Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_180/2021, 9C_194/2021
Arrêt du 24 juin 2022
IIe Cour de droit social
Composition
M. et Mmes les Juges fédéraux Parrino, Président,
Moser-Szeless et Bechaalany, Juge suppléante.
Greffier : M. Bleicker.
Participants à la procédure
9C_180/2021
A.________,
représentée par Me Yvan Jeanneret, avocat,
recourante,
contre
1. CSS Assurance-maladie SA, Tribschenstrasse 21, 6005 Lucerne,
2. CONCORDIA Assurance suisse de maladie et accidents SA, Bundesplatz 15, 6002 Lucerne,
3. Atupri Gesundheitsversicherung,
Zieglerstrasse 29, 3000 Berne,
4. Avenir Assurance Maladie SA,
rue des Cèdres 5, 1920 Martigny,
5. KPT Caisse-maladie SA,
Wankdorfallee 3, 3014 Berne,
6. Vivao Sympany SA,
Peter Merian-Weg 4, 4052 Bâle,
7. SWICA Gesundheitsorganisation,
Römerstrasse 38, 8400 Winterthour,
8. Mutuel Assurance Maladie SA,
rue des Cèdres 5, 1920 Martigny,
9. Sanitas Krankenversicherung,
Jägergasse 3, 8004 Zurich,
10. INTRAS Assurance-maladie SA, avenue de Valmont 41, 1000 Lausanne,
11. Philos Assurance Maladie SA,
rue des Cèdres 5, 1920 Martigny,
12. Assura-Basis SA,
avenue Charles-Ferdinand-Ramuz 70, 1009 Pully,
13. Helsana Assurances SA,
Zürichstrasse 130, 8600 Dübendorf,
14. Arcosana SA, Tribschenstrasse 21, 6005 Lucerne,
toutes agissant par santésuisse,
Römerstrasse 20, 4500 Soleure,
elle-même représentée par Me Olivier Burnet, avocat,
intimées,
et
9C_194/2021
1. CSS Assurance-maladie SA,
Tribschenstrasse 21, 6005 Lucerne,
2. CONCORDIA Assurance suisse de maladie et accidents SA, Bundesplatz 15, 6002 Lucerne,
3. Atupri Gesundheitsversicherung,
Zieglerstrasse 29, 3000 Berne,
4. Avenir Assurance Maladie SA,
rue des Cèdres 5, 1920 Martigny,
5. KPT Caisse-maladie SA,
Wankdorfallee 3, 3014 Berne,
6. Vivao Sympany AG,
Peter Merian-Weg 4, 4052 Bâle,
7. SWICA Gesundheitsorganisation,
Römerstrasse 38, 8400 Winterthour,
8. Mutuel Assurance Maladie SA,
rue des Cèdres 5, 1920 Martigny,
9. Sanitas Krankenversicherung,
Jägergasse 3, 8004 Zurich,
10. INTRAS Assurance-maladie SA,
avenue de Valmont 41, 1000 Lausanne,
11. Philos Assurance Maladie SA,
rue des Cèdres 5, 1920 Martigny,
12. Assura-Basis SA,
avenue Charles-Ferdinand-Ramuz 70, 1009 Pully,
13. Helsana Assurances SA,
Zürichstrasse 130, 8600 Dübendorf,
14. Arcosana SA, Tribschenstrasse 21, 6005 Lucerne,
toutes agissant par santésuisse,
Römerstrasse 20, 4500 Soleure,
elle-même représentée par Me Olivier Burnet, avocat,
recourantes,
contre
A.________,
représentée par Me Yvan Jeanneret, avocat,
intimée.
Objet
Assurance-maladie (polypragmasie),
recours contre l'arrêt du Tribunal arbitral des assurances de la République et canton de Genève du 18 janvier 2021 (A/2449/2018 ATAS/85/2021).
Faits :
A.
La doctoresse A.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, exploite son propre cabinet médical à U.________. A partir de 2011, santésuisse, association faîtière des assureurs-maladie dans le domaine de l'assurance-maladie sociale, a exposé à la prénommée ses divergences de vue quant au caractère économique de sa pratique médicale.
B.
Le 11 juillet 2018, les quatorze caisses-maladies énoncées dans le rubrum du présent arrêt (ci-après: les caisses-maladie), agissant par santésuisse, ont assigné A.________ devant le Tribunal arbitral des assurances de la République et canton de Genève. Elles ont réclamé la restitution de la somme de 230'549 fr. pour l'année 2016, en raison d'une violation du principe du caractère économique des prestations. Statuant le 18 janvier 2021, le Tribunal arbitral a condamné A.________ à payer à santésuisse la somme de 173'959 fr., à charge pour l'association de répartir ce montant en faveur des caisses-maladie.
C.
A.________ forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt dont elle demande l'annulation (cause 9C_180/2021). Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause au Tribunal arbitral pour nouvelle décision au sens des considérants.
Les quatorze caisses-maladie, représentées par santésuisse, concluent au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral de la santé publique a renoncé à se déterminer.
D.
Les quatorze caisses-maladie, représentées par santésuisse, forment également un recours en matière de droit public contre cet arrêt (cause 9C_194/2021). Elles concluent à sa réforme, en ce sens que le montant dû en leur faveur soit porté à 225'344 fr. 95, avec suite de frais et dépens.
A.________ conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral de la santé publique a renoncé à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
Les deux recours sont dirigés contre le même arrêt, qui concerne le même complexe de faits et oppose les mêmes parties; ils soulèvent les mêmes questions juridiques. Il se justifie dès lors de joindre les causes et de statuer à leur sujet dans un seul arrêt (art. 71 LTF et 24 PCF [RS 273]).
2.
Le recours en matière de droit public peut être formé notamment pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), que le Tribunal fédéral applique d'office (art. 106 al. 1 LTF), n'étant limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral fonde son raisonnement sur les faits retenus par la juridiction de première instance (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).
3.
3.1. Le litige porte sur le bien-fondé de l'obligation de la doctoresse A.________ de restituer aux caisses-maladie le montant de 173'959 fr., respectivement de 225'344 fr. 95, en raison du non-respect des exigences relatives au caractère économique des prestations au sens de l'art. 56 al. 1 LAMal pendant l'année 2016. A cet égard, le jugement entrepris expose de manière complète les normes et la jurisprudence sur le contrôle du caractère économique des prestations. Il suffit d'y renvoyer.
3.2. On ajoutera aux considérations de la juridiction cantonale que, dans le domaine de la psychiatrie, l'assurance prend en charge les coûts pour un maximum de 40 séances diagnostiques et thérapeutiques (art. 3 OPAS [RS 832.112.31], en lien avec l'art. 33 al. 1 LAMal). Pour que, après 40 séances, l'assurance continue de prendre en charge les coûts de la psychothérapie, le médecin traitant doit, en vertu de l'art. 3b OPAS, adresser à temps un rapport au médecin-conseil de l'assureur. Celui-ci examine le rapport et propose à l'assureur de poursuivre la psychothérapie à la charge de l'assurance, en indiquant sa durée jusqu'au prochain rapport, ou de l'interrompre. L'assureur communique ensuite à la personne assurée, avec copie au médecin traitant, dans les 15 jours ouvrables suivant la réception du rapport par le médecin-conseil s'il continue de prendre en charge les coûts de la psychothérapie et pour quelle durée.
D'après la jurisprudence, une pratique non économique constitutive de polypragmasie doit être niée dans le cas où les traitements ont été pour la plupart approuvés de manière spécifique par les assureurs, singulièrement dans le cadre de la psychothérapie. Les garanties de prise en charge par l'assureur ne représentent pas seulement des garanties de remboursement des coûts, mais comprennent également la confirmation du caractère économique du traitement correspondant (arrêts 9C_570/2015 du 6 juin 2016 consid. 7.2, SVR 2018 KV n° 19 p. 108; K 172/97 du 23 avril 1999 consid. 5e, RAMA 1999 n° K 994 p. 320).
4.
