Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
5P.71/2006 /frs
Arrêt du 29 mai 2006
IIe Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Raselli, Président, Meyer et Hohl.
Greffière: Mme Mairot.
Parties
dame Y.________, (épouse),
recourante, représentée par Me Laurent Moreillon, avocat,
contre
Y.________, (époux),
intimé,
Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Palais de justice de l'Hermitage, route du Signal 8, 1014 Lausanne.
Objet
recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre
des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 20 janvier 2006.
Faits:
A.
Y.________, né le 27 janvier 1959, et dame Y.________, née le 14 mai 1956, se sont mariés à Lausanne le 5 octobre 1987. Deux enfants sont issus de cette union: A.________, née le 31 août 1988, et B.________, né le 13 avril 1991.
Une procédure de mesures protectrices de l'union conjugale a opposé les époux entre juillet 2000 et décembre 2001.
Le 8 avril 2002, le mari a demandé unilatéralement le divorce.
Plusieurs décisions sur mesures provisoires ont été rendues. Statuant le 19 octobre 2005 sur les mesures provisionnelles requises par le mari à l'audience de jugement du 18 janvier précédent, le Tribunal civil de l'arrondissement de Lausanne a notamment condamné celui-ci à contribuer à l'entretien de ses enfants par le versement d'un montant de 2'500 fr. par mois, allocations familiales en sus, dès le 1er février 2005.
B.
L'épouse a formé un recours de droit public au Tribunal fédéral contre l'ordonnance du Tribunal civil d'arrondissement du 19 octobre 2005. Dans son acte de recours, elle indiquait qu'elle avait également déposé contre la même décision un recours en nullité à la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois.
Par ordonnance du 23 novembre 2005, le président de la cour de céans a suspendu la procédure relative au recours de droit public jusqu'à droit connu sur le recours en nullité cantonal.
La Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud a, par arrêt du 20 janvier 2006, rejeté le recours en nullité et maintenu l'ordonnance du Tribunal civil d'arrondissement du 19 octobre 2005.
Par ordonnance du 9 février 2006, le président de la cour de céans a pris acte du retrait du recours de droit public déposé parallèlement par l'épouse contre cette ordonnance.
C.
Agissant derechef par la voie du recours de droit public pour arbitraire (art. 9 Cst.) et violation de son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.), l'épouse conclut à l'annulation de l'arrêt de la Chambre des recours du 20 janvier 2006.
L'intimé a déposé des observations le 22 mai 2006, sans prendre de conclusions formelles.
L'autorité cantonale s'est référée aux considérants de son arrêt.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 131 I 153 consid. 1 p. 156; 131 II 571 consid. 1 p. 573; 130 I 312 consid. 1 p. 317 et les arrêts cités).
1.1 Les décisions qui statuent en matière de mesures provisionnelles selon l'art. 137 CC ne sont susceptibles que d'un recours de droit public (cf. ATF 126 III 261 consid. 1 p. 263; 118 II 369 consid. 1 p. 371); le présent recours est dès lors recevable sous l'angle de l'art. 84 al. 2 OJ. Il a de plus été déposé en temps utile (art. 89 al. 1 OJ).
1.2 Sous réserve d'exceptions qui ne sont pas réalisées en l'espèce, le recours de droit public n'est recevable qu'à l'encontre des décisions rendues en dernière instance cantonale (art. 86 OJ). En l'occurrence, seul peut être critiqué l'arrêt de la Chambre des recours du 20 janvier 2006 rejetant le recours en nullité dirigé contre l'ordonnance du 19 octobre 2005.
1.3 En vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit contenir, sous peine d'irrecevabilité (cf. ATF 123 II 552 consid. 4a p. 558), un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés et préciser en quoi consiste la violation. Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine ainsi que les griefs expressément soulevés et exposés de façon claire et détaillée dans l'acte de recours, le principe jura novit curia étant inapplicable (ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31). Au demeurant, le justiciable qui exerce un recours de droit public pour arbitraire ne peut se borner à critiquer la décision attaquée comme il le ferait en procédure d'appel, où l'autorité de recours jouit d'une libre cognition; il ne peut en particulier se contenter d'opposer son opinion à celle de l'autorité cantonale, mais il doit démontrer en quoi sa décision serait insoutenable (ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 261; 129 I 113 consid. 2.1 p. 120, 185 consid. 1.6 p. 189; 128 I 295 consid. 7a p. 312; 125 I 492 consid. 1b p. 495).
2.
Invoquant l'art. 29 al. 2 Cst., la recourante soulève une violation de son droit d'être entendue, plus précisément de son droit à une décision motivée, la question de la prise en compte d'un revenu hypothétique supérieur au revenu effectif de l'intimé n'ayant pas été abordée.
2.1 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Pour répondre à ces exigences, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il s'est fondé; il n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les arguments invoqués par les parties. Il n'y a violation du droit d'être entendu que si l'autorité ne satisfait pas à son devoir minimum d'examiner et de traiter les problèmes pertinents (ATF 130 II 530 consid. 4.3 p. 540; 129 I 232 consid. 3.2 p. 236; 126 I 97 consid. 2b p. 102/103 et les arrêts cités).
Le droit d'être entendu étant une garantie constitutionnelle de nature formelle, dont la violation entraîne l'annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 127 V 431 consid. 3d/aa p. 437), ce moyen doit être examiné en premier lieu (ATF 124 I 49 consid. 1 p. 50) et avec un plein pouvoir d'examen (ATF 127 III 192 consid. 3 p. 194 et la jurisprudence citée).
