Tribunale federale
Tribunal federal
2A.245/2003/DAC/elo
{T 0/2}
Arrêt du 26 novembre 2003
IIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges Wurzburger, Président,
Hungerbühler, Müller, Yersin et Merkli.
Greffière: Mme Dupraz.
Parties
X.________, recourant,
contre
Département fédéral de justice et police, 3003 Berne.
Objet
Exception aux mesures de limitation,
recours de droit administratif contre la décision du Département fédéral de justice et police du 25 avril 2003.
Faits:
A.
Ressortissant yougoslave (du Kosovo) né le 6 mars 1965, X.________ est arrivé en Suisse le 6 février 1988. Depuis lors, il a travaillé de façon irrégulière (à la demande) comme maçon dans une entreprise de construction, sans autorisation de séjour ni de travail. Au début de l'année 2002, il s'est annoncé aux autorités compétentes en matière de police des étrangers et a été entendu le 22 février 2002 par le Service de l'état civil et des habitants du canton du Jura (ci-après: le Service cantonal). Il a notamment déclaré qu'il était divorcé et qu'il avait deux enfants, nés en 1990 et 1991, qui étaient élevés au Kosovo par leurs grands-parents paternels. Il a effectué le 28 février 2002 les formalité inhérentes à une déclaration d'arrivée en Suisse.
B.
En raison du séjour et du travail illégaux de X.________, le Service cantonal a dénoncé, le 13 mars 2002, l'intéressé, son employeur et son frère, Y.________, qui l'hébergeait, pour infractions à la loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE; RS 142.20). En conséquence, X.________ a été condamné, le 17 juin 2002, à dix jours d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans et à une amende de 2'000 fr.
C.
Le 18 mars 2002, le Département de l'économie et de la coopération du canton du Jura (ci-après: le Département cantonal) a demandé à l'Office fédéral des étrangers, actuellement l'Office fédéral de l'immigration, de l'intégration et de l'émigration, (ci-après: l'Office fédéral) d'exempter X.________ des mesures de limitation du nombre des étrangers afin qu'il puisse recevoir une autorisation de séjour en application de l'art. 13 lettre f de l'ordonnance du 6 octobre 1986 limitant le nombre des étrangers (OLE; RS 823.21) et de la circulaire émise le 21 décembre 2001 par l'Office fédéral et par l'Office fédéral des réfugiés.
Par décision du 26 août 2002, l'Office fédéral a refusé de mettre X.________ au bénéfice d'une exception aux mesures de limitation au sens de l'art. 13 lettre f OLE. Il a notamment relevé que la durée des séjours en Suisse de l'intéressé n'était pas pertinente dans la mesure où ces séjours avaient été interrompus par des voyages au Kosovo et où ils étaient illégaux. De plus, X.________ ne pouvait pas se prévaloir d'une intégration professionnelle ou sociale exceptionnelle. En outre, l'intéressé n'avait pas créé des liens spécialement étroits avec la Suisse alors qu'il avait conservé des attaches importantes avec le Kosovo, pays où vivaient ses enfants et ses parents.
D.
Le 25 avril 2003, le Département fédéral de justice et police (ci-après: le Département fédéral) a rejeté le recours de X.________ contre la décision de l'Office fédéral du 26 août 2002 et confirmé l'assujettissement de l'intéressé aux mesures de limitation. Il a repris, en la développant, l'argumentation de l'Office fédéral. Comme X.________ alléguait avoir séjourné "une quinzaine d'années" en Suisse, le Département fédéral a rappelé que les séjours illégaux en Suisse n'étaient pas pris en compte dans l'examen d'un cas de rigueur.
E.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, X.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler la décision du Département fédéral du 25 avril 2003 et de le mettre au bénéfice d'une exception aux mesures de limitation au sens de l'art. 13 lettre f OLE. Il prétend vivre en Suisse depuis quelque quinze ans et soutient que son employeur aurait demandé deux fois (en 1993 et en 2001) des autorisations de séjour saisonnières en sa faveur. Il invoque sa bonne intégration professionnelle et sociale. Il fait valoir les changements intervenus au Kosovo depuis son départ et déclare être plus utile à ses enfants s'il reste en Suisse d'où il peut leur envoyer de quoi subvenir à leurs besoins qu'en rentrant dans sa patrie où il n'est pas sûr de trouver du travail. Il se prévaut de ce que le Département cantonal ait demandé à l'Office fédéral de l'exempter des mesures de limitation en vertu de l'art. 13 lettre f OLE afin qu'il puisse recevoir une autorisation de séjour.
Le Département fédéral conclut au rejet du recours.
F.
Le 28 juillet 2003, le Service cantonal a produit son dossier.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
La voie du recours de droit administratif est ouverte contre les décisions relatives à l'assujettissement aux mesures de limitation prévues par l'ordonnance limitant le nombre des étrangers (ATF 122 II 403 consid. 1 p. 404/405; 119 lb 33 consid. 1a p. 35). Le seul fait qu'un étranger séjourne illégalement en Suisse n'empêche pas l'intéressé de recourir à l'autorité de céans contre une décision de refus du Département fédéral en matière d'exemption des mesures de limitation au sens de l'art. 13 lettre f OLE. Par conséquent, déposé en temps utile et dans les formes prescrites par la loi, le présent recours est en principe recevable en vertu des art. 97 ss OJ.
2.
Saisi d'un recours de droit administratif dirigé contre une décision qui n'émane pas d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral revoit, le cas échéant d'office, les constatations de fait ( art. 104 lettre b et 105 al. 1 OJ ). Sur le plan juridique, il vérifie d'office l'application du droit fédéral qui englobe en particulier les droits constitutionnels des citoyens (ATF 129 II 183 consid. 3.4 p. 188) - en examinant notamment s'il y a eu excès ou abus du pouvoir d'appréciation (art. 104 lettre a OJ) -, sans être lié par les motifs invoqués par les parties (art. 114 al. 1 in fine OJ). En revanche, il ne peut pas revoir l'opportunité de la décision attaquée, le droit fédéral ne prévoyant pas un tel examen dans ce domaine (art. 104 lettre c ch. 3 OJ).
En matière de police des étrangers, lorsque la décision entreprise n'émane pas d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral fonde en principe ses jugements, formellement et matériellement, sur l'état de fait et de droit existant au moment de sa propre décision (ATF 124 II 361 consid. 2a p. 365; 122 II 1 consid. 1b p. 4).
3.
Les mesures de limitation visent, en premier lieu, à assurer un rapport équilibré entre l'effectif de la population suisse et celui de la population étrangère résidante, ainsi qu'à améliorer la structure du marché du travail et à assurer un équilibre optimal en matière d'emploi (art. 1er lettres a et c OLE). L'art. 13 lettre f OLE soustrait aux mesures de limitation "les étrangers qui obtiennent une autorisation de séjour dans un cas personnel d'extrême gravité ou en raison de considérations de politique générale". Cette disposition a pour but de faciliter la présence en Suisse d'étrangers qui, en principe, seraient comptés dans les nombres maximums fixés par le Conseil fédéral, mais pour lesquels cet assujettissement paraîtrait trop rigoureux par rapport aux circonstances particulières de leur cas ou pas souhaitable du point de vue politique.
II découle de la formulation de l'art. 13 lettre f OLE que cette disposition dérogatoire présente un caractère exceptionnel et que les conditions auxquelles la reconnaissance d'un cas de rigueur est soumise doivent être appréciées restrictivement. II est nécessaire que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Cela signifie que ses conditions de vie et d'existence, comparées à celles applicables à la moyenne des étrangers, doivent être mises en cause de manière accrue, c'est-à-dire que le refus de soustraire l'intéressé aux restrictions des nombres maximums comporte pour lui de graves conséquences. Lors de l'appréciation d'un cas personnel d'extrême gravité, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances du cas particulier. La reconnaissance d'un cas personnel d'extrême gravité n'implique pas forcément que la présence de l'étranger en Suisse constitue l'unique moyen pour échapper à une situation de détresse. Par ailleurs, le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu'il s'y soit bien intégré, socialement et professionnellement, et que son comportement n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas personnel d'extrême gravité; il faut encore que la relation du requérant avec la Suisse soit si étroite qu'on ne puisse pas exiger qu'il aille vivre dans un autre pays, notamment dans son pays d'origine. A cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage que le requérant a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exemption des mesures de limitation du nombre des étrangers (ATF 128 II 200 consid. 4 p. 207/208 et la jurisprudence citée).
Le Tribunal fédéral a précisé que les séjours illégaux en Suisse n'étaient pas pris en compte dans l'examen d'un cas de rigueur (arrêt 2A.166/2001 du 21 juin 2001, consid. 2b/bb). La longue durée d'un séjour en Suisse n'est pas, à elle seule, un élément constitutif d'un cas personnel d'extrême gravité dans la mesure où ce séjour est illégal. Sinon, l'obstination à violer la législation en vigueur serait en quelque sorte récompensée. Dès lors, il appartient à l'autorité compétente d'examiner si l'intéressé se trouve pour d'autres raisons dans un état de détresse justifiant de l'excepter des mesures de limitation du nombre des étrangers. Pour cela, il y a lieu de se fonder sur les relations familiales de l'intéressé en Suisse et dans sa patrie, sur son état de santé, sur sa situation professionnelle, sur son intégration sociale, etc. Il convient aussi de prendre en compte le retard des autorités à décider du sort de la demande d'asile du requérant (ATF 124 II 110 consid. 3 p. 113) ou leur laxisme lorsqu'elles ont négligé d'exécuter une décision prononçant le renvoi de Suisse de l'intéressé.
4.
4.1 Le recourant invoque la durée de son séjour en Suisse (environ quinze ans) et sa bonne intégration dans ce pays.
L'intéressé est arrivé en Suisse en février 1988 et n'a pas tardé à exercer une activité lucrative, sans toutefois disposer d'autorisations de séjour ni de travail. Pendant quatorze ans, il a séjourné et travaillé en Suisse dans l'illégalité. Puis, ne supportant plus de vivre dans la clandestinité, il a pris contact avec les autorités compétentes en matière de police des étrangers et a annoncé officiellement son arrivée le 28 février 2002. Depuis lors, il jouit d'une simple tolérance, ce qu'on ne saurait assimiler à un séjour régulier. Compte tenu de la jurisprudence rappelée ci-dessus (consid. 3), la durée du séjour en Suisse du recourant ne peut être considérée comme déterminante, dans l'application de l'art. 13 lettre f OLE. Au demeurant, il est sans importance que l'employeur de l'intéressé ait demandé à deux reprises des autorisations de séjour saisonnières en sa faveur, requêtes dont il n'existe d'ailleurs pas de trace au dossier. Du moment qu'aucune autorisation de séjour n'a été délivrée, le recourant a vécu illégalement en Suisse. En outre, si l'intégration professionnelle de l'intéressé est bonne, elle n'apparaît pas exceptionnelle. De plus, même s'il a noué des liens avec la population locale - ce qui est normal en une quinzaine d'années - et s'il a un frère en Suisse, la relation du recourant avec ce pays n'apparaît pas spécialement étroite. En revanche, l'intéressé a gardé des attaches importantes avec sa patrie où vivent notamment ses enfants et ses parents et où il est d'ailleurs retourné à plusieurs reprises. Force est de considérer qu'il pourrait s'y réintégrer sans trop de difficultés, d'autant plus qu'il y a vécu jusqu'à son départ pour la Suisse.
4.2 L'art. 13 lettre f OLE n'a pas pour but de soustraire le requérant aux conditions de vie de son pays d'origine. On ne saurait ainsi tenir compte des circonstances générales (économiques, sociales, sanitaires) affectant l'ensemble de la population restée sur place auxquelles le requérant sera également exposé à son retour, sauf s'il invoque d'importantes difficultés concrètes propres à son cas particulier (ATF 123 II 125 consid. 5b/dd p. 133). Tel n'est pas le cas en l'espèce. En particulier, le fait que le recourant n'est pas certain de trouver dans sa patrie un travail qui lui permette de subvenir aux besoins de ses enfants, comme c'est le cas actuellement, ne suffit pas à transformer sa situation en un cas de rigueur.
4.3 Que le Département cantonal se soit déclaré favorable à l'octroi d'une autorisation de séjour au recourant n'est d'aucun secours à ce dernier. En effet, aux termes des art. 52 lettre a et 53 al. 2 OLE , ce sont les autorités fédérales qui sont compétentes pour se prononcer sur une exception aux mesures de limitation fondée sur l'art. 13 lettre f OLE et elles ne sont pas liées par le préavis cantonal, même si l'autorité cantonale compétente est disposée à accorder une autorisation de séjour (ATF 119 Ib 33 consid. 3a p. 39).
4.4 Dans ces conditions, le Département fédéral n'a pas violé le droit fédéral en confirmant que la situation du recourant n'est pas constitutive d'un cas personnel d'extrême gravité au sens de l'art. 13 lettre f OLE.
5.
Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté.
Succombant, le recourant doit supporter les frais judiciaires ( art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ ) et n'a pas droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 1'500 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant, au Département fédéral de justice et police et au Service de l'état civil et des habitants du canton du Jura.
Lausanne, le 26 novembre 2003
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: