Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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1C_25/2017
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Arrêt du 28 août 2017
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
Eusebio et Chaix.
Greffière : Mme Tornay Schaller.
Participants à la procédure
Commune d'Avusy,
représentée par Me François Bellanger, avocat,
recourante,
contre
A.________,
intimé.
Objet
Loi sur l'information; communication de documents officiels,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice
du canton de Genève, Chambre administrative,
du 29 novembre 2016.
Faits :
A.
En avril 2015, A.________, citoyen de la commune d'Avusy, a sollicité de la mairie d'Avusy les extraits du grand livre 2014 pour huit comptes (compte "revenus immeubles du patrimoine financier"; compte "recettes issues des redevances gravières"; compte "entretien immeubles patrimoine administratif"; compte "entretien routes"; compte "subventions aux institutions culturelles"; compte "honoraires et prestations administration générale"; compte "honoraires et prestations encouragement à la culture"; compte "frais de levée des ordures"). Il a aussi demandé les extraits des comptes d'entretien des immeubles locatifs d'Avusy et d'Athenaz.
Les 1
eret 4 mai 2015, le Secrétaire général de la mairie a refusé de donner suite à sa requête, en se fondant sur l'art. 55 du règlement d'application de la loi sur l'administration des communes du 31 octobre 1984 (RAC; RS/GE B 6 05.01) et sur l'art. 26 al. 4 de la loi sur l'information du public et l'accès aux documents du 5 octobre 2001 (LIPAD; RS/GE A 2 08).
Le 6 mai 2015, A.________ a sollicité la médiation du Préposé cantonal à la protection des données et à la transparence (ci-après : le Préposé), en application de l'art. 30 LIPAD. Le 22 juin 2015, le Préposé a constaté que la médiation n'avait pas abouti. Par acte du 6 juillet 2015, le Préposé a recommandé à la commune de communiquer à A.________ les extraits du grand livre 2014 pour les mouvements sur tous les comptes, à l'exception du compte "revenus immeubles du patrimoine financier" et des comptes d'immeubles 2014 concernant les comptes d'entretien des immeubles locatifs d'Avusy et d'Athenaz.
Par décision du 14 juillet 2015, la commune a refusé la demande de A.________ d'accès aux comptes susmentionnés.
B.
A.________ a recouru contre cette décision auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après : la Cour de justice). Par arrêt du 29 novembre 2016, la Cour de justice a admis le recours, annulé la décision du 14 juillet 2015 et a ordonné à la commune de donner accès aux comptes 2014 "recettes issues des redevances gravières", "entretien immeubles patrimoine administratif", "entretien routes", "subventions aux institutions culturelles", "honoraires et prestations administration générale", "honoraires et prestations encouragement à la culture" et "frais de levée des ordures", sous réserve de données ou parties de documents soustraites à la communication en vertu d'exceptions au droit d'accès en application de l'art. 26 LIPAD, lesquelles peuvent faire l'objet d'un caviardage.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, la commune d'Avusy demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 29 novembre 2016 et de confirmer sa décision du 14 juillet 2015.
Invitée à se déterminer, la Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. L'intimé conclut principalement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. La recourante a répliqué par courrier du 3 avril 2017.
D.
Par ordonnance du 7 février 2017, le Président de la Ire Cour de droit public a admis la requête d'effet suspensif, présentée par la recourante.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit public de l'information du public et de l'accès aux documents (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée.
La commune d'Avusy fait valoir que le maintien de la confidentialité de ses documents comptables (notamment du grand livre) est un élément essentiel pour la conduite de ses tâches. Elle soutient que le défaut d'une telle confidentialité porterait atteinte à son fonctionnement et remettrait en cause ses relations avec des tiers, qui ne bénéficieraient plus du secret commercial pour leurs prestations à la commune.
Une collectivité publique peut fonder son recours sur la disposition générale de l'art. 89 al. 1 LTF lorsqu'elle est touchée dans ses prérogatives de puissance publique et dispose d'un intérêt public propre digne de protection à l'annulation ou à la modification de l'acte attaqué (cf. ATF 136 I 265 consid. 1.4 p. 268; 136 II 383 consid. 2.3 et 2.4 p. 386 s.). Tel est le cas lorsqu'un acte de puissance publique concerne des intérêts publics essentiels dans un domaine qui relève de la compétence de l'autorité (ATF 137 IV 269 consid. 1.4 p. 274; 136 II 383 consid. 2.4 p. 386; 136 V 346 consid. 3.3.2 p. 349; 135 II 12 consid. 1.2.2 p. 15 s.).
Les art. 30 et 48 de la loi sur l'administration des communes du 13 avril 1984 (LAC; RS/GE B 6 05) octroient des compétences au conseil municipal et au conseil administratif en matière de budget, d'établissement des comptes, de bilan et de compte rendu financier annuel. La commune d'Avusy a vu sa décision de ne pas donner accès aux comptes du grand livre 2014 annulée par le Tribunal cantonal, ce qui est de nature à la toucher de manière essentielle dans ses prérogatives de puissance publique. La qualité pour recourir fondée sur l'art. 89 al. 1 LTF peut lui être reconnue.
Les autres conditions de recevabilité du recours en matière de droit public sont réunies, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le fond.
2.
La recourante reproche d'abord à l'instance précédente d'avoir considéré que le grand livre était un document au sens de l'art. 25 LIPAD. Elle se plaint d'une application arbitraire de l'art. 24 LIPAD.
2.1. Appelé à revoir l'interprétation d'une norme cantonale sous l'angle restreint de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain. En revanche, si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution - même préférable - paraît possible (ATF 141 I 172 consid. 4.3.1 p. 177 et les références citées). Les griefs de violation de dispositions cantonales sont soumis à des exigences de motivation accrue (art. 106 al. 2 LTF); il appartient dans ce contexte à la partie recourante de citer les dispositions du droit cantonal dont elle se prévaut et démontrer en quoi celles-ci auraient été appliquées arbitrairement ou d'une autre manière contraire au droit (cf. ATF 136 II 489 consid. 2.8 p. 494; 133 IV 286 consid. 1.4 p. 287).
2.2. Dans le canton de Genève, la LIPAD régit l'information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Toute personne, physique ou morale, a accès aux documents en possession des institutions publiques, sauf exception prévue ou réservée par cette loi (art. 24 al. 1 LIPAD). Ces documents sont tous les supports d'informations détenus par une institution contenant des renseignements relatifs à l'accomplissement d'une tâche publique (art. 25 al. 1 LIPAD). Sont notamment des documents les messages, rapports, études, procès-verbaux approuvés, statistiques, registres, correspondances, directives, prises de position, préavis ou décisions (art. 25 al. 2 LIPAD). En revanche, les notes à usage personnel, les brouillons ou autres textes inachevés ainsi que les procès-verbaux encore non approuvés ne constituent pas des documents (art. 25 al. 4 LIPAD).
En matière de comptabilité commerciale, d'après l'art. 1 al. 2 de l'ordonnance concernant la tenue et la conservation des livres de comptes du 24 avril 2002 (Olico; RS 221.431), le grand livre se compose des comptes (structuration par regroupements logiques et thématiques de toutes les transactions enregistrées), sur la base desquels sont établis le compte d'exploitation et le bilan (let. a), et du journal (saisie chronologique de toutes les transactions enregistrées; let. b).
2.3. En l'occurrence, la cour cantonale a considéré que les comptes auxquels l'intimé demandait d'avoir accès portaient sur l'accomplissement de tâches publiques importantes, soit notamment la gestion financière de la commune, l'utilisation des ressources mises à sa disposition par le contribuable et la gestion de son patrimoine administratif. Elle a expliqué que ces documents ne pouvaient être qualifiés de documents de travail car ils avaient un contenu informationnel au sens des art. 25 al. 1 LIPAD, dans la mesure où ils contenaient des renseignements sur les opérations comptables (notamment les transactions enregistrées) de la commune dans l'exercice de ses tâches; le seul fait que ces comptes servaient par la suite à l'adoption définitive du bilan et d'autres comptes, qui eux étaient publiés et rendus accessibles, ne suffisait pas à les exclure du champ d'application de la LIPAD.
2.4. La recourante fait valoir au contraire que le grand livre n'a aucun contenu informationnel propre; il ne fait qu'enregistrer une série de transactions en vue de la préparation des comptes; il relève d'un document interne s'inscrivant dans le cadre d'un processus de travail en vue de la production de documents (les comptes) qui, eux, seront soumis à contrôle et à accès; cela garantirait une transparence et un contrôle de l'activité de l'administration à un degré bien plus rigoureux que l'accès d'un administré au grand livre, qui perdrait ainsi tout son sens et ne répondrait plus au but de la LIPAD.
Ces critiques, formulées à plusieurs reprises en d'autres termes, ne sont toutefois pas de nature à démontrer le caractère manifestement insoutenable de l'argumentation de la Cour de justice. En effet, elles ne permettent pas de conclure qu'il serait déraisonnable, au regard du texte de l'art. 25 al. 1 LIPAD d'avoir considéré, comme l'a fait la Cour de justice, le grand livre comme un document contenant des renseignements sur une tâche publique. La solution retenue par l'instance précédente - et exposée au considérant 2.3 - n'a de surcroît pas été adoptée sans motifs objectifs. A cet égard, le fait que le grand livre n'est pas soumis à l'approbation des comptes par le conseil municipal ou par le département importe peu.
Il s'ensuit que la cour cantonale n'a pas fait preuve d'arbitraire en considérant le grand livre comme un document au sens de la LIPAD. Mal fondé, le grief doit être rejeté.
3.
Se prévalant encore d'arbitraire, la recourante fait grief ensuite à l'instance précédente d'avoir retenu que l'art. 26 LIPAD ne faisait pas obstacle à la communication des comptes susmentionnés.
3.1. La LIPAD a pour but de favoriser la libre formation de l'opinion et la participation à la vie publique (art. 1 LIPAD). En édictant cette loi, le législateur genevois a voulu passer d'un régime du secret assorti d'exception, prévalant jusqu'alors pour l'administration genevoise, à celui de la transparence sous réserve de dérogation. Ce renversement a pour but de renforcer la démocratie et l'Etat de droit, en permettant un contrôle citoyen destiné à éviter les dysfonctionnements et en assurant une libre formation de la volonté (arrêt 1C_604/2015 du 13 juin 2016 consid. 4.1, in PJA 2016 p. 1244 et in RDAF 2016 I 487 et les nombreuses références citées). L'instauration d'un droit individuel d'accès aux documents représente l'innovation majeure propre à conférer sa pleine dimension au changement de culture qu'implique l'abandon du principe du secret (Mémorial des séances du Grand Conseil [MGC], séance du jeudi 26 octobre 2000 - 54e législature -, disponible sur http://ge.ch/grandconseil/memorial/seances/540311/45/41 [consulté le 25 août 2017]).
Toutefois, l'application de la LIPAD n'est pas inconditionnelle. Sont ainsi soustraits au droit d'accès les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s'oppose (art. 26 al. 1 LIPAD). Tel est notamment le cas lorsque le droit fédéral ou cantonal interdit l'accès à des documents (art. 26 al. 4 LIPAD). Par ailleurs, l'institution peut refuser de donner suite à une demande d'accès à un document dont la satisfaction entraînerait un travail manifestement disproportionné (art. 26 al. 5 LIPAD).
3.2. Selon l'art. 44 al. 1 RAC, la comptabilité de la commune comprend notamment un journal en partie double consignant chronologiquement toutes les opérations comptables (let. a), des comptes classés conformément à l'art. 24 al. 1 LAC (let. b), tous les livres, registres, fichiers, pièces et autres supports nécessaires à la tenue et à la vérification de la comptabilité (let. c).
Conformément à l'art. 55 al. 1 RAC, au début de chaque période administrative, le conseil municipal nomme, en principe, une commission des finances dont les compétences sont le budget (let. a), les crédits supplémentaires (let. b), les crédits d'engagement et les crédits complémentaires (let. c), les comptes (let. d).
L'art. 16 al. 3 LIPAD prévoit que, sauf disposition contraire, les séances des commissions des conseils municipaux ne sont pas publiques.
3.3. En l'espèce, la recourante soutient que deux éléments plaident en faveur d'une restriction légale à la communication du grand livre à des tiers : d'une part, le grand livre est soumis au contrôle de la commission des finances dont les séances ne sont pas publiques (art. 55 al. 1 RAC et 16 al. 3 LIPAD); d'autre part, le grand livre est exclu de l'approbation des comptes tant par le conseil municipal que par le département (art. 44 RAC).
La cour cantonale a déjà répondu à cette argumentation. Elle a considéré au contraire que l'on ne pouvait tirer argument du fait qu'une pièce comptable ne soit pas soumise à une approbation par le conseil municipal pour en déduire qu'elle ne pourrait pas être consultée; cela serait contraire à l'esprit de la LIPAD. Elle a précisé en outre que la LIPAD ne distinguait pas entre documents approuvés ou non, sauf exceptions prévues par la loi. L'instance précédente a ajouté qu'aucune base légale ou réglementaire n'interdisait l'accès aux comptes du grand livre à d'autres organes ou personnes que la commission des finances. Elle a encore relevé que la commune n'alléguait pas que ces documents contenaient des informations confidentielles ou que leur transmission pourrait révéler des secrets professionnel ou d'affaires, ni n'évoquait un intérêt public ou privé s'opposant à leur consultation.
Quoi qu'en dise la recourante, cette argumentation est soutenable. On ne discerne en particulier pas en quoi il serait arbitraire de considérer que l'exception à l'accessibilité des documents prévue à l'art. 26 al. 4 LIPAD n'est pas réalisée dans la mesure où ni le droit fédéral, ni le droit cantonal n'interdisent l'accès au grand livre. Il n'est pas non plus déraisonnable de ne pas faire de l'approbation par le conseil municipal un critère empêchant la consultation d'un document relatif à l'accomplissement d'une tâche publique.
La recourante affirme encore qu'il faudrait tenir compte, dans le cadre de l'application de l'art. 26 LIPAD, que le grand livre n'est en réalité qu'une étape dans un processus de travail tendant à la production des comptes. Ce grief, qui revient à soutenir que le grand livre n'est pas un document au sens de la LIPAD, a déjà été traité et rejeté au considérant 2.
Enfin, la recourante mentionne que l'accessibilité du grand livre représenterait une charge disproportionnée et injustifiée pour une petite commune comme Avusy. Fût-il suffisamment motivé et recevable, cet argument ne serait pas plus en mesure de rendre arbitraire le raisonnement de la Cour de justice, dans la mesure où l'invocation de ce motif de refus ne se conçoit que restrictivement au regard du principe de la transparence instauré par la LIPAD. Au demeurant, la recourante ne se plaint pas d'une violation de l'art. 26 al. 5 LIPAD.
3.4. Par conséquent, entièrement mal fondé, ce grief doit être écarté.
4.
Il s'ensuit que le recours est rejeté.
Il n'y a pas lieu de percevoir de frais judiciaires, la recourante ayant agi dans l'exercice de ses attributions officielles sans que son intérêt patrimonial soit en cause (art. 66 al. 4 LTF). L'intimé, qui obtient gain de cause sans l'assistance d'un avocat, n'a pas droit à des dépens ( art. 68 al. 1 et 2 LTF ; ATF 135 III 127 consid. 4 p. 136).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la commune d'Avusy, à l'intimé et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre administrative.
Lausanne, le 28 août 2017
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Merkli
La Greffière : Tornay Schaller