation de délivrer à l'employée une série de documents (un certificat de travail complet, un certificat de salaire et un formulaire U+ [document fiscal]).
B.b. Par arrêt du 30 septembre 2022, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura a rejeté l'appel de l'employeuse. Ses motifs seront évoqués dans les considérants en droit du présent arrêt dans la mesure où ceci s'avère nécessaire à la discussion des griefs.
C.
L'employeuse forme un recours en matière civile au Tribunal fédéral en concluant au rejet intégral de la demande.
Aucun échange d'écritures n'a été ordonné.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 145 II 168 consid. 1; 144 II 184 consid. 1; 143 III 140 consid. 1).
1.1.
1.1.1. En matière de droit du travail, le recours en matière civile est recevable, dans les affaires pécuniaires, uniquement si la valeur litigieuse s'élève au moins à 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF) ou, à défaut, si la contestation soulève une question juridique de principe (art. 74 al. 2 let. a LTF). La valeur litigieuse se détermine selon les dernières conclusions prises par les parties devant la dernière instance cantonale (art. 51 al. 1 let. a LTF). N'est donc pas déterminant l'intérêt concret que défend le recourant, soit le montant qui reste litigieux devant le Tribunal fédéral.
Dans le cas présent, l'employeuse avait été condamnée, en première instance, à verser à l'employée 10'000 fr. à titre de salaires et 4'000 fr. à titre d'indemnité pour licenciement immédiat injustifié. Elle avait fait appel de ce prononcé en concluant formellement au déboutement total de l'employée. Cela étant, le litige portait sur ces 14'000 fr. seuls, puisque l'employée de son côté n'avait pas fait appel. Partant, la valeur litigieuse n'atteint pas 15'000 fr. contrairement à ce que la cour cantonale a mentionné au pied de son arrêt.
1.1.2. On peut se demander si la prétention en reddition de documents formulée par l'employée change cette donne, sachant qu'il s'agit là aussi d'une contestation pécuniaire. Le Conseil des prud'hommes avait fait obligation à l'employeuse de délivrer à l'employée les documents demandés, dont un certificat de travail. Dans son appel, l'employeuse avait certes conclu formellement au déboutement intégral de la demanderesse, mais - à bien lire ce mémoire - elle y avait aussi indiqué qu'elle " remettra (it) à l' (employée) un certificat de travail, un certificat de salaire et un formulaire U+ ". Le mémoire d'appel était d'ailleurs dépourvu d'une quelconque motivation à ce sujet. Aussi, la cour cantonale a-t-elle constaté que l'employeuse ne s'opposait pas à la délivrance des documents en question. Partant, ce point n'était plus litigieux en appel.
Il n'y a donc pas à s'interroger sur la valeur litigieuse correspondant à la prétention en reddition de ces documents. Seuls étaient litigieux en appel les 14'000 fr. réclamés par la demanderesse à titre de salaire et d'indemnité pour licenciement immédiat injustifié. D'ailleurs, pourrait-on encore observer, à défaut d'indication de la valeur litigieuse dans l'arrêt attaqué (lequel mentionne simplement, au regard des moyens de recours, que la Cour civile considère que cette valeur est supérieure à 15'000 fr.), il incomberait à la recourante, sous peine d'irrecevabilité, de donner les éléments suffisants pour permettre au Tribunal fédéral d'estimer aisément la valeur correspondant aux documents demandés, notamment le certificat de travail (cf. art. 42 al. 1 et 2 LTF ; arrêt 8C_151/2010 du 31 août 2010 consid. 2.3 et 2.8), ce qu'elle ne fait pas: elle se contente de renvoyer à l'arrêt cantonal sur ce chapitre.
1.1.3. Lorsque la valeur litigieuse est insuffisante, le recours est néanmoins recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (art. 85 al. 2 LTF). Lorsque le recours n'est recevable qu'à cette condition, le recourant doit exposer en quoi l'affaire remplit cette exigence (art. 42 al. 2, deuxième phrase, LTF; ATF 134 III 267 consid. 2; 133 III 439 consid. 2.2.2.1). En l'occurrence, la recourante ne prétend pas qu'il faille trancher une question juridique de principe. Tel n'est d'ailleurs et de toute évidence pas le cas.
1.1.4. Il s'ensuit que le recours en matière civile est irrecevable.
1.2. Il reste à examiner si le recours est recevable au titre de recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 ss LTF).
1.2.1. La recourante n'a pas formé, même à titre subsidiaire, un recours constitutionnel. Cela étant, l'intitulé erroné d'un recours ne nuit pas à son auteur, pour autant que les conditions de recevabilité du recours qui aurait dû être interjeté soient réunies et qu'il soit possible de convertir le recours dans son ensemble (ATF 138 I 368 consid. 1.1; 134 III 379 consid. 1.2).
1.2.2. Un tel recours ne peut être formé que pour violation des droits constitutionnels (art. 116 LTF). L'acte de recours doit, à peine d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés et préciser en quoi consiste la violation, en présentant une argumentation claire et circonstanciée; des critiques simplement appellatoires ne sont pas admissibles. Le Tribunal fédéral n'a donc pas à vérifier de lui-même si l'arrêt entrepris est en tous points conforme au droit et à l'équité, mais n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (art. 106 al. 2 LTF en relation avec l'art. 117 LTF; ATF 143 II 283 consid. 1.2.2; 139 I 229 consid. 2.2; 134 II 244 consid. 2.2).
1.2.3. En l'occurrence, la recourante se plaint dans les formes requises d'arbitraire dans l'établissement des faits et l'appréciation des preuves (art. 9 Cst.). Ceci lui ouvre la voie du recours constitutionnel subsidiaire.
1.2.4. Pour le surplus, ce recours a été interjeté en temps utile ( art. 100 al. 1 et 117 LTF ) contre une décision finale ( art. 90 et 117 LTF ) rendue sur appel par le tribunal supérieur d'un canton ( art. 75 et 114 LTF ). Il s'agit dès lors d'entrer en matière.
2.
Il est constant que les parties ont été liées par un contrat de travail de durée indéterminée. Cela étant, le sort des prétentions pécuniaires de l'employée dépend de savoir s'il s'agissait du contrat de travail écrit du 2 janvier 2019 invoqué par l'employeuse ou d'un contrat de travail conclu oralement en décembre 2018 comme l'employée le soutient, et le cas échéant, de déterminer quel était le contenu de cet accord.
3.
3.1. S'agissant de la première question, la cour cantonale a opiné en faveur de la thèse défendue par l'employée. Elle a estimé que le contrat de travail écrit du 2 janvier 2019 produit par l'employeuse n'était pas muni de la signature de l'employée, indépendamment de la griffe figurant au regard de son nom dans le document en question. Il n'avait donc pas recueilli son accord. Plusieurs éléments l'en ont convaincue.
Premièrement, la secrétaire comptable de l'employeuse ne savait pas si l'employée avait un contrat de travail écrit, alors qu'elle en aurait très certainement eu connaissance si ce document avait existé.
Deuxièmement, l'employée s'était plainte de ne pas avoir de contrat de travail écrit par message du 6 février 2019 à C.________, ce à quoi le prénommé lui avait répondu "vous aviez un contrat avant ce n'est pas pour autant que cela était mieux". Et le 7 février 2019, elle avait écrit à D.________, directeur de la société, dont elle était l'assistante: "Je n'ai toujours pas de contrat de travail", ce que ce dernier ne contestait pas.
Troisièmement, une autre employée (E.________) qui avait travaillé en qualité de secrétaire pour l'employeuse ne disposait pas non plus de contrat écrit, ce qui contredisait l'affirmation de l'employeuse selon laquelle tous ses employés en disposeraient.
Finalement, la cour cantonale a estimé que l'employée ne pouvait raisonnablement avoir voulu mettre un terme à l'emploi de responsable de direction à 100 % qu'elle occupait précédemment pour entrer au service de l'employeuse à un taux de 50 % et pour un salaire mensuel inférieur (2'000 fr. contre 2'200 EUR). Aucun élément au dossier n'indiquait qu'elle ait eu intérêt, respectivement qu'elle ait voulu réduire son taux d'activité, ses responsabilités ainsi que son salaire. Tout au contraire, elle avait tout intérêt à changer d'emploi pour bénéficier de meilleures conditions salariales en Suisse, si elle se trouvait dans la situation financière précaire que dépeignait l'employeuse.
3.2. La recourante se plaint d'arbitraire (art. 9 Cst.) dans l'appréciation des preuves.
Elle soutient que l'intimée n'a pas déposé plainte pénale pour faux dans les titres ni demandé une expertise graphologique du document querellé. Cela étant, la cour cantonale a évoqué ces éléments sans leur accorder un poids déterminant, ce qui n'avait rien d'arbitraire. C'est à tort que la recourante lui reproche de ne pas avoir mis en oeuvre d'office une expertise graphologique. Celle-ci n'a rien d'incontournable si d'autres éléments sont suffisamment probants. La recourante estime également que les témoignages sur lesquels la cour cantonale s'appuie ne seraient pas fiables, mais elle se borne à les apprécier différemment sans faire la preuve d'un quelconque arbitraire. Se référant aux messages évoqués par ladite cour, elle estime que C.________ et D.________ n'avaient pas à contester l'affirmation de l'employée selon laquelle elle ne disposait pas de contrat de travail, mais les juges cantonaux pouvaient fort bien ne point partager cette appréciation. Elle affirme que l'employée avait intérêt à passer à 50 % tout en gagnant à peu près le même salaire, mais fait l'impasse sur l'inexistence de tout élément qui accréditerait cette assertion qui, soit dit en passant, ne semble pas avoir été introduite régulièrement en procédure.
La recourante échoue donc dans la démonstration d'un quelconque arbitraire sur les points évoqués.
4.
4.1. S'agissant du contenu du contrat de travail oral de décembre 2018, la cour cantonale a considéré ce qui suit.
L'employée avait été engagée à une fonction à responsabilité, qui impliquait un travail correspondant. En tant qu'assistante de D.________, elle devait avoir des horaires plus ou moins similaires à celui-ci. Comme D.________ était occupé à 70 %, le taux de travail de l'employée devait être au moins équivalent. A cela s'ajoute qu'elle avait été chargée de mettre en place un
call center. Un taux de 30 % ne paraissait pas excessif pour une telle activité. Partant, le taux d'activité de l'employée correspondait à 100 %, ce qui était équivalent au taux auquel elle était occupée chez son précédent employeur. La cour cantonale a relevé au surplus que l'employeuse était incapable de dire quel était l'horaire de l'employée et n'avait pas mis en place un système de contrôle.
Quant au salaire convenu en décembre 2018, l'employeuse admettait qu'un taux d'activité de 50 % était rémunéré 2'000 fr. par mois. Un travail à temps complet devait donc logiquement être rémunéré le double. Ceci n'était pas excessif pour un poste d'assistante de direction. Ce salaire de 4'000 fr. par mois était d'ailleurs cohérent par rapport à celui de E.________ qui, en qualité de secrétaire, recevait 2'000 fr. nets à 50-60 % et à celui de D.________ qui, en qualité de directeur, était rémunéré 4'000 fr. par mois à 70 % (sans tenir compte d'éventuels participation au chiffre d'affaires ou bonus).
4.2. La recourante se plaint derechef d'arbitraire (art. 9 Cst.) sur ce chapitre, mais sans brandir d'autres éléments que le contrat de travail écrit dont le sort a déjà été scellé au terme du considérant précédent. Tout au plus met-elle en exergue une différence de quelques jours entre la date de début d'emploi alléguée dans la demande et celle avancée par l'employée lors de son interrogatoire. Toutefois, l'on ne voit guère en quoi ceci serait déterminant.
