Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_111/2025
Arrêt du 29 avril 2025
IIIe Cour de droit public
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux Moser-Szeless, Présidente, Beusch et Bollinger.
Greffière : Mme Perrenoud.
Participants à la procédure
Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève, rue des Gares 12, 1201 Genève,
recourant,
contre
A.________,
représentée par M e Thierry Sticher, avocat,
intimée.
Objet
Assurance-invalidité,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 23 décembre 2024 (A/4319/2021- ATAS/1063/2024).
Faits :
A.
Par décision du 24 novembre 2021, l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: l'office AI), a reconnu le droit de A.________, née en 1973, à un quart de rente depuis le 1er janvier 2020.
B.
Statuant le 23 décembre 2024 sur le recours formé par l'assurée contre cette décision, la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève l'a admis au sens des considérants, après avoir notamment ordonné une expertise psychiatrique (rapport du docteur B.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, du 18 mai 2023). Elle a réformé la décision du 24 novembre 2021 en ce sens qu'est reconnu à A.________ le droit à une rente entière d'invalidité dès le 1er janvier 2020 non limitée dans le temps.
C.
L'office AI interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, dont il demande l'annulation partielle, en tant qu'il octroie à A.________ une rente entière d'invalidité fondée sur un taux d'invalidité de 71,62% pour la période du 1er avril 2022 au 31 décembre 2023. Il conclut à la reconnaissance du droit de la prénommée à 68% d'une rente entière d'invalidité durant cette période. Il sollicite également l'octroi de l'effet suspensif au recours.
L'assurée conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
Le recours en matière de droit public peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF . Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il statue par ailleurs sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant qui entend s'en écarter doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées sinon un état de fait divergent ne peut pas être pris en considération.
2.
2.1. En instance fédérale, le litige a trait au droit de l'assurée à une rente de l'assurance-invalidité pour la période du 1er avril 2022 au 31 décembre 2023 (droit à une rente entière selon l'instance précédente, respectivement à 68% d'une rente entière selon l'office recourant). Est seul litigieux le calcul du taux d'invalidité de l'intimée pour la période déterminante, plus particulièrement le taux d'abattement à opérer sur le revenu statistique d'invalide.
L'office recourant ne conteste pas que l'intimée a droit à une rente entière d'invalidité du 1er janvier 2020 au 31 mars 2022, ainsi qu'à compter du 1er janvier 2024. Il ne s'en prend pas non plus aux constatations et considérations de la juridiction de première instance quant à la capacité de travail de l'assurée (nulle de janvier 2019 à décembre 2021, puis de 50%, dans une activité adaptée, dès janvier 2022) et quant à son statut (de personne active à 100%).
2.2. Dans le cadre du "développement continu de l'AI", la LAI, le RAI et la LPGA - notamment - ont été modifiés avec effet au 1er janvier 2022 (modification du 19 juin 2020, RO 2021 705; FF 2017 2535). Comme l'a retenu à juste titre la juridiction cantonale, ces modifications sont applicables en l'espèce en lien avec la modification de la situation de l'assurée qu'elle a admise à compter du 1er janvier 2022 (soit le recouvrement d'une capacité de travail de 50% dès cette date; ATF 150 V 323 consid. 4.2).
3.
3.1. À l'appui de son recours, l'office AI se prévaut d'une mauvaise application du droit fédéral. Il reproche aux juges précédents d'avoir opéré une réduction forfaitaire automatique de 20% sur le revenu statistique d'invalide dès 2022, en application de l'art. 26bis al. 3 RAI, dans sa teneur en vigueur à compter du 1er janvier 2024. En se référant à l'art. 26bis al. 3 RAI, dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2023 et à l'ATF 150 V 410, le recourant soutient que la juridiction cantonale aurait dû procéder à une analyse globale de la situation pour justifier un abattement supplémentaire au-delà de la déduction forfaitaire de 10% alors autorisée, ce qu'elle n'a pas fait. Il fait par ailleurs valoir qu'il n'existe, en l'occurrence, aucun motif pour admettre un abattement supérieur à 10% pour la période du 1er avril 2022 au 31 décembre 2023. Partant, le taux d'invalidité de l'assurée devait être fixé à 68% pour ladite période (taux issu d'une comparaison entre un revenu d'invalide de 24'400 fr., après réduction forfaitaire de 10%, et un revenu de valide de 76'433 fr.), ouvrant le droit à une rente d'invalidité de 68% (cf. art. 28b al. 2 LAI, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2022; consid. 2.2 supra).
3.2. Pour sa part, l'assurée allègue en substance que c'est à bon droit que l'instance précédente a appliqué un abattement uniforme de 20% sur le salaire statistique d'invalide durant l'ensemble de la période considérée.
4.
4.1. À la suite des premiers juges, on rappellera que selon l'art. 26bis al. 3 RAI, dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2023 (RO 2021 706), si, du fait de l'invalidité, les capacités fonctionnelles de l'assuré au sens de l'art. 49 al. 1bis RAI ne lui permettent de travailler qu'à un taux d'occupation de 50% ou moins, une déduction de 10% pour le travail à temps partiel est opérée sur la valeur statistique.
Dans l'ATF 150 V 410, le Tribunal fédéral a considéré que la réglementation de la déduction du salaire statistique, telle que prévue de manière exhaustive par l'art. 26bis al. 3 RAI (dans sa teneur en vigueur dès le 1er janvier 2022), est contraire à la loi. Il a jugé que dans la mesure où, après la prise en compte des instruments de correction réglementaires, les circonstances du cas d'espèce justifient une correction plus élevée, il convient de recourir en complément aux principes jurisprudentiels appliqués jusqu'à présent concernant la déduction sur le salaire statistique (consid. 10.6).
4.2. Depuis le 1er janvier 2024 (RO 2023 635), l'art. 26bis al. 3 RAI prévoit qu'une déduction de 10% est opérée sur la valeur statistique visée à l'al. 2. Si, du fait de l'invalidité, l'assuré ne peut travailler qu'avec une capacité fonctionnelle au sens de l'art. 49 al. 1bis RAI de 50% ou moins, une déduction de 20% est opérée. Aucune déduction supplémentaire n'est possible.
Selon l'al. 1 des dispositions transitoires relatives à la modification du 18 octobre 2023 (entrée en vigueur le 1er janvier 2024), pour les rentes en cours à l'entrée en vigueur de cette modification qui correspondent à un taux d'invalidité inférieur à 70% et pour lesquelles le revenu avec invalidité a été déterminé sur la base de valeurs statistiques et n'a pas déjà fait l'objet d'une déduction de 20%, une révision est engagée dans les trois ans qui suivent l'entrée en vigueur de la modification. Si la révision devait conduire à une diminution ou à une suppression de la rente, il y sera renoncé. Si elle devait conduire à une augmentation de la rente, celle-ci prendra effet à l'entrée en vigueur de la présente modification.
5.
5.1. L'argumentation de l'office recourant selon laquelle la juridiction cantonale a omis d'examiner "la pertinence de l'application d'un éventuel abattement dû à l'atteinte à la santé conformément à la jurisprudence fédérale" est bien fondée. En effet, après s'être référée à l'ATF 150 V 410 et aux dispositions transitoires relatives à la modification du 18 octobre 2023 (RO 2023 635; cf. consid. 4 supra), l'instance précédente a considéré qu'il paraissait "légitime" d'appliquer une réduction de 20% et non de 10% déjà antérieurement au 1er janvier 2024. Ce faisant, elle n'a pas examiné si, dans le cas d'espèce, des circonstances justifiaient d'opérer un abattement supérieur à la déduction de 10% prévue par l'art. 26bis al. 3 RAI (dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2023).
Or pour les droits à la rente qui prennent naissance entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 - de même que pour les droits à la rente qui ont dû être adaptés entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 en raison d'une révision ou d'un octroi échelonné avec effet rétroactif -, il convient de tenir compte de l'ATF 150 V 410. Cela signifie que lors de la détermination du revenu avec invalidité en se fondant sur des données statistiques, il faut également examiner la pertinence de l'application d'un éventuel abattement dû à l'atteinte à la santé conformément à la jurisprudence en vigueur avant le 1er janvier 2022, en sus de l'abattement de 10% prévu pour le travail à temps partiel (par l'art. 26bis al. 3 RAI, dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2023; cf. le ch. 2 de la Lettre circulaire AI n° 445 de l'Office fédéral des assurances sociales du 26 août 2024; pour un cas d'application, cf. arrêt 8C_424/2024 du 6 février 2025 consid. 6.2). Une application de l'art. 26bis al. 3 RAI, dans sa teneur en vigueur à compter du 1er janvier 2024 n'entre pas en ligne de compte. L'effet anticipé positif - à savoir l'application du droit futur qui n'est pas encore en vigueur en lieu et place du droit actuel - n'est en principe pas admissible (cf. arrêt 8C_106/2024 du 8 août 2024 consid. 3.2.7.2 et les arrêts cités; cf. aussi arrêt 1C_142/2022 du 7 juin 2023 consid. 2.4.2).
5.2. En ce qui concerne le taux d'abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l'ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d'autorisation de séjour et taux d'occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d'une activité lucrative (cf. ATF 135 V 297 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Alors que le point de savoir s'il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou d'autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral, l'étendue de l'abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d'appréciation, qui est soumise à l'examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d'appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif ("Ermessensüberschreitung") ou négatif ("Ermessensunterschreitung") de son pouvoir d'appréciation ou a abusé ("Ermessensmissbrauch") de celui-ci (ATF 137 V 71 consid. 5.1; 132 V 393 consid. 3.3).
5.3. En l'espèce, comme le fait valoir l'office recourant, les circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier ne permettent pas d'admettre un abattement supérieur à la déduction de 10% prévue par l'art. 26bis al. 3 RAI (dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2023) pour la période du 1er avril 2022 au 31 décembre 2023. D'une part, il ressort de l'arrêt entrepris que les limitations fonctionnelles de l'intimée ont été prises en compte dans l'appréciation de sa capacité de travail dans une activité adaptée (cf. consid. 7.1 de l'arrêt entrepris), si bien qu'il n'y a pas lieu d'en tenir compte une seconde fois (sur ce point, cf. ATF 148 V 174 consid. 6.3; arrêt 9C_537/2019 du 25 février 2020 consid. 4.2 et les arrêts cités). Les juges précédents ont en effet constaté que le docteur B.________ avait attesté une capacité de travail de 50%, sans limitation de rendement supplémentaire, dans une activité adaptée aux limitations de l'assurée (activité impliquant une faible sollicitation des ressources attentionnelles, dans un milieu bienveillant sans pression hiérarchique, idéalement en petite équipe, par exemple, dans une activité de formatrice). D'autre part, un abattement supplémentaire ne peut pas non plus se justifier au regard de l'âge de l'assurée (48 ans au moment de la décision de l'office recourant du 24 novembre 2021), qui bénéficie par ailleurs d'un permis C (au sujet de la nationalité/catégorie d'autorisation de séjour en tant que facteur d'abattement, cf. arrêts 9C_857/2017 du 24 août 2018 consid. 4.3.2; U 420/04 du 25 juillet 2005 consid. 2.5.2 et la référence). Quant au critère des années de service, il ne joue pas non plus de rôle en l'occurrence, dès lors que les premiers juges ont fixé le revenu statistique d'invalide en se référant au niveau de compétences 1 de l'ESS (cf. arrêts 8C_546/2023 du 28 mars 2024 consid. 6.2.3; 9C_874/2014 du 2 septembre 2015 consid. 3.3.2).
5.4. En définitive, au vu des revenus d'invalide et de valide fixés par les juges précédents à 54'222 fr. et 76'433 fr. et non contestés par l'intimée, le taux d'invalidité de celle-ci s'élève à 68,02% (arrondi à 68%) après le recouvrement d'une capacité de travail de 50% dès le 1er janvier 2022 (soit un revenu avec invalidité de 24'400 fr., compte tenu d'une capacité de travail de 50% et après réduction forfaitaire de 10%, comparé au revenu de valide de 76'433 fr.). Ce taux d'invalidité ouvre le droit à une rente de 68% du 1er avril 2022 au 31 décembre 2023 (cf. art. 28b al. 2 LAI, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2022; consid. 2.2 supra). Le recours est bien fondé.
6.
Le présent arrêt rend sans objet la requête d'effet suspensif présentée par l'office recourant.
7.
Vu l'issue du litige, les frais judiciaires seront supportés par l'intimée (art. 66 al. 1 LTF), qui n'a pas droit à des dépens (art. 68 al. 1 LTF). Au regard de l'étendue de la réforme de l'arrêt attaqué, il n'y a pas lieu de modifier la répartition des frais de justice et des dépens de la procédure antérieure (art. 67 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. Le ch. 2 du dispositif de l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 23 décembre 2024 et la décision de l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève du 24 novembre 2021 sont réformés en ce sens que A.________ a droit à une rente entière d'invalidité dès le 1er janvier 2020, à 68% d'une rente entière du 1er avril 2022 au 31 décembre 2023, puis à une rente entière dès le 1er janvier 2024.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 29 avril 2025
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Moser-Szeless
La Greffière : Perrenoud