Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_69/2022
Arrêt du 28 août 2024
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Hurni et Hofmann.
Greffière : Mme Schwab Eggs.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Gilbert Deschamps, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève,
intimé.
Objet
Ordonnance de refus d'indemnisation et de restitution partielle de sûretés,
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 7 novembre 2022 (P/7627/2012 ACPR/768/2022).
Faits :
A.
A.a. Le 16 novembre 2021, A.________ a présenté une requête d'indemnisation auprès de l'Office fédéral de la justice, qui l'a transmise au Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après: le Ministère public) le 1
er février 2022. A.________ concluait au paiement de 52'400 fr. avec intérêts à 5 % dès le 31 mai 2013 pour tort moral; de 18'000 fr. et 1'902 EUR avec intérêts à 5 % dès le 3 juin 2013 à titre de dommages-intérêts pour des sûretés non restituées; de 386'619 fr. 75 avec intérêts à 5 % dès le 15 août 2014 à titre de dommages-intérêts pour sa perte de salaire de mai 2012 à décembre 2016; de 338'731 fr. 39 avec intérêts à 5 % dès le 15 mai 2019 à titre de dommages-intérêts pour sa perte de salaire de janvier 2017 à novembre 2021; et de 50'000 EUR avec intérêts à 5 % dès le 10 avril 2017 à titre de dommages-intérêts pour la vente à perte d'un immeuble.
A.b. Par ordonnance du 9 août 2022, le Ministère public a rejeté cette requête dans la mesure de sa recevabilité, a constaté que les sûretés à hauteur de 15'000 fr. avaient été dévolues à l'État et a ordonné la restitution du solde des sûretés à A.________. Le Ministère public a considéré que la requête d'indemnisation était tardive et qu'en tout état, elle devrait être rejetée dans la mesure où l'intéressé avait contribué à l'ouverture de la procédure pénale et l'avait ensuite compliquée inutilement.
B.
Par arrêt du 7 novembre 2022, la Chambre pénale de recours de la Cour de Justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Chambre pénale de recours) a admis très partiellement le recours formé par A.________ contre l'ordonnance du 9 août 2022 et a libéré le solde des sûretés versées à hauteur de 2'081 fr. 70 et 1'902 EUR.
La cour cantonale a retenu en substance les faits suivants.
B.a. En 2012, le Ministère public a ouvert des procédures pénales relatives à deux brigandages commis à Genève les 25 janvier et 30 mai 2012 dont avait été victime la société B.________ SA, active dans l'horlogerie.
B.b. A.________, employé comme horloger auprès de cette société, a été arrêté le 31 mai 2012 et prévenu de brigandage, complicité de brigandage et recel. Il est demeuré en détention provisoire du 3 juin au 11 juillet 2012; sa libération, intervenue le 12 juillet 2012, a été assortie de diverses mesures de substitution, dont le versement de sûretés à hauteur de 3'000 fr. et 1'902 EUR et l'obligation de se présenter à toute convocation du Ministère public.
Le 24 octobre 2012, A.________ a à nouveau été placé en détention provisoire. Il a été libéré le 3 juin 2013 au bénéfice de mesures de substitution impliquant notamment la fourniture de sûretés d'un montant supplémentaire de 15'000 francs.
B.c. Dûment convoqué aux audiences des 7 octobre 2014 et 31 mars 2015, A.________ n'a pas comparu devant le Ministère public; la délivrance d'un sauf-conduit lui avait été refusée.
Vu ces absences, le Ministère public a prononcé, par ordonnance du 29 juillet 2015, notifiée au conseil d'office de A.________, la dévolution à l'État, à hauteur de 15'000 fr., des sûretés fournies. A.________ n'a pas recouru contre cette ordonnance.
B.d. Le 13 août 2015, l'Office fédéral de la justice a sollicité les autorités françaises en vue d'une délégation de la poursuite pénale. Par courrier du 30 août 2016, celles-ci ont confirmé qu'une information avait été ouverte contre A.________ le 7 avril 2016 pour complicité de vol avec arme et recel et que celui-ci avait été placé sous contrôle judiciaire.
B.e. Par avis de prochaine clôture du 15 septembre 2016, notifié au défenseur de A.________, le Ministère public a informé ce dernier de son intention de rendre une ordonnance de classement et lui a imparti un délai au 15 octobre 2016 pour formuler ses prétentions en indemnisation.
Dans le délai imparti, le défenseur de A.________ a produit un état des frais de 2'365 fr. 20.
Par ordonnance du 23 novembre 2016, notifiée au conseil de A.________, le Ministère public a classé la procédure en application de l'art. 8 al. 3 CPP et a laissé les frais de la procédure à la charge de l'État. Aucun recours n'a été formé contre cette ordonnance.
B.f. Par ordonnance du 12 septembre 2019 du juge d'instruction français, A.________ a bénéficié d'un non-lieu partiel pour le second brigandage, en raison de l'insuffisance des charges.
Par jugement du 4 novembre 2020, le Tribunal correctionnel de Strasbourg a acquitté A.________, au bénéfice du doute, pour les faits qualifiés de recel de bien et de complicité de vol aggravé (premier brigandage).
C.
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 7 novembre 2022. Il conclut principalement à sa réforme dans le sens de l'admission des conclusions prises dans sa requête du 16 novembre 2021 (cf. let. A.a
supra). À titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Par avis du 3 juillet 2023, les parties ont été informées de la transmission du recours à la II e Cour de droit pénal en raison de la réorganisation interne du Tribunal fédéral.
Invités à se déterminer, la Chambre pénale de recours y a renoncé, tandis que le Ministère public a conclu au rejet du recours, subsidiairement au renvoi de la cause à l'autorité précédente, sous réserve des griefs concernant la restitution du solde des sûretés.
A.________ a pris position sur ces écritures. Ses observations ont été communiquées pour information à la Chambre pénale de recours et au Ministère public.
Considérant en droit :
1.
L'arrêt attaqué porte notamment sur des prétentions en indemnisation prévues à l'art. 429 aCPP (dans sa teneur en vigueur au 31 décembre 2023; RO 2010 1881). Il s'agit d'une décision finale (art. 90 LTF) rendue en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 1 LTF (ATF 139 IV 206 consid. 1), contre laquelle le recours en matière pénale est ouvert.
2.
Dans le cadre d'un recours en matière pénale, le Tribunal fédéral contrôle uniquement l'application correcte par l'autorité cantonale du droit fédéral en vigueur au moment où celle-ci a statué (cf. art. 453 al. 1 CPP; ATF 145 IV 137 consid. 2.6 ss; 129 IV 49 consid. 5.3). L'arrêt attaqué ayant été rendu le 7 novembre 2022, il n'y a donc pas lieu en l'espèce de prendre en compte les modifications du Code de procédure pénale entrées en vigueur le 1er janvier 2024 (RO 2023 468; arrêts 7B_1008/2023 du 12 janvier 2024 consid. 2.2; 7B_997/2023 du 4 janvier 2024 consid. 1.2).
3.
3.1. S'appuyant sur les art. 8 al. 3 et 4 CPP , 429 aCPP, ainsi que 15 al. 1 et 88 ss de la loi fédérale sur l'entraide pénale internationale (EIMP; RS 351.1), le recourant fait grief aux autorités cantonales d'avoir déclarée tardive sa requête d'indemnisation du 16 novembre 2021. Il invoque également à cet égard les art. 6 par. 1 et 2, ainsi que 13 CEDH (droit à un procès équitable et à un recours effectif; présomption d'innocence). Il soutient en substance qu'en raison de la délégation de la poursuite pénale à l'étranger, le Ministère public aurait dû s'abstenir de classer la procédure en Suisse par ordonnance du 23 novembre 2016, à tout le moins n'aurait pas été en mesure de se prononcer sur une demande d'indemnité fondée sur l'art. 429 aCPP, l'issue de la procédure en France étant alors encore inconnue. Au vu de ces éléments, le Ministère public aurait dû traiter sa requête d'indemnisation en rendant une décision judiciaire indépendante.
3.2.
3.2.1. Lorsque les traités internationaux ne règlent pas définitivement certaines questions, le droit interne suisse s'applique (cf. ATF 143 IV 91 consid. 1.3); c'est le cas des questions liées à l'indemnisation (cf.
a contrario, Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 [CEEJ; RS 0.351.1]; Accord entre le Conseil fédéral suisse et le Gouvernement de la République française conclu le 28 octobre 1996 en vue de compléter la CEEJ [RS 0.351.934.92]; ROBERT ZIMMERMANN, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, 5e éd. 2019, n° 469 p. 504).
3.2.2. Les art. 88 ss EIMP règlent la délégation de la poursuite pénale de la Suisse à l'étranger. L'autorité pénale compétente (cf. art. 55 al. 1 CPP) peut demander à un autre État, sur la base de l'art. 88 let. a EIMP, d'assumer la poursuite pénale d'une infraction soumise à la juridiction suisse, si la législation de cet État permet la poursuite et la répression judiciaire de l'infraction et si la personne poursuivie s'y trouve et que son extradition vers la Suisse est inopportune ou inadmissible (arrêt 1B_318/2017 du 30 novembre 2017 consid. 2.1).
Dès l'entrée en force de la décision de délégation, les autorités chargées de la poursuite pénale s'en trouvent dessaisies, au profit des autorités de l'État requis (ATF 129 II 449 consid. 2.1; LEA UNSELD,
in Basler Kommentar, Internationales Strafrecht, 1re éd. 2015, n° 1
a d art. 89 CPP). Toute mesure d'instruction est suspendue en Suisse, du moins aussi longtemps que l'État requis n'a pas fait savoir que ses autorités se trouvent dans l'impossibilité de mener la procédure à chef (art. 89 al. 1 let. a EIMP) ou que l'autorité de jugement saisie au fond a rendu une décision d'acquittement ou de non-lieu (art. 89 al. 1 let. b
cum art. 5 al. 1 let. a ch. 1 EIMP), qu'elle a renoncé à infliger une sanction ou s'est abstenue provisoirement de la prononcer (art. 89 al. 1 let. b
cum art. 5 al. 1 let. a ch. 2 EIMP), voire que la sanction infligée a été exécutée ou ne peut plus l'être (art. 89 al. 1 let. b
cum art. 5 al. 1 let. b EIMP). Cela permet de garantir le respect de la règle "
ne bis in idem " (cf. ATF 143 IV 91 consid. 1.4.2; cf. ég. sur cet aspect, arrêt 6B_279/2018 du 27 juillet 2018 consid. 1.1 et 1.2). Les conditions d'une reprise de la procédure sont réglées à l'art. 89 al. 1 EIMP, qui prévaut en tant que
lex specialis sur l'art. 323 CPP (LEA UNSELD, op. cit., n° 1
ad art. 89 CPP).
Ainsi, dès l'acceptation de la délégation de la part de l'autorité étrangère, l'autorité de poursuite suisse n'est plus compétente et ne peut prendre aucune mesure jusqu'à la fin de la procédure à l'étranger. Du fait de cette incompétence, l'autorité suisse délégante devra s'abstenir de toute mesure aussi bien au préjudice qu'en faveur de la personne poursuivie (arrêt du Tribunal pénal fédéral [ci-après: TPF] RR.2007.5 du 5 mars 2007 consid. 2.2 et la référence citée). Par mesure au sens de l'art. 89 al. 1 CPP, on entend notamment les actes d'instruction et l'administration de preuves de toute nature ou encore des mesures de recherche ("
Fahndungsschritte ") (LEA UNSELD,
op. cit., n° 8
ad art. 89 EIMP).
3.2.3. Aux termes de l'art. 8 al. 3 CPP, si l'infraction est déjà poursuivie par une autorité étrangère ou si la poursuite est confiée à une telle autorité, le ministère public et les tribunaux peuvent renoncer à la poursuite pénale, à moins que des intérêts prépondérants de la partie plaignante ne s'y opposent. Cette disposition permet de régler les conséquences procédurales d'une délégation à l'étranger fondée sur les art. 88 ss EIMP (ROTH/VILLARD,
in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd. 2019, n° 39
ad art. 8 CPP; FIOLKA/RIEDO,
in Basler Kommentar, Strafprozessordnung/ Jugendstrafprozessordnung, 3e éd. 2023 [cité ci-après: Basler Kommentar, StPO/JStPO], n° 98
ad art. 8 CPP; cf. KATIA VILLARD, Opportunité des poursuites et conflits de compétences: notes sur les articles 8 al. 2 let. c et 8 al. 3 CPP,
in Dodécaphonie pénale, 2017, pp. 131 ss, spéc. p. 139 s.). Elle ne porte pas sur une poursuite pénale terminée définitivement à l'étranger mais sur une procédure en cours (arrêt du TPF BB.2021.75 du 28 juin 2022 consid. 2.3.1; cf. ég. ROTH/VILLARD,
op. cit., n° 37
ad art. 8 CPP).
Si les conditions de l'art. 8 al. 3 CPP sont remplies, l'autorité peut - mais ne doit pas - renoncer à engager une poursuite pénale ("
Kann-Vorschrift "; arrêt du TPF BB.2021.75 du 28 juin 2022 consid. 2.3.3; FIOLKA/RIEDO,
op. cit., n° 95 s.
ad art. 8 CPP et les références citées). Sur la base de l'art. 8 al. 4 CPP, le Ministère public ordonnera le classement de tout ou partie de la procédure (art. 319 al. 1 let. e CPP; Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1057, p. 1256; cf. FIOLKA/RIEDO,
op. cit., n° 103
ad art. 8 CPP). Il s'agit d'un classement pour des raisons d'économie de procédure, qui n'équivaut pas à un acquittement (cf. arrêt 6B_1362/2020 du 20 juin 2022 consid. 6.3).
3.3. Selon l'art. 429 al. 1 let. c CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a droit à une réparation du tort moral subi en raison d'une atteinte particulière à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté. L'autorité pénale peut réduire ou refuser l'indemnité lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci (art. 430 al. 1 let. a CPP).
L'art. 430 al. 1 let. a CPP est le pendant de l'art. 426 al. 2 CPP en matière de frais. La question de l'indemnisation (art. 429 à 434 CPP) doit être traitée après celle des frais (ATF 145 IV 268 consid. 1.2; arrêt 6B_924/2022 du 13 juillet 2023 consid. 3.1.2 et les références citées). Dans cette mesure, la décision sur les frais préjuge de la question de l'indemnisation (ATF 147 IV 47 consid. 4.1; 145 IV 268 consid. 1.2; 137 IV 352 consid. 2.4.2). En d'autres termes, si le prévenu supporte les frais en application de l' art. 426 al. 1 ou 2 CPP , une indemnité est en règle générale exclue, alors que le prévenu y a, en principe, droit si l'État supporte les frais de la procédure pénale (ATF 145 IV 94 consid. 2.3.2; 144 IV 207 consid. 1.8.2; 137 IV 352 consid. 2.4.2).
3.4. La Chambre pénale de recours a relevé que dans l'ordonnance de classement du 23 novembre 2016, le Ministère public avait mis les frais à la charge de l'État; il n'avait cependant pas statué sur une éventuelle indemnisation du dommage subi par le recourant. Cependant, il devait être constaté que celui-ci - bien que dûment interpellé à ce propos et assisté d'un défenseur - n'avait formulé aucune prétention en ce sens. Le Ministère public pouvait dès lors légitimement considérer que le recourant avait renoncé à toute indemnisation. Celui-ci n'avait pas davantage contesté, par la voie du recours, le fait qu'aucune indemnité ne lui avait été octroyée. Il était dès lors forclos pour en réclamer une.
Le recourant ne pouvait par ailleurs pas être suivi lorsqu'il prétendait que la question de l'indemnisation ne pouvait être tranchée qu'une fois connue l'issue de la procédure déléguée aux autorités françaises; en effet, le classement de la procédure en Suisse - quel qu'en fût le motif - entraînait l'application immédiate de l'art. 429 aCPP, sans qu'il fût nécessaire d'attendre le sort réservé au recourant dans la procédure étrangère. Par ailleurs, les motifs sur lesquels le recourant fondait ses prétentions en indemnité étaient connus de lui au moment du prononcé de l'ordonnance de classement. D'une part, la détention préventive avait eu lieu en Suisse; d'autre part, il alléguait lui-même que son dommage économique était survenu à la suite de la perte de son emploi en Suisse. Il aurait dès lors pu s'en prévaloir au moment du classement de la poursuite en Suisse. Le Ministère public avait par conséquent à juste titre déclaré tardive la demande d'indemnisation du 16 novembre 2021.
3.5. En l'espèce, il est relevé en préambule que l'ordonnance de classement du 23 novembre 2016 du Ministère public ne constitue pas une décision en matière d'entraide judiciaire, comme l'a retenu à juste titre la cour cantonale. En effet, le Ministère public a alors agi comme autorité compétente en vertu de l'art. 8 al. 3 CPP. Il n'a ainsi pas violé le droit fédéral en classant la procédure; cela est en effet prévu par la loi en cas de délégation de la poursuite pénale à l'étranger, comme en l'espèce. Le Ministère public n'avait dès lors pas à suspendre la procédure, comme le soutient le recourant, une reprise de la procédure étant toujours envisageable aux conditions de l'art. 89 al. 1 EIMP (cf. consid. 3.2.2
supra). Au surplus, on ne voit pas - et le recourant ne le soutient d'ailleurs pas - que l'ordonnance de classement constituerait une mesure prohibée du fait de la délégation (cf. consid. 3.2.2
supra).
Cela étant dit, la requête d'indemnisation du 16 novembre 2021 repose sur le résultat - acquittement, respectivement non-lieu - de la procédure déléguée à la France. Le Ministère public a cependant opposé au recourant le classement de la procédure qui était intervenu le 23 novembre 2016. À ce moment, le recourant n'ignorait certes pas la détention préventive effectuée, ni les conséquences économiques dont il entendait se prévaloir. Il ne pouvait cependant pas connaître l'issue de la procédure menée en France, en particulier s'il pourrait articuler des prétentions en raison d'un acquittement futur. Dès lors, opposer au recourant la tardiveté de ses prétentions revient à exiger de lui qu'il ait formulé des prétentions alors qu'il en ignorait encore le fondement même. Dans le cas d'espèce particulier où le classement est intervenu en raison de la délégation de la procédure à l'étranger, les autorités précédentes ont violé le droit fédéral en considérant comme tardive la requête d'indemnisation. Le Ministère public aurait dès lors dû entrer en matière sur le principe de cette requête formulée en raison de la détention injustifiée.
3.6. L'ordonnance de première instance repose sur une double motivation. Si le Ministère public a déclaré tardive - et partant irrecevable - la requête d'indemnisation, il a considéré par surabondance qu'elle aurait dû être rejetée en application de l'art. 430 CPP. Confirmant l'irrecevabilité prononcée par le Ministère public, la cour cantonale a rejeté le recours sans traiter les griefs du recourant portant sur le fond de la cause; cela était suffisant pour sceller l'issue du litige, l'autorité de recours pouvant se dispenser de traiter ces griefs. Cependant, dès lors que le Ministère public aurait dû entrer en matière sur la requête (cf. consid. 3.5
supra), la cause doit être renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle se prononce sur les griefs du recourant en lien avec les art. 429 et 430 CPP .
4.
4.1. Le recourant reproche également en substance à la Chambre pénale de recours d'avoir considéré que l'ordonnance de dévolution des sûretés du 29 juillet 2015 ne pouvait pas être remise en cause par sa demande d'indemnisation du 16 novembre 2021. Il soutient que la dévolution n'aurait pas pu intervenir dans la mesure où les conditions de l'art. 240 al. 1 CPP n'auraient pas été réalisées.
4.2. Aux termes de l'art. 240 al. 1 CPP, si le prévenu se soustrait à la procédure ou à l'exécution d'une sanction privative de liberté, les sûretés sont dévolues à la Confédération ou au canton dont relève le tribunal qui en a ordonné la fourniture. L'autorité saisie de la cause ou qui a été saisie en dernier statue sur la dévolution des sûretés (art. 240 al. 3 CPP).
La dévolution intervient
ipso iure, de telle sorte que la décision de l'autorité est de nature purement constatatoire (CHRISTIAN COQUOZ,
in Commentaire romand,
op. cit., n° 5
ad art. 240 CPP; MANFRIN/VOGEL,
in Basler Kommentare, StPO/JStPO,
op. cit., n° 2
ad art. 240 CPP). Avec la dévolution, le prévenu perd de manière définitive le droit à la restitution de la garantie (CHRISTIAN COQUOZ,
op. cit., n° 6
ad art. 240 CPP; MANFRIN/VOGEL,
op. cit., n° 2
ad art. 240 CPP; FREI/ZUBERBÜHLER ELSÄSSER, in DONATSCH/LIEBER/SUMMERS/WOHLERS [édit.], Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung, StPO, 3e éd. 2020, n° 1
ad art. 240 CPP).
4.3. La Chambre pénale de recours a relevé que par ordonnance du 29 juillet 2015, le Ministère public avait prononcé la dévolution à l'État de Genève des sûretés fournies par le recourant. Cette ordonnance était entrée en force et ne pouvait par conséquent pas être remise en question au détour d'une demande d'indemnisation, de surcroît tardive. Contrairement à l'avis du recourant, l'ordonnance du 29 juillet 2015 n'était pas visée par l'art. 89 EIMP. En effet, la problématique de la caution n'était pas pertinente pour l'issue de la poursuite pénale en France. La dévolution avait en effet été prononcée aux motifs que le recourant se serait soustrait à la procédure en Suisse et n'aurait pas respecté les mesures de substitution prises à son préjudice.
4.4. Ce raisonnement ne prête pas le flanc à la critique.
Il ressort de l'arrêt querellé que le recourant a versé des sûretés de 15'000 fr. au titre de mesures de substitution à sa libération du 3 juin 2013. Par ordonnance du 29 juillet 2015, dûment notifiée au défenseur du recourant, le Ministère public a prononcé la dévolution de ces sûretés après que le recourant n'avait pas comparu à deux audiences. L'ordonnance de dévolution est certes de nature constatatoire. Il n'en demeure pas moins que le recourant n'a pas usé des voies de droit pour la contester; il ne soutient pas à cet égard qu'il n'en aurait pas eu connaissance, ni qu'il aurait été empêché de recourir. L'ordonnance de dévolution des sûretés ne peut dès lors plus être remise en cause et le recourant a perdu le droit à la restitution des sûretés versées.
Aussi la cour cantonale n'a-t-elle pas violé le droit en confirmant la décision du Ministère public refusant d'entrer en matière sur le grief portant sur la dévolution du montant de 15'000 francs.
5.
Il s'ensuit que le recours doit être partiellement admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale afin qu'elle statue à nouveau dans le sens des considérants (cf. consid. 3.6
supra); ce faisant, elle se déterminera également sur les frais et indemnités de la procédure cantonale. L'arrêt doit être confirmé pour le surplus (cf. consid. 4
supra).
Le recourant, qui obtient partiellement gain de cause avec l'assistance d'un mandataire professionnel, a droit à des dépens à la charge de la République et canton de Genève (cf. art. 68 al. 1 LTF); vu l'admission du recours sur un point essentiel, il n'y a pas lieu de réduire cette indemnité. Pour ce même motif, il ne sera pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est partiellement admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale afin qu'elle statue à nouveau dans le sens des considérants. Pour le surplus, le recours est rejeté.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
La République et canton de Genève versera au recourant la somme de 3'000 fr. à titre de dépens pour l'instance fédérale.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 28 août 2024
Au nom de la II e Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
La Greffière : Schwab Eggs