Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_453/2023
Arrêt du 29 mai 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Chaix, Juge présidant, Haag et Merz.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
A.________ SA,
représentée par B.________ SA,
recourante,
contre
Municipalité de Renens,
1020 Renens VD, représentée par
Me Carole Wahlen, avocate,
Objet
Permis de construire; remise en état,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du
canton de Vaud, Cour de droit administratif et public,
du 24 juillet 2023 (AC.2023.0033).
Faits :
A.
La société A.________ SA (U.________) est propriétaire de la parcelle no 674 du registre foncier, sur le territoire de la commune de Renens. La parcelle, située entre les voies CFF et la rue du Simplon, fait l'objet du plan partiel d'affectation (PPA) "P 32" de 1989, qui prévoit la construction de deux bâtiments; l'un (rue du Simplon 1 et 3), en forme de L, comprend six niveaux, les quatre premiers destinés aux activités tertiaires, les deux derniers au logement. Le second bâtiment (rue du Simplon 5) peut comporter deux niveaux destinés aux commerces et aux activités tertiaires. Ce PPA a été concrétisé au début des années 1990 par la construction d'un centre administratif, commercial et d'habitat, avec notamment un immeuble de six étages (rue du Simplon 1, 3 et 5) comprenant des locaux destinés aux activités tertiaires aux quatre premiers niveaux, et des habitations aux deux derniers, conformément au PPA.
B.
En 2017, les autorités communales compétentes ont constaté qu'après avoir acquis la parcelle n° 674, A.________ SA avait modifié sans droit l'affectation des locaux: onze logements avaient été aménagés aux niveaux 2, 3 et 4 de l'immeuble sis rue du Simplon 1-3. Ces logements avaient ensuite été mis en location.
Le 13 novembre 2018, la Municipalité de Renens (ci-après: la municipalité) a demandé la régularisation des logements créés sans autorisation, soit par la remise en état des appartements en locaux destinés exclusivement à de l'activité tertiaire, soit par le dépôt d'un dossier en vue de la régularisation des logements, avec mise en conformité par rapport à l'ensemble des normes actuelles (ordonnance fédérale sur la protection contre les accidents majeurs, OPAM, RS 814.012; ordonnance fédérale sur la protection contre le bruit, OPB, RS 814.41; normes de protection contre les incendies et les éléments naturels, etc.). A.________ SA a choisi la seconde possibilité et a présenté, le 19 décembre 2019, une demande de permis de construire pour la régularisation des onze appartements et la création de treize logements supplémentaires, soit 24 au total.
Le 22 juin 2020, la municipalité a délivré le permis de construire assorti de plusieurs exigences particulières concernant l'observation des prescriptions de droit public, notamment en lien avec la protection contre les incendies et les accidents majeurs, et avec l'adaptation, d'un point de vue énergétique et acoustique, des fenêtres de certaines façades. A la requête de la constructrice, la validité de ce permis a été prolongée jusqu'au 22 juin 2023.
Parallèlement, A.________ SA a déposé, en mai et juin 2022, trois demandes de permis de construire portant chacune sur la régularisation d'un logement individuel sur les onze aménagés sans droit. Le 11 octobre 2022, la municipalité a refusé d'entrer en matière sur ces demandes, reprochant à la constructrice de ne pas avoir commencé les travaux de mise en conformité autorisés par le permis de 2020. Le 18 octobre 2022, A.________ SA a indiqué à la municipalité qu'elle n'entendait pas réaliser les travaux autorisés car ceux-ci étaient finalement trop coûteux.
Par décision du 7 décembre 2022, la municipalité a ordonné à A.________ SA soit la mise en conformité, selon les conditions et charges du permis de construire, des 11 logements construits sans autorisation, soit leur remise en état conformément au plan partiel d'affectation "P 32". Dans les deux cas, le délai d'exécution était fixé au 23 juin 2023.
C.
Par arrêt du 24 juillet 2023, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (CDAP) a rejeté le recours formé par A.________ SA et confirmé la décision de la municipalité du 7 décembre 2022. Le permis de construire du 22 juin 2020 étant désormais caduc, seule la question de la remise dans l'état initial se posait. Les transformations avaient été effectuées sans autorisation et les locaux ne pouvaient être régularisés dans leur état actuel puisqu'ils n'étaient pas conformes aux exigences de l'OPAM et que des questions relatives à la protection contre le bruit et les incendies se posaient également. Le retour à des activités tertiaires ne devrait pas occasionner de frais excessifs et était justifié au vu des intérêts en jeu. Un nouveau délai d'exécution était fixé au 31 janvier 2024.
D.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ SA demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal ainsi que la décision du 7 décembre 2022; subsidiairement, elle demande l'octroi d'un nouveau délai de quatre ans pour procéder à la remise en état des onze logements ainsi qu'un délai de cinq mois dès la restitution des appartements par leurs locataires pour procéder à la réaffectation; plus subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause à la CDAP pour nouvel arrêt dans le sens des considérants. La recourante demande en outre l'effet suspensif, qui a été accordé par ordonnance du 3 octobre 2023.
La CDAP se réfère à son arrêt. La Municipalité de Renens conclut au rejet du recours. La recourante a ensuite persisté dans ses conclusions et la municipalité a présenté des observations spontanées le 22 février 2024.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit public des constructions (art. 82 let. a LTF) et déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. La recourante a pris part à la procédure devant la CDAP. En tant que destinataire de l'ordre de remise en conformité, elle est particulièrement touchée par l'arrêt attaqué et peut ainsi se prévaloir d'un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit annulée ou modifiée (art. 89 al. 1 LTF).
Les autres conditions de recevabilité sont au surplus réunies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Se plaignant d'une constatation inexacte des faits, la recourante relève - élément ignoré par la cour cantonale - qu'à l'instar des 5ème et 6ème niveaux voués à l'habitation, le 1er niveau de l'immeuble sis rue du Simplon 1-3 n'est également plus destiné aux activités tertiaires depuis 1993 et comporte plusieurs logements. Compte tenu de ce fait, l'on ne saurait retenir que les logements litigieux présentent un danger pour les locataires qui les occupent. La CDAP aurait aussi ignoré que cinq des appartements litigieux ont été construits entre 2005 et 2008, et quatre autres en 2016-2017, ce qui aurait une influence sur la question de la remise en état.
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), hormis dans les cas visés à l'art. 105 al. 2 LTF. Selon l'art. 97 al. 1 LTF, le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 145 V 188 consid. 2). Le recourant doit expliquer de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (cf. art. 106 al. 2 LTF). Les faits et les critiques invoqués de manière appellatoire sont irrecevables (ATF 145 I 26 consid. 1.3).
2.2. Les faits invoqués par la recourante sont en l'occurrence sans pertinence sur l'issue de la cause. En effet, si des logements ont été autorisés en 1993 au niveau inférieur de l'immeuble, ils l'ont été au terme d'une procédure formelle d'autorisation, et selon la réglementation et les exigences en vigueur à cette époque. Cela n'empêche pas l'autorité d'exiger une remise en conformité des appartements transformés illicitement, selon la réglementation actuellement applicable. En outre, le fait que les transformations remontent à plusieurs années ne saurait d'aucune manière faire échec à un ordre de remise en état, la recourante n'invoquant d'ailleurs pas la prescription sur ce point. Les griefs relatifs à l'établissement des faits doivent ainsi être écartés.
2.3. La Municipalité intimée entend elle aussi critiquer sur certains points les faits retenus dans l'arrêt attaqué (à propos du sort des trois demandes d'autorisation de construire déposées en mai et juin 2022 et de l'existence d'une procédure pénale à l'encontre de l'administrateur de la recourante). Il n'est pas nécessaire de rechercher s'il s'agit de faits nouveaux (art. 99 al. 1 LTF) et si l'intimée est recevable à s'en prévaloir (art. 106 al. 2 LTF) dès lors que, comme cela ressort des considérations ci-dessous, ces faits n'apparaissent pas non plus pertinents pour l'issue de la cause.
3.
Sur le fond, la recourante se plaint d'une violation du principe de la proportionnalité, en relation avec la garantie de la propriété, et d'arbitraire. Elle explique qu'après avoir obtenu le permis de construire pour la régularisation des onze appartements (et la création de treize nouveaux logements), il est apparu que les travaux étaient trop coûteux, raison pour laquelle elle a déposé de nouvelles demandes de permis pour trois appartements. Elle aurait rapidement déposé huit autres demandes si la municipalité n'avait pas refusé de donner suite, ce qui aurait permis un rétablissement d'une situation conforme au droit. Une réalisation par étapes, moins contraignante, aurait permis de parvenir au but recherché et de satisfaire à l'intérêt public lié à la création de logements. La recourante relève que les locataires des appartements litigieux ne sont pas moins en sécurité que ceux des appartements dont l'affectation en habitation a été précédemment autorisée, ou que les occupants de locaux à affectation tertiaire.
3.1. La décision de la municipalité est en l'occurrence fondée sur l'art. 105 al. 1 de la loi vaudoise sur l'aménagement du territoire et les constructions (LATC, RS/VD 700.11), disposition selon laquelle la municipalité est en droit de faire suspendre et, le cas échéant, supprimer ou modifier, aux frais du propriétaire, tous travaux qui ne sont pas conformes aux prescriptions légales et réglementaires.
Lorsqu'une violation du principe de la proportionnalité est invoquée, comme en l'espèce, en lien avec l'application du droit cantonal, et que l'atteinte au droit de propriété ne peut être considérée comme grave - ce qui est le cas s'agissant d'un ordre de remise en état - le Tribunal fédéral ne l'examine que sous l'angle de l'arbitraire (ATF 141 I 1 consid. 5.3.2; 130 I 360 consid. 1.2).
3.2. Le principe de proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.) commande que la mesure étatique soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et qu'elle soit raisonnable pour la personne concernée (ATF 140 I 257 consid. 6.3.1; ATF 140 II 194 consid. 5.8.2). Conformément à ce principe, l'autorité peut renoncer à un ordre de démolition si les dérogations à la règle sont mineures, si l'intérêt public lésé n'est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de l'ouvrage, si celui-ci pouvait de bonne foi se croire autorisé à construire ou encore s'il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit (ATF 132 II 21 consid. 6; 123 II 248 consid. 3a/bb). Celui qui place l'autorité devant un fait accompli doit néanmoins s'attendre à ce que celle-ci se préoccupe plus de rétablir une situation conforme au droit que d'éviter les inconvénients qui en découlent pour lui (ATF 123 II 248 consid. 4a).
3.3. La recourante ne conteste pas que le changement d'affectation n'a pas été autorisé, ce qui a été constaté en octobre 2017 déjà. Dans sa décision du 13 novembre 2018, la municipalité relevait que la volonté exprimée dans le PPA "P 32" était de fixer une majorité d'activités, l'immeuble n'ayant pas été conçu pour des logements. Outre la problématique de la conformité à l'OPAM, ni les façades, ni les aménagements intérieurs ne respectaient les normes de protection contre le bruit, les normes énergétiques, les prescriptions sur le confort intérieur (chaleur, ventilation) ainsi que les normes de protection incendie applicables aux logements. Afin de rendre les locaux habitables, seules des cloisons et des kitchenettes avaient été installées; aucune isolation phonique ou thermique n'avait été réalisée et la façade, avec de grandes baies vitrées non ouvrantes, n'était absolument pas adaptée à des logements. Le choix était donné à la recourante entre un retour des locaux à l'affectation d'origine en bureaux, ou le dépôt d'une demande d'autorisation de construire pour un changement d'affectation. La recourante a opté pour cette seconde possibilité, mais en étendant sa demande à treize autres appartements. Le délai fixé pour le dépôt de la demande a été prolongé et le permis de construire, accordé en juin 2020, a lui aussi été prolongé jusqu'en juin 2023.
Il apparaît ainsi que l'autorité communale a offert une alternative à un rétablissement de la situation initiale, et que la recourante a choisi, sans la contester, la possibilité d'une régularisation par le dépôt d'une demande d'autorisation de construire portant sur l'ensemble des appartements litigieux. Ce n'est que le 18 octobre 2022 qu'elle a fait savoir qu'elle n'effectuerait pas les travaux autorisés compte tenu de leur coût, et qu'elle désirait réaliser dans un premier temps les travaux portant sur la création de trois logements.
L'autorité qui découvre une situation irrégulière est fondée, sans violer le principe de la proportionnalité, à exiger une mise en conformité immédiate et intégrale, ce d'autant qu'en l'espèce, la recourante a pu profiter durant de nombreuses années de la situation illicite qu'elle a créée. La recourante n'ayant pas utilisé le permis de construire qui lui avait été accordé, elle ne saurait, en se fondant sur le principe de la proportionnalité, prétendre à une renonciation à l'ordre de remise en état, ou à un échelonnement des travaux selon son bon vouloir. Les locaux étant inadaptés à un usage d'habitation, l'obligation de revenir à l'affectation d'origine ne viole nullement le principe de la proportionnalité. La recourante ne critique au demeurant pas l'affirmation de la CDAP selon laquelle la transformation des logements en bureaux ne devrait pas occasionner de frais disproportionnés puisqu'elle n'implique pas de mesures constructives importantes.
3.4. La recourante se plaint encore de ce que le délai fixé par la CDAP au 31 janvier 2024 pour procéder à la remise en état des onze logements, serait trop court et disproportionné puisqu'il ne tiendrait pas compte des difficultés liées à la résiliation des baux et aux prolongations que pourraient obtenir les locataires. Le grief, et les conclusions qui s'y rapportent, apparaissent toutefois nouveaux et par conséquent irrecevables (art. 99 al. 2 LTF) dès lors que la recourante ne s'est pas plainte, dans son recours cantonal, de la brièveté du délai (de six mois) fixé par la Municipalité dans sa décision du 7 décembre 2022. Le délai fixé et prolongé (également de six mois) par la cour cantonale était déjà dépassé, le grief apparaît de toute façon sans objet. Il appartiendra en effet à l'autorité communale de fixer un nouveau délai d'exécution en tenant compte, d'une part, des difficultés invoquées par la recourante et, d'autre part, de la nécessité d'obtenir dans un délai raisonnable l'exécution de sa décision désormais entrée en force.
4.
Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité, aux frais de la recourante qui succombe ( art. 65 et 66 al. 1 LTF ). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. Il n'est pas alloué de dépens.
3.
Le présent arrêt est communiqué à la recourante, à la Municipalité de Renens et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public.
Lausanne, le 29 mai 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant : Chaix
Le Greffier : Kurz