Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_236/2022
Arrêt du 24 juin 2022
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales
Hohl, présidente, Kiss et Niquille.
Greffier: M. O. Carruzzo.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Arnaud Moutinot, avocat,
recourante,
contre
B.________ SA,
représentée par Me Emmanuelle Guiguet, avocate,
intimée.
Objet
contrat de bail,
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 11 avril 2022 par la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève (C/10309/2018, ACJC/498/2022).
Faits :
A.
A.a. Le 30 janvier 1996, B.________ SA (ci-après: la bailleresse) a remis à bail à A.________ (ci-après: la locataire) un appartement de trois pièces au huitième étage d'un immeuble sis à la rue T.________ à U.________. Le bail a été conclu pour une durée d'une année et deux mois avec renouvellement ultérieur tacite d'année en année sauf résiliation signifiée trois mois à l'avance. Le loyer mensuel convenu s'élevait à 1'025 fr., charges comprises.
A.b. Par courriers des 19 juin 2015, 2 février 2016 et 28 août 2017, la régie représentant la bailleresse a informé la locataire qu'elle avait reçu diverses plaintes au sujet de son comportement et lui a rappelé qu'elle était tenue d'avoir des égards envers ses voisins et de ne pas les incommoder d'une quelconque manière. Le 29 mars 2016, elle a également tenu une séance de médiation en présence de la locataire et de l'une de ses voisines. A l'issue de celle-ci, la régie a invité la locataire à modérer sans délai son comportement.
A.c. Le 15 décembre 2017, des habitants de la rue T.________ ont déposé une plainte pénale à l'encontre de la locataire. Ils se plaignaient notamment d'attaques physiques visant leurs enfants, de lancers de seaux d'eau depuis le huitième étage, d'attaques verbales et de propos injurieux et racistes.
A.d. Par courrier recommandé du 6 février 2018, la régie a mis en demeure la locataire de respecter ses obligations contractuelles et de cesser d'incommoder ses voisins d'une quelconque manière, sous la menace d'une résiliation anticipée de son bail, en cas de nouvelles plaintes concernant ses agissements répétés envers ses voisins.
Le 5 mars 2018, la locataire a rejeté catégoriquement les accusations portées à son encontre qu'elle jugeait ridicules et fallacieuses.
A.e. En mars 2018, différentes familles ont adressé de nouvelles lettres à la régie et au Ministère public genevois, souvent à l'aide de courriers types, pour se plaindre de divers agissements de l'intéressée.
A.f. Par avis officiel du 5 avril 2018, la régie a résilié le bail de la locataire de manière extraordinaire pour le 31 mai 2018 et de manière ordinaire pour le 31 mai 2019, en indiquant qu'elle avait reçu de nouvelles plaintes des voisins concernant les mêmes comportements que ceux décrits dans la lettre de mise en demeure du 6 février 2018.
A.g. En avril 2018, divers voisins ont adressé de nouvelles plaintes au Ministère public et à la régie pour dénoncer une escalade des actes de violence commis par la locataire.
B.
Après une tentative de conciliation infructueuse, la locataire a introduit, en date du 13 septembre 2018, une demande auprès du Tribunal des baux et loyers genevois tendant à la constatation de l'inefficacité du congé extraordinaire et à l'annulation du congé ordinaire, subsidiairement à l'octroi d'une prolongation de son bail de quatre ans avec possibilité de se départir du contrat en tout temps moyennant un préavis de 15 jours.
Par jugement du 14 juin 2021, le Tribunal des baux et loyers genevois a déclaré inefficace le congé extraordinaire, a validé la résiliation ordinaire du bail pour le 31 mars 2019 et octroyé à l'intéressée une unique prolongation de son bail d'une durée de quatre ans tout en l'autorisant à résilier son bail en tout temps moyennant un préavis de quinze jours pour le 15 ou la fin d'un mois.
Saisie d'un appel formé par la locataire, la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève, statuant par arrêt du 11 avril 2022, l'a rejeté et a confirmé le jugement entrepris.
C.
Le 24 mai 2022, la locataire (ci-après: la recourante) a formé un recours en matière civile en tête duquel elle conclut, principalement, à la réforme de l'arrêt attaqué en ce que le congé ordinaire signifié le 5 avril 2018 est annulé. Subsidiairement, elle sollicite l'annulation de l'arrêt querellé et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision.
La bailleresse (ci-après: l'intimée) et la cour cantonale n'ont pas été invitées à répondre au recours.
Considérant en droit :
1.
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont satisfaites, notamment à raison de la valeur litigieuse.
2.
Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Le Tribunal fédéral ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). "Manifestement inexactes" signifie ici "arbitraires" (ATF 140 III 115 consid. 2; 135 III 397 consid. 1.5). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références citées). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 130 I 258 consid. 1.3).
Concernant l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral n'intervient, du chef de l'art. 9 Cst., que si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3; 133 II 249 consid. 1.4.3; 129 I 8 consid. 2.1).
3.
A ce stade, le litige porte exclusivement sur la validité de la résiliation ordinaire du bail signifiée le 5 avril 2018.
3.1. Chaque partie est en principe libre de résilier un bail de durée indéterminée pour la prochaine échéance convenue en respectant le délai de congé prévu. La résiliation ordinaire du bail ne suppose pas l'existence d'un motif de résiliation particulier (cf. art. 266a al. 1 CO; ATF 145 III 143 consid. 3.1; 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.1).
Lorsque le bail porte sur une habitation ou un local commercial, la seule limite à la liberté contractuelle des parties réside dans les règles de la bonne foi: le congé qui y contrevient est alors annulable (art. 271 al. 1 CO; cf. également art. 271a CO). De manière générale, un congé est contraire aux règles de la bonne foi lorsqu'il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection et qu'il apparaît ainsi purement chicanier ou consacrant une disproportion crasse entre l'intérêt du locataire au maintien du contrat et celui du bailleur à y mettre fin (ATF 145 III 143 consid. 3.1; 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.1). Il ne suffit pas que la résiliation entraîne des conséquences pénibles pour le locataire (ATF 142 III 91 consid. 3.2.1) ou que l'intérêt du locataire au maintien du bail paraisse plus important que celui du bailleur à ce qu'il prenne fin (arrêt 4A_200/2017 du 29 août 2017 consid. 3.1.2 et les références citées). Pour statuer sur la validité d'un congé, il ne faut pas procéder à la pesée entre l'intérêt du bailleur à récupérer son bien et celui du locataire à rester dans les locaux; cette pesée des intérêts n'intervient que dans l'examen de la prolongation du bail (arrêts 4A_247/2021 du 4 mai 2022 consid. 3.1.2 destiné à la publication; 4A_18/2016 du 26 août 2016 consid. 3.2).
Il appartient à la partie qui veut faire annuler le congé de prouver les circonstances permettant de déduire qu'il contrevient aux règles de la bonne foi. L'auteur du congé doit toutefois collaborer à la manifestation de la vérité en motivant la résiliation sur requête et, en cas de contestation, en fournissant les documents nécessaires pour établir le motif du congé (cf. art. 271 al. 2 CO; ATF 145 III 143 consid. 3.1; 138 III 59 consid. 2.1). La motivation n'est pas une condition de validité du congé. Une motivation lacunaire ou fausse n'implique pas nécessairement que la résiliation est contraire aux règles de la bonne foi, mais elle peut constituer un indice de l'absence d'intérêt digne de protection à mettre un terme au bail. En particulier, le caractère abusif du congé sera retenu lorsque le motif invoqué n'est qu'un prétexte alors que le motif réel n'est pas constatable (ATF 145 III 143 consid. 3.1; 143 III 344 consid. 5.3.1 et les références citées).
3.2. Déterminer quel est le motif du congé et si ce motif est réel ou n'est qu'un prétexte relève des constatations de fait (ATF 145 III 143 consid. 3.1; 136 III 190 consid. 2). Pour ce faire, il faut se placer au moment où le congé a été notifié (ATF 145 III 143 consid. 3.1; 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.1); à cet égard, des faits survenus ultérieurement peuvent tout au plus fournir un éclairage sur les intentions du bailleur au moment de la résiliation (arrêts 4A_460/2020 du 23 février 2021 consid. 3.1; 4A_33/2019 du 5 septembre 2019 consid. 4.1.1; 4A_113/2019 du 9 juillet 2019 consid. 3 et la référence).
En revanche, le point de savoir si le congé contrevient aux règles de la bonne foi est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (arrêts 4A_460/2020, précité, consid. 3.1; 4A_33/2019, précité, consid. 4.1.1; 4A_113/2019, précité, consid. 3 et la référence citée).
3.3. En l'occurrence, la cour cantonale a constaté que le motif du congé était avéré, puisque la recourante avait effectivement manqué d'égards envers ses voisins. A cet égard, elle a retenu que l'intéressée avait adopté un comportement problématique et agressif depuis 2015. Tous les voisins entendus durant la procédure avaient rapporté des cris, des insultes ou menaces, des propos à caractère raciste et d'autres débordements de la part de la recourante (notamment des jets de seaux d'eau depuis le huitième étage), celle-ci ayant une propension particulière à s'en prendre aux enfants jouant dehors. L'autorité précédente a en outre estimé que l'intéressée, nonobstant son âge avancé et ses revenus limités, ne pouvait pas se plaindre d'une disproportion grossière des intérêts en présence.
3.4. Se plaignant d'une violation de l'art. 271 CO, la recourante soutient que la résiliation ordinaire devrait être annulée eu égard à la disproportion grossière des intérêts en présence et au caractère inutilement rigoureux du congé. Par sa critique au ton appellatoire marqué, l'intéressée, qui tente de minimiser certains manquements de sa part retenus dans l'arrêt attaqué, sans soutenir ni démontrer que les faits auraient été constatés arbitrairement par la cour cantonale, perd de vue que la pesée des différents intérêts en présence n'intervient qu'au stade de l'examen de la prolongation du bail et non au moment d'apprécier la validité du congé. En tout état de cause, force est de souligner qu'il ne saurait être question en l'espèce d'une disproportion manifeste des intérêts en présence vu les manquements graves et répétés imputables à l'intéressée depuis 2015. Au demeurant, les autorités cantonales ont bel et bien pris en considération l'âge avancé de la recourante ainsi que ses revenus modestes puisqu'elles lui ont octroyé une prolongation de bail d'une durée de quatre ans. C'est également à tort que l'intéressée se plaint de ce que l'intimée aurait exercé son droit à la résiliation de manière inutilement rigoureuse. L'intimée a en effet cherché à dialoguer avec la recourante en organisant, par exemple, une séance de médiation le 29 mars 2016. Elle s'est du reste montrée conciliante avec la recourante durant plusieurs années, en la rendant attentive, à diverses reprises, à son devoir de faire preuve d'égards envers ses voisins et en l'invitant à modifier sa façon de se comporter, nonobstant le fait que l'intéressée persistait à adopter des comportements incorrects à l'égard de ses voisins. Dans ces conditions, on ne saurait faire grief à l'intimée d'avoir finalement décidé de résilier le bail de la recourante, étant donné que celle-ci n'entendait visiblement pas agir de manière plus respectueuse vis-à-vis des autres habitants de l'immeuble.
4.
Au vu de ce qui précède, le recours ne peut qu'être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. La recourante, qui succombe, supportera les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée, qui n'a pas été invitée à se déterminer sur le recours, n'a pas droit à des dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 24 juin 2022
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Hohl
Le Greffier : O. Carruzzo