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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_290/2021  
 
 
Arrêt du 25 novembre 2021  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Hohl, Présidente, Kiss et May Canellas. 
Greffière : Mme Godat Zimmermann. 
 
Participants à la procédure 
A.________ Sàrl, 
représentée par Me Charles Poupon, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________, 
représenté par Me Hubert Theurillat, avocat, 
intimé. 
 
Objet 
contrat de travail; résiliation; assurance chômage française, 
 
recours contre l'arrêt rendu le 16 avril 2021 par la 
Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura (CC4 / 2021). 
 
 
Faits :  
 
A.  
B.________ a été engagé par A.________ Sàrl en qualité de chef de projet à compter du 3 octobre 2016. Son salaire horaire brut s'élevait à 47 fr.50 pour le travail effectué à l'extérieur et à 38 fr. pour le travail à l'intérieur. 
L'employé a été licencié oralement à fin décembre 2017; l'employeuse a confirmé la résiliation par écrit le 24 janvier 2018. 
 
B.  
 
B.a. Le 7 septembre 2018, B.________ a agi contre A.________ Sàrl en paiement de 51'401 fr. plus intérêts, le capital correspondant à la différence entre le salaire versé et celui qu'il aurait dû percevoir pour la période du 3 octobre 2016 au 31 mars 2018.  
L'employeuse a conclu au rejet de la demande, estimant que l'employé avait été engagé sur appel du 13 février 2017 jusqu'en décembre 2017 et que l'intégralité du salaire dû lui avait été versée. 
Par jugement du 28 octobre 2020, le Conseil des prud'hommes du Tribunal de première instance de Porrentruy a condamné l'employeuse à verser à l'employé la somme de 10'037 fr.95. Il a retenu en substance que le contrat ne pouvait se terminer que le 31 mars 2018, en raison du délai de résiliation applicable, et que le salaire était dû jusqu'à cette date. L'employeuse était encore redevable de 52'829 fr.35, déduction faite du salaire qu'elle avait déjà payé. Il y avait lieu d'en retrancher la somme de 42'791 fr.40 versée par Pôle emploi à l'employé, puisque ce dernier ne pouvait percevoir davantage que le montant de son salaire. 
 
B.b. L'employé a interjeté appel contre ce jugement en reprenant les conclusions de sa demande.  
Par arrêt du 16 avril 2021, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura a admis l'appel et condamné l'employeuse à verser à l'employé la somme de 51'401 fr. avec intérêts à 5% dès le 1 er avril 2018. Ses motifs seront évoqués dans les considérants en droit du présent arrêt.  
 
C.  
A.________ Sàrl interjette un recours en matière civile. Elle conclut principalement au déboutement de l'employé de toutes ses conclusions, subsidiairement à l'annulation de l'arrêt cantonal et au renvoi de la cause à l'instance précédente pour qu'elle statue à nouveau dans le sens des considérants. 
Dans sa réponse, B.________ conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. Par la suite, il déposera spontanément des " observations finales ". 
La cour cantonale se réfère pour l'essentiel aux considérants de son arrêt, en proposant le rejet du recours. 
Par ordonnance du 23 juillet 2021, la Présidente de la cour de céans a rejeté la demande d'effet suspensif présentée par la recourante. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur le principe, notamment celles afférentes à la valeur litigieuse minimale de 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF) et au délai de recours (art. 100 al. 1 LTF). 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière civile peut être exercé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes. Il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui (ATF 142 III 364 consid. 2.4; 140 III 86 consid. 2, 115 consid. 2; 137 III 580 consid. 1.3). L'art. 42 al. 2 LTF exige par ailleurs que le recourant discute les motifs de la décision entreprise et indique précisément en quoi il considère que l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 142 I 99 consid. 1.7.1; 142 III 364 consid. 2.4; 140 III 86 consid. 2). Une exigence de motivation accrue prévaut pour la violation des droits constitutionnels tels que la prohibition de l'arbitraire : le principe d'allégation ancré à l'art. 106 al. 2 LTF impose au recourant d'indiquer quel droit constitutionnel a été violé en expliquant de façon circonstanciée en quoi consiste la violation (ATF 134 II 244 consid. 2.2; 133 II 396 consid. 3.2).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). " Manifestement inexactes " signifie ici " arbitraires " (ATF 143 I 310 consid. 2.2; 141 IV 249 consid. 1.3.1; 140 III 115 consid. 2; 135 III 397 consid. 1.5). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
Conformément au principe d'allégation, la partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références). 
Concernant l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral n'intervient du chef de l'art. 9 Cst. que si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 140 III 264 consid. 2.3; 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2). L'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution serait concevable, voire préférable (ATF 144 III 145 consid. 2). 
 
3.  
Le litige porte essentiellement sur la question de savoir si les montants perçus par l'employé de l'assurance chômage française doivent être imputés sur les salaires que l'employeuse lui doit encore. 
 
3.1. Dans son raisonnement, la cour cantonale a adopté deux perspectives qui ont convergé vers une seule et même conclusion.  
Elle a tout d'abord examiné l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681), lequel prévoit que les parties contractantes appliquent le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (RS 0.831.109.268.1). Selon l'art. 11 al. 1 du règlement n° 883/2004, les personnes auxquelles il s'applique ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre. En matière de chômage, l'art. 11 al. 3 du règlement n° 883/2004 prévoit que la personne qui bénéficie de prestations de chômage conformément aux dispositions de l'art. 65, en vertu de la législation de l'État membre de résidence, est soumise à la législation de cet État membre. La compétence de l'État de résidence en matière de chômage " complet " ressort également de la convention d'assurance-chômage entre la Confédération suisse et la République française (RS 0.837.934.91). Selon la cour cantonale, l'employé est ainsi soumis exclusivement à la législation française en matière de chômage et la subrogation légale prévue à l'art. 29 al. 2 et à l'art. 54 LACI ne trouve pas application. 
L'autorité précédente a ensuite examiné dans quelle mesure la perception des indemnités de chômage en France était compatible avec l'obligation de l'employé de réduire son dommage (art. 44 CO). A cet égard, elle a constaté que la nature exacte des indemnités perçues en France n'était pas établie : s'apparentaient-elles à des allocations d'aide au retour à l'emploi ? le cas échéant, elles se cumulaient au salaire; s'agissait-il d'indemnités d'une autre nature ? elles auraient alors été perçues indûment, dans la mesure où l'employeuse avait été condamnée à verser à l'employé son salaire pour toute la durée contractuelle, et seraient sujettes à remboursement (par référence aux art. L5426-8-1 à L5426-8-3 du Code du travail français). Ainsi, le problème de compatibilité ne se posait pas en ces termes, respectivement il ne se posait point. 
 
3.2. Dans un premier grief, la recourante s'emploie à démontrer que la cour cantonale a méconnu l'ALCP : en substance, les indemnités de chômage de l'employé seraient régies par le droit suisse et non par le droit français, de sorte que les art. 29 et 54 LACI auraient vocation à s'appliquer.  
La recourante fait fausse route. L'employé a touché des indemnités de l'assurance chômage française. Savoir si celle-ci était bel et bien compétente n'est pas déterminant. Dans les faits, c'est elle et non l'assurance chômage suisse qui est intervenue. Et la recourante ne soutient pas, à juste titre, que les art. 29 et 54 LACI viseraient tout à la fois les caisses de chômage suisse et étrangère. Tel n'est selon toute évidence pas le cas. Ce grief est donc mal fondé. 
 
3.3. Dans un second grief, la recourante fait valoir que l'employé a abusé de son droit en réclamant en justice le versement d'un arriéré de salaire, alors qu'il avait touché des indemnités de Pôle emploi. A la suivre, les juges jurassiens auraient méconnu cet aspect.  
Rien n'indique que la recourante ait tenté de faire échec à la créance de l'employé en lui opposant l'abus de droit devant la cour cantonale. Le Tribunal fédéral ne voit donc guère pourquoi cette dernière aurait dû se saisir de cette question. Et il n'est plus l'heure, au stade du recours en matière civile, de soulever cet argument. D'ailleurs, le fait d'agir contre l'employeur pour obtenir le versement de salaires impayés et de recourir aux prestations de l'assurance chômage n'a rien d'illégal, à tout le moins en droit suisse. La recourante ne prend pas la peine d'expliquer ce qu'il en est en droit français. Un abus de droit n'est dès lors pas concevable. 
La recourante évoque encore l'art. 324 al. 2 CO que la cour cantonale aurait également méconnu. Cela étant, l'employeuse aurait-elle empêché par sa faute l'exécution du travail ou se serait-elle trouvée en demeure de l'accepter pour d'autres motifs, comme cet article le présuppose ? On ne le discerne pas au travers de la simple citation de cette disposition dans le mémoire de recours. 
Ces griefs ne peuvent être qu'écartés, pour autant qu'ils soient recevables. 
 
4.  
La recourante soulève plusieurs griefs en relation avec la quotité de la prétention salariale de l'employé, qu'elle avait contestée à titre subsidiaire, c'est-à-dire - si l'on saisit bien - pour le cas où les indemnités versées par Pôle emploi n'étaient pas déduites. 
 
4.1. La cour cantonale a considéré qu'un seul point faisait l'objet d'une contestation suffisante de l'employeuse : il tenait à la recevabilité de la pièce 24 produite par l'employé pour établir le nombre d'heures travaillées d'octobre 2016 à décembre 2017. Cette pièce avait certes été produite tardivement au sens de l'art. 229 al. 1 et 2 CPC; les chiffres qu'elle contenait ressortaient toutefois des moyens de preuve déjà produits (i.e. la pièce 9 produite par l'employeuse); ils étaient simplement rassemblés sous forme de tabelles. L'employé leur avait appliqué soit le tarif d'heures " internes ", soit le tarif d'heures " externes " ou d'heures supplémentaires; ces tarifs ressortaient du contrat de travail produit par l'employeuse (pièce 3). La pièce 24 ne contenait donc pas de nova. Et les griefs de l'employeuse relatifs à la recevabilité de cette pièce devaient ainsi être rejetés.  
 
4.2. La recourante se plaint d'une constatation arbitraire des faits, mais on ne voit guère de quel fait il s'agirait. Elle estime être victime d'une violation du droit à la preuve : selon ses explications, elle aurait reçu " un volumineux bordereau de pièces justificatives " la veille de l'audience de plaidoiries finales, le 27 octobre 2020. Le Tribunal fédéral ne sait rien de ce volumineux bordereau. Dans l'arrêt attaqué, il est simplement question de la pièce 24. La recourante se plaint d'une transgression de l'art. 229 CPC, mais on n'en discerne pas les contours. Selon la recourante, l'employé aurait développé une argumentation complètement différente en plaidoirie finale en prétendant à un salaire horaire et non plus à un salaire mensuel fixe. Toujours est-il que la cour cantonale a observé que le fait pour l'employé d'avoir changé son fusil d'épaule ne permettait pas pour autant de retenir que la pièce 24 constituait un moyen de preuve nouveau invoqué tardivement. Il n'y a rien à reprocher à cette argumentation.  
De l'avis de la recourante, enfin, l'employé n'aurait jamais allégué le complexe de faits à la base de la nouvelle argumentation qu'il a développée dans sa plaidoirie finale. De quel fait s'agit-il ? Le mémoire de recours ne l'indique pas et cette carence coupe court au grief de la recourante, lequel sera écarté, à l'instar des précédents. 
 
5.  
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable. 
La recourante prendra à sa charge les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et versera à l'intimé une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'500 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura. 
 
 
Lausanne, le 25 novembre 2021 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Hohl 
 
La Greffière : Godat Zimmermann