Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
5P.261/2006 /frs
Arrêt du 29 novembre 2006
IIe Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
Hohl et Pagan, Juge suppléant.
Greffier: M. Braconi.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Julien Fivaz, avocat,
contre
les époux Y.________,
intimés, représentés par Me Daniel Perren, avocat,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
art. 9 Cst. (responsabilité du propriétaire),
recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève
du 12 mai 2006.
Faits :
A.
A.a X.________ est propriétaire d'un appartement qui se trouve au deuxième étage d'un immeuble sis à Genève.
De 1985 à 1987, des travaux de rénovation et de transformation ont été entrepris dans ce logement. Ils ont porté, notamment, sur les plafonds; une isolation thermique a été posée entre les solives. Sous celles-ci, un plafond en plâtre a été posé; le plafond d'origine en plâtre sur lattis a été ainsi supprimé et remplacé par un faux plafond.
Depuis le 1er juin 1997, X.________ loue ce logement à A.________, moyennant un loyer annuel de 78'000 fr. Le constat d'état des lieux établi à l'entrée de la locataire dans les locaux loués indique que tout l'appartement a été refait à neuf.
A.b Le 14 août 1997, les époux Y.________ ont acquis en copropriété l'appartement situé au troisième étage de l'immeuble en question et au-dessus du logement occupé par A.________.
Dès le mois d'août 1997, les époux Y.________ ont fait procéder, durant quelques mois, à des travaux de rafraîchissement dans leur appartement: l'équipement, les sols et les murs des sanitaires ont été changés; quant aux sols des salles de bains, les carrelages et la chape ont été remplacés, la nouvelle chape étant faite d'une isolation sur laquelle a été apposé un mortier; le solivage n'a pas été touché.
A.c Au cours de l'exécution des travaux dans l'appartement des époux Y.________, des gravats provenant de la partie sanitaire du troisième étage sont tombés à un moment donné dans la partie "dressing et armoire" de l'appartement de A.________.
Un dénommé M.________ a constaté que, à cet endroit, il y avait un faux plafond et des grilles d'aération. Par celles-ci, il a pu voir que, au-delà du faux plafond, se trouvait du matériel isolant, puis la structure du plancher qui n'avait pas été touchée par les travaux en cause; à son avis, ce plafond n'était pas étanche.
L.________, architecte mandaté par X.________ et dont les époux Y.________ contestent l'impartialité en raison d'un litige l'opposant à Y.________, a constaté dans le plafond au-dessus de l'armoire de la locataire une cassure de 5 cm de largeur sur 7 cm de longueur; d'après lui, les gravats s'étaient écoulés par cette ouverture, qui avait été provoquée par les travaux entrepris à l'étage supérieur.
Pendant les travaux litigieux, des espaces ouverts autour de certains tuyaux ont été découverts, l'un d'eux de 10 à 20 mm se trouvant entre la colonne de chute et le plancher dans l'une des salles de bains du troisième étage. Ces ouvertures, qui ont été closes depuis lors, étaient de nature à laisser passer des gravats, voire de la poussière, même si les travaux de rénovation étaient exécutés délicatement.
A.________ a signalé la présence de fissures au plafond situé au-dessous d'une des salles de bains du troisième étage; selon L.________, ces fissures avaient pour origine un choc qui provenait de l'étage supérieur. Par l'intermédiaire du prénommé, la locataire a invité X.________ à remédier à cette situation.
R.________, architecte appelé en qualité d'expert judiciaire, s'est rendu sur place au cours du mois d'octobre 2003. Au-dessus des armoires du "dressing" du deuxième étage, il a constaté que le plafond était constitué d'un "plafonnet" en bois situé à un niveau inférieur du plafond de l'appartement. Dans l'une des armoires du "dressing", ledit "plafonnet" avait été mis de travers, de sorte que, à cet endroit seulement, des gravats auraient pu chuter du troisième étage. Il a estimé qu'une chute de gravats importante aurait été susceptible de causer le dénivellement susmentionné; il n'a pas constaté l'existence de fissures dans le plafond de l'appartement de A.________. D'après l'expert, sur le vu de la composition du plancher séparant les appartements en cause, tous les travaux un peu lourds et/ou entraînant des vibrations étaient propres à déstabiliser la couche de gravats existante et à faire tomber des graviers et/ou de la poussière à travers le plancher non jointif sur laquelle elle reposait. Les travaux exécutés dans les sanitaires du troisième étage pouvaient provoquer un écoulement de gravats à l'étage inférieur. Des mesures particulières, mais rarement adoptées, telles que l'aspiration des gravats au fur et à mesure des travaux permettaient d'éviter cet écoulement. L'expert a toutefois relevé que, dans le cas particulier, le gravier et la poussière provoqués par les travaux devraient rester prisonniers de l'isolation ou du plafond en plâtre (faux plafond) sous solives, sauf peut-être au-dessus des armoires du "dressing", où le plafond présentait un léger défoncement. Les plafonds en plâtre n'étaient pas moins jointifs que des lattis traditionnels et la disposition (supposée) suspendue diminuait le risque d'une apparition de fissures à travers lesquelles pouvaient passer les gravats ou poussières ayant pu traverser l'isolation thermique. Cependant, était réservé le point faible représenté par le léger défoncement du plafond localisé au-dessus des armoires du "dressing".
B.
B.a Au mois de janvier 1998, A.________ s'est plainte de défauts concernant son logement, en particulier du passage continu de petites pierres et poussières ainsi que de la chute de grandes pierres sur les grilles d'aération et les faux plafonds.
Par courrier adressé en avril 1998 à dame X.________, A.________ s'est plainte derechef des défauts affectant l'appartement loué. Depuis le début des travaux au troisième étage, elle avait subi une "pluie" de débris, cailloux et poussières provenant de cet étage et passant par divers orifices et fissures existant dans le faux plafond, infiltrations qui persistaient en dépit de l'achèvement des travaux. La locataire a signalé d'autres défauts (i.e. bruit de radiateurs, jacuzzi, lavabo de la chambre à coucher).
B.b En raison de cette situation, A.________ a consigné le loyer de son appartement à partir du 1er juillet 1998; le 8 juillet 1998, elle a introduit une demande en justice, concluant à la validation de la consignation, à l'exécution des travaux de réfection, à une réduction du loyer de 30% à partir du 1er août 1997 jusqu'à la suppression définitive des défauts et au versement d'une indemnité de 10'000 fr.
Le 21 septembre 1998, un constat a été établi par un huissier. Celui-ci a, en particulier, relevé l'existence de fissures à plusieurs endroits du plafond; dans le couloir donnant sur la chambre à coucher, il y avait de petits gravats, lesquels étaient nombreux dans l'agencement au-dessus d'un lavabo.
Par jugement du 2 juillet 2002, le Tribunal des baux et loyers du canton de Genève, après s'être transporté sur place, a déclaré irrecevable la consignation opérée par la locataire, réduit son loyer de 5% du 1er août 1997 au 31 janvier 1999 et condamné la locataire à verser la somme de 873 fr.30 au bailleur. Cette juridiction a constaté que la locataire ne réclamait plus l'exécution de travaux et que les fentes au plafond du logement avaient été colmatées au cours du mois de janvier 2000. Aucun des inconvénients dénoncés ne justifiait, à lui seul, une réduction de loyer, chacun d'eux étant minime, voire peut-être gênant subjectivement, mais non constitutif d'un "défaut" au sens de la loi; comme le loyer était élevé et qu'il s'agissait d'un logement de luxe, la locataire pouvait néanmoins se montrer exigeante et, à cet égard, l'accumulation des inconvénients survenus constituait bien un défaut. Par rapport à l'exécution des travaux du troisième étage, le Tribunal a constaté dans le "dressing" la présence de poussière et de petits morceaux de plâtre sur le sol, ainsi que l'existence de fentes entre le faux plafond et les armoires encastrées du "dressing"; dans une armoire située au-dessus d'un lavabo du "dressing", il a remarqué des "gravats de poussière".
C.
C.a Le 12 novembre 2001, X.________ a fait notifier à chacun des époux Y._________ un commandement de payer destiné à interrompre la prescription et portant sur la somme de 150'000 fr. en capital; ces deux actes ont été frappés d'opposition.
C.b Le 12 novembre 2002, X.________ a ouvert action en dommages et intérêts ainsi qu'en mainlevée des oppositions à l'encontre des époux Y.________, auxquels il a réclamé la somme de 79'860 fr.75 au titre de la réparation du dommage causé par les nuisances excessives liées aux travaux qu'ils avaient exécutés dans leur appartement. Les défendeurs ont conclu au déboutement du demandeur.
C.c Le 3 novembre 2005, le Tribunal de première instance de Genève a débouté X.________ des fins de sa demande.
Statuant le 12 mai 2006 sur appel du demandeur, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a confirmé ce jugement. En bref, elle a considéré que, si le lien de causalité naturelle entre les travaux exécutés par les défendeurs et les immissions litigieuses était établi, tel n'était pas le cas pour le lien de causalité adéquate; en admettant même que cette dernière condition soit remplie, lesdites atteintes ne seraient pas imputables aux intéressés en raison de l'existence de faits interruptifs de ce lien (i.e. l'état du plafond du demandeur).
D.
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral pour violation de l'art. 9 Cst., X.________ conclut à l'annulation de cette décision. Des observations n'ont pas été requises.
E.
Le recourant a déposé parallèlement un recours en réforme.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Conformément au principe général de l'art. 57 al. 5 OJ, le recours de droit public doit être examiné en premier.
2.
Le Tribunal fédéral vérifie d'office et librement la recevabilité du recours dont il est saisi (ATF 132 III 291 consid. 1 p. 292).
2.1 Déposé en temps utile à l'encontre d'une décision finale rendue en dernière instance cantonale, le recours est recevable sous l'angle des art. 86 al. 1, 87 et 89 al. 1 OJ. Il l'est aussi au regard de l'art. 88 OJ, le recourant étant personnellement touché par la décision attaquée.
2.2 Dans un recours de droit public pour arbitraire, le Tribunal fédéral s'en tient aux faits constatés par la juridiction cantonale, à moins que le recourant ne démontre que ces constatations sont arbitrairement fausses ou lacunaires (ATF 118 Ia 20 consid. 5a p. 26). Les compléments qu'apporte le recourant sont dès lors irrecevables, sous réserve des griefs motivés en conformité avec les exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (infra, consid. 3.2).
3.
Le recourant se plaint, en l'espèce, d'arbitraire dans l'appréciation des preuves.
3.1 De jurisprudence constante, le Tribunal fédéral se montre réservé dans le domaine de l'appréciation des preuves, vu le large pouvoir qu'il reconnaît aux juridictions cantonales (ATF 120 Ia 31 consid. 4b p. 40; 104 Ia 381 consid. 9 p. 399). Il n'intervient, pour violation de l'art. 9 Cst., que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans motifs sérieux de tenir compte de preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9). Encore faut-il que la décision attaquée en soit viciée, non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat (ATF 129 I 49 consid. 4 p. 58; 124 IV 86 consid. 2a p. 88), ce qui implique que l'admission du grief soit de nature à influer sur le sort du litige (ATF 122 I 53 consid. 5 p. 57).
3.2 En vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit contenir, sous peine d'irrecevabilité (cf. ATF 123 II 552 consid. 4a p. 558), un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation. Dans un recours de droit public, le Tribunal fédéral ne connaît que des moyens expressément soulevés et présentés de façon claire et détaillée, le principe iura novit curia étant inapplicable (ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31). Le justiciable qui se plaint d'arbitraire ne peut, dès lors, se contenter de critiquer la décision attaquée comme il le ferait en instance d'appel, où l'autorité supérieure dispose d'une libre cognition; en particulier, il ne saurait se borner à opposer sa thèse à celle de la juridiction cantonale, mais doit démontrer par une argumentation précise que cette décision se fonde sur une appréciation des preuves manifestement insoutenable (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495; 117 Ia 10 consid. 4b p. 11/12 et les références citées dans ces arrêts).
4.
4.1 À l'appui de son moyen, le recourant reproche à la cour cantonale d'être tombée dans l'arbitraire pour ne pas avoir admis que les gravats tombés dans l'appartement de sa locataire étaient d'importante taille, que le léger défoncement du plafond se trouvant au-dessus des armoires du "dressing" était antérieur aux travaux exécutés par les intimés, que le plafond de l'appartement en question était en bon état et que les intimés avaient connaissance soit de l'absence d'étanchéité de l'étage inférieur soit de l'existence d'espaces susceptibles de favoriser l'écoulement des gravats.
De manière générale, le recourant se limite à énoncer des pétitions de principe et à citer de façon fragmentaire les éléments du dossier qu'il estime favorables à sa position, mais sans apporter la démonstration du caractère arbitraire de l'arrêt attaqué sous l'angle des constatations de fait ou de l'appréciation des preuves, en sorte qu'il est douteux que les exigences légales de motivation soient respectées (supra, consid. 3.2). Il n'y a cependant pas lieu d'examiner ce point plus avant, car le recours se révèle en toute hypothèse mal fondé.
4.2 À cet égard, force est de constater que l'avis de l'expert commis par le Tribunal de première instance correspond aux constatations du Tribunal des baux et loyers. D'une part, l'expert a relevé que le léger défoncement du plafond constaté au-dessus de l'une des armoires du "dressing" était dû à un "plafonnet" posé de travers - ce qui paraît déjà exclure que cette situation aurait été causée par des gravats - et, d'autre part, que lesdits gravats et la poussière occasionnés par les travaux incriminés auraient dû rester prisonniers de l'isolation ou du plafond en plâtre (faux plafond), sous réserve du point faible constitué par le léger défoncement en question; en particulier, il n'a pas constaté que l'état général des plafonds de l'appartement du recourant aurait été à l'origine de la chute des gravats ou que ceux-ci auraient endommagé le plafond d'une manière telle qu'il n'aurait pu prévenir leur chute.
Certes, l'expert a précisé qu'une chute de gravats importante aurait pu entraîner le dénivellement du plafond, mais ce n'est là qu'une simple supposition, non pas une certitude, laquelle se heurterait d'ailleurs aux constatations du Tribunal des baux et loyers. En effet, celui-ci n'a noté que la présence de poussière et de petits morceaux de plâtre derrière la porte d'entrée du "dressing", ce qui ne constituait pas un défaut de l'appartement loué, pas plus que, pris isolément, chaque inconvénient relevé par la locataire du recourant; seul l'ensemble de ces éléments correspondait à cette définition, eu égard au montant élevé du loyer et à la nature luxueuse du logement, d'où une réduction de loyer de 5% pendant une durée limitée à dix-huit mois.
Quoi qu'il en soit, l'expert a observé que la défectuosité du plafond était due à un "plafonnet" posé de travers, et que les gravats et nuisances provoqués par les travaux en cause auraient dû rester prisonniers de l'isolation ou du plafond en plâtre, constatation qui a amené l'autorité cantonale à nier l'existence d'un rapport de causalité adéquate entre ces événements et le dommage. La causalité adéquate étant une notion de droit (ATF 116 II 519 consid. 4a in fine p. 524 et la jurisprudence citée), le Tribunal fédéral ne saurait apprécier la qualification juridique de ces faits, autrement dit l'application du droit (art. 43 al. 4 OJ; cf. Poudret, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. II, n. 5 ad art. 43 OJ), dans le présent recours de droit public (art. 84 al. 2 OJ).
Cela étant, la Cour de justice s'est conformée aux principes posés en matière d'expertise, qui interdisent au juge de substituer, sans motifs déterminants, son appréciation à celle de l'expert, sous peine de verser dans l'arbitraire (cf. sur ce point: ATF 122 V 157 consid. 1c p. 161; 119 Ib 254 consid. 8a p. 275; 118 Ia 144 consid. 1c p. 146 et les citations), d'autant que le recourant n'a pas mis en évidence des circonstances propres à ébranler sérieusement la crédibilité de l'expertise.
Enfin, le fait que les intimés aient eu connaissance ou non de l'absence d'étanchéité du plafond et/ou de l'existence d'espaces susceptibles de favoriser la chute des gravats dans l'appartement que loue le recourant est en soi dénué de pertinence, dès lors que la responsabilité fondée sur les art. 679 et 684 CC est de nature causale, ou objective, à savoir indépendante de toute faute de l'auteur du dommage (ATF 119 Ib 334 consid. 3c p. 342).
5.
En conclusion, le présent recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux frais du recourant (art. 156 al. 1 OJ). En revanche, il n'y a pas lieu de l'astreindre à payer des dépens aux intimés, qui n'ont pas été invités à répondre.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 3'500 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 29 novembre 2006
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier: