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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_349/2024  
 
 
Arrêt du 26 novembre 2024  
 
Ire Cour de droit pénal  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux 
Jacquemoud-Rossari, Présidente, 
Denys et Muschietti. 
Greffière : Mme Dolivo. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Hüsnü Yilmaz, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD, 
intimé. 
 
Objet 
Empêchement d'accomplir un acte officiel, 
 
recours contre le jugement de la Cour d'appel 
pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 12 décembre 2023 (n° 450 PE21.006071-PCR). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 10 juillet 2023, le Tribunal de police de l'arrondissement de La Côte a libéré A.________ du chef de prévention d'insoumission à une décision de l'autorité et l'a condamnée pour empêchement d'accomplir un acte officiel à une peine pécuniaire de 10 jours-amende à 30 fr. le jour, sous déduction de 2 jours de détention avant jugement, avec sursis durant deux ans. Il a aussi rejeté les conclusions de la prénommée tendant à l'allocation d'une indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP et a mis les frais de procédure, par 1'450 fr., à sa charge. 
 
B.  
Par jugement du 12 décembre 2023, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté l'appel formé par A.________ de même que l'appel joint du ministère public. Les frais d'appel, par 1'940 fr., ont été mis pour moitié (soit 970 fr.) à la charge de A.________ (le solde étant laissé à la charge de l'État) et une indemnité réduite de 1'025 fr. 85 lui a été allouée pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits en procédure d'appel, à la charge de l'État, dite indemnité étant compensée avec les frais de procédure mis à sa charge en première et en deuxième instance. 
Ce jugement repose en substance sur les faits suivants.  
 
B.a. À la fin du mois de mars 2021, la Police cantonale vaudoise a reçu la mission de procéder à l'exécution d'une décision de la Présidente du Tribunal civil de l'arrondissement de La Côte ordonnant l'évacuation d'une zone à défendre (ZAD) qui s'était installée sur U.________, située sur les communes de V.________ et de W.________. L'évacuation des occupants a débuté le 30 mars 2021. Dès 7h40 et durant toute la journée, la police a répété les injonctions demandant de quitter le secteur occupé illégalement. Elle a ensuite procédé à l'interpellation des personnes ayant refusé de quitter les lieux, parmi lesquelles A.________, qui était arrivée sur place dans le courant de l'après-midi. Celle-ci a été arrêtée à 16h30 et emmenée par les forces de l'ordre vers la zone d'identification, sans opposer de résistance active.  
 
B.b. L'ordonnance pénale du 29 mars 2022, tenant ici lieu d'acte d'accusation (art. 356 al. 1, 2e phrase CPP), retient qu'à W.________/V.________, sur U.________, à tout le moins le 30 mars 2021, A.________:  
 
- a refusé de donner suite, dans le délai imparti, à l'injonction de la police de quitter les bâtiments et les parcelles y attenantes, malgré l'ordre d'évacuation de la Présidente du Tribunal civil de l'arrondissement de La Côte du 24 février 2021, décision exécutoire et assortie de la menace de la peine d'amende prévue par l'art. 292 CP
- a résisté à son évacuation des bâtiments et des parcelles y attenantes et a fortement gêné l'intervention de la police chargée de procéder à l'évacuation. Elle a finalement été interpellée à 16h30. À ce moment-là, elle a refusé de collaborer mais a adopté une attitude passive. 
 
C.  
A.________ exerce un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Elle conclut principalement à l'annulation du jugement cantonal et à sa réforme, en ce sens qu'elle est libérée du chef d'empêchement d'accomplir un acte officiel, la cause devant au surplus être renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur le sort des frais et dépens des instances cantonales. À titre subsidiaire, elle demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour instruction et nouvelle décision. Elle sollicite aussi d'être dispensée de l'avance de frais, requête qu'elle a par la suite retirée. 
Invités à se déterminer, le ministère public et la cour cantonale ont chacun renoncé à se déterminer et se sont référés aux considérants du jugement attaqué. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Faisant valoir une violation de l'art. 286 CP, la recourante conteste sa condamnation pour empêchement d'accomplir un acte officiel, exposant en substance avoir été présente sur les lieux de manière purement pacifique et n'avoir opposé aucune résistance aux forces de l'ordre. 
Elle fait valoir que l'attitude " oppositionnelle " mentionnée dans le jugement cantonal consistait à rester face aux policiers, discuter avec eux et marquer sa présence, ce qui n'était pas constitutif de l'infraction précitée. Lors de son arrestation, elle n'avait ni été traînée au sol, ni transportée, ni forcée à marcher par les policiers, qui l'avaient amenée de manière douce à la zone d'identification. Elle n'avait ni pris la fuite, ni fait d'obstruction physique, ni gêné le passage des forces de l'ordre ou empêché l'accès à une zone. Ni le rapport d'investigation, ni le témoignage au dossier ne permettaient de retenir le contraire. 
 
2.  
En vertu de l'art. 286 CP (dans sa teneur au vigueur au moment des faits), celui qui aura empêché une autorité, un membre d'une autorité ou un fonctionnaire d'accomplir un acte entrant dans ses fonctions sera puni d'une peine pécuniaire de 30 jours-amende au plus. 
Sur le plan objectif, il faut que l'auteur, par son comportement, entrave l'autorité ou le fonctionnaire dans l'accomplissement d'un acte officiel. Il ne suffit pas qu'il se borne à ne pas obtempérer à un ordre qui lui est donné (ATF 133 IV 97 consid. 4.2; 127 IV 115 consid. 2; 120 IV 136 consid. 2a) ou à exprimer son désaccord à l'endroit d'un acte entrepris par un fonctionnaire, mais sans l'entraver (ATF 105 IV 48 consid. 3). Il n'est en revanche pas nécessaire que l'auteur parvienne à éviter effectivement l'accomplissement de l'acte officiel; il suffit qu'il le rende plus difficile, l'entrave ou le diffère (ATF 133 IV 97 consid. 4.2; 127 IV 115 consid. 2; 124 IV 127 consid. 3a; arrêt 6B_702/2023 du 13 mai 2024 consid. 7.1 et les références). L'infraction se distingue tant de celle prévue à l'art. 285 CP, en ce que l'auteur ne recourt ni à la violence ni à la menace, que de celle visée à l'art. 292 CP, car une simple désobéissance ne suffit pas (arrêt 6B_89/2019 du 17 mai 2019 consid. 1.1.1). 
Le comportement incriminé suppose une résistance qui implique une certaine activité (ATF 133 IV 97 consid. 4.2; 127 IV 115 consid. 2 et les références). Il peut s'agir d'une obstruction physique: l'auteur, par sa personne ou un objet qu'il dispose à cette fin, empêche ou gêne le passage du fonctionnaire pour lui rendre plus difficile l'accès à une chose (cf. par exemple arrêt 6B_89/2019 du 17 mai 2019 consid. 1.1.1 et 1.4). On peut aussi penser à celui qui, en restant fermement à sa place, ne se laisse pas ou difficilement emmener (arrêts 6B_702/2023 précité consid. 7.2 et 7.3; 6B_145/2021 du 3 janvier 2022 consid. 2.1), à celui qui prend la fuite (ATF 120 IV 136 consid. 2a), à celui qui oppose une résistance physique lors de son arrestation, en s'agrippant à d'autres personnes en formation " tortue ", puis en faisant le mort (arrêt 6B_1486/2022 du 5 février 2024 consid. 6.2 et 6.3), à celui qui agite les bras dans tous les sens pour s'opposer à une interpellation (arrêt 6B_672/2011 du 30 décembre 2011 consid. 3.3), à celui qui se débat physiquement contre des agents de police qui le conduisent à bord d'un avion pour exécuter son renvoi (arrêt 6B_1260/2021 du 1er juillet 2022 consid. 2.3.1), à celui qui garde fermement les mains dans ses poches, alors que les gendarmes tentent de les lui faire sortir, de telle sorte que ceux-ci doivent faire usage de la force pour lui passer les menottes (arrêt 6B_333/2011 du 27 octobre 2011 consid. 2.2.2), ou encore à celui qui impose sa présence dans une salle pour empêcher une autorité d'y tenir séance (ATF 107 IV 113 consid. 4; arrêt 6B_145/2021 précité consid. 2.1). 
Si la jurisprudence semble admettre que l'infraction puisse être réalisée par omission, à savoir par un comportement purement passif, elle n'envisage cette possibilité que pour autant que l'auteur ait omis par sa faute l'accomplissement d'un acte, qu'il était juridiquement tenu d'accomplir en vertu d'une position de garant impliquant de favoriser un acte officiel, et que son omission ait été causale (ATF 133 IV 97 consid. 4.2 et 4.3; 120 IV 136 consid. 2b; arrêt 6B_333/2011 précité consid. 2.2.1 in fine).  
 
3.  
Se fondant sur le rapport de constat d'infraction établi par la Police cantonale, la cour cantonale a retenu que la recourante avait été appréhendée seule sur le " terrain ZAD ", sur le passage entre la gravière et le tripod. La police indiquait que son attitude était " passive " et " oppositionnelle ". À teneur du rapport d'investigation, elle n'avait pas donné suite aux injonctions de la police, avait été interpellée à 16h30 au coeur de la ZAD, avait refusé de collaborer tout en conservant une attitude passive et avait été emmenée par les premiers intervenants jusqu'à la zone d'identification. Le témoin B.________ avait confirmé que son interpellation avait eu lieu sur le site de la ZAD. Sur la base de ces éléments, la cour cantonale a retenu que la recourante se trouvait dans une zone soumise à évacuation lorsqu'elle a été interpellée, ce qu'elle ne pouvait pas ignorer puisqu'il s'agissait de la raison de sa présence sur les lieux. Si elle n'avait effectivement pas opposé une résistance active lors de son arrestation, il n'en demeurait pas moins qu'elle n'avait pas collaboré, refusant de partir et attendant de se faire arrêter par les policiers. 
L'autorité cantonale a au surplus considéré que l'intéressée invoquait en vain sa liberté de manifester pacifiquement, puisqu'il ressortait de son attitude face à la police qu'elle avait voulu démontrer sa solidarité avec les " zadistes " en se faisant arrêter. C'était du reste ce que les journalistes présents sur les lieux avaient eux-mêmes compris et rapporté dans l'article dont elle se prévalait (" A.________, parmi les derniers sur la colline, cherche à se faire arrêter ", " l'activiste A.________ veut se faire arrêter par la police. Elle se tient debout devant les forces de l'ordre mais rien ne se passe "). La recourante ne le contredisait pas (" si l'hypothèse des journalistes est juste, l'appelante réussit à se faire interpeller, interpellation qui est une manifestation de solidarité avec les Zadistes arrêtés et interpellés "). Il ne s'agissait en outre pas de manifester sur la voie publique, mais dans un lieu privé, alors qu'elle savait que l'évacuation de ce lieu avait été ordonnée et qu'elle s'y rendait pour protester contre l'activité de la police. 
En définitive, la cour cantonale a jugé qu'en choisissant de se faire interpeller par la police, la recourante avait intentionnellement rendu la tâche des forces de l'ordre plus compliquée en ajoutant une arrestation supplémentaire à toutes celles que la police gérait déjà. Le fait qu'elle n'avait pas opposé de résistance active à son arrestation n'y changeait rien, car il s'agirait d'une infraction à l'art. 285 CP dans le cas contraire. Les policiers avaient dû l'emmener sur la zone d'identification alors qu'elle refusait de quitter les lieux, ce qui suffisait pour retenir qu'elle avait rendu leur tâche plus difficile, partant, pour la condamner pour empêchement d'accomplir un acte officiel. 
 
4.  
Une telle motivation ne résiste pas à l'examen. On cherche en vain dans l'état de fait cantonal quel acte imputé à la recourante aurait "fortement gêné l'intervention de la police", comme semblent pourtant le retenir les juges précédents en reprenant les termes de l'ordonnance pénale. S'il est constant que la recourante se trouvait sur les lieux soumis à évacuation, il n'est pas constaté qu'elle aurait par exemple empêché ou gêné le passage des policiers, ou entravé de toute autre manière les actes officiels qu'ils devaient accomplir. Il n'en va pas différemment s'agissant des circonstances dans lesquelles s'est déroulée son interpellation, puisqu'il est établi qu'elle n'a opposé aucune résistance active aux forces de l'ordre. Comme le relève la recourante, il n'est en particulier pas constaté qu'elle se serait laissée difficilement emmener. La mention dans le rapport de police d'une attitude non seulement passive, mais aussi "oppositionnelle", est à elle seule insuffisamment précise pour permettre de comprendre quel comportement concret lui serait reproché. 
Dans un tel contexte, le fait que la recourante ait refusé de quitter les lieux de son propre gré ensuite des injonctions de la police et attendu que celle-ci l'interpelle pour le faire - fût-ce dans le but de manifester son soutien aux "zadistes" - relève d'un simple refus d'obtempérer, comportement que l'art. 286 CP n'incrimine pas (cf. supra consid. 2). Contrairement aux considérations de l'autorité cantonale, la circonstance que la police devait déjà procéder à de nombreuses autres arrestations ce jour-là n'y change rien. Enfin, l'hypothèse permettant, selon les circonstances, de retenir la réalisation de cette infraction en présence d'un comportement purement passif (cf. supra consid. 2 in fine) n'est pas réalisée, la recourante n'occupant pas une position de garant.  
En définitive, la condamnation de la recourante pour empêchement d'accomplir un acte officiel contrevient à l'art. 286 CP, ce qui scelle le sort du recours, sans qu'il n'y ait lieu d'examiner les autres griefs qui y sont soulevés. 
 
5.  
Vu ce qui précède, le recours est admis, le jugement entrepris est réformé en ce sens que la recourante est acquittée (art. 107 al. 2 LTF). La cause est renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle statue à nouveau sur les frais et dépens cantonaux. La recourante, qui obtient gain de cause, ne supporte pas de frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et a droit à des dépens pour la procédure fédérale, à la charge du canton de Vaud (art. 68 al. 1 LTF). Le canton de Vaud est dispensé de frais (art. 66 al. 4 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, le jugement attaqué est réformé en ce sens que la recourante est acquittée. La cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision sur les frais et indemnités de la procédure cantonale. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
Le canton de Vaud versera à la recourante une indemnité de 3'000 fr. pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 26 novembre 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jacquemoud-Rossari 
 
La Greffière : Dolivo