Il n'y a donc point là non plus d'arbitraire.
5.
5.1. Ceci étant clarifié, la cour cantonale en a tiré les conséquences utiles s'agissant des prétentions pécuniaires de l'employée.
Elle a retenu que le temps d'essai s'était déroulé du 2 janvier au 2 février 2019, soit avant la résiliation avec effet immédiat par l'employeuse qui était intervenue le 6 février 2019. Cette résiliation avait été motivée par les plaintes de l'employée tenant à l'absence de contrat et de salaire. Elle était dès lors injustifiée. Ceci déclenchait deux créances de l'employée: l'une en paiement du salaire jusqu'au terme du délai de congé que l'employeuse aurait dû respecter (jusqu'à fin mars 2019), soit 10'000 fr. bruts (art. 337c al. 1 CO); l'autre en paiement d'une indemnité pour résiliation immédiate injustifiée (art. 337c al. 3 CO) que la cour cantonale a fixée à un mois de salaire ou 4'000 fr. bruts.
5.2. La recourante affirme avoir résilié le contrat de travail pendant le temps d'essai - qui serait de deux mois selon le contrat écrit de janvier 2019 - et en respectant le délai de congé convenu dans ce même document. Cet argument ne la mène toutefois nulle part puisque ce contrat n'a pas été signé par l'employée.
Elle soutient en outre qu'il ne s'agirait pas d'une résiliation immédiate. Pour preuve, elle n'aurait pas utilisé les termes "avec effet immédiat" dans le message envoyé à l'employée. Cette dernière ne l'aurait d'ailleurs pas compris autrement puisqu'elle serait revenue sur son lieu de travail les deux jours suivants, non seulement pour remettre les clés et récupérer des documents mais surtout pour y travailler, à l'en croire.
5.3. La résiliation du contrat de travail est une manifestation de volonté unilatérale par laquelle une partie déclare mettre fin de son propre chef aux rapports de travail. Déterminer si cette résiliation a été donnée avec effet immédiat est affaire d'interprétation. Il faut tout d'abord rechercher quelle était la volonté réelle du déclarant et si elle a été bien comprise par le destinataire (interprétation subjective). Si une telle volonté ne peut être établie ou n'a pas été appréhendée comme telle par le cocontractant, le juge déterminera alors quel sens celui-ci pouvait lui donner selon le principe de la confiance (interprétation objective; arrêt 4A_479/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.1).
In casu, la cour cantonale a dégagé la volonté réelle du déclarant et - cette interprétation subjective relevant du fait - la recourante devrait démontrer qu'elle a versé sur ce point dans l'arbitraire. Elle est toutefois bien loin d'apporter la démonstration attendue. D'ailleurs les messages que la recourante a adressés à son employée les 6 et 7 février 2019 sont suffisamment explicites: " Franchement pour être honnête, je n'ai plus envie de travailler avec vous. Trop compliqué.", " Alors on arrête car je ne paie pas dans le vide. Bonne chance pour la suite. ", " Comme je vous ai dit j'arrête là. On vous fera les papiers pour le chômage " et enfin " On change de serrure lorsqu'une employée quitte l'entreprise et refuse de rendre la clé. Tu as été prévenue hier par F.________. Tant pis pour toi si tu ne suis pas les consignes. Et demain ne reviens plus ".
Le sort de cet ultime grief est donc lui aussi scellé.
6.
Partant, le recours en matière civile est irrecevable. Quant au recours constitutionnel subsidiaire, il doit être rejeté aux frais de son auteur. Il n'est pas dû de dépens en faveur de son adverse partie qui n'a pas été invitée à se déterminer (art. 66 al. 1 et 68 al. 1-2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours en matière civile est irrecevable.
2.
Le recours constitutionnel subsidiaire est rejeté.
3.
Les frais de procédure fixés à 700 fr. sont mis à la charge de la recourante.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura.
Lausanne, le 24 janvier 2024
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
Le Greffier : Botteron