Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1B_250/2022
Arrêt du 28 juin 2022
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix et Müller.
Greffière : Mme Tornay Schaller.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Yvan Jeanneret, avocat,
recourant,
contre
Ministère public d u canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
Objet
Détention provisoire; prolongation d'une mesure
de substitution,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 21 avril 2022 (ACPR/265/2022 - P/3130/2020).
Faits :
A.
A.________ est prévenu d'infraction à l'art. 116 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI; RS 142.20), d'escroquerie (art. 146 CP) et de faux dans les titres (art. 251 CP) pour avoir, à plusieurs reprises, depuis une date indéterminée jusqu'au 12 mars 2021, date de son interpellation, de concert avec plusieurs tiers dont notamment son père B.________, mis à disposition de nombreux logements à des locataires en situation illégale dans des appartements à Genève, lesquels appartiennent à des sociétés dont il était administrateur. Il lui est aussi reproché d'avoir, peu avant la vente de deux immeubles, rédigé et signé des contrats de bail fantaisistes au nom de locataires de paille en augmentant de manière importante les loyers, augmentant de la sorte l'état locatif de l'immeuble et par voie de conséquence, le prix de vente de l'objet. A.________ conteste les faits.
A.________ a été mis en détention provisoire le 13 mars 2021 et remis en liberté le 19 suivant, moyennant plusieurs mesures de substitution qu'il avait lui-même sollicitées, dont l'interdiction de tout contact avec son père (visite, téléphone, sms, email, WhatsApp, etc.), en raison du risque de collusion avec lui.
B.________ a été placé sous avis de recherche et d'arrestation depuis le 18 mars 2021 en qualité de prévenu notamment d'escroquerie et de faux dans les titres. Par courrier du 25 mars 2021, il a indiqué, par le biais de son avocat, être disposé à se présenter au Ministère public du canton de Genève moyennant la délivrance d'un sauf-conduit. Le 14 décembre 2021, le Ministère public a délivré un mandat d'arrêt international contre B.________.
B.
Par ordonnance du 14 juillet 2021, le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Genève (Tmc) a refusé la levée de la mesure de substitution interdisant tout contact avec B.________ et a prononcé sa prolongation pour une durée de trois mois. Cette mesure a par la suite régulièrement été prolongée, en dernier lieu par ordonnance du 14 janvier 2022 du Tmc pour une durée de six mois.
Par arrêt du 21 avril 2022, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la cour cantonale) a rejeté le recours déposé par A.________ contre l'ordonnance du 14 janvier 2022. Elle a considéré en substance que les charges étaient graves et suffisantes, que l'interdiction de contact avec le père permettait de pallier le risque de collusion et était conforme à l'art. 8 CEDH.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 21 avril 2022 et l'ordonnance du 14 janvier 2022 ainsi que de dire que la mesure de substitution consistant en l'interdiction de contact avec son père sous quelque forme que ce soit est levée. Il conclut subsidiairement au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants.
La Cour de justice renonce à se déterminer. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Le recourant n'a pas répliqué.
Considérant en droit :
1.
Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouvert contre une décision relative aux mesures de substitution à la détention provisoire au sens des art. 237 ss CPP. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF, le recourant, prévenu visé par la mesure de substitution litigieuse, a qualité pour recourir. Le recours a été formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF. Il y a donc lieu d'entrer en matière.
2.
Dans un grief d'ordre formel qu'il convient d'examiner en premier lieu, le recourant se plaint d'une constatation arbitraire des faits (art. 97 al. 1 LTF).
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF (ATF 142 I 155 consid. 4.4.3). Le recourant ne peut critiquer les constatations de fait ressortant de la décision attaquée que si celles-ci ont été effectuées en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF ou de manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire (sur cette notion, cf. ATF 142 II 355 consid. 6), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF), ce que le recourant doit démontrer (art. 106 al. 2 LTF).
2.2. En l'espèce, le recourant reproche à la Cour de justice d'avoir ignoré les courriers des 25 janvier et 4 avril 2022 transmis par l'avocat de B.________ au Ministère public, par lesquels il rappelait être disposé à être entendu pour autant qu'un sauf-conduit lui soit délivré. Il fait grief à la cour cantonale de ne pas avoir tenu compte des demandes répétées du père du recourant et de sa volonté d'être entendu par le Ministère public. L'instance précédente a toutefois retenu que l'intéressé était prêt à être entendu au bénéfice d'un sauf-conduit (arrêt attaqué consid. 2.3 p. 8). En réalité, le recourant ne conteste pas l'établissement de ce fait en tant que tel mais plutôt son appréciation juridique. Il s'agit ainsi d'une question de droit qui sera examinée avec le fond (consid. 3.3).
Le recourant semble encore faire grief à la Cour de justice de ne pas avoir relevé qu'aucun acte d'instruction n'avait été effectué par le Ministère public depuis la fin de l'année 2021. Il mentionne toutefois lui-même que trois auditions ont été déléguées à la police fin février et début mars 2022 (témoins et un prévenu de second plan). Cela étant, il n'expose pas en quoi cet élément aurait une incidence sur l'issue de la cause et permettrait de nier l'existence d'un risque de collusion.
Le grief d'appréciation arbitraire des faits et des preuves doit donc être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
3.
Le recourant ne conteste pas l'existence de charges suffisantes à son encontre. Il nie en revanche le risque de collusion. Il se plaint d'une violation des art. 221 et 237 CPP .
3.1. Conformément à l'art. 221 al. 1 let. b CPP, la détention provisoire ou pour motifs de sûreté ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y a sérieusement lieu de craindre qu'il compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuve.
Selon la jurisprudence, il peut notamment y avoir collusion lorsque le prévenu tente d'influencer les déclarations que pourraient faire des témoins, des personnes appelées à donner des renseignements, des experts et/ou des co-prévenus, ainsi que lorsque le prévenu essaie de faire disparaître des traces ou des moyens de preuve. En tant que motif de détention avant jugement, le danger de collusion vise à empêcher le prévenu de mettre en danger la recherche de la vérité. Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de telles manoeuvres, propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction doivent être encore effectués et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2). Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent et/ou ses liens avec les autres prévenus; entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2.1; arrêts 1B_28/2022 du 9 février 2022 consid. 4.1; 1B_687/2021 du 11 janvier 2022 consid. 4.1).
Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2.2; arrêts 1B_28/2022 du 9 février 2022 consid. 4.1; 1B_687/2021 du 11 janvier 2022 consid. 4.1 et l'arrêt cité).
3.2. En l'espèce, la cour cantonale a relevé que B.________ était prévenu, en qualité de principal actionnaire d'une société dont le recourant était l'administrateur, d'infraction à l'art. 116 LEI, d'escroquerie et de faux dans les titres; il apparaissait à ce stade que B.________, en son nom et au travers de sociétés lui appartenant, détenait les deux immeubles dans lesquels s'étaient déroulés les faits incriminés, que le recourant était intervenu plus ou moins directement dans la vente d'un de ces immeubles comprenant les baux fantaisistes et qu'il était devenu - ultérieurement à la signature des baux litigieux - administrateur de la société locataire de l'autre immeuble. L'instance précédente a considéré qu'une potentielle connivence entre le recourant et son père apparaissait au centre de ces ramifications et qu'il était à craindre qu'un contact entre les deux leur permettrait de s'accorder sur des déclarations à livrer aux autorités de poursuites ou sur la disparition de preuves encore inconnues.
Le recourant ne conteste pas ce raisonnement qui peut être suivi. Il se contente de faire valoir que le risque de collusion aurait disparu car l'avocat de B.________ a consulté le dossier. Un tel danger existe toutefois encore en raison de l'imbrication des sociétés et des parties à la procédure dans les montages financiers litigieux. Il ne faut pas non plus sous-estimer les liens familiaux entre les parties, propres à favoriser la prise d'ascendant du père sur le fils. La cour cantonale pouvait ainsi retenir, sans violer le droit fédéral, que la recherche de la vérité était compromise tant que l'audition de B.________ et sa confrontation avec son fils n'a pas eu lieu.
3.3. Le recourant fait encore valoir que le risque de collusion serait maintenu tant que le Ministère public refuse de procéder à l'audition de B.________ au bénéfice d'un sauf-conduit. Partant il ne conteste pas que la mesure de substitution d'interdiction de contact avec son père permet d'atteindre le même but que la détention, par une mesure moins sévère, de sorte qu'il n'y a aucune violation de l'art. 237 CPP. Il met uniquement en cause cette mesure sous l'angle de la proportionnalité, soulignant sa durée. Il se plaint aussi d'une violation du droit à exercer des relations privilégiées ancré aux art. 13 Cst. et 8 CEDH.
3.3.1. La garantie de la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH et 13 Cst.) permettent aux personnes détenues d'entretenir des contacts avec les membres de leur famille, dans les limites découlant de la mesure de contrainte qui leur est imposée et du rapport de sujétion spécial qui les lie à l'Etat (ATF 145 I 318 consid. 2.1).
Conformément aux exigences de l'art. 36 Cst., les restrictions à ces droits doivent reposer sur une base légale et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire au but de l'incarcération et au fonctionnement de l'établissement de détention (ATF 145 I 318 consid. 2.1; 143 I 241 consid. 3.4 s. et les réf. cit.). Le principe de la proportionnalité, consacré de manière générale par la disposition susmentionnée, et rappelé en matière d'exécution de la détention avant jugement à l'art. 235 al. 1 CPP, exige en effet que chaque atteinte à ces droits fasse l'objet d'une pesée d'intérêts dans le cadre de laquelle l'autorité doit tenir compte de l'ensemble des circonstances, soit en particulier des buts de la détention (prévention des risques de fuite, de collusion ou de réitération), des impératifs de sécurité de l'établissement pénitentiaire, de la durée de l'incarcération et de la situation personnelle du prévenu (notamment le lieu de résidence des proches et les besoins et possibilités réelles de correspondre et de recevoir des visites; ATF 145 I 318 consid. 2.1). Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, les visites ou les appels téléphoniques, même en faveur des proches, peuvent être refusés à la personne placée en détention provisoire en cas de danger important de collusion (ATF 143 I 241 consid. 3.6 et les réf. cit.).
3.3.2. En l'occurrence, le recourant ne conteste pas que la restriction au droit au respect de la vie familiale repose sur une base légale, les art. 221 al. 1 let. b et 237 CPP (existence d'un risque de collusion).
Cette mesure de substitution, imposée depuis le 22 mars 2021 et prolongée jusqu'au 11 juillet 2022, est en outre conforme au principe de la proportionnalité; elle permet d'éviter la détention du recourant et celui-ci ne propose pas d'autre mesure de substitution moins incisive permettant de pallier le risque de collusion. De plus, le recourant, âgé de 29 ans, ne fait pas valoir un besoin particulier de relations avec son père, ni de son père avec lui. Par ailleurs, sous l'angle de l'intérêt public à la poursuite pénale, délivrer un sauf-conduit (art. 204 CPP) à B.________ empêcherait le Ministère public de prononcer des mesures de contrainte qu'il pourrait envisager à l'encontre de celui-ci pour pallier le risque de fuite. Le choix du Ministère public de mener l'instruction dans de telles conditions ne viole en tout état de cause pas le droit fédéral (cf. art. 16 al. 2 CPP).
Dans ces circonstances, le risque de collusion retenu constitue, en l'état, une restriction admissible au droit du recourant d'entretenir des relations personnelles avec son père, dans le cadre du rapport de sujétion spécial qui lie le recourant à l' Etat.
C'est donc sans violer les art. 13 Cst. et 8 CEDH que la Cour de justice a retenu qu'il était proportionné d'ordonner cette mesure de substitution pour une durée de six mois.
4.
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la mesure de sa recevabilité, aux frais du recourant qui succombe ( art. 65 et 66 al. 1 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 francs, sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public du canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 28 juin 2022
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
La Greffière : Tornay Schaller