Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_386/2024
Arrêt du 30 avril 2024
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Hurni et Hofmann.
Greffière : Mme Paris.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Samir Djaziri, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève,
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
Objet
Détention provisoire,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 13 mars 2024 (ACPR/184/2024 - P/13389/2017).
Faits :
A.
A.a. A.________, ressortissant U.________, né en 1986, est domicilié à V.________ et titulaire d'un permis L échu. Il a été détenu sous les préventions principales d'encouragement à la prostitution (art. 195 CP) et d'incitation à l'entrée et au séjour illégaux d'étrangers (art. 116 LEI) entre le 8 octobre 2019 et le 21 février 2020. Le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après: le Ministère public) l'a alors remis en liberté sans condition, au motif notamment que les risques de collusion et de fuite avaient sensiblement diminué.
A.b. Le 15 février 2023, A.________ a derechef été interpellé. Le lendemain, il s'est vu notifier des préventions identiques, à la différence près qu'un rapport de police du 13 février 2023 énonçait les noms et les noms d'emprunt de 68 prostituées, dont une seule en situation légale, et que la période pénale s'étendait jusqu'à la veille. Entendu à cette occasion par la police, le prénommé a indiqué qu'il avait vécu d'expédients immédiatement après sa libération en février 2020 et que ses revenus provenaient depuis lors de "l'organisation" du travail de femmes, pas toutes en possession de permis de travail, "dans l'industrie du sexe".
Le 17 février 2023, le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Genève (ci-après: le TMC) a ordonné la détention provisoire de A.________. Cette mesure a été régulièrement prolongée, la dernière fois jusqu'au 15 mai 2024.
A.c. Le 12 mai 2023, A.________ a été entendu en qualité de prévenu par le Ministère public. Lorsque le Procureur lui a fait savoir que les investigations avaient révélé l'organisation de la prostitution de 284 femmes venues d'Europe de l'Est, dans 35 appartements à V.________, A.________ a confirmé les informations révélées, précisant néanmoins que l'activité portait sur moins de personnes et moins d'appartements.
Selon un rapport de police du 11 juillet 2023, l'exploitation du contenu de téléphones mobiles de A.________ a permis de découvrir 12 appartements supplémentaires et de recenser 169 clients, pour la plupart entre mars 2020 et janvier 2023, ayant généré un chiffre d'affaires de près de 124'000 francs.
Interrogé par la police les 15 février et 20 juillet 2023, notamment sur des documents mentionnant une entreprise à W.________ et une autre à X.________, A.________ a déclaré vouloir changer d'activité professionnelle et "apprendre comment travailler légalement". Dans un rapport du 11 décembre 2023, la police a mis en évidence une conversation du 5 juillet 2022 au cours de laquelle A.________ exprimait à son interlocuteur son désir de se développer dans le trading et lui demandait son aide.
A.d. Le 6 février 2024, A.________ a demandé sa libération (pour la cinquième fois depuis sa réincarcération). Le Ministère public s'y est opposé et a sollicité auprès du TMC la prolongation de la détention provisoire pour une durée de trois mois.
Par ordonnance du 15 février 2024, le TMC a rejeté la demande de mise en liberté et a ordonné la prolongation de la détention provisoire de A.________ jusqu'au 15 mai 2024.
B.
Par arrêt du 13 mars 2024, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Chambre pénale de recours) a rejeté le recours formé par A.________ contre l'ordonnance du 15 février 2024.
C.
A.________ interjette un recours au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 13 mars 2024. Il conclut à sa réforme en ce sens qu'il soit immédiatement mis en liberté, le cas échéant moyennant le prononcé de mesures de substitution, à savoir l'obligation de déférer à toute convocation, de remettre son passeport en mains du Ministère public et de se présenter régulièrement dans un poste de police, ou toute autre mesure jugée opportune. A titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour qu'elle statue dans le sens des considérants. Il sollicite en outre l'octroi de l'assistance judiciaire.
Invités à se déterminer, le Ministère public a conclu au rejet du recours, tandis que la Chambre pénale de recours a renoncé à se déterminer. Ces prises de position ont été transmises à A.________, qui a renoncé à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouvert contre une décision relative à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP (ATF 137 IV 22 consid. 1). Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF, le recourant, prévenu détenu, a qualité pour recourir et la décision attaquée, en tant que prononcé incident rendu en dernière instance cantonale (cf. art. 80 LTF), est susceptible de lui causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (arrêts 7B_168/2024 du 4 mars 2024 consid. 1.1; 7B_1009/2023 du 6 février 2024 consid. 1.1). Pour le surplus, les autres conditions de recevabilité étant réunies, il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Invoquant une violation du droit fédéral (art. 221 al. 1 let. c CPP), le recourant conteste l'existence d'un risque de réitération justifiant sa mise en détention.
2.1.
2.1.1. Dans le cadre d'un recours en matière pénale, le Tribunal fédéral contrôle l'application correcte par l'autorité cantonale du droit fédéral en vigueur au moment où celle-ci a statué (cf. art. 453 al. 1 CPP; ATF 145 IV 137 consid. 2.6 ss; 129 IV 49 consid. 5.3). La décision attaquée ayant été rendue le 13 mars 2024, les modifications du Code de procédure pénale entrées en vigueur au 1er janvier 2024 (RO 2023 468) doivent être prises en considération en l'espèce.
2.1.2. Une mesure de détention provisoire ou pour des motifs de sûreté n'est compatible avec la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH) que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité ( art. 36 al. 2 et 3 Cst. ; art. 212 al. 3 et 237 al. 1 CPP). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par un risque de fuite ou par un danger de collusion ou de réitération (cf. art. 221 al. 1 let. a, b et c CPP). Préalablement à ces conditions, il doit exister des charges suffisantes, soit des indices sérieux de commission d'une infraction par l'intéressé (art. 221 al. 1 CPP).
2.1.3. L'art. 221 al. 1 let. c CPP, relatif au risque de récidive, a été modifié au 1er janvier 2024 (RO 2023 468); il présuppose désormais que l'auteur "compromette sérieusement et de manière imminente la sécurité d'autrui en commettant des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre". Le nouvel art. 221 al. 1bis CPP prévoit pour sa part que la détention provisoire ou pour des motifs de sûretés peut exceptionnellement être ordonnée si le prévenu est fortement soupçonné d'avoir porté gravement atteinte à l'intégrité physique, psychique ou sexuelle d'autrui en commettant un crime ou un délit grave et s'il y a un danger sérieux et imminent qu'il commette un crime grave du même genre. Cette disposition se base sur la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêts 7B_155/2024 du 5 mars 2024 consid. 3.2 destiné à la publication; 7B_1025/2023 du 23 janvier 2024 consid. 3.2 et la réf. citée).
2.1.4. Selon la jurisprudence relative à l'art. 221 al. 1 let. c aCPP (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2023 [RO 2010 1881]) - qui est transposable au nouveau droit (cf. arrêt 7B_155/2024 précité consid. 3.1 s.) -, trois éléments doivent être réalisés pour admettre le risque de récidive: en premier lieu, le prévenu doit en principe déjà avoir commis des infractions du même genre et il doit s'agir de crimes ou de délits graves; deuxièmement, la sécurité d'autrui doit être sérieusement compromise; troisièmement, une réitération doit, sur la base d'un pronostic, être sérieusement à craindre (ATF 146 IV 136 consid. 2.2; 143 IV 9 consid. 2.5).
2.1.5. Bien qu'une application littérale de l'art. 221 al. 1 let. c CPP suppose l'existence d'antécédents, le risque de réitération peut être également admis dans des cas particuliers alors qu'il n'existe qu'un antécédent, voire aucun dans les cas les plus graves. La prévention du risque de récidive doit en effet permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu (ATF 137 IV 13 consid. 3 et 4). Le risque de récidive peut également se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours, si le prévenu est fortement soupçonné - avec une probabilité confinant à la certitude - de les avoir commises (ATF 146 IV 326 consid. 3.1; 143 IV 9 consid. 2.3.1).
2.1.6. La gravité de l'infraction dépend, outre de la peine menace prévue par la loi, de la nature du bien juridique menacé et du contexte, notamment de la dangerosité présentée concrètement par le prévenu, respectivement de son potentiel de violence. La mise en danger sérieuse de la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves peut en principe concerner tout type de biens juridiquement protégés. Ce sont en premier lieu les délits contre l'intégrité corporelle et sexuelle qui sont visés (ATF 146 IV 326 consid. 3.1; 143 IV 9 consid. 2.7).
2.1.7. Pour établir le pronostic de récidive, les critères déterminants sont la fréquence et l'intensité des infractions poursuivies. Cette évaluation doit prendre en compte une éventuelle tendance à l'aggravation telle qu'une intensification de l'activité délictuelle, une escalade de la violence ou une augmentation de la fréquence des agissements. Les caractéristiques personnelles du prévenu doivent en outre être évaluées (ATF 146 IV 326 consid. 3.1).
En général, la mise en danger de la sécurité d'autrui est d'autant plus grande que les actes redoutés sont graves. En revanche, le rapport entre gravité et danger de récidive est inversement proportionnel. Cela signifie que plus l'infraction et la mise en danger sont graves, moins les exigences seront élevées quant au risque de réitération. Lorsque la gravité des faits et leurs incidences sur la sécurité sont particulièrement élevées, on peut ainsi admettre un risque de réitération à un niveau inférieur. Il demeure qu'en principe, le risque de récidive ne doit être admis qu'avec retenue comme motif de détention. Dès lors, un pronostic défavorable est nécessaire (et en principe également suffisant) pour admettre l'existence d'un tel risque (ATF 146 IV 136 consid. 2.2; 143 IV 9 consid. 2.9).
2.2.
2.2.1. La cour cantonale a constaté que le recourant avait repris la même activité illicite relevant d'infractions graves, sur une longue période, peu de temps après avoir été libéré de son premier placement en détention provisoire, alors même qu'il avait déjà, à cette période, un projet de reconversion professionnelle. Dans ces circonstances, en dépit d'un casier judiciaire vierge, il n'y avait aucune raison de retenir que sa seconde interpellation devait conduire à un résultat différent. Le projet de reconversion professionnelle dont il se prévalait à l'heure actuelle n'était nullement étayé et devait au demeurant être sérieusement mis en doute; le recourant était au bénéfice d'un permis L échu et l'activité envisagée reposait principalement sur l'aide d'une personne identifiée aujourd'hui comme ayant pu jouer un rôle dans l'activité délictuelle reprochée. Le risque de réitération n'avait dès lors pas diminué et demeurait concret.
2.2.2. Ce raisonnement ne prête pas le flanc à la critique et le recourant ne formule aucune argumentation propre à le remettre en cause. En effet, il reproche à la cour cantonale d'avoir fondé son pronostic défavorable principalement sur le fait qu'il avait repris son activité délictuelle après sa première détention provisoire, sans tenir compte du fait qu'à l'époque, sans passeport, sans titre de séjour valable et sans autre moyen de subsistance, il n'aurait pas eu d'autre choix. On voit toutefois mal en quoi cette situation différerait de celle qui prévaut aujourd'hui, puisque le permis L du recourant est échu et qu'il ne démontre pas disposer d'une autre source de revenus. Il se contente à cet égard de faire valoir qu'il aurait un projet de reconversion professionnelle, sans discuter les motifs ayant conduit la juridiction cantonale à considérer que celui-ci n'était pas suffisamment étayé et paraissait même largement compromis. Tout au plus se contente-t-il de souligner que ce désir de changement d'activité professionnelle existait déjà avant son incarcération de décembre 2023. Cet élément ne fait toutefois que confirmer l'appréciation cantonale selon laquelle un tel projet ne l'a pas empêché de reprendre, respectivement de continuer, son activité délictuelle et la déduction que la juridiction précédente en a tirée quant au risque concret de réitération. En tant que le recourant prétend encore - de manière purement appellatoire - que même s'il le voulait, il ne pourrait plus s'adonner à l'activité reprochée, "faute de contact et d'appartements", son argumentation est dénuée de toute pertinence et frise la témérité. Est également appellatoire, partant irrecevable, son argument selon lequel la durée de son incarcération l'aurait "définitivement convaincu de changer d'activité".
En outre, il y a lieu de relever que le recourant est poursuivi pour encouragement à la prostitution et incitation à l'entrée et au séjour illégaux d'étrangers; les faits qui lui sont reprochés sont particulièrement graves, puisqu'ils touchent à l'intégrité sexuelle et portent une atteinte grave à la dignité humaine, ce que le recourant ne conteste pas. Dans ces circonstances, le juge de la détention pouvait se montrer moins strict dans l'exigence de vraisemblance du risque de récidive et, contrairement à ce que soutient le recourant, faire abstraction de l'absence d'antécédents.
Compte tenu de ces éléments, le risque que le recourant commette à nouveau des infractions graves contre l'intégrité sexuelle et portant atteinte à la dignité humaine est bien réel et justifie son maintien en détention.
2.3. Ce motif particulier de détention étant donné, il n'est pas nécessaire, dans la procédure de recours devant le Tribunal fédéral, d'examiner également si d'autres motifs alternatifs de détention pourraient être remplis, tels que les risques de fuite et de collusion (cf. arrêts 7B_1025/2023 du 23 janvier 2024 consid. 3.5.4; 7B_1013/2023 du 9 janvier 2024 consid. 4.5; 7B_842/2023 du 9 novembre 2023 consid. 3.4).
2.4. Au regard de ces considérations et de la nature des biens juridiques menacés, les mesures de substitution proposées par le recourant, soit l'obligation de se présenter au poste de police de manière hebdomadaire et le dépôt de son passeport auprès du Ministère public, ne sont pas suffisantes pour pallier le risque de récidive. Le recourant ne fait état d'aucune autre mesure de substitution complémentaire qui permettrait, le cas échéant, de réduire le danger de réitération existant.
2.5. Pour le surplus, le recourant n'invoque plus, au stade de son recours fédéral, une violation du principe de la proportionnalité du point de vue de la durée de la détention par rapport à la peine encourue. Compte tenu de la gravité des infractions pour lesquelles il a été mis en prévention et de la durée de la détention déjà subie, le principe de la proportionnalité demeure quoi qu'il en soit respecté (cf. art. 212 al. 3 CPP; cf. ATF 143 IV 168 consid. 5.1; 142 IV 389 consid. 4.1).
3.
En définitive, l'instance précédente n'a pas violé le droit fédéral en confirmant la décision du TMC refusant la mise en liberté du recourant et ordonnant la prolongation de sa détention provisoire pour une durée de trois mois.
4.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté.
Le recourant a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire (cf. art. 64 al. 1 LTF). Son recours était cependant d'emblée dénué de chances de succès et cette requête doit être rejetée. Le recourant, qui succombe, supportera donc les frais judiciaires; ceux-ci seront toutefois fixés en tenant compte de sa situation financière, qui n'apparaît pas favorable (art. 65 al. 2 et 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'200 fr., sont mis à la charge du recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué au recourant, au Ministère public de la République et canton de Genève, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, et au Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 30 avril 2024
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
La Greffière : Paris