2.2 La Chambre des recours a considéré que la décision de première instance tendait à déterminer le revenu effectif de l'intimé au motif qu'il était possible de s'y tenir, le choix professionnel de celui-ci étant parfaitement défendable. Selon les juges cantonaux, il était dès lors logique, pour le Tribunal civil d'arrondissement, de renoncer à déterminer un éventuel revenu hypothétique du mari. Sa décision était donc suffisamment motivée sur ce point.
La recourante le conteste. Si son grief doit être compris comme étant dirigé contre la décision de première instance, il est irrecevable (art. 86 al. 1 OJ). En ce qui concerne l'arrêt attaqué, celui-ci considère que les éléments invoqués par l'épouse, à savoir la baisse constante des revenus du mari depuis le début du litige, ses changements de situation professionnelle, ses gains antérieurs et les statistiques des revenus des médecins dermatologues représentent certes des indices de nature à indiquer quel pourrait être le revenu effectif de celui-ci, mais ne constituent pas des preuves directes contraignantes quant à la teneur exacte de ce revenu. L'épouse admet du reste que le montant qui a été retenu à ce titre est étayé par les pièces produites par le mari. Dès lors, sans qu'il soit nécessaire de procéder à un nouvel examen des preuves et des indices invoqués, l'appréciation effectuée à ce sujet en première instance ne peut être qualifiée d'arbitraire.
Une motivation aussi indigente ne répond pas aux exigences de l'art. 29 al. 2 Cst. En particulier, on ne voit pas pourquoi les éléments fournis par l'épouse ne constitueraient pas des preuves à prendre en considération pour déterminer le revenu exact du mari. En refusant d'examiner, sans explication pertinente, les arguments de la recourante visant à imputer à l'intimé un salaire plus élevé que celui résultant des pièces produites par celui-ci, l'autorité cantonale a commis un déni de justice formel. L'arrêt attaqué doit donc être annulé sur ce point, indépendamment du grief d'arbitraire dans l'appréciation des preuves également soulevé à ce sujet.
3.
La recourante se plaint en outre d'arbitraire dans la détermination de son revenu hypothétique, fixé à 3'900 fr. par mois pour un travail à mi-temps. Elle expose en bref que, psychiatre de formation sans titre FMH, elle a cessé toute activité lucrative à partir de 1989. A supposer qu'elle puisse exercer comme médecin, ce qui n'est de loin pas établi, il serait insoutenable de lui imputer une capacité de gain fondée sur le barème des salaires des médecins-assistants à l'État de Vaud.
3.1 En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, la décision n'est entachée d'arbitraire que si le juge ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un moyen de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'il se trompe manifestement sur le sens et la portée d'un tel élément, ou encore lorsqu'il procède à des déductions insoutenables à partir des éléments recueillis (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4a p. 211).
Dans un recours de droit public fondé sur l'art. 9 Cst. et dirigé contre une décision de l'autorité cantonale de dernière instance dont la cognition est, comme en l'espèce, limitée à l'arbitraire, le Tribunal fédéral examine librement si c'est à juste titre que l'autorité cantonale n'a pas retenu l'arbitraire. Le recourant doit se plaindre non seulement de ce que les juges cantonaux ont refusé de qualifier d'arbitraire l'appréciation des preuves de l'autorité précédente, mais il doit également s'en prendre aux considérants de celle-ci. En d'autres termes, même si, formellement, le recourant ne peut demander l'annulation du jugement de première instance, il doit, matériellement, remettre en cause l'appréciation des preuves qui y a été effectuée; en outre, puisque seule la décision de l'autorité de dernière instance peut être attaquée, il doit aussi démontrer pourquoi celle-ci a nié à tort l'arbitraire dans l'appréciation des preuves. Il ne peut pas se limiter à reprendre les griefs qu'il avait soulevés dans son recours cantonal (arrêt 1P.105/2001 in RDAT 2001 II 58 227; ATF 125 I 492 consid. 1a/cc p. 494/495; 116 III 70 consid. 2b p. 71).
3.2 Sous réserve de quelques modifications rédactionnelles mineures et d'une brève argumentation dirigée spécifiquement contre l'arrêt attaqué, le présent recours de droit public reproduit textuellement des passages entiers du mémoire adressé à la Chambre des recours. Dans la mesure où la recourante se contente de reprendre les griefs soulevés dans son recours cantonal, sans chercher à démontrer en quoi la Chambre des recours aurait nié à tort l'arbitraire dans l'appréciation des preuves s'agissant de la détermination de sa capacité de gain, son recours est irrecevable. Pour le surplus, ses critiques, de nature essentiellement appellatoire, ne permettent pas d'affirmer que l'arrêt attaqué serait insoutenable dans son résultat dès lors qu'elle ne prétend pas, ni a fortiori n'établit, qu'elle aurait essayé en vain de trouver une activité professionnelle susceptible de lui procurer le revenu contesté.
4.
En conclusion, le recours doit être partiellement admis en tant qu'il est recevable et l'arrêt attaqué annulé dans le sens de ce qui précède. Vu l'issue de la procédure, les frais judiciaires seront répartis par moitié entre les parties (art. 156 al. 3 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à l'intimé, qui a procédé sans recourir à un mandataire professionnel. Celui-ci versera en revanche des dépens réduits à la recourante, qui a obtenu partiellement gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 159 al. 3 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est partiellement admis dans la mesure où il est recevable et l'arrêt attaqué est annulé.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis pour moitié à la charge de chacune des parties.
3.
L'intimé versera à la recourante une indemnité de 1'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 29 mai 2006
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: