Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6S.438/2005 /viz
Arrêt du 28 février 2006
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Kolly et Karlen.
Greffier: M. Oulevey.
Parties
A.A.________,
B.A.________,
recourants,
tous deux représentés par Me Robert Fox, avocat,
contre
Ministère public du canton de Vaud,
case postale, 1014 Lausanne,
X.________ SA, représentée par Me Jean-Luc Chenaux, avocat,
Objet
banqueroute frauduleuse,
pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud
du 27 juillet 2005.
Faits:
A.
Par arrêt du 27 juillet 2005, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a confirmé un jugement du 21 juin 2005 par lequel le Tribunal de police de l'arrondissement de la Côte a condamné A.A.________ et B.A.________ pour banqueroute frauduleuse (art. 163 ch. 1 CP) à trois mois d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans, ainsi qu'au paiement de dépens pénaux à X.________ SA, partie civile.
B.
En résumé, la cour cantonale a retenu les faits suivants:
A.A.________, administratrice unique, et son mari B.A.________, actionnaire principal et directeur opérationnel, appelé à participer à toutes les décisions, géraient conjointement la société Y.________ SA, dont le siège se trouvait à K.________. Le 3 janvier 2001, ils ont donné au juge l'avis prescrit à l'art. 725 al. 2 CO puis, à l'audience du 8 février 2001, demandé l'ajournement de la faillite, en proposant un assainissement sous la forme d'une cession d'entreprise avec actif et passif à la société Z.________ SA, dont B.A.________ était l'administrateur.
Le 13 février 2001, ils ont fait transférer d'un commun accord le solde d'un compte ouvert au nom de Y.________ SA auprès d'une banque de Genève, par 91'837.64 US$, sur un compte ouvert au nom de Z.________ SA auprès d'un établissement bancaire de Rolle.
Par décision rendue le 20 février 2001, le Président du Tribunal d'arrondissement de la Côte a ajourné le prononcé de la faillite et pourvu Y.________ SA d'un curateur chargé d'établir un bilan intermédiaire, de sauvegarder l'intérêt des créanciers, de veiller à ce qu'ils soient traités à égalité et de déposer un rapport sur les possibilités d'assainissement.
Les époux A.________ n'ont pas informé le curateur du virement bancaire intervenu le 13 février 2001. Une partie des fonds transférés à cette occasion a servi à payer le salaire courant de A.A.________ et de quelques autres employés de Y.________ SA, jusqu'à la faillite de cette société, prononcée sur le vu du rapport du curateur le 14 mai 2001. Le solde, toujours disponible, est enregistré dans un compte intitulé "Y.________ SA" dans les livres de Z.________ SA. En revanche, dans la comptabilité de la société Y.________ SA, il n'y a plus eu trace de ces fonds après leur transfert.
C.
A.A.________ et B.A.________ se pourvoient en nullité contre cet arrêt, dont ils demandent l'annulation avec suite de frais et dépens.
Se référant aux considérants de l'arrêt attaqué, le Procureur général du canton de Vaud conclut implicitement au rejet du pourvoi.
X.________ SA conclut au rejet du pourvoi, avec dépens.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le pourvoi en nullité est ouvert uniquement pour se plaindre de fausse application du droit fédéral (art. 269 al. 1 PPF) aux faits retenus par la cour cantonale (art. 277bis al. 1 PPF). Les motifs que le recourant doit développer dans son mémoire, à peine d'irrecevabilité (ATF 126 IV 6 consid. 5.1 et les références), ne peuvent notamment pas consister à remettre en cause les constatations de fait de l'arrêt cantonal ou reposer sur des faits nouveaux (art. 273 al. 1 let. b PPF). Si l'un des moyens du recourant est fondé sur un état de fait différent de celui de la décision attaquée, il ne peut en être tenu compte (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 67; 124 IV 81 consid. 2a p. 83 et les arrêts cités).
Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs que les parties invoquent (art. 277bis al. 2 PPF). Mais il ne peut aller au-delà des conclusions (art. 277bis al. 1 PPF), qui doivent être interprétées à la lumière de leur motivation. Celle-ci circonscrit dès lors les points litigieux que la cour de céans peut examiner (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66 et les arrêts cités).
2.
En premier lieu, les recourants contestent avoir agi dans l'intention de causer un dommage aux créanciers de leur société et, partant, que l'élément subjectif de l'infraction soit réalisé. Mais les arguments qu'ils développent à l'appui de ce grief consistent essentiellement à remettre en cause les constatations de fait de la cour cantonale et à alléguer des faits nouveaux. Le moyen est dès lors irrecevable.
3.
En second lieu, les recourants contestent avoir diminué fictivement l'actif de leur société. Ils soutiennent qu'ils n'ont ni agi fictivement, ni diminué l'actif de Y.________ SA, dès lors qu'ils ont utilisé une partie des fonds pour payer des dettes de celle-ci et que Z.________ SA tient toujours le solde à la disposition de Y.________ SA.
Aux termes de l'art. 163 ch. 1 CP, qui incrimine ces faits sous la qualification de banqueroute frauduleuse, le débiteur qui, de manière à causer un dommage à ses créanciers, aura diminué fictivement son actif, notamment en distrayant ou en dissimulant des valeurs patrimoniales, en invoquant des dettes supposées, en reconnaissant des créances fictives ou en incitant un tiers à les produire, sera, s'il a été déclaré en faillite, puni de la réclusion pour cinq ans au plus ou de l'emprisonnement. Cette disposition est applicable aux organes ou membres des organes, aux collaborateur munis d'un pouvoir de décision indépendant et aux dirigeants effectifs d'une personne morale ayant la qualité de débiteur au sens de l'art. 163 CP (art. 172 CP).
Il y a diminution fictive du patrimoine au sens de l'art. 163 CP lorsque le débiteur met en danger les intérêts de ses créanciers non pas en aliénant des biens sur lesquels ils ne pourront plus exercer directement leur mainmise, mais en les trompant sur la substance ou la valeur de son patrimoine, c'est-à-dire en créant l'apparence que ses biens sont moindres, ou ses dettes plus importantes, qu'ils ne sont en réalité. N'entrent donc pas dans les prévisions de l'art. 163 CP les opérations qui, tel un transfert de propriété ou une cession de créance sans contre-prestation suffisante, entraînent une diminution effective de l'actif du débiteur. Ces actes-là, qui mettent en danger les intérêts des créanciers par une modification véritable de la substance ou de la valeur du patrimoine du débiteur, sont visés par l'art. 164 CP.
En l'espèce, les recourants ont fait transférer 91'837.64 US$ d'un compte bancaire de Y.________ SA sur un compte de Z.________ SA. Ces deux sociétés sont des personnes morales distinctes, dont les actes et les patrimoines ne se confondent pas, même si l'actionnaire principal et directeur de l'une est l'administrateur de l'autre (cf. ATF 117 IV 259 consid. 3 p. 263 ss). S'il est intervenu sans contre-prestation, le virement du 13 février 2001 a donc appauvri Y.________ SA non seulement en apparence, mais aussi en réalité. Aussi, faute de diminution fictive du patrimoine de leur société en difficulté, les recourants ne devaient-ils pas être condamnés pour banqueroute frauduleuse au sens de l'art. 163 CP.
Il est possible, en revanche, qu'ils se soient rendus coupables de diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers (art. 164 CP). La restitution, au demeurant partielle, que Z.________ SA a opérée ultérieurement en payant des dettes de Y.________ SA ne l'exclut pas nécessairement. Comme l'art. 163 CP pour la diminution fictive, l'art. 164 CP n'exige pas que la diminution de patrimoine incriminée ait eu pour résultat de causer un dommage pécuniaire définitif aux créanciers (cf. Bernard Corboz, Les infractions en droit suisse, vol. I, n. 24 ad art. 163 CP p. 458 et n. 24 ad art. 164 CP p. 472; Jörg Rehberg/Niklaus Schmid/Andreas Donatsch, Strafrecht III, Delikte gegen den Einzelnen, 8ème éd., p. 298 s.; Günter Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht, Besonderer Teil I, Straftaten gegen Individualinteressen, 6ème éd., § 23 n. 7 p. 466 et n. 19 p. 470).
4.
En définitive, il convient donc d'admettre le pourvoi, d'annuler l'arrêt entrepris et de renvoyer la cause à la cour cantonale pour nouveau jugement.
Il ne se justifie pas de mettre des frais à la charge de la partie civile. Comme les recourants obtiennent gain de cause, il ne sera dès lors pas perçu de frais de justice (art. 278 al. 2 PPF) et la Caisse du Tribunal fédéral leur versera une indemnité à titre de dépens (art. 278 al. 3 PPF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le pourvoi est admis, l'arrêt entrepris annulé dans la mesure où il rejette le recours en réforme et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouveau jugement sur les moyens de réforme des recourants.
2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.
3.
La Caisse du Tribunal fédéral versera aux recourants une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des recourants et de la partie civile, au Ministère public du canton de Vaud et à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 28 février 2006
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: