Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4P.313/2005 /ech
Arrêt du 27 février 2006
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.
Parties
A.________,
recourante, représentée par Me Soli Pardo,
contre
B.________,
intimée, représentée par Me Antoine Herren,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
droit d'être entendu; appréciation arbitraire des preuves; application arbitraire du droit fédéral,
recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 14 octobre 2005.
Faits:
A.
B.________ exploite une bijouterie à Genève. Le 15 février 2002, elle a vendu à A.________ une bague en or blanc sertie d'un saphir avec entourage de brillants. Le prix convenu était de 7'500 fr., payable par versements successifs; la remise du bijou ne devait intervenir qu'une fois tous les acomptes payés. La venderesse a affirmé que la valeur de la bague pouvait être estimée à 12'000 fr. De février 2002 à novembre 2003, A.________ a effectué des versements pour un montant total de 6'500 fr.
En août 2003, à l'occasion d'une soirée, B.________ a confié provisoirement la bague à l'acheteuse. Lorsque celle-ci a rapporté le bijou, l'une des griffes était cassée; la bijoutière a alors fait procéder à sa réparation.
En novembre 2003, la venderesse a remis le bijou à A.________.
En janvier 2004, l'acheteuse s'est rendue à l'office de prêts sur gage, dans l'idée d'y déposer la bague afin de pouvoir acquitter le solde du prix. Les responsables de l'office lui ont indiqué que le bijou avait une valeur certainement inférieure aux 12'000 fr. articulés par la venderesse. Comme une pierre était tombée, l'acheteuse a fait procéder à une première expertise en février 2004; X.________, bijoutiers-joailliers, ont estimé la valeur de la bague à 9'000 fr. A.________ s'est ensuite adressée à la bijouterie Y.________, qui a estimé le coût de la réparation à 1'000 fr., la valeur d'assurance à 9'000 fr. et la «valeur réelle» à environ 3'000 fr.
Le 9 mars 2004, A.________ a informé B.________ de son intention d'invalider la vente et d'obtenir la restitution des acomptes versés avant le 20 mars 2004. Elle s'est plainte d'une mauvaise qualité des griffes. La venderesse a refusé d'entrer en matière, considérant que, même si le défaut était avéré, l'avis était tardif.
B.
Le 24 août 2004, B.________ a assigné A.________ en paiement du solde du prix de vente, soit 1'000 fr., avec intérêts à 5% l'an dès le 11 juin 2004.
A.________ s'est opposée à l'action et a demandé reconventionnellement la restitution des acomptes versés, soit 6'500 fr., avec intérêts à 5% l'an dès le 1er juillet 2003, tout en tenant la bague litigieuse à la disposition de la partie adverse.
Par jugement du 21 avril 2005, le Tribunal de première instance du canton de Genève a condamné A.________ à verser à B.________ la somme de 1'000 fr., avec intérêts à 5% l'an dès le 11 juin 2004; il a rejeté la demande reconventionnelle.
Par arrêt du 14 octobre 2005, la Chambre civile de la Cour de justice a rejeté l'appel formé par la défenderesse et demanderesse reconventionnelle.
C.
A.________ exerce un recours de droit public. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal.
B.________ propose le rejet du recours.
Pour sa part, la cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Le recours de droit public est ouvert contre une décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ). En l'occurrence, la recourante invoque la violation de son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.) ainsi qu'une appréciation arbitraire des faits et le refus arbitraire de soumettre le contrat litigieux à la loi fédérale sur le crédit à la consommation (LCC; RS 221.214.1) (art. 9 Cst.). Le principe de la subsidiarité du recours de droit public est respecté (art. 84 al. OJ), y compris en ce qui concerne l'application du droit civil fédéral dès lors que la valeur litigieuse est inférieure à 8'000 fr. (cf. art. 43 al. 1 et art. 46 OJ ).
Par ailleurs, l'arrêt attaqué a été rendu en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ).
La recourante est personnellement touchée par la décision attaquée, qui la déboute de ses conclusions libératoires et reconventionnelles. Elle a un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette décision n'ait pas été adoptée en violation de ses droits constitutionnels; en conséquence, la qualité pour recourir doit lui être reconnue (art. 88 OJ).
Au surplus, le recours a été interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ).
1.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 26 consid. 2.1. p. 31, 258 consid. 1.3 p. 261/262; 129 I 113 consid. 2.1 p. 120).
Dans un tel recours, les moyens de fait ou de droit nouveaux sont prohibés (ATF 124 I 208 consid. 4b p. 212). Le Tribunal fédéral se fonde sur l'état de fait tel qu'il a été retenu dans la décision attaquée, à moins que le recourant n'établisse que l'autorité cantonale a retenu ou, au contraire, ignoré de manière insoutenable des faits déterminants pour l'issue du litige (ATF 118 Ia 20 consid. 5a p. 26).
2.
Invoquant l'art. 29 al. 2 Cst., la recourante se plaint tout d'abord d'une violation de son droit d'être entendue sur deux points. Premièrement, la cour cantonale ne se serait pas prononcée sur le grief selon lequel le Tribunal de première instance aurait méconnu l'art. 8 CC en retenant un fait non allégué par l'intimée, soit la gratuité du crédit. En second lieu, la motivation de l'arrêt attaqué serait lacunaire, les juges genevois se bornant à relever l'absence de tout «coût supplémentaire» lié à la vente. Or, après avoir constaté la nullité du premier contrat, la juridiction cantonale aurait dû expliquer pourquoi l'intimée ne devait pas restituer à la recourante les acomptes avec intérêts, conformément aux art. 62 ss CO.
2.1 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. le devoir pour l'autorité de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Pour répondre à ces exigences, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision; il n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les arguments invoqués par les parties. Il n'y a violation du droit d'être entendu que si l'autorité ne satisfait pas à son devoir minimum d'examiner et de traiter les problèmes pertinents (ATF 130 II 530 consid. 4.3 p. 540; 129 I 232 consid. 3.2 p. 236; 126 I 97 consid. 2b p. 102 et les arrêts cités).
2.2 Sur le premier point soulevé par la recourante, la cour cantonale a jugé que le Tribunal de première instance n'avait pas violé la loi en admettant que le prix convenu par les parties, soit 7'500 fr., correspondait au prix de vente sur lequel la venderesse se fondait pour réclamer le solde de 1'000 fr. et qu'il ne comportait aucun coût supplémentaire. A cet égard, il convient de rappeler le déroulement de la procédure. Devant le juge de première instance, l'intimée a allégué que la bague avait été vendue pour le prix de 7'500 fr., que l'acheteuse avait reçu le bijou et qu'il restait un solde de 1'000 fr. à régler. Dans sa réponse, la recourante, qui reconnaissait ces faits, a précisé qu'à l'origine, le prix devait être entièrement payé par versements successifs avant la livraison de la bague; par la suite, les parties ont «changé d'avis» en ce sens que l'acheteuse est entrée en possession du bijou en novembre 2003, avant le règlement complet du prix. Sur cette base, le Tribunal de première instance a admis que les parties avaient tout d'abord conclu une vente avec paiements préalables, puis une vente à crédit, lorsqu'elles ont changé d'avis. Le premier contrat était nul dès lors qu'il ne revêtait pas la forme écrite (art. 227a al. 2 CO). En revanche, le second contrat était valable, car le crédit qu'il comportait était gratuit, ce qui excluait l'application de la LCC (art. 7 al. 1 let. c LCC).
La recourante ne conteste pas que les parties ont d'abord conclu une vente avec paiements préalables, nulle, suivie d'une vente à crédit. Le crédit consiste dans le fait que l'acheteuse a reçu la bague tandis que la venderesse devait attendre le solde du prix de vente. Le prix de vente total de la bague - 7'500 fr. - n'a toutefois pas varié. Ainsi, au moment où les parties ont changé d'avis en décidant que la bague serait remise à l'acheteuse avant le paiement intégral du prix, l'intimée a accordé un crédit gratuit à la recourante puisqu'elle n'a pas demandé à être rémunérée pour le fait de ne pas obtenir immédiatement le paiement du solde. Dans ces conditions, la constatation du caractère gratuit du crédit apparaît comme une déduction logique fondée sur les explications concordantes des parties. En constatant que le prix total était resté fixé à 7'500 fr. et qu'aucun coût supplémentaire n'était lié au crédit, la cour cantonale a traité la question pertinente en l'espèce de sorte qu'aucune violation du droit d'être entendu ne saurait lui être imputée.
2.3 Sur le deuxième point, la cour cantonale a écarté, faute de «démonstration procédurale», la théorie selon laquelle l'intimée aurait placé les montants des paiements préalables sur un compte bancaire et en aurait retiré des intérêts à décompter du solde du prix de vente. Ainsi, selon l'arrêt attaqué, la recourante n'a pas allégué en temps utile, ni prouvé que la venderesse aurait perçu des intérêts. Cette motivation est amplement suffisante au regard de l'art. 29 al. 2 Cst. de sorte que, là également, le moyen tiré d'une violation du droit d'être entendu est mal fondé.
3.
La recourante se plaint ensuite d'une appréciation arbitraire des faits. A son sens, les juges genevois ont admis de manière insoutenable que la transaction ne comportait aucun coût supplémentaire et qu'ainsi le crédit était gratuit. En effet, dès lors que le contrat du 15 février 2002 était nul, l'intimée aurait dû restituer à la recourante le montant des paiements préalables effectués, plus les intérêts sur cette somme. Par conséquent, en réclamant, après la remise de la bague, le solde de 1'000 fr. sans imputer lesdits intérêts, la venderesse aurait bel et bien accordé un crédit onéreux à l'acheteuse puisqu'elle recevrait en définitive un montant plus important que le prix convenu. La constatation insoutenable du caractère gratuit du crédit aurait conduit la cour cantonale à appliquer la LCC de manière arbitraire, en refusant de soumettre le second contrat à cette loi sur la base de l'art. 7 al. 1 let. c LCC et en ne retenant pas la nullité de la convention en question, conformément aux art. 9 et 15 al. 1 LCC .
3.1 Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 131 I 57 consid. 2 p. 61; 128 I 273 consid. 2.1 p. 275 et les arrêts cités). En matière d'appréciation des preuves, il y a arbitraire lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur le sens et la portée d'un tel élément, ou encore lorsqu'elle tire des constatations insoutenables des éléments recueillis (ATF 129 I 8 consid. 2.1; 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4a). Il appartient au recourant de démontrer, par une argumentation précise, en quoi la décision incriminée est arbitraire (ATF 130 I 258 consid. 1.3; 129 I 113 consid. 2.1; 125 I 71 consid. 1c p. 76).
3.2 Toute l'argumentation de la recourante repose sur le fait que le crédit n'aurait pas été gratuit, la rémunération de l'intimée consistant dans les intérêts qu'elle aurait perçus sur les montants versés à titre de paiements préalables.
Comme déjà relevé, la cour cantonale a retenu que l'acheteuse n'avait pas allégué en temps utile, ni prouvé la perception d'intérêts par la venderesse. La recourante n'explique pas en quoi la Chambre civile aurait versé dans l'arbitraire à ce sujet. En particulier, elle n'indique aucun fait régulièrement établi en procédure qui démontrerait que l'intimée a perçu des intérêts sur les versements effectués à titre de paiements préalables.
Pour le surplus, dans la mesure où il est démontré que le montant total du prix de vente a toujours été de 7'500 fr., ce que la recourante ne conteste pas, la cour cantonale pouvait sans arbitraire en déduire qu'en remettant la bague à la recourante avant le paiement intégral du prix convenu, l'intimée lui avait accordé un crédit gratuit et, par conséquent, que la LCC ne s'appliquait pas.
Le grief tiré d'une violation de l'art. 9 Cst. ne peut être que rejeté.
4.
Sur le vu de ce qui précède, tous les moyens de la recourante sont mal fondés de sorte que le recours sera rejeté.
5.
La recourante, qui succombe, prendra à sa charge les frais de la procédure (art. 156 al. 1 OJ). En outre, elle versera des dépens à l'intimée (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 27 février 2006
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière: