Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_26/2023
Arrêt du 28 août 2024
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Koch et Hofmann.
Greffière : Mme Paris.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Agrippino Renda, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève,
intimé.
Objet
Usurpation de fonctions; arbitraire, présomption d'innocence, principe in dubio pro reo, etc.,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision, du 15 décembre 2022 (P/22680/2019 AARP/3/2023).
Faits :
A.
Par jugement du 10 février 2022, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a notamment reconnu A.________ coupable d'usurpation de fonctions (art. 287 CP), tout en l'acquittant du chef d'accusation de voies de fait (art. 126 al. 1 CP). Il l'a condamné à une peine pécuniaire de 50 jours-amende à 250 fr. le jour, avec sursis pendant 3 ans, et à une amende de 2'500 fr. à titre de sanction immédiate, la peine privative de liberté de substitution étant fixée à 10 jours. Le tribunal de police a mis à la charge de A.________ un quart des frais de la procédure et lui a alloué la somme de 2'467 fr. 45 à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP).
B.
Par arrêt du 15 décembre 2022, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Chambre pénale d'appel et de révision) a très partiellement admis l'appel de A.________ en ce sens qu'elle a revu l'indemnité allouée au prénommé pour ses frais de défense en procédure préliminaire et de première instance, l'état de frais présenté en première instance comprenant une erreur de retranscription. Retranchant néanmoins certains postes dudit état de frais, elle a finalement arrêté l'indemnité à 2'521 fr. 91.
En résumé, la Chambre pénale d'appel et de révision a retenu les faits suivants, s'agissant des faits que A.________ conteste encore devant le Tribunal fédéral.
B.a. Le 7 août 2019, à la hauteur de La Croix-de-Rozon, B.________ et sa compagne C.________ ont dépassé, au volant de leur voiture, D.________ dont le véhicule était à l'arrêt. Après un échange de doigts d'honneur, les trois protagonistes sont sortis de leur véhicule et une altercation a débuté. Quelques instants plus tard, A.________, père de D.________, est arrivé sur les lieux, sur appel de son fils. Il s'est alors présenté en tant que policier et a demandé au couple de se légitimer. À 19h30, la police est intervenue.
Les quatre protagonistes ont déposé plainte à la suite de ces faits.
B.b. E.________ a été témoin d'une partie du conflit et l'a filmé depuis son balcon.
C.
A.________ forme un recours au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 15 décembre 2022, en concluant principalement à sa réforme en ce sens qu'il soit acquitté du chef d'accusation d'usurpation de fonctions. Il demande en outre que l'État de Genève doive supporter les frais devant les instances inférieures et le Tribunal fédéral et lui verser une indemnité de procédure à titre de dépens valant participation à ses frais d'avocat. À titre subsidiaire, A.________ conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants, tout en prenant les mêmes conclusions s'agissant des frais et dépens.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre une décision finale rendue en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF) dans une cause pénale, le recours est recevable comme recours en matière pénale au sens des art. 78 ss LTF. Le recourant, qui a pris part à la procédure devant l'instance précédente et a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée, a la qualité pour agir au sens de l'art. 81 al. 1 LTF. Le recours a pour le surplus été déposé en temps utile (cf. art. 100 al. 1 LTF), si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Le recourant invoque l'arbitraire dans l'établissement des faits et l'appréciation des preuves et se plaint d'une violation de la présomption d'innocence et de son corollaire, le principe
in dubio pro reo. Il conteste en particulier avoir demandé aux intimés de se légitimer.
2.1.
2.1.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins que celles-ci aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, à savoir, pour l'essentiel, de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation, mais aussi dans son résultat (ATF 145 IV 154 consid. 1.1). Le Tribunal fédéral n'examine la violation des droits fondamentaux que si ce moyen est invoqué et motivé par le recourant (art. 106 al. 2 LTF), c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et exposé de manière claire et détaillée (ATF 143 IV 500 consid. 1.1 et les références citées). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2; 146 IV 114 consid. 2.1 et les références citées).
2.1.2. Lorsque l'autorité cantonale a forgé sa conviction quant aux faits sur la base d'un ensemble d'éléments ou d'indices convergents, il ne suffit pas que l'un ou l'autre de ceux-ci ou même chacun d'eux pris isolément soit à lui seul insuffisant. L'appréciation des preuves doit en effet être examinée dans son ensemble. Il n'y a ainsi pas d'arbitraire si l'état de fait retenu pouvait être déduit de manière soutenable du rapprochement de divers éléments ou indices. De même, il n'y a pas d'arbitraire du seul fait qu'un ou plusieurs arguments corroboratifs apparaissent fragiles, si la solution retenue peut être justifiée de façon soutenable par un ou plusieurs arguments de nature à emporter la conviction (arrêts 6B_1043/2023 du 10 avril 2024 consid. 1.1; 6B_893/2023 du 26 février 2024 consid. 6.1; 6B_770/2023 du 20 octobre 2023 consid. 3.1.2).
2.1.3. La présomption d'innocence, garantie par les art. 10 CPP, 32 al. 1 Cst., 14 par. 2 Pacte ONU II et 6 par. 2 CEDH, ainsi que son corollaire, le principe
in dubio pro reo, concernent tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 145 IV 154 consid. 1.1; 144 IV 345 consid. 2.2.3.1; 127 I 38 consid. 2a). En tant que règle sur le fardeau de la preuve, elle signifie, au stade du jugement, que le fardeau de la preuve incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant pas être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective. Lorsque l'appréciation des preuves et la constatation des faits sont critiquées en référence au principe
in dubio pro reo, celui-ci n'a pas de portée plus large que l'interdiction de l'arbitraire (ATF 145 IV 154 consid. 1.1 et les références citées).
2.2. La Chambre pénale d'appel et de révision a constaté que le recourant n'avait pas contesté être arrivé sur les lieux de l'altercation en se présentant comme policier. Elle a acquis la conviction qu'après s'être fait connaître comme tel, le recourant a demandé aux intimés de se légitimer, accomplissant ainsi, sans droit, un acte officiel. Pour ce faire, la juridiction précédente s'est principalement fondée sur le récit des intimés, qu'elle a considéré comme crédible. Si ceux-ci avaient exagéré sur certains points, ils avaient néanmoins été constants dans leurs déclarations selon lesquelles le recourant leur avait demandé de présenter leurs documents d'identité. Leur version était par ailleurs corroborée par les images vidéo au dossier dont il ressortait que le recourant avait tendu la main droite ouverte devant les intimés durant plusieurs secondes, ce qu'il n'aurait eu aucune raison de faire s'il n'attendait pas quelque chose de ces derniers. Le recourant avait en outre admis que les intimés étaient sur le point de lui présenter leurs papiers d'identité. Le fait qu'il ne se soient finalement pas exécutés n'était pas déterminant, l'accomplissement d'un acte officiel étant suffisant pour la réalisation de l'infraction en cause.
Par ailleurs, la juridiction précédente a considéré qu'aucun fait justificatif n'entrait en considération; aucune attaque ni aucune atteinte n'était en cours ou sur le point d'être initiée par l'un des protagonistes, lesquels étaient calmes à l'arrivée du recourant.
2.3. Les développements du recourant à l'égard de cette motivation s'épuisent en une rediscussion des indices pris en considération par l'autorité précédente, auxquels il oppose sa propre appréciation sans démontrer en quoi celle de la juridiction cantonale serait arbitraire. Il en va notamment ainsi lorsqu'il reproche aux juges cantonaux d'avoir mésestimé les exagérations des intimés, lesquelles "seraient clairement de nature à ôter toute crédibilité à leur discours". Il en va de même lorsqu'il soutient que les intimés auraient très bien pu spontanément prendre l'initiative de sortir d'éventuels documents d'identité, sans aucune requête en ce sens. Le recourant soutient en outre que l'autorité cantonale ne pouvait pas, au-delà de tout doute raisonnable, déduire des images vidéo qu'il avait effectivement tendu la main pour prendre réception d'éventuels documents d'identité. Ce faisant, il ne démontre pas que la juridiction précédente aurait procédé à une appréciation arbitraire des preuves en considérant que ce geste servait d'indice, à côté des autres éléments, pour retenir qu'il avait bel et bien commis les faits reprochés. En affirmant péremptoirement que ce geste devrait "objectivement" être considéré comme un geste de courtoisie ou d'apaisement dans une situation où "les esprits étaient encore échauffés", le recourant présente une fois de plus sa propre appréciation de la situation dans une démarche purement appellatoire. Un tel procédé est irrecevable.
En définitive, le recourant échoue à démontrer que la Chambre d'appel pénale et de révision aurait versé dans l'arbitraire ou violé la présomption d'innocence en retenant, sur la base des différents éléments figurant au dossier, qu'après s'être présenté comme étant de la police, le recourant avait demandé aux intimés de se légitimer.
3.
Le recourant soutient que les conditions d'application de l'art. 287 CP ne seraient pas réalisées.
3.1. L'art. 287 CP réprime le comportement de celui qui, dans un dessein illicite, aura usurpé l'exercice d'une fonction ou le pouvoir de donner des ordres militaires. Cette disposition vise l'exercice de la puissance publique, en particulier le droit de rendre des décisions. Le comportement punissable consiste à exercer le pouvoir en faisant croire que l'on est autorisé à agir alors que tel n'est pas le cas. L'usurpation peut se limiter à une seule activité entrant dans la compétence de la fonction usurpée (ATF 128 IV 164 consid. 3c/aa).
Pour déterminer la punissabilité de l'usurpation de fonctions sous l'angle de l'élément constitutif du dessein illicite, il faut d'abord examiner si l'auteur a poursuivi un but illicite en soi. Si tel n'est pas le cas, il convient de déterminer dans un deuxième temps si l'auteur a poursuivi ce but licite ou justifié en portant atteinte aux droits subjectifs de tiers d'une manière injustifiée (ATF 128 IV 164 consid. 3c/bb, arrêt 6B_1208/2014 du 2 avril 2015 consid. 5.2.1).
3.2. L'autorité précédente a considéré qu'en demandant aux intimés de se légitimer après s'être présenté comme policier, le recourant avait manifestement agi dans l'optique d'asseoir son autorité, dessein en soi illicite. Il avait, de la sorte, porté atteinte aux droits subjectifs des intimés, remplissant ainsi les conditions de l'art. 287 CP.
3.3. Face à cette motivation, le recourant se contente d'invoquer sa propre version des faits, sans critiquer la manière dont la Chambre d'appel pénale et de révision a appliqué l'art. 287 CP aux faits retenus - sans arbitraire (cf. consid. 2.3
supra) - dans l'arrêt attaqué. Pour autant que recevable, le grief doit être rejeté.
4.
À titre subsidiaire, le recourant invoque la légitime défense (art. 15 CP), la défense excusable (art. 16 CP) et/ou l'état de nécessité (art. 17 CP). Par son argumentation, il se limite toutefois à rediscuter les faits et à soutenir s'être trouvé dans un état excusable d'excitation par la menace d'une attaque imminente contre son fils, sans motiver d'une manière répondant aux exigences découlant de l'art. 106 al. 2 LTF en quoi l'arrêt entrepris serait entaché d'arbitraire s'agissant des éléments factuels mis en exergue pour écarter l'existence d'un fait justificatif. Son grief se révèle ainsi irrecevable.
5.
Le recourant reproche enfin à l'autorité précédente d'avoir arbitrairement réduit l'état de frais produit en première instance et de lui avoir ainsi alloué une indemnité de 2'521 fr. 91 (art. 429 al. 1 let. a CPP).
Le recourant ne formule toutefois aucune conclusion sur ce point devant le Tribunal fédéral. Il conclut certes à l'octroi d'une indemnité (fondée sur l'art. 429 CPP) en lien avec l'acquittement qu'il réclame au stade de son recours fédéral (cf. let. C
supra et consid. 6
infra). Il ne prend cependant aucune conclusion tendant à la modification de l'indemnité allouée pour les dépenses occasionnées par l'exercice de ses droits de procédure en première instance;
a fortiori, il ne prend aucune conclusion chiffrée à cet égard. Dans ces circonstances, son grief est irrecevable (cf. ATF 143 III 111 consid. 1.2; arrêt 6B_1002/2022 du 22 mars 2023 consid. 1.1).
6.
Vu le rejet des griefs dirigés contre la condamnation du recourant pour usurpation de fonctions, sa conclusion tendant à l'octroi d'une indemnité fondée sur l'art. 429 CPP est sans objet.
7.
Compte tenu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il ne sera pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision.
Lausanne, le 28 août 2024
Au nom de la II e Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
La Greffière : Paris