Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_111/2024
Arrêt du 25 juillet 2024
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Kölz et Brunner, Juge suppléant,
Greffier : M. Tinguely.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Romanos Skandamis, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève,
route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy,
intimé.
Objet
Ordonnance de non-entrée en matière,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 13 décembre 2023
(P/6598/2023 - ACPR/968/2023).
Faits :
A.
A.a. Par contrat du 14 décembre 2012, B.________ AG (ci-après: la banque) a engagé A.________ en qualité de "Senior Manager". Le chiffre 4 dudit contrat prévoyait le versement d'un bonus (
award) discrétionnaire selon la réglementation édictée par la banque. Il était précisé que les collaborateurs n'avaient aucun droit à cet égard, même si des paiements devraient être effectués à ce titre durant quelques années.
A.b. Par courriel du 28 janvier 2022 adressé aux "Managing Directors" et "Directors" - dont A.________ -, la banque a indiqué que le paiement d'un bonus pour l'année 2021 (sous la forme d'un "upfront cash award") était subordonné à l'acceptation par les employés des nouvelles conditions contractuelles régissant la rémunération variable. Le courriel était accompagné d'un document intitulé "Upfront Cash Award Certificate" (ci-après: certificat UCA). Conformément à l'art. 4 de ce document, l'employé s'engageait à rembourser au
prorata le paiement du bonus en cas de démission avant l'échéance du délai de trois ans à compter dudit paiement. L'art. 2 du certificat indiquait en outre qu'à défaut d'acceptation au plus tard le février 2022, le collaborateur perdait son droit au bonus.
Après avoir obtenu l'accord de A.________ sur les conditions prévues par l'avenant au contrat de travail, la banque lui a versé, le 24 mars 2022, un montant de 65'252 fr. à titre de bonus.
A.c. Par courrier du 19 mai 2022, A.________ a informé la banque de sa décision de résilier le contrat de travail conclu le 14 décembre 2012 avec effet au 31 août 2022, ce qui a incité cette dernière à exiger, sur la base de l'art. 4 du certificat UCA, le remboursement d'une partie du bonus octroyé le 24 mars 2022, soit un montant de 47'306 fr. 25. Par lettre du 30 septembre 2022, A.________ a refusé cette demande au motif que l'avenant au contrat de travail avait été conclu sous l'empire d'une crainte fondée.
Le 3 novembre 2022, la banque a contesté cette argumentation et a invité A.________ à s'acquitter du montant précité au plus tard le 30 novembre 2022, l'avertissant qu'à défaut de paiement, des procédures d'exécution forcée seraient engagées ("
[a]fter that date, we will initiate debt enforcement proceedings [...]"). En réponse à cette lettre, A.________ a informé la banque que l'envoi d'un commandement de payer lui porterait "particulièrement" préjudice, compte tenu de sa procédure de naturalisation et d'une demande de crédit en cours, ce à quoi la banque a répondu qu'elle maintenait sa position.
Le 28 novembre 2022, A.________ s'est acquitté du montant de 47'306 fr. 25 en faveur de la banque.
B.
B.a. Le 14 mars 2023, A.________ a déposé plainte pénale contre "toute personne que l'enquête permettrait d'établir" pour contrainte (art. 181 CP). Il a motivé cette plainte en indiquant qu'il n'avait accepté l'avenant à son contrat de travail que sous la menace de perdre son droit au versement d'un bonus pour l'année 2021. Par ailleurs, en le menaçant de lui envoyer un commandement de payer, la banque l'avait contraint de s'acquitter de la somme de 47'306 fr. 25, et ce en parfaite connaissance de ses circonstances personnelles délicates à cet égard.
B.b. Par ordonnance du 22 juin 2023, le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après: le Ministère public) a refusé d'entrer en matière sur la plainte déposée par A.________.
B.c. Par arrêt du 13 décembre 2023, statuant sur recours de A.________, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la cour cantonale ou l'autorité précédente) a confirmé cette ordonnance.
C.
Par acte du 30 janvier 2024, A.________ (ci-après: le recourant) interjette un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 13 décembre 2023. Il conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de cet arrêt et au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il ouvre une instruction en lien avec la plainte déposée. Subsidiairement, il sollicite le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants de l'arrêt à rendre.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 IV 9 consid. 2).
2.
Selon l'art. 81 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière pénale quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a) et (cumulativement) a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (let. b). En l'espèce, le recourant a participé à la procédure cantonale, de sorte que la condition de l'art. 81 al. 1 let. a LTF ne donne lieu à aucune remarque. En revanche, comme il sera démontré ci-après, le recourant ne dispose pas d'un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée, comme l'exige l'art. 81 al. 1 let. b LTF.
3.
3.1. Le recourant fonde sa qualité pour former un recours en matière pénale uniquement sur l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (cf. recours, p. 3). En application de cette disposition, est en particulier légitimée à former un recours en matière pénale la partie plaignante, soit le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). Le lésé est celui dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). La partie plaignante n'a toutefois qualité pour former un recours en matière pénale que si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles (art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF).
Constituent de telles prétentions celles qui, résultant de l'infraction alléguée, sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être déduites ordinairement devant les tribunaux civils, soit principalement les prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO (ATF 146 IV 76 consid. 3.1; 141 IV 1 consid. 1.1; arrêt 6B_562/2021 du 7 avril 2022 consid. 1.1 non publié
in ATF 148 IV 170). En revanche, les prétentions contractuelles reposant sur un contrat et non sur l'existence d'une infraction ne peuvent pas faire l'objet d'une action civile par adhésion à la procédure pénale (ATF 148 IV 432 consid. 3.2.3) et ne sont donc pas non plus couvertes par la notion de prétentions civiles au sens de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF. Il est donc en principe exclu de déduire la qualité pour former un recours en vertu de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF d'une prétention purement contractuelle (arrêts 7B_507/2023 du 20 mars 2024 consid. 1.2.1; 7B_986/2023 du 1er février 2024 consid. 1.1). Cela dit, il reste possible de faire valoir des prétentions délictuelles dans la mesure où il y a concours d'actions ("Anspruchskonkurrenz"; cf. pour les différentes expressions utilisées dans la doctrine de langue française: ATF 137 III 311 consid. 5.1.1) entre le droit contractuel et le droit de la responsabilité civile, notamment les art. 41 ss CO (arrêt 6B_1084/2022 du 5 avril 2023 consid. 6.3; Riedo/Lehmann/Meile, Die Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Strafprozessrecht im Jahr 2022, ZBJV 1/2024, p. 28 ss, p. 37).
3.2. Lorsque le recours est dirigé - comme en l'espèce - contre une décision de non-entrée en matière ou de classement d'une procédure pénale, la partie plaignante doit expliquer dans son recours au Tribunal fédéral pour quelles raisons et dans quelle mesure la décision attaquée peut avoir des conséquences sur le jugement de ses prétentions civiles concrètes (cf. arrêts 7B_120/2022 du 5 octobre 2023 consid. 1.3.1; 6B_1398/2021 du 15 novembre 2022 consid. 1.2 et les réf. citées; 6B_582/2020 du 17 décembre 2020 consid. 1 non publié in ATF 147 IV 47). Le Tribunal fédéral pose des exigences strictes de motivation de la qualité pour recourir. Dans l'acte de recours, il convient ainsi de démontrer en introduction et de manière concise que les conditions de recevabilité sont remplies (arrêts 6B_787/2022 du 5 décembre 2022 consid. 2.2.2; 6B_1398/2021 précité consid. 1.2; 6B_637/2021 du 21 janvier 2022 consid. 2.1). Il ne suffit à cet égard pas à la partie plaignante d'affirmer avoir été touchée par l'infraction alléguée; elle doit exposer de manière précise les éléments fondant ses prétentions civiles, notamment en alléguant et en chiffrant le dommage subi (arrêts 7B_79/2022 du 10 janvier 2024 consid. 1.1 et 1.3; 7B_69/2023 du 28 août 2023 consid. 1.1.1; tous deux avec les réf. citées).
3.3. Selon le recourant, les éléments constitutifs de la contrainte (art. 181 CP) seraient en l'espèce réunis à deux égards: d'une part, parce que la banque, en lui soumettant l'avenant au contrat dans des délais de signature indûment courts, l'aurait mis dans une situation de contrainte, l'obligeant à renoncer à ses droits pour connaître le montant et obtenir le versement du bonus pour l'année 2021 (cf. recours, p. 5 ss et p. 10 s.); d'autre part, parce que la banque l'aurait menacé de mesures d'exécution forcée dans le cadre de l'exécution des clauses de remboursement (selon lui non valides) après la résiliation des rapports de travail, alors qu'il l'avait informée que de telles mesures pouvaient l'affecter d'une manière sensible compte tenu de sa procédure de naturalisation en cours et d'une demande de crédit pendante (cf. recours, p. 11).
3.4. Comme l'a déjà constaté à juste titre la cour cantonale (cf. arrêt attaqué, consid. 3.3), il semble difficile de dissocier la procédure pénale engagée par le recourant du litige civil qui l'oppose à son ancien employeur concernant le versement du bonus pour l'année 2021 (et son obligation de rembourser une partie de ce bonus après la résiliation des rapports de travail). La question de savoir si le recourant avait un droit préexistant, en vertu du contrat de travail conclu en 2012, au versement d'un bonus pour l'année 2021 ou si la banque était en droit de faire dépendre le versement d'un bonus (discrétionnaire) de la signature de l'avenant au contrat ("certificat UCA"), est une question purement contractuelle (pour les critères permettant de déterminer si une rétribution spéciale doit être qualifiée de gratification au sens de l'art. 322d CO ou d'élément de salaire au sens de l'art. 322 CO, cf. ATF 142 III 381 consid. 2.1 et 2.2; pour la question de savoir s'il existe un droit à une gratification ["Anspruch auf Gratifikation"] ou non, cf. arrêt 4A_513/2017 du 5 séptembre 2018 consid. 5.1-5.3). Il en va de même de la question de savoir si l'avenant au contrat ("certificat UCA") signé par le recourant était valide et pouvait être utilisé par la banque comme base de sa demande de remboursement (partiel) du bonus versé, le cas échéant sous la menace de mesures d'exécution forcée.
3.5. Il serait certes concevable, dans le cas d'espèce, de soutenir que la prétention civile de 47'306 fr. 25, sur laquelle le recourant tente de fonder sa qualité pour recourir (cf. recours, p. 4 s.), relève en substance du droit de la responsabilité délictuelle, puisqu'un dommage lui aurait été causé par un acte illicite (art. 41 CO). Cette déduction aurait toutefois dû être exposée de manière précise par le recourant dans son mémoire de recours au Tribunal fédéral. En l'absence de telles explications, l'impression demeure que le recourant tente en l'espèce de régler le litige contractuel qui l'oppose à son ancien employeur par le biais d'une procédure pénale.
Cela vaut d'autant plus que certaines conditions d'une responsabilité délictuelle (art. 41 CO) sont loin d'être évidentes en l'espèce: outre l'exigence de causalité, qui semble discutable, en tout cas au regard du premier ensemble de faits dénoncés (soumission de l'avenant au contrat de travail, let. A.b
supra), le recourant déduit sa prétention civile de prétendus actes de contrainte (art. 181 CP). Il convient de rappeler à cet égard la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la notion d'illicéité (art. 41 al. 1 CO) lorsqu'un acte lèse une personne uniquement dans son patrimoine. Pour pouvoir conclure à l'illicéité d'un tel acte, il faut établir la violation d'une norme de comportement ("Schutznorm", norme protectrice) visant à protéger le lésé dans les droits atteints par l'acte incriminé ("Verhaltensunrecht"; ATF 133 III 323 consid. 5.1; 132 III 122 consid. 4.1; arrêt 4A_603/2020 du 16 novembre 2022 consid. 4.3). De telles "normes protectrices" existent en droit pénal; il est par exemple admis que les art. 146 CP (escroquerie; arrêt 4A_59/2009 du 7 septembre 2009 consid. 6.3) et 305bis CP (blanchiment d'argent; arrêt 4A_603/2020 du 16 novembre 2022 consid. 4.3) constituent des normes protectrices. En revanche, les infractions dans la faillite et la poursuite pour dettes, telles que décrites aux art. 163 ss CP, ne constituent pas des normes de comportement au sens de l'art. 41 al. 1 CO (arrêt 4A_423/2023 du 7 février 2024 consid. 4.3).
En ce qui concerne la contrainte (art. 181 CP), la jurisprudence ne s'est pas encore prononcée sur la question. Il convient toutefois de noter que l'art. 181 CP ne fait partie des normes énumérées dans la doctrine (cf. Werro/Perritaz, in Thévenoz/Werro [éd.], Commentaire romand, Code des obligations I, no 76 ad art. 41; Rey/Wildhaber, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, 5e éd. 2018, p. 146 s.; Schwenzer/ Fountoulakis, Schweizerisches Obligationenrecht Allgemeiner Teil, 8e éd. 2020, p. 402 s.), ce qui est tout à fait cohérent puisque la disposition vise à protéger la liberté d'action d'autrui (ATF 129 IV 6 consid. 2.1; arrêt 7B_368/2023 du 18 avril 2024 consid. 3.1.1), et non directement son patrimoine. Par ailleurs, bien qu'il ne soit pas exclu qu'un acte de contrainte touche, selon sa forme, les droits de la personnalité, ce qui constituerait une atteinte à un droit absolu et permettrait dès lors d'affirmer sans autre l'illicéité de l'acte au sens de l'art. 41 al. 1 CO, une telle situation n'est ni alléguée ni discernable dans le cas présent.
Comme le recourant reste muet sur toutes ces questions, il ne parvient pas à démontrer qu'il existerait en l'espèce des prétentions civiles au sens de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF, fût-ce au sens d'un concours d'actions (cf. consid. 3.1
supra)
3.6. Partant, le recourant échoue à établir sa qualité pour recourir sur le fond de la cause.
4.
Au surplus, le recourant ne soulève aucun grief quant à son droit de porter plainte au sens de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 6 LTF, ni n'invoque une violation de ses droits de partie équivalant à un déni de justice formel (cf. ATF 141 IV 1 consid. 1.1). La qualité pour recourir doit donc également lui être déniée à ces égards.
5.
Il s'ensuit que le recours doit être déclaré irrecevable. Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est irrecevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours.
Lausanne, le 25 juillet 2024
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
Le Greffier : Tinguely