Selon la maxime inquisitoire qui régit la procédure devant le tribunal arbitral des assurances, il appartient au tribunal arbitral d'établir les faits déterminants pour la solution du litige et d'administrer, le cas échéant, les preuves nécessaires (art. 89 al. 5 LAMal). Cette maxime doit être relativisée par son corollaire, soit le devoir de collaborer des parties, lequel comprend l'obligation d'apporter, dans la mesure où cela est raisonnablement exigible, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, autrement dit d'étayer leurs propres thèses en renseignant le juge sur les faits de la cause et en lui indiquant les moyens de preuve disponibles, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'elles sont le mieux à même de connaître. Si le principe inquisitoire dispense les parties de l'obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve, dans la mesure où, en cas d'absence de preuve, c'est à la partie qui voulait en déduire un droit d'en supporter les conséquences, sauf si l'impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse. Cette règle ne s'applique toutefois que s'il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et en application du principe de la libre appréciation des preuves, d'établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 139 V 176 consid. 5.2 et les références).
5.
5.1. Dans un grief qu'il convient d'examiner en premier, A.________ invoque une violation de son droit d'être entendue (art. 29 Cst. et 6 CEDH), sous l'angle du droit à la preuve. Elle soutient en substance que la juridiction cantonale a arbitrairement omis de requérir des caisses-maladie intimées la production du solde des garanties de prise en charge délivrées à ses patients pour l'année 2016. Si elle avait certes exposé en instance cantonale ne plus être en possession de l'ensemble de ces documents, il n'en demeurait cependant pas moins que les intimées étaient en mesure de les fournir au tribunal arbitral.
5.2. La juridiction cantonale a considéré que les coûts directs des prestations dont le traitement a été expressément approuvé par les assurances-maladie n'ont pas à être exclus dans tous les cas de la demande en paiement des assureurs-maladie. Elle a retenu de plus que: "[f]orce est de constater que la défenderesse qui entendait se prévaloir de faits sur la base des autorisations données par les assureurs concernant les traitements qu'elle avait dispensés ne les a pas elle-même versées au dossier, sans motif valable, et malgré les conclusions formulées dans ce sens par SANTESUISSE dans ses écritures du 24 octobre 2019. SANTESUISSE rappelle à cet égard, à juste titre, que les assureurs-maladie ne disposent pas d'une vision globale de la pratique de tel ou tel médecin. Ils ne peuvent que se prononcer de cas en cas, sur les informations que chaque praticien aura données (art. 3b al.1 OPAS) ".
5.3. Dans sa réponse, santésuisse fait valoir qu'il appartenait à la recourante, sur la base de ses dossiers médicaux, de requérir les renseignements nécessaires directement auprès des assureurs concernés. Ces documents n'avaient par ailleurs guère de valeur probante pour statuer sur un cas de polypragmasie. En effet, quand bien même une demande de garantie avait été octroyée individuellement à un patient, cela ne constituait pas un "blanc-seing" dédouanant le médecin de ses obligations de limiter ses prestations à la mesure exigée par l'intérêt de l'assuré et le but du traitement (art. 56 LAMal). L'analyse globale de l'économicité n'est par conséquent pas à la charge de l'assureur, mais de santésuisse qui dispose de l'ensemble des données lui permettant de se déterminer sur la pratique du médecin concerné.
6.
6.1. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour l'intéressé de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes et de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 143 V 71 consid. 4.1; 142 II 218 consid. 2.3; 135 I 279 consid. 2.3). L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références).
6.2. En l'occurrence, à l'inverse de ce qu'a retenu la juridiction cantonale et de ce que soutiennent les caisses-maladie intimées, l'existence et l'étendue de garanties de prise en charge (au sens de l'art. 3b OPAS) sont des éléments pertinents dans le cadre d'un litige portant sur le caractère économique de la pratique médicale d'une spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. On ne saurait en effet retenir que les éléments constitutifs d'une polypragmasie sont réunis si les caisses-maladie intimées ont effectivement accepté de prendre en charge les coûts supplémentaires des traitements en question, conformément à la jurisprudence rappelée ci-avant (consid. 3.2). L'argumentation des intimées, qui n'avancent au demeurant aucun motif en faveur d'un changement de jurisprudence (à ce sujet, voir ATF 144 V 72 consid. 5.3.2 et la référence), ne saurait être suivie. Compte tenu des affirmations de la recourante, selon lesquelles plusieurs de ses patients s'étaient vu délivrer par les caisses-maladie intimées des garanties de prise en charge durant l'année 2016, le tribunal arbitral était tenu d'instruire plus avant ce point. Il ne pouvait se borner à invoquer les règles sur le fardeau de la preuve, celles-ci ne s'appliquant que s'il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire, d'établir un état de fait qui correspond à la réalité, au degré de la vraisemblance prépondérante. Or les caisses-maladie intimées n'ont jamais prétendu ne pas avoir délivré de garanties de prise en charge ou ne pas être pas en mesure de les produire.
6.3. Dans ces conditions, le grief de violation du droit d'être entendu (droit à la preuve) est fondé. Vu la nature formelle de ce grief, le recours en question (cause 9C_180/2021) doit être admis et l'arrêt attaqué annulé, sans examen des autres griefs soulevés dans ce recours. En conséquence, la cause sera renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle statue à nouveau, après avoir mis en oeuvre les mesures d'instruction nécessaires.
7.
Au vu de ce qui précède, il n'y a pas lieu d'examiner le recours des caisses-maladie, qui porte exclusivement sur des griefs matériels. Dès lors que l'arrêt attaqué est annulé à la suite du recours de la doctoresse A.________ et la cause renvoyée au tribunal arbitral, le recours (cause 9C_194/2021) devient sans d'objet.
8.
Il reste à statuer sur les frais et dépens.
8.1. A.________ obtient gain de cause dans son recours référencé 9C_180/2021. En conséquence, les caisses-maladie intimées supporteront les frais et dépens y afférents.
8.2. S'agissant de la cause 9C_194/2021, le recours est privé d'objet. Dans un tel cas, le Tribunal fédéral, en application de l'art. 72 PCF par renvoi de l'art. 71 LTF, statue sur les frais et dépens par une décision sommairement motivée en tenant compte de l'état de choses existant avant le fait qui met fin au litige. Il se fonde en premier lieu sur l'issue probable qu'aurait eue la procédure s'il parvient à l'établir (ATF 142 V 551 consid. 8.2 et les références). La décision à prendre au sujet des frais de la procédure ne saurait en particulier conduire le Tribunal fédéral à rendre un arrêt de fond, voire à préjuger d'une question juridique sensible. Si l'issue probable de la procédure n'apparaît pas évidente, il y a lieu de recourir aux critères généraux de procédure. Ceux-ci commandent de mettre les frais et dépens à la charge de la partie qui a provoqué la procédure devenue sans objet ou chez qui résident les motifs pour lesquels elle a pris fin de la sorte (ATF 118 Ia 488 consid. 4a; arrêt 9C_167/2020 du 13 octobre 2020 consid. 2.2 et les références).
En l'espèce, la résolution des griefs invoqués par les caisses-maladie va au-delà d'un simple examen sommaire. Il s'ensuit que les frais judiciaires - dont le montant peut être fixé en tenant compte du fait que la cause n'a pas dû être examinée sur le fond (art. 65 al. 2 LTF; BERNARD CORBOZ, Commentaire de la LTF, 2e éd., n° 18 ad art. 65 LTF) - seront mis à la charge des caisses-maladie recourantes, qui ont initié la procédure devenue sans objet. Il en va de même des dépens en faveur de la doctoresse A.________.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Les causes 9C_180/2021 et 9C_194/2021 sont jointes.
2.
Le recours dans la cause 9C_180/2021 est admis. L'arrêt du Tribunal arbitral des assurances de la République et canton de Genève du 18 janvier 2021 est annulé. La cause est renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle rende une nouvelle décision dans le sens des considérants.
3.
La cause 9C_194/2021, devenue sans objet, est rayée du rôle.
4.
Les frais judiciaires, arrêtés à 7'000 fr. pour l'ensemble des deux procédures fédérales, sont mis à la charge des caisses-maladie intimées.
5.
Les caisses-maladie intimées verseront à la recourante la somme de 4'000 fr. à titre de dépens pour les deux procédures fédérales devant le Tribunal fédéral.
6.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal arbitral des assurances de la République et canton de Genève et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 24 juin 2022
Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Parrino
Le Greffier : Bleicker