Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_398/2023
Arrêt du 25 avril 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix et Müller.
Greffière : Mme Tornay Schaller.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Charlotte Iselin, avocate,
recourant,
contre
Service de l'action sociale de l'État de Fribourg,
Objet
Indemnisation LAVI; péremption,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg, IIIe Cour administrative, du 6 juin 2023
(603 2022 23 - 603 2022 24).
Faits :
A.
A.________, né en 1972, dit avoir été victime d'un attouchement sexuel de la part d'un jeune homme de son village en 1984-1985. Il a contacté un centre de consultation LAVI en février 2012. Le 24 juin 2016, il a déposé une demande d'indemnisation et de réparation morale visant à obtenir de l'État de Fribourg un montant de 200'000 francs.
Par décision du 15 mai 2017, le Service de l'action sociale de l'État de Fribourg a rejeté cette demande, au motif que l'infraction avait été commise avant l'entrée en vigueur de la législation relative à l'aide aux victimes d'infractions et qu'aucun élément ne permettait d'établir que A.________ souffrait d'une atteinte à sa santé psychique pouvant être qualifiée de lésions corporelles graves. Par arrêt du 2 avril 2019, la III
e Cour administrative du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg (ci-après: le Tribunal cantonal) a confirmé cette décision.
Par arrêt 1C_269/2019 du 22 novembre 2019, le Tribunal fédéral a admis partiellement le recours et renvoyé la cause au Tribunal cantonal afin qu'il se détermine sur le statut de victime de A.________ ainsi que sur la question de savoir si l'atteinte à la santé dont se plaint l'intéressé à l'appui de sa demande (atteinte qui constituerait le résultat de l'infraction de lésions dénoncée) est survenue après l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions du 23 mars 2007 (LAVI; RS 312.5) ou de l'ancienne loi du 4 octobre 1991 sur l'aide aux victimes d'infractions (aLAVI; RO 1992 2465, 1997 2952 ch. III. 2002 2957, 2005 5685 annexe ch. 2) respectivement était reconnaissable par le prénommé seulement après l'une ou l'autre de ces dates.
B.
Après avoir repris l'instruction, le Service de l'action sociale a à nouveau rejeté la demande d'indemnisation et de réparation morale de A.________, par décision du 11 juin 2022. Il a considéré que le prénommé ne pouvait pas se prévaloir de la qualité de victime et que la demande était tardive.
Par arrêt du 6 juin 2023, le Tribunal cantonal a rejeté le recours déposé contre la décision du 11 juin 2022.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande principalement au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt du 6 juin 2023 en ce sens que le recours est admis, que la demande d'indemnisation et de réparation morale LAVI est accordée (en ce sens que l'État de Fribourg est le débiteur d'un montant de 200'000 francs à titre de réparation pour tort moral et indemnisation du dommage subi) et que la requête d'assistance judiciaire gratuite totale est admise. Il conclut subsidiairement à l'annulation de l'arrêt du 6 juin 2023 et au renvoi de la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision au sens des considérants. Il requiert aussi l'assistance judiciaire.
Le Tribunal cantonal renvoie aux considérants de son arrêt et conclut au rejet du recours. Le Service de l'action sociale fait de même. L'Office fédéral de la justice renonce à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF) dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions mentionnées à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Le recourant a un intérêt digne de protection à obtenir l'annulation ou la modification de l'arrêt attaqué qui confirme le refus de lui accorder l'indemnisation LAVI requise (art. 89 al. 1 LTF).
Les autres conditions formelles de recevabilité énoncées aux art. 82 ss LTF sont remplies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Dans un grief d'ordre formel qu'il convient d'examiner en premier lieu, le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), au motif que la cour cantonale a refusé de mettre en oeuvre une expertise psychiatrique tendant à déterminer le moment où il a subi des lésions corporelles simples et si elles étaient en lien de causalité avec les abus subis.
2.1. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 148 II 73 consid. 7.3.1; 145 I 167 consid. 4.1). Cette garantie constitutionnelle n'empêche pas le juge de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le refus d'une mesure probatoire par appréciation anticipée des preuves ne peut être remis en cause devant le Tribunal fédéral qu'en invoquant l'arbitraire (art. 9 Cst.) de manière claire et détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 146 III 73 consid. 5.2.2; 144 II 427 consid. 3.1.3).
2.2. En l'espèce, le Tribunal cantonal n'a pas donné suite à la demande d'expertise psychiatrique, au motif que dès lors que l'action était périmée (voir infra consid. 3), elle s'avérait superflue; s'ajoutait à ce motif le fait qu'un professionnel de la santé ne saurait déterminer le moment auquel une victime est valablement informée des droits découlant de la LAVI et des moyens de les faire valoir. Il a encore précisé qu'une expertise psychiatrique - menée plus de dix ans après la récolte des informations figurant déjà au dossier - ne serait pas non plus de nature à établir de manière déterminante la date de la prise de connaissance de l'atteinte à sa santé psychique et à reléguer au second plan les pièces contradictoires versées au dossier.
Dans ces circonstances, procédant à une appréciation anticipée des preuves, l'instance précédente pouvait, sans arbitraire et sans violer le droit d'être entendu du recourant, renoncer à une expertise judiciaire. Entièrement mal fondé, ce grief doit être écarté.
3.
Le Tribunal cantonal a jugé que la demande du recourant était tardive tant sous l'angle de la LAVI qu'à l'aune de la aLAVI: le délai de péremption (de 2 ans selon l'aLAVI et de 5 ans selon la LAVI) n'avait pas été respecté car l'atteinte constituant le résultat de l'infraction avait été connue au plus tard en 2010.
Le recourant se plaint à cet égard d'une violation des art. 25 al. 1 et 48 let. a LAVI . Il fait aussi valoir une appréciation arbitraire des faits (art. 97 al. 1 LTF) et une violation du principe inquisitoire applicable en matière de réparation morale LAVI (art. 29 al. 2 LAVI).
3.1. La LAVI dans sa version actuelle est entrée en vigueur le 1
er janvier 2009 (RO 2008 1607, FF 2005 6683). Selon l'art. 48 let. a LAVI, est régi par l'ancien droit - soit l'aLAVI - le droit d'obtenir une indemnité et une réparation morale pour des faits qui se sont déroulés avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi; les délais prévus à l'art. 25 LAVI sont applicables au droit d'obtenir une indemnité et une réparation morale pour des faits qui se sont déroulés moins de deux ans avant l'entrée en vigueur de la LAVI.
L'aLAVI comportait un délai de péremption à son art. 16 al. 3, qui prévoyait que la victime devait introduire ses demandes d'indemnisation et de réparation morale devant l'autorité dans un délai de deux ans à compter de la date de l'infraction; à défaut, ses prétentions étaient périmées.
Quant à l'art. 25 LAVI, il prescrit que la victime et ses proches doivent introduire leurs demandes d'indemnisation et de réparation morale dans un délai de cinq ans à compter de la date de l'infraction ou du moment où ils ont eu connaissance de l'infraction; à défaut, leurs prétentions sont périmées. Le délai de péremption prévu à l'art. 16 al. 3 aLAVI étant fréquemment critiqué pour sa brièveté, il a été proposé au législateur de le porter à cinq ans, comme en droit des assurances sociales (cf. art. 24 de la loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances sociales [LPGA; RS 830.1]), tout en prévoyant des délais encore plus larges dans certains cas, notamment pour les victimes qui faisaient d'abord valoir leurs prétentions civiles par voie d'adhésion dans une procédure pénale (Rapport explicatif du 25 juin 2002 concernant le projet de révision totale de la LAVI, p. 50).
3.2. Dans certains cas, quelle que soit la durée du délai de péremption, celui-ci est cependant trop bref si le moment de l'infraction est le seul
dies a quo. Peuvent notamment être citées la situation d'un adulte abusé sexuellement dans son enfance, dont les souvenirs enfouis referaient surface longtemps après (cf. ATF 123 II 241), celle d'une victime d'un viol qui apprend qu'elle a été contaminée par le virus du SIDA plusieurs années après (cf. ATF 126 II 348) ou encore celle du travailleur salarié, exposé à des poussières d'amiante, qui développe une maladie un certain temps après (cf. ATF 134 II 308). La jurisprudence a donc atténué la rigueur du délai en admettant que celui-ci ne court pas dès l'infraction, mais dès que la victime a connaissance de l'atteinte qu'elle a subie, ce que codifie l'art. 25 LAVI. Dans de telles hypothèses, si l'autorité n'entrait pas en matière, cela pourrait conduire à admettre une péremption du droit avant la survenance du résultat d'un délit matériel: en cas de lésions corporelles graves, par exemple, l'atteinte à l'intégrité corporelle peut apparaître un certain temps après que l'infraction a été subie et ne pas être diagnostiquée immédiatement (STÉPHANIE CONVERSET, Aide aux victimes d'infractions et réparation du dommage, 2009, p. 331 et 332). Ce n'est pas tant la connaissance de l'infraction en tant que telle qui est décisive, mais celle de la connaissance de l'atteinte subie (CONVERSET,
op. cit., p. 332).
3.3. En l'espèce, l'indemnisation pour le dommage ou le tort moral subi du fait des infractions liées à l'attouchement dénoncé par le recourant, qui remonterait à 1984-1985, sort du champ d'application temporel tant de la LAVI que de celui de l'aLAVI. Seule reste déterminante l'infraction de lésions corporelles simples dénoncée par l'intéressé à l'appui de sa demande d'indemnisation, dont il allègue qu'elle aurait été causée par l'attouchement (arrêt 1C_269/2019 du 22 novembre 2019 consid. 2.5).
Alors que le Tribunal cantonal estime que le recourant a pris connaissance de l'atteinte subie et de ses conséquences en 2010 au plus tard, l'intéressé soutient que les séquelles de l'atteinte se sont révélées au plus tôt en juillet 2012, au moment de son incapacité de travail.
3.3.1. L'instance précédente s'est fondée sur trois éléments figurant au dossier pour retenir la date de 2010 au plus tard.
Elle a d'abord relevé que le recourant admettait, lors de son interrogatoire devant la police de sûreté en août 2013, avoir essayé d'en parler à sa compagne de l'époque il y a huit ans, sans y parvenir, et avoir réussi à expliciter ce qui lui était arrivé pour la première fois "il y a quatre ans", soit en 2009.
Le Tribunal cantonal a souligné que cette date coïncidait avec les déclarations de la psychologue de l'Association "Faire le pas, parler d'abus sexuels", que le recourant consulte certes pour la première fois en 2012. Dans sa demande de renouvellement de prise en charge LAVI du 21 août 2012, la psychologue souligne en effet que son patient a ressenti le besoin d'effectuer un travail "il y a quelques années". La cour cantonale en a déduit qu'en tous les cas, l'utilisation du pluriel par la psychologue dans son rapport de 2012 permettait d'exclure l'année 2011.
De plus, la cour cantonale a cité le rapport du 6 juillet 2017 du médecin-psychiatre de l'intéressé, selon lequel "[l]a première fois que [le recourant] a parlé de cette agression, c'était à 33 ans. Il en a parlé à sa compagne de l'époque (...) ". Enfin, l'instance précédente a mis en évidence que, dans son courrier du 9 août 2017, reprenant les termes de ce rapport, un des avocats du recourant répète que l'intéressé s'est confié pour la première fois à l'âge de 33 ans, soit en 2005.
La cour cantonale en a déduit qu'il n'était pas possible d'établir de manière incontestable le moment où le recourant s'était exprimé pour la première fois sur l'abus subi, ni de privilégier l'une ou l'autre version avancée par les divers intervenants, étant rappelé que tous - psychologue, médecin-psychiatre et avocat - n'avaient pu que relater dans leurs écrits les propos reçus de l'intéressé.
Le Tribunal cantonal a ensuite jugé que, sur la base de ces pièces, il pouvait être retenu que les séquelles de l'atteinte s'étaient manifestées en 2009, après que le recourant était parvenu à en parler à son ex-femme, et qu'elles étaient à tout le moins reconnaissables par l'intéressé en 2010 au plus tard. Le fait qu'il ait, comme il le soutient, entamé des suivis thérapeutiques accrus financés par la LAVI depuis 2012 seulement, ne suffisait pas à nier que les conséquences de l'abus subi, qui se sont présentées sous la forme d'une atteinte à sa santé psychique, ne se sont pas manifestées de manière claire et reconnaissable auparavant. Par conséquent, en se fiant aux déclarations du recourant devant la police et aux rapports de sa psychologue et de son psychiatre, le Tribunal cantonal a constaté que l'infraction de lésions dénoncée - en tant que conséquences de l'abus - était reconnaissable par le recourant en 2010 au plus tard, soit sous l'égide de la LAVI: le délai de péremption était dès lors arrivé à échéance cinq ans plus tard, soit en 2015.
3.3.2. Le recourant ne conteste pas réellement avoir eu connaissance des conséquences de l'abus subi en 1984-1985 en 2010 au plus tard. Il se contente d'affirmer que la date à prendre en compte pour le calcul du délai de péremption serait le mois de juillet 2012 car les lésions corporelles simples seraient survenues non pas au moment où il s'est confié sur l'abus subi mais au moment de son incapacité de travail en juillet 2012. A le suivre, le fait de s'exprimer sur l'abus subi ne correspondrait pas au caractère reconnaissable de l'atteinte.
Partant, le recourant se contente d'opposer appellatoirement sa propre appréciation à celle de l'instance précédente, sans nullement démontrer en quoi celle-ci serait arbitraire. Il ne démontre en particulier pas en quoi la cour cantonale aurait procédé par arbitraire en se fondant sur les déclarations qu'il avait faites devant la police et sur les rapports de sa psychologue et de son psychiatre pour retenir que l'atteinte à sa santé psychique était connue en 2010 au plus tard. En effet, selon l'art. 25 al. 1 LAVI, la demande d'indemnisation et de réparation morale doit être introduite à compter du moment où la victime a eu connaissance de l'infraction. Il ne peut être déduit de ce texte qu'il y a lieu d'attendre que toute victime - consciente de son mal-être et des raisons de celui-ci - se décide de contacter un centre LAVI, et surtout d'amorcer un suivi médical et d'être en incapacité de travail pour faire courir le délai prévu par la loi. Le moment de la survenance des lésions et de leur prise de conscience - à partir duquel le délai commence à courir - doit être distingué des mesures entreprises, ou non, pour les soigner et d'une incapacité de travail.
La cour cantonale n'a par conséquent pas apprécié les faits de manière arbitraire ni violé le droit fédéral en jugeant que la demande d'indemnisation déposée en juin 2016 était tardive.
4.
Le Tribunal cantonal a enfin considéré que les conditions mises à une restitution du délai définies par la jurisprudence n'étaient pas réunies, que l'on considère se trouver dans le champ d'application temporel de la nouvelle ou de l'ancienne loi.
4.1. Selon la jurisprudence rendue sous l'aLAVI, la restitution du délai était possible lorsque la victime, de bonne foi, n'avait jamais été informée de l'existence de ses droits et des moyens de les faire valoir. Il fallait que la victime n'ait pas été en possession des moyens nécessaires à l'exercice efficace de ses droits (ATF 129 II 409 consid. 2 et 123 II 241 consid. 3; cf. arrêt 1C_99/2015 du 18 novembre 2015 consid. 3.1).
Depuis 2009, l'art. 8 al. 1 LAVI impose à cet égard aux autorités de poursuite pénale d'informer la victime sur l'aide aux victimes et de transmettre, à certaines conditions, son nom et son adresse à un centre de consultation. Une importance décisive est attribuée au devoir de la police de signaler à la victime, lors de sa première audition, l'existence des centres de consultation chargés, notamment, de fournir des informations sur l'aide aux victimes et de les assister dans leurs démarches juridiques (cf. ATF 129 II 409 consid. 2; arrêt 1C_99/2015 du 18 novembre 2015 consid. 3.1). Il s'agit d'un renversement de la présomption selon laquelle nul n'est censé ignorer la loi (arrêt 1C_99/2015 du 18 novembre 2018 et les références citées, soit les ATF 131 IV 183 consid. 3.1.1 et 123 II 241 consid. 3e).
Par ailleurs, le principe de la bonne foi suppose qu'aucun reproche ne puisse être formulé à l'encontre de la victime pour ne pas avoir déposé sa requête dans le délai. Ainsi, la victime qui resterait inactive, alors même qu'elle aurait été informée du délai par un tiers, à l'instar d'un centre de consultation LAVI, ou qui aurait expressément refusé de s'adresser à un centre ou à un avocat pour obtenir des informations sur l'aide aux victimes, ne peut invoquer le principe de la bonne foi (CONVERSET,
op. cit., p. 337 s.). Une fois que la victime a été informée de ses droits, elle ne peut toutefois échapper à la rigueur de l'institution de la péremption que si elle s'adresse à l'autorité dans un délai raisonnable après avoir reçu l'information manquante, à l'instar de ce qui prévaut lorsqu'elle a connaissance de l'infraction, respectivement de l'atteinte (cf. ATF 129 II 409 consid. 3; CONVERSET, op. cit., p. 338; voir aussi PETER GOMM, in Gomm/Zehntner [éd.], Opferhilferecht, 4
ème éd, 2020, N 12 et 13 ad art. 25 LAVI). Si la fixation d'un délai de dix jours n'est pas admissible, l'hypothèse inverse, où la victime agit un an après avoir été informée, n'est pas non plus concevable (CONVERSET,
op. cit., p. 338).
4.2. En l'espèce, le recourant a consulté un centre LAVI pour la première fois en février 2012 et il a bénéficié de prestations LAVI, sous forme d'aide immédiate et d'aide à plus long terme. Il a en particulier bénéficié de plusieurs heures d'assistance juridique auprès de deux avocats, la première fois en mai 2012, la seconde en 2013, lorsqu'il a été entendu par la police. Lors de cette audition du 13 août 2013, il lui a expressément été demandé: "[c]onfirmez-vous avoir reçu le formulaire explicatif sur l'aide aux victime ?", ce à quoi il a répondu "Je suis déjà suivi par le centre LAVI de Fribourg". Ensuite, à la question "[a]vez-vous des questions à propos du formulaire des droits de la victime ?", il a répondu "non".
Dans ces conditions, le Tribunal cantonal a jugé à bon droit que si - par hypothèse - l'on pouvait douter du fait que l'intéressé n'avait pas été informé de l'ensemble de ses droits en 2012 (par le biais de ses mandataires, des nombreux contacts qu'il a eus avec le personnel du centre LAVI ou dans le cadre des différents entretiens individuels ou de groupe qu'il a pu avoir avec l'Association "Faire le pas, parler d'abus sexuels"), il fallait en tout cas admettre qu'il n'y avait pas eu de défaut d'information dans le cadre de la procédure pénale; si, par impossible, son droit à une indemnisation et le délai pour la demander ne faisaient pas partie des informations figurant sur le formulaire explicatif LAVI qui lui avait été remis, ce qui paraissait inimaginable, l'instance précédente a retenu qu'il appartenait en tous les cas au recourant, dès son audition en 2013, de ne pas rester passif et de se renseigner plus avant sur ses droits; à cet égard, les juges cantonaux ont relevé qu'il était majeur et capable de discernement au moment de son audition et qu'il ne ressortait pas davantage du dossier que son inaction s'expliquait par une grande détresse physique ou morale, ou encore par un isolement social (cf. ATF 123 II 241); par ailleurs, une simple recherche sur Internet aurait suffi à renseigner exhaustivement l'intéressé.
Le Tribunal cantonal a conclu que comme l'entretien auprès de la police avait eu lieu en août 2013, il fallait considérer que le recourant n'avait pas agi avec la diligence que l'on pouvait raisonnablement attendre de lui en ne déposant sa demande d'indemnisation que trois ans plus tard, en 2016; dans ces conditions, la péremption lui était opposable, aussi bien sous l'angle de l'aLAVI que de la LAVI.
4.3. Le recourant ne conteste pas vraiment ce raisonnement. Il se contente d'avancer, sans le démontrer, qu'il ne ressortirait d'aucun rapport ou document émanant du centre LAVI qu'il lui a été donné connaissance de sa possibilité d'introduire une demande d'indemnisation LAVI et d'un délai pour faire cette démarche. Cette simple affirmation est insuffisante à démontrer que le recourant aurait agi dans un délai raisonnable lorsque l'information complète sur ses droits de déposer une demande d'indemnisation LAVI lui a été transmise, dans la mesure où il ne conteste pas avoir consulté un centre LAVI en février 2012 et bénéficié de prestations LAVI (notamment de plusieurs heures d'assistance juridique auprès de deux avocats en mai 2012 et en 2013). En déposant une demande d'indemnisation en juin 2016, soit trois voire quatre ans après avoir bénéficié d'assistance juridique sous forme de prestations LAVI, le recourant ne peut, de bonne foi, prétendre avoir agi dans un délai raisonnable.
Le grief doit être rejeté dans la faible mesure de sa recevabilité.
5.
Il s'ensuit que le recours est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.
Conformément à l'art. 30 LAVI, il n'est pas perçu de frais judiciaires devant le Tribunal fédéral.
Les conditions posées à l'art. 64 al. 1 LTF étant réunies, il convient de mettre le recourant au bénéfice de l'assistance judiciaire, de lui désigner Me Charlotte Iselin comme avocate d'office et d'allouer à celle-ci une indemnité à titre d'honoraires, qui seront supportés par la caisse du Tribunal fédéral.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Charlotte Iselin est désignée comme avocate d'office du recourant et une indemnité de 2'000 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire du recourant, au Service de l'action sociale et au Tribunal cantonal de l'État de Fribourg (III
e Cour administrative) ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice.
Lausanne, le 25 avril 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
La Greffière : Tornay Schaller