Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
5C.201/2006 /frs
Arrêt du 28 décembre 2006
IIe Cour civile
Composition
M. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Escher et Hohl.
Greffière: Mme Rey-Mermet.
Parties
1. X.________,
2. Y.________,
3. Dame Z.________,
défendeurs et recourants,
tous les trois représentés par Me Christian Favre, avocat,
contre
Les époux A.________,
demandeurs et intimés,
tous les deux représentés par Me Daniel Perruchoud, avocat,
Objet
rapports de voisinage, immissions,
recours en réforme contre le jugement de la Cour civile II du Tribunal cantonal du canton du Valais du 19 juin 2006.
Faits:
A.
Les époux A.________ sont copropriétaires de la parcelle n° aaa de la commune de H.________, sur laquelle est édifié un chalet. Ce terrain, qui accuse une certaine déclivité, surplombe les parcelles nos xxx et zzz, qui lui sont contiguës.
X.________ et son frère Y.________ sont copropriétaires du fonds n° xxx, sur lequel s'élève un chalet. Ils l'ont acquis de leurs parents, Z.________ et dame Z.________, laquelle en a conservé l'usufruit. X.________ est aussi propriétaire de la parcelle n° zzz, actuellement non construite.
Des arbres de haute futaie non fruitiers, notamment des bouleaux, se trouvent sur les parcelles nos xxx et zzz, à une distance de 1,6 mètre à plus de 10 mètres de la limite qui les séparent du fonds n° aaa. Leur hauteur variait entre 8 et 11 mètres au printemps 2005. Ce massif boisé masque la vue des époux A.________ en direction de la plaine et sur une partie du versant nord de la vallée du Rhône, mais ne les prive pas de lumière.
B.
En décembre 1997, les époux A.________ ont saisi le juge de district de Sierre en vue d'obtenir l'écimage des arbres situés sur les fonds de X.________ et de Y.________. Les parties ont transigé en convenant notamment de rabattre les arbres "dans une mesure compatible avec leur croissance normale, compte tenu d'exigence esthétique raisonnable de manière à restaurer autant que possible la vue depuis la parcelle des demandeurs". Elles se sont ensuite opposées sur les modalités d'exécution, de sorte que les époux A.________ ont saisi le juge de district, le 31 juillet 2000, d'une requête en exécution de la transaction. Sur ordre du juge, la hauteur des arbres a été réduite de 5 à 7 mètres. Depuis lors, ils ont poussé sans que leur développement naturel ne soit entravé.
C.
Par mémoire-demande du 5 novembre 2003, les époux A.________ ont ouvert action contre X.________ et les époux Z.________ et ont conclu notamment à l'abattage des arbres se trouvant à moins de 5 m de la limite avec leur fonds. A titre subsidiaire, ils ont demandé l'écimage des feuillus d'une hauteur supérieure à 10 mètres. Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande. A la suite du décès de Z.________ survenu en cours d'instance, ses hoirs, dont Y.________, ont pris sa place au procès.
Au débat final du 30 mai 2006, les demandeurs ont invité les juges cantonaux à ordonner la réduction des arbres situés à plus de 5 mètres de la limite à une "hauteur permettant d'assurer la vue sur la plaine".
D.
Par jugement du 19 juin 2006, la Cour civile II du Tribunal cantonal valaisan a ordonné aux défendeurs l'abattage des arbres situés à une distance inférieure à 5 mètres de la limite de la parcelle n° aaa, ainsi que de ceux qui pousseraient à cet endroit dans le futur. Concernant les arbres distants de 5 à 10 mètres de la limite, elle a ordonné leur réduction et leur maintien à une hauteur maximale de 5 mètres. Quant à ceux situés à plus de 10 mètres, elle a enjoint les défendeurs de les couper afin qu'ils ne dépassent pas la cime des arbres situés en amont.
E.
Les défendeurs exercent un recours en réforme au Tribunal fédéral, concluant au rejet de la demande.
Les demandeurs ont conclu au rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le jugement attaqué tranche une contestation civile portant sur des droits de nature pécuniaire (ATF 52 II 292 consid. 1) dont la valeur dépasse 8'000 francs. Il constitue une décision finale prise par le tribunal suprême du canton et qui ne peut pas être l'objet d'un recours ordinaire de droit cantonal (cf. art. 23 al. 1 let. b CPC/VS). Le recours en réforme, interjeté en temps utile - compte tenu de la suspension des délais prévue par l'art. 34 al. 1 let. a OJ -, est donc recevable au regard des art. 46, 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.
2.
2.1 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral fonde son arrêt sur les faits tels qu'ils ont été constatés par la dernière autorité cantonale, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, que des constatations ne reposent sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il ne faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents régulièrement allégués et prouvés (art. 64 al. 2 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c et l'arrêt cité). En dehors de ces hypothèses, les griefs dirigés contre les constatations de fait - ou l'appréciation des preuves à laquelle s'est livrée l'autorité cantonale (ATF 127 III 543 consid. 2c) - et les faits nouveaux sont irrecevables (art. 55 al. 1 let. c OJ).
3.
Les défendeurs reprochent à l'autorité cantonale d'avoir commis une inadvertance manifeste dans la constatation des faits.
3.1 La jurisprudence n'admet l'existence d'une inadvertance manifeste, susceptible d'être rectifiée d'office par le Tribunal fédéral en application de l'art. 63 al. 2 OJ, que lorsque l'autorité cantonale a omis de prendre en considération une pièce déterminée, versée au dossier, ou l'a mal lue, s'écartant par mégarde de sa teneur exacte, en particulier de son vrai sens littéral (ATF 115 II 399 consid. 2a; 109 II 159 consid. 2b et les arrêts cités). L'autorité cantonale s'écarte, par mégarde, de la teneur exacte d'une pièce, par exemple, lorsqu'elle commet une erreur de lecture, ou lorsqu'elle ne remarque pas l'existence d'une faute d'écriture ou lorsqu'elle ne prend pas en considération la relation évidente existant entre différentes pièces du dossier. L'inadvertance manifeste ne saurait être confondue avec l'appréciation des preuves. Dès l'instant où une constatation de fait repose sur l'appréciation, même insoutenable, d'une preuve, d'un ensemble de preuves ou d'indices, une inadvertance est exclue (Poudret, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. II, 1990, n. 5.4 ad art. 63 OJ).
3.2 Selon les défendeurs, la constatation des juges cantonaux selon laquelle les arbres masquent pratiquement toute vue sur la plaine et sur une partie du versant nord de la vallée du Rhône est en contradiction manifeste avec les photos versées au dossier.
Il résulte toutefois du jugement attaqué que cette constatation repose sur l'appréciation d'un ensemble de preuves (inspection des lieux, photos et expertise), de sorte qu'une inadvertance manifeste n'entre pas en ligne de compte.
4.
Les recourants se plaignent d'une violation des art. 679 et 684 CC . Ils soutiennent en bref que la cour cantonale a qualifié à tort d'excessives les immissions résultant de la présence d'arbres sur leurs parcelles.
4.1 Selon l'art. 684 CC, le propriétaire est tenu, dans l'exercice de son droit, de s'abstenir de tout excès au détriment de la propriété du voisin (al. 1); sont interdits en particulier les émissions de fumée ou de suie, les émanations incommodantes, les bruits, les trépidations qui ont un effet dommageable et qui excèdent les limites de la tolérance que se doivent les voisins eu égard à l'usage local, à la situation et à la nature des immeubles (al. 2). Sont concernées par cette disposition non seulement les immissions dites positives, mais également les immissions dites négatives, telle que la privation de vue ou d'ensoleillement (ATF 126 III 452 consid. 2). Le propriétaire victime de telles immissions peut agir en cessation ou prévention du trouble ainsi qu'en réparation du dommage (art. 679 CC).
4.1.1 La compétence législative réservée aux cantons par l'art. 688 CC dans le domaine des plantations ne fait pas obstacle à l'application des art. 679 et 684 CC , qui sont subsidiaires par rapport aux dispositions de droit cantonal (ATF 126 III 452 consid. 3; cf. ATF 131 III 505 consid. 3). Le droit fédéral relatif à la protection contre les immissions excessives offre sur tout le territoire national une garantie minimale lorsque le droit cantonal ne peut trouver application, malgré l'inobservation des distances prescrites. Les immissions provenant de la présence de plantations ne sont prohibées par l'art. 684 CC qu'exceptionnellement, soit lorsqu'il est établi qu'elles sont excessives. Ainsi, dans l'ATF 126 précité, le Tribunal fédéral a admis l'application de cette disposition concernant une situation dans laquelle les arbres litigieux d'une hauteur d'environ 25 m masquaient la vue des demandeurs et projetaient une ombre importante sur leur parcelle en début d'après-midi, pendant les périodes de printemps et d'automne, de sorte que leur qualité de vie se trouvait considérablement affectée. Steinauer cite également (Les droits réels, II, 3e éd., 2002, n° 1811a) l'exemple d'une vue exceptionnelle dont bénéficie une parcelle qui pourrait constituer également un cas particulier justifiant l'application des art. 679 et 684 CC .
4.1.2 Selon la jurisprudence, dans la délimitation entre les immissions licites et celles qui sont illicites parce qu'excessives, le facteur déterminant est l'intensité de l'effet dommageable, qui doit être appréciée d'après des critères objectifs (ATF 126 III 223 consid. 4a et les références citées). Le juge doit procéder à une pesée objective et concrète des intérêts en présence, en prenant comme référence la sensibilité d'un homme ordinaire se trouvant dans la même situation. Pour déterminer si les immissions constatées sont excessives et partant illicites eu égard à la situation des immeubles au sens de l'art. 684 CC, de même que pour ordonner les mesures qui lui paraissent appropriées, le juge dispose d'un certain pouvoir d'appréciation dans l'application des règles du droit et de l'équité. En pareil cas, le Tribunal fédéral fait preuve de retenue et n'intervient que si le juge a abusé de son pouvoir d'appréciation, en se référant à des critères dénués de pertinence ou en ne tenant pas compte d'éléments essentiels, ou lorsque la décision, dans son résultat, est manifestement inéquitable ou heurte de manière choquante le sentiment de justice (ATF 126 III 223 consid. 4a et les références citées).
5.
Il convient d'examiner, à la lumière des considérations qui précèdent et des critiques formulées par la défenderesse, s'il apparaît contraire au droit fédéral, sur la base des faits tels qu'ils ont été constatés par la cour cantonale (cf. art. 63 al. 2 OJ), d'admettre l'existence d'immissions excessives.
5.1 Selon le jugement attaqué, les plantations litigieuses sont soumises à la loi valaisanne d'application du Code civil suisse (aLACC/VS), dans sa version antérieure au 1er janvier 1999. D'après l'art. 177 al. 1 de cette loi (cf. art. 146 al. 1 let. a de la nouvelle loi d'application du Code civil suisse, nLACC), les arbres de haute futaie non fruitiers, tels que chênes, pins, ormes, peupliers, hêtres et autres semblables, ainsi que les noyers et les châtaigniers ne peuvent être plantés qu'à une distance de 5 mètres de la limite du fonds voisin. Les juges exposent que la prétention en abattage des arbres fondée sur cette disposition est prescrite. Se référant à l'art. 146 al. 2 nLACC qui prescrit que, dans tous les cas, la hauteur ne doit pas dépasser deux fois la distance à la limite, ils relèvent que les demandeurs ne peuvent fonder leur prétention en écimage sur cette disposition car la présence des plantations litigieuses est antérieure à son entrée en vigueur. La cour cantonale retient que les immeubles des parties se situent dans une zone composée essentiellement de prairies. Elle observe que, si la présence de bouleaux y est commune, les plantations litigieuses se sont développées massivement après l'acquisition par les demandeurs de la parcelle n° aaa, laquelle bénéficierait d'une plus-value de 10'000 fr. sans la présence de ce massif boisé. Les défendeurs, qui ont consenti en 1997 à élaguer les arbres, sont nécessairement conscients des désagréments causés par la présence de ces plantations, qui masquent pratiquement toute vue des demandeurs sur la plaine, ainsi que sur une partie du versant nord de la vallée du Rhône (cf. lettre A supra). Procédant ensuite à une pesée des intérêts en présence, les juges cantonaux estiment que celui des époux A.________ à recouvrer cette vue l'emporte sur celui des propriétaires de la parcelle n° xxx à leur intimité, que la présence de quelques arbres "d'une hauteur raisonnable" suffirait à préserver. La propriétaire de la parcelle n° zzz ne peut justifier quant à elle d'aucun intérêt de ce type, vu l'absence de construction sur ce fonds. A l'issue de ces considérations, la cour cantonale conclut que les immissions provenant de la présence de la haie de feuillus et des bouleaux sont excessives.
5.2 En l'espèce, les demandeurs se plaignent uniquement d'une diminution de leur champ de vision. Selon le jugement attaqué, les plantations litigieuses masquent pratiquement toute vue en direction de la plaine, ainsi que sur une « bonne partie du versant nord ». Cette seule constatation ne donne aucune indication sur l'intensité du désagrément subi par les demandeurs. Il ne ressort en particulier pas du jugement attaqué que les plantations les privent d'un panorama exceptionnel, ni même d'une belle vue. Selon les constatations du jugement cantonal, il n'apparaît pas que les sommets du versant opposé soient cachés par les arbres litigieux. Il faut également tenir compte du fait que les demandeurs sont avantagés par la pente, car leur fonds surplombe les immeubles des défendeurs. Enfin, le jugement attaqué ne précise pas si les nuisances alléguées touchent des parties déterminées de l'immeuble des demandeurs ou toute la surface de celui-ci.
En ce qui concerne les éléments dont a tenu compte la cour cantonale, les défendeurs relèvent à juste titre que la transaction conclue par les parties en 1997 ne constitue pas un critère pertinent pour juger du caractère excessif des immissions au sens de l'art. 684 CC. S'agissant d'une action fondée sur l'art. 684 CC, dans la mesure où les juges cantonaux devaient se placer d'un point de vue objectif, en tenant compte des impressions d'un homme ordinaire, ils n'avaient pas à considérer la prétendue volonté des parties en 1997. De même, la plus-value de 10'000 fr. qui résulterait de l'abattage et de l'élagage des arbres litigieux ne permet pas de conclure à l'existence d'une immission, et encore moins au caractère excessif de celle-ci. Enfin, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, la situation des immeubles en zone de prairie et le fait que les arbres litigieux aient poussé postérieurement à l'achat de la parcelle n° aaa ne suffisent pas à établir l'existence d'un excès au sens de l'art. 684 CC.
Cela étant, l'insuffisance des constatations de fait cantonales révélée ci-dessus rend impossible l'examen de l'application du droit fédéral et des conclusions des parties. Partant, la cause doit être renvoyée à l'autorité cantonale pour compléter l'état de fait, dans la mesure où les règles cantonales de procédure le permettent, afin de trancher la question de l'existence d'immissions excessives au sens du droit fédéral (art. 52 OJ).
6.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être admis et le jugement entrepris annulé.
Vu l'admission du recours et l'issue encore incertaine du litige au fond, il se justifie de répartir l'émolument judiciaire par moitié entre les demandeurs et les défendeurs ( art. 156 al. 3 et 7 OJ ) et de compenser les dépens ( art. 159 al. 3 et 5 OJ ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis, le jugement attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis pour moitié à la charge des demandeurs, solidairement entre eux, et pour moitié à la charge des défendeurs, solidairement entre eux.
3.
Les dépens sont compensés.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour civile II du Tribunal cantonal du canton du Valais.
Lausanne, le 28 décembre 2006
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: