Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_316/2022
Arrêt du 30 juin 2023
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Merz et Kölz.
Greffière : Mme Nasel.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Franck Ammann, avocat,
recourante,
contre
Secrétariat d'Etat aux migrations,
Quellenweg 6, 3003 Berne.
Objet
Annulation de la naturalisation facilitée,
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour VI, du 13 avril 2022 (F-547/2021).
Faits :
A.
Le 16 décembre 2010, A.________, ressortissante marocaine, s'est mariée à Lausanne avec B.________, ressortissant suisse. Deux enfants sont issus de cette union en 2014 et 2016.
Le 12 novembre 2016, A.________ a introduit une requête de naturalisation facilitée. En date du 1er avril 2017, cette dernière a déclaré vivre à la même adresse que son époux, sous la forme d'une communauté conjugale effective et stable et qu'elle n'avait aucune intention de se séparer ou de divorcer.
Par décision du 13 avril 2017 du Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM), l'intéressée a été mise au bénéfice de la naturalisation facilitée.
Les 23 octobre et 12 décembre 2018, B.________, respectivement A.________ ont chacun déposé une requête de mesures protectrices de l'union conjugale. Une audience s'est tenue le 21 janvier 2019, durant laquelle les époux ont ratifié une convention partielle dans laquelle ils ont convenu avoir vécu séparément depuis août 2018.
B.
Par décision du 4 janvier 2021, le SEM a annulé la naturalisation facilitée de A.________, estimant, en substance, que la naturalisation avait été octroyée sur la base d'une dissimulation de faits essentiels.
Dans son arrêt rendu le 13 avril 2022, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a rejeté le recours formé par A.________ contre la décision du SEM précitée.
C.
Par acte du 24 mai 2022, A.________ forme un recours en matière de droit public, par lequel elle demande au Tribunal fédéral de reformer l'arrêt précité en ce sens que la décision rendue le 4 janvier 2021 par le SEM est annulée. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Le TAF renonce à se déterminer, tandis que le SEM estime que le recours ne contient aucun élément remettant en question l'arrêt attaqué.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre une décision du TAF qui confirme l'annulation de la naturalisation facilitée accordée à la recourante, le recours est recevable comme recours en matière de droit public (art. 82 let. a et 86 al. 1 let. a LTF). Le motif d'exclusion de l'art. 83 let. b LTF n'entre pas en ligne de compte (arrêt 1C_428/2022 du 7 mars 2023 consid. 1 et les références citées). Pour le surplus, la recourante a la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF et les conditions formelles de recevabilité sont remplies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
2.1. La recourante dénonce une constatation inexacte des faits, respectivement une violation du principe de l'interdiction de l'arbitraire.
2.2. Il n'y a arbitraire dans l'établissement des faits ou l'appréciation des preuves que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables (cf. ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1; 144 II 281 consid. 3.6.2). Il appartient à la partie recourante de démontrer le caractère arbitraire par une argumentation répondant aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF. Le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur des critiques de type appellatoire (ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2; 146 IV 114 consid. 2.1).
2.3. La recourante débute son écriture par un bref exposé des faits de la cause. Dans cette première partie, elle ne cherche pas à démontrer que ceux-ci auraient été établis arbitrairement par l'instance précédente et ne formule ainsi aucun grief recevable.
Elle discute ensuite l'enchaînement rapide des événements fondant la présomption de fait que la naturalisation a été obtenue frauduleusement retenu par l'autorité précédente. Elle fait également valoir qu'elle n'aurait pas eu un comportement déloyal et trompeur dans le cadre de la procédure de naturalisation facilitée. Elle affirme, en substance, que le quotidien du couple était emprunt de violences et de tensions et que celles-ci faisaient partie de leur réalité conjugale, de sorte qu'elles n'étaient pas un indice de la fin imminente de leur relation; la consultation de psychologues en 2015 démontrerait que les époux souhaitaient poursuivre leur communauté de vie et régler leurs problèmes; après l'octroi de la naturalisation, elle et son époux avaient continué à oeuvrer ensemble pour le bien de leur famille, notamment en s'occupant de leurs enfants et en cherchant à acquérir une maison familiale. Elle évoque enfin "une dispute particulièrement grave", lors de laquelle elle aurait été menacée de mort par son époux, qui constituerait un événement suffisamment extraordinaire intervenu après sa naturalisation pour mettre définitivement un terme au lien conjugal. Ce faisant, la recourante ne conteste pas véritablement l'établissement des faits ni l'appréciation des preuves; ses critiques, telles qu'elles sont formulées, se confondent en réalité avec ses moyens de fond, qui seront examinés ci-après (cf.
infra consid. 3).
Le grief doit donc être écarté.
3.
La recourante reproche au TAF d'avoir abusé de son pouvoir d'appréciation, respectivement d'avoir violé l'art. 36 de la loi fédérale du 20 juin 2014 sur la nationalité suisse (LN; RS 141.0) en retenant que les conditions d'annulation de la naturalisation facilitée étaient réalisées en l'espèce.
3.1. L'entrée en vigueur, le 1er janvier 2018, de la nouvelle LN a entraîné l'abrogation de la loi fédérale du 29 septembre 1952 sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse (aLN; RO 1952 1115), conformément à l'art. 49 LN (en relation avec le chiffre I de son annexe). En vertu de la réglementation transitoire prévue par l'art. 50 LN, l'acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies "par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s'est produit" (al. 1). Le Tribunal fédéral a précisé sur ce point la jurisprudence en matière d'annulation de la naturalisation facilitée et a considéré que le droit applicable était celui en vigueur au moment de la signature de la déclaration de vie commune, voire l'octroi de la naturalisation (arrêts 1C_428/2022 du 7 mars 2023 consid. 2; 1C_574/2021 du 27 avril 2022 consid. 2.4).
En l'espèce, les deux ont eu lieu en avril 2017. Le droit applicable est dès lors l'ancien droit en vigueur jusqu'au 31 décembre 2017, au contraire de ce qu'a retenu l'autorité précédente. Cela est toutefois sans conséquence sur l'issue de la cause. Les conditions de fond posées aux art. 41 al. 1 aLN et 36 al. 1 LN sont en effet identiques, la seule différence résidant dans l'assentiment de l'autorité du canton d'origine exigé par l'art. 41 al. 1 aLN, auquel le nouveau droit - applicable immédiatement sur ce point (cf. ATF 136 II 5 consid. 1.2; arrêts 1C_126/2022 du 29 juillet 2022 consid. 2; 1C_574/2021 du 27 avril 2022 consid. 2.4) - a renoncé (arrêts précités 1C_126/2022 consid. 2 et 1C_574/2021 consid. 2.4).
3.2. Pour le reste, et quoi qu'en dise la recourante, l'instance précédente a exposé et appliqué correctement l'art. 41 aLN (cf. art. 36 LN), ainsi que la jurisprudence y relative.
Elle a en particulier rappelé à bon droit que l'enchaînement chronologique rapide entre l'obtention de la naturalisation et la séparation du couple permettait d'appliquer la présomption jurisprudentielle selon laquelle la naturalisation avait été obtenue frauduleusement (sur cette notion, ATF 135 II 161 consid. 2 et 3). En effet, le couple s'est séparé en octobre 2017, puis définitivement en août 2018, soit 17 mois après la signature de la déclaration de vie commune, respectivement la décision d'octroi de la naturalisation facilitée (avril 2017). L'autorité précédente a également relevé que d'autres éléments du dossier venaient renforcer la présomption jurisprudentielle: de sérieuses difficultés - que la recourante a qualifiées d'"importantes" - étaient apparues et s'étaient développées dès le début de leur vie commune et étaient donc présentes avant la signature du formulaire "Déclaration concernant la communauté conjugale" et l'octroi de la naturalisation facilitée à la recourante; ces déclarations étaient corroborées par quatre interventions policières au domicile conjugal entre mai et juin 2011 pour violences domestiques ou disputes entre les époux; le constat médical du Centre universitaire romand de médecine légale établi le 31 mai 2011 à la suite des faits rapportés comme s'étant déroulés le 28 mai 2011; la requête de mesures provisionnelles de l'union conjugale et superprovisionnelles du 18 juillet 2011 déposée par la recourante, procédure à laquelle cette dernière a finalement mis un terme; le constat médical rapportant que la recourante présentait des lésions au niveau des membres supérieurs dues selon elle à une agression de son époux (avril 2014); la thérapie de couple débutée en 2015, dont les conditions pour la poursuivre n'étaient déjà plus remplies en mars 2015 et les nombreuses interventions de la police en particulier celles ayant eu lieu en avril et juin 2016. Il peut être renvoyé à cet égard aux considérants de l'arrêt attaqué (cf. arrêt entrepris consid. 5, 7 et 8; art. 109 al. 3 LTF).
Dès lors, conformément à la jurisprudence précitée, il s'agit uniquement de déterminer si la recourante est parvenue à renverser la présomption établie en rendant vraisemblable, soit la survenance d'un événement extraordinaire susceptible d'expliquer une détérioration rapide du lien conjugal, soit l'absence de conscience de la gravité des problèmes de couple au moment de la signature de la déclaration commune (cf. sur ce point ATF 135 II 161 consid. 3; arrêts 1C_428/2022 du 7 mars 2023 consid. 4.1.2; 1C_350/2022 du 19 janvier 2023 consid. 3.3).
Or, dans son écriture, la recourante n'avance aucun élément susceptible de renverser cette présomption. Rien ne justifie de retenir qu'en avril 2017, les époux vivaient en harmonie, au point qu'ils envisageaient la continuation de leur vie maritale pour une période durable. La recourante ne parvient pas non plus à rendre crédible l'élément de fait qui permettrait de comprendre pourquoi l'union conjugale formée avec son époux, prétendument intacte au mois d'avril 2017, se serait dégradée subitement pour déboucher sur une séparation du couple en août 2018, puis une requête de mesures protectrices de l'union conjugale. Certes, des violences existaient déjà avant leur séparation et plusieurs comportements brutaux entres les époux se sont produits durant leur mariage. On ne saurait toutefois considérer que de telles violences ont lieu au sein de couples stables. Ces violences révèlent, au contraire, la gravité des problèmes conjugaux rencontrés par le couple. La recourante se prévaut en outre d'une dispute particulièrement violente qui se serait produite postérieurement à la signature de la déclaration de vie commune, lors de laquelle la prénommée dit avoir été menacée de mort par son époux à l'aide d'un couteau à pain en présence de leurs enfants. Même en admettant que cette altercation ait pu être plus virulente que celles qui ont eu lieu jusqu'alors, elle apparaît davantage comme un élément supplémentaire venant s'ajouter aux nombreuses autres discordes rencontrées par le couple, plutôt qu'un évènement soudainement révélateur de la gravité des problèmes conjugaux. L'autorité précédente indique d'ailleurs à ce sujet que les époux - qui s'étaient séparés après cet événement - avaient repris la vie commune deux semaines après et qu'aucune condamnation n'avait été prononcée pour ces faits, malgré une plainte pénale déposée par la recourante (cf. arrêt entrepris, p. 18). La thérapie de couple débutée en 2015 et interrompue déjà en mars de la même année, associée aux interventions de la police au domicile des conjoints en avril et juin 2016, tendent d'ailleurs à confirmer que leur union conjugale n'avait pas la stabilité requise au moment déterminant et qu'il est peu plausible que la recourante n'ait découvert la dégradation de son couple qu'après l'obtention de la naturalisation facilitée. Pour le reste, et comme l'indique l'autorité précédente, le fait que l'époux de la recourante ait initié la séparation n'est pas pertinent en l'espèce (cf. arrêt 1C_23/2019 du 3 avril 2019 consid. 3.4).
3.3. En définitive, les éléments avancés par la recourante ne suffisent pas à renverser la présomption établie. Il en découle que les conditions d'application de l'art. 41 aLN (art. 36 LN) sont réunies. Le TAF n'a dès lors pas violé le droit fédéral en confirmant l'annulation de la naturalisation facilitée octroyée à la recourante.
4.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. La recourante, qui succombe, doit supporter les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Secrétariat d'Etat aux migrations et au Tribunal administratif fédéral, Cour VI.
Lausanne, le 30 juin 2023
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
La Greffière : Nasel