Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_348/2024
Arrêt du 26 août 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix, Haag, Müller et Merz.
Greffier : M. Parmelin.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Marc Bonnant, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de la Confédération.
Objet
Entraide judiciaire internationale en matière pénale à la Russie; séquestre,
recours contre l'arrêt de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral du 29 mai 2024 (RR.2023.195).
Faits :
A.
Aa. Le 24 septembre 2016, le Département général d'instruction près la Direction générale de l'Intérieur du Ministère de l'Intérieur de Russie pour la ville de Moscou a sollicité l'entraide des autorités helvétiques dans la cadre de la procédure pénale ouverte du chef d'escroquerie à l'encontre de A.________. Il demandait la transmission d'informations sur les comptes bancaires ouverts au nom du prévenu ou dont celui-ci est l'ayant droit économique ainsi que le blocage des avoirs déposés.
Le 20 mars 2017, le Ministère public de la Confédération est entré en matière sur la demande d'entraide russe. Le lendemain, il a ordonné le séquestre des avoirs déposés sur la relation bancaire n° xxx ouverte au nom de A.________ auprès de la Banque B.________, à Genève, ainsi que sur plusieurs autres comptes aux noms de sociétés dont il est l'ayant droit économique ouverts auprès de divers établissements bancaires suisses. Ultérieurement, il a levé partiellement le séquestre ordonné sur le compte bancaire n° xxx et réduit le montant saisi à 432'000 dollars américains, correspondant au dommage prétendument subi par les parties civiles constituées dans la procédure pénale russe.
À la suite de cette levée partielle du séquestre, A.________ a retiré la somme de 1'022'263 dollars américains sur son compte.
Ab. Le 4 juillet 2019, le Ministère public de la Confédération a classé la procédure pénale interne concernant le même complexe de faits qu'il menait depuis le 26 août 2011 des chefs d'escroquerie et d'abus de confiance. Cette procédure avait été ouverte à la suite d'une information du Bureau de communication en matière de blanchiment (MROS) faisant part de soupçons de blanchiment d'argent en lien avec une vaste fraude internationale de
trading forex au préjudice de clients russes et panaméens. Le 4 juillet 2019, le Ministère public de la Confédération a levé les séquestres prononcés en août 2011 dans la procédure pénale nationale, dont celui sur les avoirs de la relation bancaire n° xxx.
Ac. Le 2 novembre 2023, A.________ a requis la levée du séquestre sur son compte auprès de la Banque B.________.
Le Ministère public de la Confédération a rejeté la requête en date du 23 novembre 2023.
Par arrêt du 29 mai 2024, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral a rejeté le recours déposé contre cette décision par A.________.
B.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral principalement d'annuler cet arrêt et de lever immédiatement le séquestre portant sur l'intégralité des valeurs patrimoniales logées sur la relation bancaire n° xxx ouverte en son nom auprès de la Banque B.________. Il conclut à titre subsidiaire à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral pour nouvelle décision au sens des considérants.
L'Office fédéral de la justice et le Ministère public de la Confédération concluent sous suite de frais principalement à l'irrecevabilité du recours et subsidiairement à son rejet.
Le recourant a répliqué.
Considérant en droit :
1.
Selon l'art. 84 LTF, le recours en matière de droit public est recevable à l'encontre d'un arrêt du Tribunal pénal fédéral en matière d'entraide judiciaire internationale si celui-ci a, comme en l'espèce, pour objet une saisie et s'il concerne un cas particulièrement important (al. 1). Un cas est particulièrement important notamment lorsqu'il y a des raisons de supposer que la procédure à l'étranger viole des principes fondamentaux ou comporte d'autres vices graves (al. 2). Ces motifs d'entrée en matière ne sont toutefois pas exhaustifs et le Tribunal fédéral peut être appelé à intervenir lorsqu'il s'agit de trancher une question juridique de principe, quand il s'agit d'examiner une question qui ne s'était jamais posée précédemment ou lorsque l'instance précédente s'est écartée de la jurisprudence suivie jusque-là (ATF 142 IV 250 consid. 1.3). En vertu de l'art. 42 al. 2 LTF, il incombe à la partie recourante de démontrer que les conditions d'entrée en matière posées à l'art. 84 LTF sont réunies (ATF 139 IV 294 consid. 1.1). En particulier, il ne suffit pas d'invoquer des violations des droits fondamentaux de procédure pour justifier l'entrée en matière; seule une violation importante, suffisamment détaillée et crédible, peut conduire, le cas échéant, à considérer que la condition de recevabilité posée à l'art. 84 al. 2 LTF est réalisée (ATF 145 IV 99 consid. 1.5).
2.
En matière de séquestre, la jurisprudence admet que l'importance des montants saisis ou la durée de la mesure peut justifier une entrée en matière. Est alors déterminant non pas le produit des infractions poursuivies, mais les montants séquestrés en Suisse à la demande de l'autorité étrangère, en raison de l'importance de l'atteinte au droit de propriété (arrêt 1C_239/2014 du 18 août 2014 consid. 1). Dans cette affaire, la Cour de céans était entrée en matière sur le recours car le séquestre portait sur plusieurs centaines de millions de dollars et durait depuis quelque treize années (consid. 1.1). Dans le cas particulier, le séquestre porte sur une somme résiduelle de 432'400 dollars américains en soi insuffisante à faire de la présente espèce un cas important. Il en va de même si l'on prend uniquement en compte la durée du séquestre ordonné en exécution de la demande d'entraide qui se chiffre à un peu plus de six ans (cf. arrêt 1C_543/2023 du 7 mars 2024 consid. 5.2 destiné à la publication). La situation pourrait s'apprécier différemment s'il fallait, comme le soutient le recourant, également tenir compte de la durée du séquestre, ascendant à six ans, prononcé en Suisse dans le même complexe de faits. Au stade de la recevabilité, cela suffit pour justifier une entrée en matière.
3.
3.1. La Cour de céans ne s'est pas encore prononcée de manière claire sur la question de savoir s'il convenait de prendre ou non en considération la durée du séquestre prononcé préalablement dans la procédure pénale nationale lors de l'appréciation de la proportionnalité du séquestre ordonné par la voie de l'entraide judiciaire. Dans l'arrêt 1C_543/2023 du 7 mars 2024 consid. 5.2 destiné à la publication, la proportionnalité a été examinée au regard du séquestre ordonné par la voie de l'entraide judiciaire uniquement. Il a en revanche été tenu compte de la durée du séquestre ordonné dans un premier temps dans la procédure pénale nationale lors de l'appréciation de la proportionnalité du séquestre dans la cause ayant donné lieu à l'arrêt 1C_540/2023 du 2 février 2024 (consid. 5.2).
La doctrine ne se prononce pas davantage sur ce point. Or, une mesure de blocage ou de séquestre des fonds porte une atteinte identique à la propriété de leur détenteur, qu'elle soit ordonnée dans une procédure nationale ou en exécution d'une demande d'entraide judiciaire. Au vu de la suite du raisonnement (consid. 3.3), il n'est pas nécessaire de déterminer dans quelle mesure il y aurait lieu de tenir aussi compte de la durée du séquestre prononcé dans la procédure nationale pour apprécier la proportionnalité de la mesure de contrainte.
3.2. Le détenteur des fonds séquestrés peut faire valoir que l'atteinte à la garantie de la propriété qui résulte du maintien de la saisie n'est plus proportionnée (art. 26 al. 1 Cst. en relation avec l'art. 36 al. 3 Cst.). Un séquestre peut apparaître disproportionné lorsqu'il s'éternise sans motif suffisant ou lorsque l'autorité chargée de l'instruction pénale ne mène pas celle-ci avec une célérité suffisante (cf. ATF 132 I 229 consid. 11.6; arrêt 1C_152/2018 du 18 juin 2018 consid. 6.1). Le maintien d'un séquestre en application de l'art. 33a OEIMP (RS 351.11) suppose que l'on puisse raisonnablement compter avec une remise future des avoirs saisis en vertu de l'art. 74a EIMP (RS 351.1; ATF 126 II 462 consid. 5e; arrêt 1A.222/1999 du 4 novembre 1999 consid. 2c). Dans la pratique du Tribunal fédéral, la conduite favorable de la procédure pénale dans l'État requérant est également importante, en plus de la durée absolue de la saisie (cf. ATF 126 II 462 consid. 5e; arrêts 1C_239/2014 du 18 août 2014 consid. 3.3.2 et 1A.222/1999 du 4 novembre 1999 consid. 2e). Dans le cadre de l'entraide judiciaire, la jurisprudence souligne l'intérêt de la Suisse à ne pas devenir un refuge pour les capitaux en fuite ou les fonds criminels (ATF 123 II 595 consid. 5a).
Dans l'appréciation de la proportionnalité de la durée d'un séquestre ordonné en application de l'art. 18 EIMP, l'intérêt privé des titulaires de biens séquestrés doit être mis en balance non seulement avec l'intérêt de l'État requérant à recueillir les preuves nécessaires à sa procédure pénale ou à obtenir la remise de valeurs en vue de confiscation ou de restitution, mais aussi avec le devoir de la Suisse de s'acquitter de ses obligations internationales. S'agissant d'une procédure administrative ouverte à la requête d'un État étranger, la pratique se montre ainsi plus tolérante s'agissant de la durée des séquestres qu'en matière de procédure pénale. La règle est que les objets et valeurs dont la remise est subordonnée à une décision définitive et exécutoire dans l'État requérant au sens de l'art. 74a al. 3 EIMP demeurent saisis jusqu'à réception de la décision étrangère ou jusqu'à ce que l'É tat requérant fasse savoir à l'autorité d'exécution qu'une telle décision ne peut plus être rendue selon son propre droit, notamment à raison de la prescription (art. 33a OEIMP; ATF 149 IV 144 consid. 2.6).
3.3. Dans le cas particulier, la Cour des plaintes a considéré que le séquestre n'était pas disproportionné au regard de la pratique en matière d'entraide judiciaire, même en tenant compte de la durée du séquestre prononcé dans la procédure pénale nationale. Elle cite entre autres à ce propos l'arrêt 1C_543/2023 du 7 mars 2024 où la Cour de céans a jugé, dans une affaire concernant également la Russie, qu'un séquestre d'avoirs bancaires ordonné par la voie de l'entraide judiciaire il y a plus de huit ans ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de leur détenteur (consid. 5.2 destiné à la publication) ainsi qu'un arrêt concernant une entraide judiciaire avec le Brésil où le séquestre avait été jugé également non disproportionné en raison de la complexité particulière de la cause bien qu'ayant duré vingt-deux ans jusqu'à la décision de première instance sur le sort des valeurs patrimoniales (cf. arrêt 1C_540/2023 du 2 février 2024 consid. 5.2; voir aussi les cas cités par ROBERT ZIMMERMANN, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, 2019, p. 795, où n'ont pas été jugés disproportionnés des séquestres se prolongeant durant trois, cinq, sept, huit, dix, onze, douze, treize, quatorze, dix-sept et dix-huit ans).
Le recourant est prévenu en Russie dans le cadre d'une escroquerie à grande échelle avec des ramifications dans différents pays, dont la Suisse, propres à rendre plus compliqué l'avancement de la procédure. La Cour des plaintes a par ailleurs relevé que l'État requérant n'avait pas retiré sa demande et avait manifesté, en janvier 2023 et 2024, son intérêt à la mesure d'entraide et qu'aucun élément ne permettait de dire que la procédure russe n'était pas activement poursuivie ni que la prescription de l'action pénale serait atteinte, en dépit des explications du recourant. Le fait que l'entraide judiciaire avec la Fédération de Russie soit suspendue depuis un peu plus de deux ans et jusqu'à nouvel ordre en raison du conflit armé qui oppose ce pays à l'Ukraine ne permet pas encore, à ce jour, de considérer qu'une remise ultérieure des fonds en exécution d'un éventuel jugement de condamnation et de confiscation ne sera pas possible. On ne saurait affirmer en l'état que la situation actuelle va se prolonger sans aucune perspective d'évolution et qu'une confiscation des avoirs séquestrés et leur restitution ultérieure à la Russie en vue de leur allocation aux lésés qui se sont constitués parties civiles ne pourra pas intervenir dans un délai raisonnable. Le montant séquestré, réduit en cours de procédure d'entraide à 432'400 dollars américains, est relativement modeste au regard d'autres affaires ayant justifié l'entrée en matière. Le recourant ne prétend enfin pas que le refus de lever le séquestre le placerait dans une situation financière délicate ou intolérable, ce qui paraît peu plausible dès lors qu'il a retiré de son compte une somme de 1'022'263 dollars américains après la levée partielle du séquestre.
En définitive, étant donné ces circonstances, il convient de constater que la durée du séquestre reste en l'état encore proportionnée, ce qui conduit à rejeter le recours. La Cour des plaintes s'en est au surplus tenue à la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 149 IV 144 consid. 2.6; arrêt 1C_543/2023 du 7 mars 2024 consid. 5.2 destiné à la publication) en rappelant les conditions à respecter pour que la mesure de séquestre respecte le principe de la proportionnalité (cf. considérant 3.6 de l'arrêt attaqué).
4.
Le recours est rejeté. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant, qui succombe.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de la Confédération, à la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral et à l'Office fédéral de la justice, Unité Entraide judiciaire.
Lausanne, le 26 août 2024
Au nom de la I re Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
Le Greffier : Parmelin