Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_233/2023
Arrêt du 25 avril 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix et Müller,
Greffière : Mme Arn.
Participants à la procédure
1. A.________ SA,
2. B.________ SA,
toutes les deux représentées par
Me Jean-Daniel Théraulaz, avocat,
recourantes,
contre
1. C.________,
représentée par CAP Compagnie d'Assurance de Protection Juridique SA,
2. D1.________, D2.________,
3. E1.________, E2.________,
4. F.________,
5. G1.________, G2.________,
6. H.________,
7. I.________,
8. J1.________, J2.________,
tous représentés par Maîtres Daniel Guignard et
Valentine Wirthner, avocats,
intimés,
Direction générale de la mobilité et des routes du canton de Vaud,
Section juridique, place de la Riponne 10, 1014 Lausanne,
Municipalité de Lutry,
Le Château, case postale 190, 1095 Lutry.
Objet
Permis de construire,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 5 avril 2023 (AC.2021.0244, AC.2021.0254).
Faits :
A.
A.________ SA et B.________ SA (ci-après: les constructrices) sont propriétaires en commun de la parcelle n° 3'703 du cadastre de la commune de Lutry. Cette parcelle, d'une surface de 1'235 m
2, accueille une habitation de 125 m
2 au sol avec un garage souterrain et est colloquée en zone de moyenne densité, selon le plan général d'affectation de la commune de Lutry (ci-après: PGA), en vigueur depuis le 24 septembre 1987.
Du 19 septembre au 18 octobre 2020, les constructrices ont mis à l'enquête un projet de construction de cinq logements en terrasse et d'un garage souterrain de huit places, après démolition de la villa et du garage existants. Par décision du 24 juin 2021, la Municipalité de Lutry (ci-après: la municipalité), après avoir reçu la synthèse CAMAC, a levé la vingtaine d'oppositions formées à l'encontre de ce projet de construction et a délivré le permis de construire requis.
C.________, D1.________ et D2.________, E1.________ et E2.________, F.________, G1.________ et G2.________, H.________, I.________, J1.________ et J2.________ ont recouru contre cette décision auprès de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois. Cette dernière, après avoir procédé à une inspection locale le 3 mars 2022 en présence des parties et de leurs mandataires, a admis le recours et annulé la décision de la municipalité du 24 juin 2021. Le Tribunal cantonal a entre autres considéré que le coefficient d'utilisation du sol (CUS) réglementaire n'était pas respecté; par ailleurs, l'appréciation de la municipalité s'agissant de l'esthétique et de l'intégration du bâtiment projeté n'était pas soutenable au vu des circonstances locales.
B.
A.________ SA et B.________ SA forment un recours contre cette décision, en concluant à son annulation et à la l'octroi du permis de construire.
Les intimés concluent tous au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. L'autorité précédente se réfère à son arrêt. La municipalité ne dépose pas d'observation. Les recourantes répliquent.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Les constructrices recourantes ont pris part à la procédure de recours devant le Tribunal cantonal. Elles sont particulièrement touchées par l'arrêt attaqué, qui annule le permis de construire délivré le 24 juin 2021 par la municipalité et ont un intérêt digne de protection à l'annulation ou la modification de cet arrêt. Elles ont partant la qualité pour agir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF.
Les autres conditions de recevabilité étant au surplus réunies, il convient d'entrer en matière.
2.
Dans un premier moyen intitulé "non-respect du CUS", les recourantes se plaignent d'une application arbitraire de l'art. 16 al. 2 let. g du règlement sur les constructions et l'aménagement du territoire de la commune de Lutry du 12 juillet 2005, (ci-après: RCAT). Elles ne critiquent pas le fait que, selon le RCAT, les escaliers ou rampes extérieurs qui constituent les accès principaux aux logements doivent être pris en considération dans la surface brute de plancher utile (SBPU; art. 16 al. 2 let. g RCAT a contrario). Elles soutiennent en revanche que, contrairement à ce qu'a retenu la cour cantonale, les escaliers extérieurs ne constituent pas en l'espèce l'accès principal aux logements projetés.
Dans l'arrêt attaqué, la cour cantonale a considéré que les accès extérieurs constituaient les accès principaux aux logements, de sorte que la surface des rampes et escaliers extérieurs devait être incluse dans la SBPU, au vu du texte clair de l'art. 16 al. 2 let. g RCAT, interprété a contrario. Selon cette disposition, les escaliers ou rampes extérieurs qui ne constituent pas l'accès principal aux logements ne sont pas pris en compte dans la surface brute de plancher utile (SBPU). Or, dans le cas d'espèce, en incluant les surfaces des rampes et accès extérieurs à la SBPU, le coefficient d'utilisation du sol (CUS), fixé par l'art. 134 RCAT à 0.525 pour la zone de moyenne densité, était alors dépassé; le CUS du projet litigieux s'élevait alors, selon la cour cantonale, à 0.604.
2.1. Sous réserve des cas visés à l'art. 95 let. c à e LTF, la violation du droit cantonal en tant que tel ne peut être invoquée devant le Tribunal fédéral. Il est néanmoins possible de faire valoir que son application consacre une violation du droit fédéral, comme la protection contre l'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. ou la garantie d'autres droits constitutionnels (ATF 143 I 321 consid. 6.1; 141 IV 305 consid. 1.2). Appelé à revoir l'application d'une norme cantonale sous l'angle de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci apparaît insoutenable ou en contradiction manifeste avec la situation effective, ou encore si elle a été adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. Lorsque l'interprétation défendue par l'autorité cantonale ne se révèle pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, elle est confirmée, même si une autre solution paraît également concevable, voire préférable. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 143 I 321 consid. 6.1; 142 V 513 consid. 4.2).
Par ailleurs, une exigence de motivation accrue prévaut pour la violation des droits constitutionnels tels que la prohibition de l'arbitraire (art. 9 Cst.). Selon le principe d'allégation, la partie recourante doit expliquer de façon circonstanciée en quoi consiste la violation, respectivement où réside l'arbitraire (art. 106 al. 2 LTF; cf. ATF 145 II 32 consid. 5.1; 134 II 244 consid. 2.2).
2.2. En l'occurrence, la critique des recourantes ne satisfait manifestement pas aux exigences de motivation découlant de l'art. 106 al. 2 LTF. Les recourantes se contentent en l'espèce d'affirmer que, contrairement à ce qu'a retenu la cour cantonale, les escaliers extérieurs se situant sur les façades ne constituent pas en l'espèce l'accès principal aux logements projetés; elles soutiennent qu'il est quasi certain que les habitants de l'immeuble projeté, doté d'un ascenseur, préféreront se mettre à l'abri, et ainsi ne pas avoir besoin de monter à pied dans un immeuble dont l'accès, par l'intérieur, est à la fois pratique et protégé. Ce faisant, les recourantes ne discutent pas les motifs avancés par la cour cantonale pour démontrer que les accès extérieurs avaient été conçus comme étant les accès principaux aux appartements projetés (cf. arrêt attaqué consid. 2i/aa à i/dd). Les recourantes ne font que substituer leur propre appréciation à celle des juges cantonaux, sans chercher à démontrer dans quelle mesure la décision attaquée serait insoutenable. Cette première critique est dès lors irrecevable.
3.
Dans un deuxième moyen, les recourantes font référence à l'art. 86 LATC. Elles considèrent que la cour cantonale s'est écartée de manière arbitraire de l'appréciation de la municipalité concernant l'esthétique et l'intégration du bâtiment projeté.
3.1. En droit vaudois, une règle générale d'esthétique et d'intégration des constructions est prévue à l'art. 86 LATC. Cet article dispose que la municipalité veille à ce que les constructions, quelle que soit leur destination, ainsi que les aménagements qui leur sont liés, présentent un aspect architectural satisfaisant et s'intègrent à l'environnement (al. 1). Elle refuse le permis pour les constructions ou les démolitions susceptibles de compromettre l'aspect et le caractère d'un site, d'une localité, d'un quartier ou d'une rue, ou de nuire à l'aspect d'un édifice de valeur historique, artistique ou culturelle (al. 2). Les règlements communaux doivent contenir des dispositions en vue d'éviter l'enlaidissement des localités et de leurs abords (al. 3).
3.2. La cour cantonale, qui a procédé à une inspection locale, a exposé de manière détaillée les motifs pour lesquels le projet était insolite et constituait - à suivre son appréciation - un exemple trop brutal de densification par rapport à l'environnement bâti immédiat. Elle a notamment constaté que le bâtiment et les accès extérieurs projetés occupaient la quasi-totalité de la parcelle, en violation des règles sur le CUS. Vu son volume et sa conception architecturale insolite, le projet présentait un véritable problème d'intégration dans l'environnement bâti immédiat qui était caractérisé par une structure bâtie uniforme, claire et bien conservée, marquée par des constructions à la volumétrie orthogonale et simple. Ainsi, les villas construites de part et d'autre du bras secondaire du chemin du Creux-de-Corsy (qui se termine en cul-de-sac au bas de la parcelle n° 3703) suivaient toutes le sens de la pente et étaient coiffées de toits à tuiles à deux pans orientés est/ouest. Les parcelles accueillant ces villas étaient par ailleurs pourvues de vastes jardins arborisés, tout comme la parcelle n° 3703 disposant actuellement d'un jardin de 1'100 m2. Par son volume et sa forme complexe, le bâtiment projeté, qui s'étalait sur toute la longueur et la largeur de la parcelle, formerait selon la cour cantonale un contraste saisissant avec les villas environnantes et ne laisserait pratiquement plus aucune place aux espaces verts. La cour cantonale a relevé que l'aspect massif de la construction et son manque d'intégration avaient également été relevés par plusieurs membres (dont des architectes) de la Commission consultative de la Commune de Lutry (CCU). Elle a relevé que si un autre secteur délimité au nord par le chemin de Pontfilet et au sud par les voies des CFF était composé de bâtiments hétéroclites, de forme et de volume variés, ce n'était toutefois pas le cas du secteur proche, dans lequel se trouvait la parcelle n° 3703, qui était constitué de bâtiments de dimensions nettement plus modestes que le bâtiment projeté. Le Tribunal cantonal a, sur la base des ces éléments, considéré que l'appréciation de la municipalité sur l'esthétique et l'intégration du bâtiment projeté dans le cas particulier n'était pas soutenable au vu des circonstances locales.
3.3. En l'espèce, les recourantes se limitent pour l'essentiel à affirmer que si l'on suit le raisonnement de la cour cantonale, "la violation des règles du CUS, si elle est établie, entraînerait ipso facto l'absence d'esthétique du bâtiment projeté". Elles ajoutent que la cour cantonale a abusé de manière importante de son pouvoir d'appréciation en voyant dans le secteur où se trouve la parcelle propriété des recourantes une "structure bâtie uniforme, claire et bien conservée" puisqu'il suffirait, selon elles, de faire quelques pas, comme lors de la vision locale, pour constater le côté disparate des constructions réalisées.
Tel qu'il est formulé, le grief des recourantes tiré d'une application arbitraire de l'art. 86 LATC ne satisfait manifestement pas aux exigences accrues de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF rappelées ci-dessus (consid. 2.1). Au demeurant, l'argumentation développée par les recourantes ne permet pas de tenir pour arbitraire l'appréciation des circonstances locales par l'instance précédente qui s'est rendue sur place. Il n'est en particulier pas insoutenable de considérer que le dépassement du CUS constitue un indice d'absence d'intégration. La cour cantonale ne s'est toutefois pas fondée sur ce seul élément (cf. consid. 3.2). En particulier, les recourantes ne donnent aucune indication sur les constructions auxquelles elles se réfèrent lorsqu'elles évoquent le "côté disparate des constructions réalisées" à quelques pas. En définitive, au vu des éléments exposés ci-dessus et compte tenu de la retenue que s'impose le Tribunal fédéral en matière d'appréciation des circonstances locales (cf. ATF 142 I 162 consid. 3.2.2; 132 II 408 consid. 4.3), il n'y a pas lieu de s'écarter de l'évaluation de la cour cantonale qui n'apparaît pas déraisonnable.
Enfin, lorsque les recourantes font grief à la cour cantonale d'avoir "substituer son propre pouvoir d'appréciation à celui de l'autorité municipale, abusant alors de son pouvoir d'appréciation", elles semblent se plaindre d'une violation de l'autonomie communale. Elles n'invoquent toutefois pas le principe de l'autonomie communale, ni ne font référence à l'art. 50 Cst. De plus, une telle critique serait largement inconsistante et insuffisamment motivée au regard des exigences des art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF. Les recourantes ne démontrent en particulier pas que cette latitude de jugement aurait été lésée par le Tribunal cantonal dans le cas d'espèce. En outre, la municipalité a renoncé non seulement à recourir elle-même, mais également à se prononcer devant le Tribunal fédéral.
4.
Enfin, dans une ultime critique, les recourantes font grief à la cour cantonale d'avoir considéré que l'emplacement choisi pour la place de jeux était inadéquat. Elles se réfèrent à l'art. 39 al. 1 RCAT, aux terme duquel "des aires de jeux pour enfants, d'une surface de 10 m
2 par logement, doivent être aménagées pour chaque immeuble d'habitation collective."
Sur ce point, la cour cantonale a considéré que l'emplacement choisi pour la place de jeu était inadéquat, en raison de sa topographie qui était clairement inadaptée pour les jeux des enfants (terrain très en pente à proximité directe de l'autoroute A9), mais également en raison d'un manque d'ensoleillement (à cause de l'ombre créé par le bâtiment projeté) et d'exposition au bruit de l'autoroute. La cour cantonale a par ailleurs mis en évidence que les architectes du projet avaient déclaré que les jeux de ballon seraient vraisemblablement interdits en raison de la proximité de l'autoroute en amont.
A nouveau, l'argumentation des recourantes ne répond pas aux exigences accrues de motivation découlant de l'art. 106 al. 2 LTF, de sorte qu'elle est irrecevable. En effet, les recourantes ne démontrent pas de manière circonstanciée en quoi l'appréciation de la cour cantonale serait insoutenable. Quoi qu'il en soit, la motivation exposée ci-dessus ne saurait être taxée de choquante.
5.
En définitive, le Tribunal cantonal n'a pas fait preuve d'arbitraire dans l'application du droit cantonal et communal, ni violé d'une autre manière le droit fédéral. Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux frais des recourantes qui succombent (art. 66 al. 1 et al. 5 LTF). Celles-ci verseront en outre des dépens à l'intimée C.________ qui obtient gain de cause avec l'assistance de la Compagnie d'assurance de Protection juridique SA (cf. arrêts 2C_585/2023 du 19 mars 2024 consid. 5; 1C_96/2019 du 27 mai 2020 consid. 6), ainsi qu'aux autres intimés assistés de l'avocat Me Daniel Guignard (cf. art. 68 al. 1 LTF). Ces indemnités tiendront compte de l'ampleur réduite des écritures déposées (art. 3 al. 1 du règlement du 31 mars 2006 sur les dépens alloués à la partie adverse et sur l'indemnité pour la représentation d'office dans les causes portées devant le Tribunal fédéral [RS 173.110.210.3]).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge des recourantes, à titre solidaire.
3.
Une indemnité de 1'500 fr. est allouée aux intimés D1.________ et D2.________, E1.________ et E2.________, F.________, G1.________ et G2.________, H.________, I.________, J1.________ et J2.________, à titre de dépens, à la charge solidaire des recourantes.
4.
Une indemnité de 1'500 fr. est allouée à l'intimée C.________, à titre de dépens, à la charge solidaire des recourantes.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, à la Direction générale de la mobilité et des routes du canton de Vaud, à la Municipalité de Lutry et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public.
Lausanne, le 25 avril 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
La Greffière : Arn