Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4C.426/2005 /ech
Arrêt du 28 février 2006
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, président, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Aubry Girardin.
Parties
X.________ S.A.,
défenderesse et recourante, représentée par Me Anne Troillet Maxwell,
contre
A.________,
demanderesse et intimée, représentée par Me Serge Calame.
Objet
contrat de travail; solde de bonus
(recours en réforme contre l'arrêt de la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève
du 7 novembre 2005).
Faits:
A.
X.________ S.A. est une société de droit français dont le siège est à Paris et qui est active dans la fourniture de services de nature financière.
Le 21 mai 1997, X.________ S.A. a engagé A.________ en qualité de sales-trader avec lieu de travail à Paris.
Dans le courant de l'année 2001, X.________ S.A. a transféré l'ensemble de ses activités de sales-trading sur options à Genève.
Le 18 décembre 2001, les parties ont signé un avenant au contrat de travail du 21 mai 2001 (recte: 1997) destiné à définir les conditions de la mutation de A.________ à Genève. La rémunération annuelle globale brute prévue se composait d'une rémunération annuelle fixe, d'un bonus annuel individualisé versé l'année suivant sa période de calcul, ainsi que d'une participation et d'un intéressement définis dans les accords d'entreprise (art. 6.1 de l'avenant). La rémunération globale brute devait être égale au 22,5 % du chiffre d'affaires individuel réalisé chaque année (art. 6.2.1). Selon l'avenant, la rémunération fixe annuelle due à A.________ se montait à CHF 112'400 brut, payables en douze mensualités (art. 6.2.2 de l'avenant). Le bonus annuel individualisé devait être égal à la différence entre la rémunération globale brute de 22,5 % du chiffre d'affaires de l'employée et la somme de sa rémunération annuelle fixe brute, perçue durant l'exercice considéré, ainsi que de la participation et de l'intéressement légal dus pour ce même exercice (cf. art. 6.2.3 de l'avenant). Il était prévu que le bonus annuel individualisé serait versé en deux mensualités l'année suivant sa période de calcul, la première correspondant à 70% du bonus total avec la paie du mois de février et la seconde mensualité s'élevant à 30 % du bonus total avec la paie du mois de septembre. Il était expressément stipulé que : "Chacun de ces deux versements est expressément conditionné à votre présence effective et hors préavis au sein de notre société aux dates de paiement susmentionnées" (art. 6.2.3 in fine de l'avenant). Selon l'article 8 de l'avenant, les employés mutés à Genève avaient également droit à une "indemnité de vie" s'élevant à 50'000 € pour un célibataire ou un couple avec un enfant à charge, destinée à compenser les différences de niveau de vie entre Paris et Genève et à faciliter leur intégration. En cas de départ volontaire ou de licenciement pour faute grave ou lourde avant le 31 janvier 2003, l'indemnité de vie devait être entièrement remboursée. Passée cette date, l'indemnité était "versée et acquise définitivement par quart le dernier mois de chaque trimestre" (art. 8.3.2), ce versement ne s'appliquant que pendant le temps du détachement de l'employé au sein de l'implantation de Genève. Enfin, sous réserve d'exceptions ne concernant pas les conséquences d'un congé donné par l'employé, l'avenant prévoyait l'application du droit suisse.
A.________ a travaillé à Genève dès le mois de juin 2002. Elle a résilié son contrat de travail la liant à X.________ S.A. le 5 mars 2004 et les rapports contractuels entre les parties ont pris fin le 8 mai 2004.
Jusqu'à cette date, A.________ a régulièrement perçu son salaire de base et, à la fin du mois de mars 2004, le quart de l'indemnité de vie convenue. En février 2004, le montant de 195'113,47 fr. lui a également été versé. Il correspondait au 70 % de son bonus individuel afférent à 2003, qui s'élevait à 278'733,52 fr. au total.
B.
Le 19 novembre 2004, A.________ a déposé une demande en paiement auprès de la Juridiction des prud'hommes du canton de Genève à l'encontre de X.________ S.A. Elle a réclamé à son ancien employeur 83'620,05 fr. à titre de solde de bonus 2003 et 15'490 fr. à titre d'indemnité de vie pour les mois d'avril et mai 2004, avec intérêt à 5 % l'an dès le 16 octobre 2004.
Par jugement du 20 avril 2005, le Tribunal des prud'hommes a condamné X.________ S.A. à verser à A.________ la somme brute de 83'620,05 fr. à titre de solde de bonus et 9'881,50 fr. à titre d'indemnité de vie d'avril au 8 mai 2004, ces deux montants portant intérêt à 5 % l'an dès le 16 octobre 2004.
Statuant sur appel de X.________ S.A., la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes a, par arrêt du 7 novembre 2005, confirmé le jugement du 20 avril 2005.
C.
Contre l'arrêt du 7 novembre 2005, X.________ S.A. (la défenderesse) interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut principalement à la réforme de l'arrêt attaqué dans le sens que A.________ soit déboutée de toutes ses conclusions. A titre subsidiaire, elle requiert le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue dans le sens des considérants du Tribunal fédéral.
A.________ (la demanderesse) propose le rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Interjeté par la défenderesse qui a succombé dans ses conclusions libératoires et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ), le recours porte sur une contestation civile (cf. ATF 129 III 415 consid. 2.1) dont la valeur litigieuse dépasse largement le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ). Il est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).
2.
La cause revêt des aspects internationaux, notamment parce que la défenderesse a son siège en France, de sorte que le Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, doit vérifier d'office et avec un plein pouvoir d'examen le droit applicable (ATF 131 III 153 consid. 3). Il ressort de l'avenant que, sous réserve d'exceptions ne concernant pas le cas d'espèce, les parties ont expressément choisi d'appliquer le droit suisse. C'est donc à juste titre que les autorités cantonales ont examiné la cause en regard de la législation suisse (cf. art. 116 LDIP), ce qui n'est du reste pas contesté.
3.
3.1 La défenderesse soutient en substance que la cour cantonale a violé le droit fédéral en refusant de reconnaître la possibilité de soumettre le paiement d'une partie du salaire dû à la demanderesse à la condition de sa présence effective dans la société et hors préavis à la date du paiement. Elle y voit une violation de la liberté conférée aux parties par l'art. 322 CO.
3.2 Les prétentions litigieuses consistent d'une part en un montant de 9'881,50 fr. alloué à la demanderesse à titre d'indemnité de vie, calculé pro rata temporis pour la période du 1er avril au 8 mai 2004 et, d'autre part, en une somme de 83'620,05 fr. correspondant au solde du bonus 2003. Comme ces indemnités n'ont a priori pas la même nature et que l'avenant ne soumet pas leur versement aux mêmes conditions, il convient d'examiner de façon distincte si la cour cantonale pouvait, sans violer le droit fédéral, allouer à la demanderesse pro rata temporis jusqu'à l'échéance de son contrat une indemnité de vie (cf. infra consid. 4) et un bonus (cf. infra consid. 5).
4.
Selon l'art. 8 de l'avenant, l'indemnité de vie, qui s'élève à 50'000 € pour un célibataire ou un couple avec un enfant à charge, a pour but de compenser les différences de niveau de vie entre Paris et Genève et de faciliter l'intégration de l'employé, en contribuant à couvrir notamment ses frais de logement, d'éducation et de garde des enfants, de même que ses déplacements privés. Cette indemnité a ainsi l'apparence d'une indemnité forfaitaire à titre de remboursement des frais au sens de l'art. 327a al. 2 CO (cf. ATF 131 III 439 consid. 4 p. 441 s.). Compte tenu du montant alloué, on peut toutefois se demander s'il ne s'agit pas en réalité d'un élément déguisé du salaire (cf. Wyler, Droit du travail, Berne 2002, p. 213). Cette question peut toutefois demeurer indécise, dès lors que, de toute manière, dans les deux hypothèses, la demanderesse peut en exiger le paiement pro rata temporis jusqu'à la fin de son contrat. En effet, l'art. 8.4 de l'avenant mentionne que l'indemnité est versée pendant toute la durée du détachement de l'employée à Genève. En revanche, rien ni dans l'art. 8 de l'avenant reproduit dans l'arrêt attaqué, ni dans les faits constatés par la cour cantonale, d'une manière qui lie le Tribunal fédéral en instance de réforme (art. 63 al. 2 OJ), ne permet d'en inférer que, sous réserve de la période antérieure au 31 janvier 2003 qui ne concerne pas le cas d'espèce, l'indemnité de vie ne serait pas allouée si l'employé quittait l'entreprise avant les échéances trimestrielles prévues. Celles-ci apparaissent dès lors comme de simples modalités de paiement. La défenderesse affirme l'inverse en mentionnant l'art. 8.3 de l'avenant, mais sans expliquer sur quel élément de cette disposition elle se fonde. Dans ces circonstances, il faut admettre qu'en cas de départ d'un employé entre deux échéances, celui-ci a droit à l'indemnité de vie calculée pro rata temporis, cette prétention devenant exigible, conformément à l'art. 339 al. 1 CO, au moment de la fin du contrat. C'est donc à bon droit que les juges cantonaux ont alloué à la demanderesse la part proportionnelle de son indemnité de vie du 1er avril 2004 jusqu'au 8 mai 2004.
Quant au montant de 9'881,50 fr. alloué à ce titre, il ne sera pas revu, dès lors que la défenderesse ne le remet pas en cause (art. 55 al. 1 let. b et c OJ).
5.
Contrairement à l'indemnité de vie, l'avenant soumet expressément, à son article 6.2.3, le versement du bonus annuel dont les échéances ont été fixées en février et en septembre de l'année suivant la période de référence à la condition de "votre présence effective et hors préavis au sein de notre société aux dates de paiement susmentionnées". La licéité d'une telle condition suppose, dans un premier temps, de qualifier ce bonus sur le plan juridique.
5.1 Le droit suisse ne contient aucune disposition qui définisse et traite de façon spécifique du bonus (Portmann, Die Arbeitsbedigungen der Bankangestellten, in Aktuelle Fragen des Bank- und Finanzmarktrechts, Zurich 2004, p. 581 ss, 587; Meier, Rechtsprobleme zum Bonus im Arbeitsverhältnis, ArbR 2001, p. 61 ss, 64; Vögeli Galli/Hehli Hidber, Bonuszahlungen: Möglichkeiten und Risiken, RSJ 2001 p. 445 ss, 446). Selon ses caractéristiques, le bonus sera considéré soit comme une gratification au sens de l'art. 322d CO, soit comme un élément du salaire (art. 322 CO), pouvant revêtir, selon les cas, la forme d'une participation au résultat de l'exploitation (art. 322a CO) (Portmann, op. cit., p. 587; Vischer, Der Arbeitsvertrag, 3e éd., Bâle 2005, p. 108). Cette qualification est déterminante, car le régime des gratifications est beaucoup plus flexible que les règles applicables aux éléments du salaire. Ainsi, contrairement au salaire, la gratification dépend, au moins partiellement, du bon vouloir de l'employeur. Si elle n'a pas été convenue expressément ou par acte concluant, la gratification est entièrement facultative et, si un versement a été convenu, l'employeur est tenu d'y procéder, mais il jouit d'une certaine liberté dans la fixation du montant à allouer (ATF 131 III 615 consid. 5.2; 129 III 276 consid. 2 p. 278). Il est admis que l'employeur peut, dans les limites de l'art. 27 al. 2 CC (cf. ATF 130 III 495 consid. 5; Vischer, op. cit., p. 105 s.), subordonner le droit à la gratification à des conditions (arrêt du Tribunal fédéral 4C.263/2001 du 22 janvier 2002 consid. 4b in fine), par exemple à la présence du salarié dans l'entreprise lors de son versement ou à l'absence de résiliation du contrat (Aubert, Commentaire romand, N 8 ad art. 323 CO; Wyler, op. cit., p. 121 s.; Rehbinder, Commentaire bernois, N 14 ad art. 322d CO; Vögeli Galli/Hehli Hidber, op. cit., p. 447). De plus, si les rapports de travail ont pris fin avant l'échéance de la gratification, le salarié ne peut prétendre à un montant pro rata temporis que s'il en a été convenu ainsi (cf. art. 322d al. 2 CO).
Selon la jurisprudence, lorsque le bonus alloué atteint régulièrement un montant plus élevé que le salaire, il perd son caractère accessoire, de sorte qu'il ne s'agit pas d'une gratification, mais d'un élément du salaire (cf. ATF 131 III 615 consid. 5.2 p. 621 et 5.3; 129 III 276 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4C.475/2004 du 30 mai 2005, consid. 1.2.3). Tel est le cas du bonus brut annuel réclamé par la demanderesse. Selon l'avenant, ce bonus avait un caractère régulier et devait être versé à échéances fixes. En outre, son montant était nettement plus élevé que le salaire de l'employée. Ainsi, pour une rémunération établie à 112'400 fr. selon le contrat, le bonus pour 2003 représentait 278'733,52 fr. Au surplus, l'art. 6.1 de l'avenant signé par les parties incluait expressément le bonus dans la rémunération annuelle globale brute.
Le bonus auquel prétend la demanderesse apparaît donc comme un élément du salaire, comme l'a reconnu la cour cantonale. La défenderesse ne remet du reste plus en cause cette qualification dans son recours en réforme.
5.2 La question litigieuse se limite ainsi à déterminer si le droit suisse permet de soumettre la naissance du droit au paiement d'un élément du salaire à la condition que l'employé soit toujours présent dans l'entreprise et qu'il n'ait ni reçu ni donné son congé.
5.2.1 Le salaire régi par l'art. 322 al. 1 CO est une prestation en argent versée en contre-partie du travail fourni (ATF 131 III 615 consid. 5.1). Il s'agit d'un élément essentiel du contrat de travail (art. 319 al. 1 CO; Rehbinder, op. cit., N 2 ad art. 322 CO). La fonction même du salaire exclut donc la possibilité pour l'employeur de soumettre la rémunération d'une prestation de travail déjà accomplie à la condition que le salarié soit encore dans l'entreprise (cf. ATF 109 II 447 consid. 5c p. 448) ou qu'il n'ait pas donné ni reçu son congé. Il importe peu qu'en l'espèce l'échéance du bonus ait été différée aux mois de février et septembre de l'année suivant la période de référence, car, lorsque les parties, pour des raisons de convenance, reportent le paiement d'une partie du salaire, il n'y a aucune raison de prévoir, pour cette partie du salaire, des règles plus défavorables au travailleur relatives à la naissance et à l'exigibilité de la créance qui en résulte, que pour le salaire courant (ATF 109 II 447 consid. 5c p. 448).
Le fait que l'art. 322 CO soit de droit dispositif n'y change rien. Certes, le Tribunal fédéral considère que l'art. 322 CO ne tombe pas sous le coup de l'art. 341 al. 1 CO (ATF 124 II 436 consid. 10e/aa p. 451 et les références citées, confirmé récemment in arrêt du Tribunal fédéral 4C.242/2005 du 9 novembre 2005, consid. 4.2; critique : Aubert, op. cit., N 4 ad art. 341 CO), de sorte que les parties peuvent, par un accord, décider de diminuer le salaire en cours de contrat, avant l'échéance du délai légal de congé (arrêts du Tribunal fédéral 4C.242/2005 du 9 novembre 2005, consid. 4.2, et 4C.474/1996 du 18 février 1997 consid. 1 in fine). Ces accords ne valent toutefois que pour le futur et ne peuvent se rapporter à des prestations de travail déjà accomplies. Par conséquent, la défenderesse ne saurait tirer du caractère dispositif de l'art. 322 CO le droit pour l'employeur de soumettre le versement du salaire afférent à un travail déjà fourni à l'exigence que l'employée soit encore dans l'entreprise ou qu'elle n'ait ni reçu ni donné son congé.
La condition figurant dans l'avenant est donc illicite et doit, partant, être considérée comme nulle en tant qu'elle se rapporte à un élément du salaire (cf. art. 20 al. 2 CO). La demanderesse a ainsi droit au versement du solde du bonus se rapportant à l'année 2003, ses prétentions étant devenues exigibles, en vertu de l'art. 339 al. 1 CO, à la fin du contrat. On ne peut donc faire grief aux juges cantonaux d'avoir violé le droit fédéral en condamnant la défenderesse à verser à son ancienne employée le montant de 83'620'05 fr. à titre de solde de bonus 2003.
Le recours doit en conséquence être rejeté.
6.
Comme la valeur litigieuse, selon les prétentions de la demanderesse à l'ouverture de l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b p. 41; 100 II 358 consid. a), dépasse 30'000 fr., la procédure n'est pas gratuite ( art. 343 al. 2 et 3 CO ).
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la charge de la défenderesse, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de la défenderesse.
3.
La défenderesse versera à la demanderesse une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.
Lausanne, le 28 février 2006
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: