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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1B_544/2022  
 
 
Arrêt du 30 mars 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Müller, Juge présidant, 
Chaix et Kölz. 
Greffière : Mme Kropf. 
 
Participants à la procédure 
A.________ Limited, représentée 
par Me Christophe Gal, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
Procédure pénale; séquestre, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 20 septembre 2022 (ACPR/636/2022 - P/18980/2018). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. B.________ SA, dont le siège est à la rue U.________ à Genève, est en particulier active dans le commerce de pierres précieuses. Elle exploite notamment la bijouterie C.________, laquelle se trouve à l'adresse susmentionnée.  
Quant à A.________ Limited, il s'agit d'une société sise à Hong Kong (Chine), également active dans le commerce de pierres précieuses. 
Gemological Institute of America (ci-après : GIA), à New York (Etats-Unis d'Amérique) est un institut de référence dans le domaine de la gemmologie, compétent pour classifier et identifier des diamants, ainsi que pour délivrer les certificats d'identification nécessaires à leur commerce. 
 
A.b. Le 28 septembre 2018, vers midi, la police a été informée du vol de 24 diamants ronds - allant de 5.47 à 21.14 carats - au sein de la bijouterie C.________ pour une valeur de 16 à 18 millions de francs suisses; ces pierres n'étaient pas accompagnées de leurs certificats GIA.  
Ce même jour, le gérant de la bijouterie a déposé plainte. Il a produit deux documents énumérant les diamants volés, ainsi que des copies de leurs certificats GIA; il en ressort en particulier que le diamant rond de 21.14 carats - numéro de certificat xxx - figure sur une liste à l'en-tête de la société D.________ SA, dont le siège se trouve également à la rue U.________ à Genève. 
Le 5 octobre 2018, B.________ SA, par l'intermédiaire de son administrateur président, a déposé plainte. Elle a, en parallèle, également informé GIA du vol dont elle avait été la victime, lui adressant une liste des diamants volés, ainsi que leurs numéros de certificat. 
A la mi-avril 2019, GIA a informé la police de la découverte d'un sixième diamant provenant du lot dérobé à Genève; les pièces retrouvées préalablement par l'institut avaient, pour la plupart, été retaillées et leur numéro de sérié effacé; en ce qui concernait la nouvelle pierre, il s'agissait d'un diamant rond taillé 20.33 carats, numéro de certificat xxx, lequel pesait initialement 21.14 carats (ci-après le diamant n° xxx); cette pierre avait été envoyée par E.________ de la société A.________ Limited. 
Selon les explications fournies à la police par le conseil de E.________, celui-ci avait acquis le diamant au début du mois de mars 2019 auprès d'un couple dont il ne savait rien pour un montant de USD 600'000.-; aucun contrat n'avait été signé, les ventes à Hong Kong se concluant par une poignée de mains et le mot "Mazal" (soit "marché conclu" en yiddish, expression servant de laissez-passer dans les quartiers diamantaires); le certificat reçu avec la pierre a été produit (cf. le rapport de renseignement du 4 juillet 2019). 
Par courrier du 18 avril 2019, GIA a informé B.________ SA et A.________ Limited que le diamant rond de 20.33 carats, qui lui avait été soumis par la seconde précitée, était identique ou substantiellement similaire ("the same or substantially similar") à celui déclaré perdu ou volé ("lost or stolen") par B.________ SA avec le numéro de certificat xxx. Dès lors que les deux sociétés en revendiquaient la propriété et qu'au vu des accords signés par les parties avec GIA, celui-ci était compétent pour résoudre de tels litiges, un délai de soixante jours a été imparti aux deux sociétés pour faire parvenir à GIA un accord ou entamer une procédure judiciaire visant à identifier le propriétaire légitime. Le 17 juin 2019, A.________ Limited a introduit une action devant les tribunaux de Hong Kong, concluant en substance à la constatation de son droit de propriété sur le diamant n° xxx; cette procédure était, au 20 septembre 2022, toujours pendante. 
B.________ SA et D.________ SA ont, le 24 juillet 2019, introduit une action devant la Cour suprême de l'Etat de New York afin de faire constater que A.________ Limited n'avait pas acquis le diamant n° xxx de façon régulière et d'en obtenir la restitution. Par décision du 4 mai 2020, la Division commerciale de cette juridiction s'est déclarée incompétente, le fait d'envoyer le diamant n° xxx pour notation à New York n'étant pas suffisant pour y créer un for; le diamant n° xxx devait ainsi rester en possession de GIA dans l'attente d'un accord des parties ou d'instructions du tribunal de Hong Kong, lequel était compétent à raison de la matière. A la suite de l'appel déposé par B.________ SA, la Division d'appel de la Cour suprême de l'Etat de New York a retenu, le 6 avril 2021, que tant les juridictions hongkongaises que celles suisses étaient compétentes, précisant que ces dernières étaient préférables ("Both Hong Kong and Switzerland are adequate alternative forums with Switzerland being the preferred one"); il a été ordonné que le diamant n° xxx reste en possession de GIA dans l'attente d'un accord des parties ou d'instructions d'un tribunal compétent. 
Le 29 novembre 2019, B.________ SA a requis auprès du Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après : le Ministère public) qu'il émette une commission rogatoire en vue de faire séquestrer le diamant n° xxx auprès de GIA; B.________ SA craignait que cette pierre ne soit remise à A.________ Limited à l'issue de la procédure hongkongaise. Par ordonnance du 20 décembre 2019, le Ministère public a ordonné le séquestre, en mains de GIA, du "diamant rond taillé 20.33 carats, numéro de certificat xxx, lequel pesait initialement 21.14 carats"; cette décision a été notifiée à l'institut par la voie de l'entraide. 
Par courrier du 23 novembre 2020, B.________ SA a sollicité du Ministère public qu'il atteste, au regard de la procédure et des pièces en sa possession, du fait qu'elle était la légitime propriétaire du diamant n° xxx. Le Ministère public a, le 16 décembre suivant, répondu comme suit : "Sur votre demande, le Ministère public de Genève vous confirme que le diamant rond de 20.33 carats, dont le poids initial était de 21.14 carats (numéro de certificat : xxx) est la propriété de B.________ SA. Ce diamant faisait partie du lot de diamants, tous propriété de B.________ SA, et qui lui ont été dérobés à Genève entre les 24 et 26 septembre 2018". 
Selon le courrier du 2 juillet 2021 adressé au Ministère public de la part de B.________ SA, la lettre précitée avait été transmise, par l'intermédiaire de son avocat new-yorkais, à GIA afin de récupérer le diamant n° xxx; l'institut n'ayant pas donné suite à cette demande, B.________ SA sollicitait du Ministère public qu'il confirme la teneur de son courrier et invite GIA à lui restituer le diamant n° xxx, au besoin par le biais d'une demande d'entraide. 
Par requête du 27 décembre 2021, B.________ SA a introduit une action mobilière contre A.________ Limited, assortie d'une demande de mesures superprovisionnelles et provisionnelles, auprès du Tribunal de première instance de la République et canton de Genève (ci-après : le Tribunal de première instance), concluant à ce qu'il soit fait interdiction à A.________ Limited de se dessaisir du diamant n° xxx et/ou d'instruire ou d'autoriser GIA à se dessaisir deladite pierre. Ce même jour, le Tribunal de première instance a fait droit à la requête sur mesures superprovisionnelles. Le 7 avril 2022, la demande a été déclarée irrecevable, faute de compétence à raison du lieu. B.________ SA a retiré l'appel formé contre cette décision. 
Par ordonnance du 10 mai 2022, le Ministère public a notamment ordonné le séquestre, "en vue de [sa] restitution[...] à B.________ SA", du "diamant rond de 20.33 carats, dont le poids initial était de 21.14 carats (numéro de certificat : xxx), étant précisé que cette pièce pourrait se trouver, à l'heure actuelle, en mains de GIA New York". Il a considéré qu'il ressortait de la procédure que ce diamant était la propriété de B.________ SA et faisait partie du lot de diamants, tous propriétés de B.________ SA, qui lui avait été dérobé à Genève entre les 24 et 26 septembre 2018. Cette décision a été transmise à l'Office fédéral de la justice. 
Le 3 juin 2022, B.________ SA a introduit une nouvelle action mobilière contre A.________ Limited, assortie d'une demande de mesures superprovisionnelles et provisionnelles, auprès du Tribunal de première instance. Cette requête a été rejetée, dans la mesure de sa recevabilité, le 7 juillet 2022; il a été retenu que les décisions judiciaires - soit le prononcé de blocage de la pierre en mains de GIA rendue par la Cour suprême de New York et le séquestre pénal du 10 mai 2022 -, auxquelles s'ajoutait l'absence de volonté de GIA de se dessaisir du diamant n° xxx paraissaient constituer des garanties suffisantes pour sauvegarder, jusqu'à l'issue de la procédure, la prétention au fond dont se prévalait B.________ SA. 
 
B.  
Le 20 septembre 2022, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après : la Chambre pénale) a rejeté le recours formé par A.________ Limited contre l'ordonnance de séquestre du 10 mai 2022. 
 
C.  
Par acte du 21 octobre 2022, A.________ Limited forme un recours en matière pénale et un recours constitutionnel subsidiaire au Tribunal fédéral contre cet arrêt, concluant à son annulation, à celle de l'ordonnance de séquestre du 10 mai 2022 en tant qu'elle concerne le diamant rond de 20.33 carats actuellement en mains du GIA à New York et, subsidiairement, au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. 
Invitée à se déterminer, l'autorité précédente s'est référée aux considérants de sa décision. Quant au Ministère public, il a conclu au rejet du recours, sans formuler d'observations. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 146 IV 185 consid. 2 p. 188). 
 
2.  
La décision attaquée - qui confirme le séquestre portant sur le diamant n° xxx - a été rendue au cours d'une procédure pénale. Elle peut donc en principe faire l'objet d'un recours en matière pénale au sens des art. 78 ss LTF. Le recours constitutionnel subsidiaire n'entre ainsi pas en considération; il est donc irrecevable (cf. art. 113 LTF). 
 
3.  
 
3.1. Aux termes de l'art. 81 LTF, a qualité pour former un recours en matière pénale quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a) et a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée, respectivement à l'examen des griefs soulevés (let. b). Selon la jurisprudence, l'intérêt juridique au recours doit être actuel et pratique. De cette manière, le Tribunal fédéral est assuré de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique, ce qui répond à un souci d'économie de procédure (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1 p. 84 s.; 140 IV 74 consid. 1.3.1 p. 77; 136 I 274 consid. 1.3 p. 276). La simple perspective d'un intérêt juridique futur ne suffit pas (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1 p. 85). L'intérêt actuel est déterminé en fonction du but poursuivi par le recours et des conséquences, ainsi que de la portée d'une éventuelle admission de celui-ci (ATF 131 I 153 consid. 1.2 p. 157; 118 Ia 488 consid. 2a p. 492; arrêt 1B_438/2022 du 2 mars 2023 consid. 1.1.1).  
Le prononcé entrepris ne met pas un terme à la procédure pénale et ne concerne pas une question de compétence ou de récusation (cf. art. 92 LTF). Le recours au Tribunal fédéral n'est donc recevable que si l'acte attaqué est susceptible de causer un préjudice irréparable (cf. art. 93 al. 1 let. a LTF); la lettre b de cette disposition n'est généralement pas applicable en matière pénale. Dans ce domaine, un préjudice irréparable se rapporte à un dommage de nature juridique qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant (ATF 148 IV 155 consid. 1.1 p. 158). Selon la jurisprudence, un séquestre pénal prive en principe le détenteur des objets ou valeurs saisis de leur libre disposition, ce qui constitue un préjudice irréparable (cf. ATF 140 IV 57 consid. 2.3 p. 60; arrêt 1B_144/2022 du 30 août 2022 consid. 1.1; 1B_117/2022 du 18 mai 2022 consid. 2.3; 1B_667/2021 du 19 avril 2022 consid. 1; 1B_356/2021 du 21 septembre 2021 consid. 1.2). 
 
3.2. Dans le cas d'espèce, la qualité de propriétaire du diamant n° xxx de la recourante est loin d'être établie. Cette question a fait et est encore l'objet de différentes procédures judiciaires; la recourante elle-même a ouvert action en constatation de ses droits devant les autorités de Hong Kong. Il ne saurait donc être retenu qu'en cas de levée du séquestre, elle aurait un droit immédiat de disposer librement du diamant n° xxx; cela semble d'autant moins être le cas que les autorités américaines ont également ordonné le blocage de cette pierre jusqu'à droit connu sur son propriétaire. En l'état, la recourante se prévaut donc uniquement d'un intérêt futur, basé en outre sur l'hypothèse - incertaine - qu'elle obtiendrait gain de cause sur la question de la propriété; la recourante ne semble pas soutenir le contraire au vu des termes et temps utilisés dans son acte de recours (cf. ad A/1/a p. 8 de cette écriture : "dans l'éventualité où la recourante se verrait reconnue dans ses droits par les seules juridictions civiles compétentes, elle ne pourrait toutefois pas se voir remettre la pierre dont elle serait pourtant la légitime propriétaire et ce, par le fait du séquestre; elle se trouverait alors privée temporairement de la libre disposition de son bien"). Faute d'intérêt juridique actuel et pratique à obtenir l'annulation ou la modification de l'arrêt attaqué, la recourante ne dispose pas de la qualité pour recourir.  
Pour ces mêmes motifs, elle ne subit aucun préjudice irréparable qu'aucune décision ultérieure ne pourrait réparer. On ne voit en particulier pas ce qui l'empêcherait, si elle devait obtenir une décision constatant son droit de propriété, de demander sa reconnaissance auprès des autorités suisses, puis de requérir auprès du Ministère public la levée de la mesure de séquestre. On peine également à comprendre pourquoi le séquestre ordonné péjorerait ses intérêts. Au contraire, le maintien de cette mesure - certes en l'état justifiée par l'art. 263 al. 1 let. c CPP (restitution au lésé) - paraît propre à lui offrir une garantie supplémentaire pour la protection de ses éventuelles prérogatives futures sur le diamant n° xxx, en particulier si celui-ci devait se retrouver sur le territoire suisse; pour ces mêmes motifs, le séquestre, en tant que mesure conservatoire, ne viole ainsi pas le principe de la proportionnalité (cf. art. 197 al. 1 let. c CPP). Au vu de la contestation existant quant à la propriété de cette pierre, ainsi que de la saisine des autorités étrangères sur cette question, sa restitution - notamment par le Ministère public - ne saurait d'ailleurs intervenir en Suisse sans décision formelle au sens notamment de l'art. 267 CPP, prononcé qui, selon l'autorité qui la rendrait, peut faire l'objet d'un appel ou d'un recours (sur cette disposition, cf. arrêts 6B_831/2021 du 26 janvier 2023 consid. 1.2; 1B_117/2022 du 18 mai 2022 consid. 4.1; 1B_667/2021 du 19 avril 2022 consid. 2.2; 1B_573/2021 du 18 janvier 2022 consid. 3.1). 
 
3.3. Il s'ensuit que le recours en matière pénale est irrecevable.  
La recourante, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours en matière pénale et le recours constitutionnel subsidiaire sont irrecevables. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 30 mars 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Müller 
 
La Greffière : Kropf