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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8C_734/2023  
 
 
Arrêt du 25 juillet 2024  
 
IVe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mmes les Juges fédéraux Wirthlin, Président, 
Maillard, Heine, Viscione et Métral. 
Greffière : Mme Fretz Perrin. 
 
Participants à la procédure 
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), 
Division juridique, 
Fluhmattstrasse 1, 6002 Lucerne, 
recourante, 
 
contre  
 
A.________, 
représenté par M e Gazmend Elmazi, avocat, 
intimé. 
 
Objet 
Assurance-accidents (revenu d'invalide; déduction; autorisation de séjour), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 10 octobre 2023 (A/2653/2022 ATAS/771/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________, né en 1992 et sans formation, est arrivé en Suisse en 2012. Il ne dispose pas de titre de séjour. Il a travaillé en tant qu'aide-ferrailleur au service de B.________ SA depuis le 14 septembre 2015. À ce titre, il était assuré obligatoirement contre le risque d'accident par la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA).  
Le 7 octobre 2015, il a subi une contusion au genou droit lors d'une chute sur son lieu de travail, après s'être pris le pied dans la ferraille. La CNA a pris en charge les suites de cet accident. L'assuré a subi deux arthroscopies du genou droit les 3 novembre 2015 et 17 octobre 2016. Le 7 avril 2017, il a conclu un contrat de travail avec l'entreprise C.________ SA prévoyant son engagement à 50 % en qualité de ferrailleur en classe C. Le 11 avril 2019, l'assuré a été engagé par D.________ Sàrl, société dont il était l'associé gérant avec signature individuelle jusqu'au 15 juillet 2021, date à laquelle il a cédé l'ensemble de ses parts à un repreneur. Il y exerçait la fonction de cadre supérieur et de carreleur à plein temps pour un revenu mensuel de 7'700 fr. par mois. 
Le 29 mai 2020, A.________ a subi un nouvel accident (il s'est tordu le genou droit en tombant d'un escabeau), lequel a été pris en charge par la CNA au titre d'une rechute de son premier accident. Le 22 octobre 2020, il a subi une nouvelle intervention au genou droit. 
 
A.b. Par courrier du 7 juillet 2021, la CNA a informé l'assuré qu'il ressortait de l'examen final du 6 mai 2021 qu'il n'avait plus besoin d'un traitement. Aussi, la prise en charge de celui-ci (hormis les contrôles médicaux encore nécessaires) ainsi que le paiement de l'indemnité journalière prendraient fin le 30 septembre 2021.  
Par décision du 4 février 2022, confirmée sur opposition le 22 juin 2022, la CNA a nié le droit de l'assuré à une rente d'invalidité mais lui a octroyé une indemnité pour atteinte à l'intégrité (IPAI) fondée sur un taux de 10 %, en raison d'une arthrose au genou. 
 
B.  
Par arrêt du 10 octobre 2023, la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève a partiellement admis le recours formé contre la décision sur opposition du 22 juin 2022, qu'elle a réformée dans le sens de la reconnaissance du droit de l'assuré à une rente d'invalidité fondée sur un taux de 18 % à compter du 1 er octobre 2021.  
 
C.  
La CNA forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à son annulation et à la confirmation de sa décision sur opposition du 22 juin 2022. 
L'intimé conclut au rejet du recours. Tant la juridiction cantonale que l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable. 
 
2.  
 
2.1. Le litige porte sur le droit de l'intimé à une rente d'invalidité de l'assurance-accidents, fondée sur un taux d'invalidité de 18 %, à compter du 1 er octobre 2021. Singulièrement, il porte sur le point de savoir si la cour cantonale a violé le droit fédéral en procédant à un abattement de 10 % sur le revenu d'invalide, tel que fixé par la recourante.  
 
2.2. S'agissant d'une procédure concernant l'octroi de prestations en espèces de l'assurance-accidents, le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par la juridiction précédente (art. 105 al. 3 LTF).  
 
3.  
 
3.1. L'arrêt entrepris expose correctement les dispositions légales régissant le droit aux prestations de l'assurance-accidents (art. 6 al. 1 LAA; art. 4 LPGA), ainsi que les principes jurisprudentiels concernant l'établissement des revenus sans et avec invalidité dans le cadre de la comparaison des revenus prescrite à l'art. 16 LPGA pour déterminer le taux d'invalidité. Il suffit donc d'y renvoyer.  
 
3.2. En ce qui concerne l'étendue de l'abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l'ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d'autorisation de séjour et taux d'occupation). Il n'y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d'appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d'invalide, compte tenu de l'ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb).  
Le point de savoir s'il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d'autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l'étendue de l'abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d'appréciation, qui est soumise à l'examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d'appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif ("Ermessensüberschreitung") ou négatif ("Ermessensunterschreitung") de son pouvoir d'appréciation ou a abusé ("Ermessensmissbrauch") de celui-ci (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1 et 5.2), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n'usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2). 
Contrairement au pouvoir d'examen du Tribunal fédéral, celui de l'autorité judiciaire de première instance n'est pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation), mais s'étend également à l'opportunité de la décision administrative ("Angemessenheitskontrolle"). En ce qui concerne l'opportunité de la décision en cause, l'examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l'autorité, dans un cas concret, a adoptée dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, et en respectant les principes généraux du droit, n'aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. À cet égard, le juge des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l'administration; il doit s'appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 6). 
 
4.  
En l'espèce, la cour cantonale a retenu, à l'instar de la recourante et sur la base des conclusions du docteur E.________ (spécialiste en chirurgie orthopédique et médecin d'arrondissement de la CNA) prises à l'issue de son examen final du 6 mai 2021, que l'intimé ne pouvait plus exercer ses professions antérieures de ferrailleur et de carreleur; il pouvait en revanche exercer à plein temps une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, à savoir une activité qui ne nécessite pas de longs déplacements, particulièrement en terrain irrégulier, de travail accroupi ou à genoux répétitif ou prolongé, la montée et descente répétitive d'escaliers et/ou d'échelles et en particulier tout travail sur un toit, ni le port de charges lourdes supérieures à 15 kg ou de plus de 10 kg de manière répétitive. Contrairement à l'avis de la recourante qui n'avait pas admis de déduction sur le revenu d'invalide fondé sur les statistiques de l'Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), les juges cantonaux ont considéré que l'absence d'années de service dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, son manque de formation et de maîtrise de la langue écrite - lesquels ne revêtaient à eux seuls que peu d'importance pour l'accomplissement d'activités au niveau de compétence 1 -, conjugués aux limitations fonctionnelles et à l'absence de permis de travail en Suisse justifiaient d'opérer un abattement de 10 %. 
 
5.  
 
5.1. La recourante conteste que l'absence d'une autorisation de séjour, respectivement d'une autorisation de travailler en Suisse puisse constituer un critère entrant en considération pour justifier un abattement selon la jurisprudence. Elle fait valoir que le Tribunal fédéral a déjà relevé que les étrangers ne perçoivent pas toujours un revenu inférieur à la valeur totale de l'ensemble des Suisses et des étrangers mais qu'il peut exister des différences sensibles selon la catégorie de séjour et le niveau de qualification, en particulier chez les titulaires d'une autorisation d'établissement (permis C) où le salaire moyen pour des tâches simples et répétitives peut même être supérieur à la moyenne. Par ailleurs, à suivre le raisonnement opéré par les juges cantonaux, lesquels faisaient référence à un salaire réduit de 24,5 % selon la table TA12 (catégorie "Autres"), les assurés sans titre de séjour auraient droit à un abattement sur le revenu d'invalide supérieur en comparaison d'un assuré établi en Suisse de manière régulière. Or une telle discrimination entre un étranger titulaire d'un permis d'établissement dûment autorisé à être en Suisse et un étranger sans autorisation de séjour en Suisse ne saurait découler de la jurisprudence. La recourante conteste également que les limitations fonctionnelles de l'intimé puissent justifier un abattement en l'espèce. Elle soutient qu'au regard des activités physiques ou manuelles simples que recouvrent les secteurs de la production et des services, un nombre suffisant d'entre elles correspondent à des travaux légers, compatibles avec les limitations fonctionnelles de l'intimé, de sorte qu'il ne subirait aucun désavantage lié à son handicap. Par ailleurs, l'importance des années de service diminuant avec le niveau de qualifications requises, un abattement en raison des années de service ne se justifierait pas, selon la recourante, dans le cadre du choix de niveau de compétence 1, l'influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d'emplois ne nécessitant ni formation, ni expérience professionnelle spécifique. Enfin, la recourante soutient que l'absence d'expérience et de formation ne jouerait pas de rôle dans le cadre d'activités simples et répétitives. De même, les activités comprises dans le niveau de compétence 1 n'exigeraient pas de bonnes connaissances de la langue du lieu de travail.  
 
5.2. C'est de manière contraire au droit que la cour cantonale a considéré que les limitations fonctionnelles, lesquelles ont déjà été prises en considération pour déterminer la capacité de travail de l'intimé dans une activité adaptée à son état de santé, justifiaient une déduction sur le revenu d'invalide (ATF 146 V 16 consid. 4.1 et les références). Le niveau de compétence 1 de l'ESS contient en effet de nombreux emplois avec des tâches simples et légères compatibles avec ces restrictions, lesquelles n'apparaissent pas particulièrement sévères (pas de marche prolongée ou en terrain irrégulier, pas d'activité répétitive ou prolongée à genoux ou en position accroupie, pas de montée et descente répétitive d'escaliers et/ou d'échelles et pas de port de charges supérieures à 10-15 kilos de manière répétée).  
Au demeurant, les juges cantonaux ont considéré que les limitations fonctionnelles de l'intimé justifiaient un abattement sur le revenu d'invalide en se fondant sur l'application par analogie de l'arrêt 8C_222 [recte: 227]/2017 du 17 mai 2018, relatif à un accident ayant entraîné des lésions méniscales et des limitations fonctionnelles similaires à celles de l'intimé. Cet arrêt ne revêt pas la valeur de précédent que lui attribue la cour cantonale. Le Tribunal fédéral s'est uniquement prononcé à l'époque sur le bien-fondé de l'abattement de 15 % pratiqué par la cour cantonale, non sur celui de 5 % admis par la CNA (cf. art. 107 al. 1 LTF). 
 
5.3.  
 
5.3.1. S'agissant du critère "catégorie d'autorisation de séjour", la cour cantonale a constaté, sur la base du tableau TA12 de l'ESS 2018, que le salaire mensuel médian des hommes (Suisses et étrangers confondus), sans fonction de cadre, était de 5'941 fr. et celui des hommes de la catégorie "Autres" (n'étant ni Suisses, ni titulaires d'un permis de type L, B, C ou G), sans fonction de cadre, était de 4'486 fr. Il en résultait une différence de 24,5 %, laquelle était susceptible de fonder un abattement.  
 
5.3.2. En l'espèce, la déduction effectuée par les juges cantonaux en raison du critère de l'absence d'autorisation de séjour l'a été sur la seule base de la différence statistique précitée. Or bien qu'il n'ait aucune formation et ne dispose pas non plus d'un titre de séjour valable en Suisse, l'intimé a travaillé comme ferrailleur puis comme carreleur, avec des salaires supérieurs aux taux usuels de la branche. Après son premier accident, il a en outre fondé sa propre société de construction au sein de laquelle il a exercé la fonction de cadre supérieur et de carreleur, avec un salaire plus élevé qu'avant son accident malgré ses problèmes de santé au genou. Après son deuxième accident, il a été engagé en qualité de chef d'équipe à plein temps pour un salaire mensuel brut de 5'741 fr. 50, lequel est plus proche du salaire médian des Suisses et étrangers confondus que de celui des étrangers sans autorisation de séjour (cf. consid. 5.3.1 supra). Compte tenu de ces circonstances, il est douteux que l'intimé serait, malgré son invalidité, considérablement désavantagé en termes de possibilités de travail et de rémunération par rapport au groupe de personnes sur lequel se basent les enquêtes statistiques sur les salaires pour déterminer le revenu d'invalidité (ESS 2018, tableau TA1, total des hommes au niveau de compétence 1 de 5'417 fr. par mois). Quoi qu'il en soit, force est de constater qu'à défaut d'autorisation de séjour en Suisse, le recourant n'était pas autorisé à travailler en Suisse avant son accident et ne devrait pas pouvoir continuer à y exercer une activité lucrative après cet accident, indépendamment de son état de santé. S'il était couvert contre le risque d'accident dès lors qu'il exerçait une activité salariée en Suisse, en dépit de l'absence d'autorisation de séjour (art. 1a al. 1 let. a LAA), il paraît toutefois difficile de considérer qu'il aurait, sans accident, continué à exercer indéfiniment son ancienne activité professionnelle en Suisse. Dans ce contexte, si vraiment l'on voulait prendre en considération l'absence d'autorisation de séjour en Suisse lors de l'évaluation de l'invalidité, il faudrait le faire en comparant les revenus que l'intéressé pourrait réaliser, avec et sans atteinte à la santé, dans le pays dont il est ressortissant, étant admis que le marché du travail à prendre en considération, pour l'un et l'autre revenu, doit être le même (sur ce dernier point: ATF 137 V 20 consid. 5.2.3.2; 110 V 273 consid. 4b). Il y est renoncé pour des motifs pratiques évidents, mais cela ne permet pas de prendre en considération l'absence d'autorisation de séjour en Suisse lors de la seule évaluation du revenu d'invalide. Le grief de la CNA s'avère ainsi bien fondé et le droit de l'intimé à une rente d'invalidité doit être nié.  
 
6.  
Compte tenu de ce qui précède, le recours de la CNA doit être admis. Par conséquent, l'arrêt cantonal doit être annulé. La décision sur opposition du 22 juin 2022 est ainsi confirmée. 
L'intimé, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). La CNA n'a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 10 octobre 2023 est annulé et la décision sur opposition de la CNA du 22 juin 2022 est confirmée. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimé. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lucerne, le 25 juillet 2024 
 
Au nom de la IVe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Wirthlin 
 
La Greffière : Fretz Perrin