Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_71/2024
Arrêt du 30 août 2024
IVe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Maillard, Juge présidant, Viscione et Métral.
Greffière : Mme Barman Ionta.
Participants à la procédure
Allianz Suisse Société d'Assurances SA,
Richtiplatz 1, 8304 Wallisellen,
représentée par M e Fabrice Coluccia, avocat,
recourante,
contre
A.________,
représentée par Me Jean-Michel Duc, avocat,
intimée.
Objet
Assurance-accidents (lien de causalité),
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 20 décembre 2023 (A/4498/2018 ATAS/1018/2023).
Faits :
A.
A.________, née en 1990, a travaillé auprès de B.________ en qualité de gestionnaire dans le service Helpdesk. À ce titre, elle était assurée contre le risque d'accidents auprès d'Allianz Suisse Société d'Assurances SA (ci-après: Allianz). Le 14 juin 2016, elle a été victime d'une électrisation de l'avant-bras gauche alors qu'elle contrôlait le fonctionnement d'un ordinateur portable. Dans les suites de cet événement, elle a présenté des douleurs du membre supérieur gauche, des troubles sensitifs, dysesthésiques et allodyniques du bras avec persistance d'un oedème, d'une rougeur de l'avant-bras et d'un manque de force de ce membre, qui l'ont menée à consulter différents médecins et à faire l'objet de nombreuses investigations médicales (bilans neurologiques avec électroneuromyogramme [ENMG], imagerie par résonance magnétique [IRM] du membre supérieur gauche, cervicale et cérébrale, scintigraphie osseuse). Ces examens se sont révélés dans la norme.
Allianz a pris en charge le cas et demandé une expertise au Centre d'Expertise Médicale (ci-après: CEMed). Les docteurs C.________, spécialiste en neurologie, et D.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ont retenu un status après électrocution du membre supérieur gauche surchargé d'éléments sans substrat somatique évident, sans relation de causalité certaine avec l'événement accidentel, des troubles de l'adaptation avec réaction mixte anxieuse et dépressive et un probable syndrome douloureux somatoforme persistant (rapport du 8 décembre 2017). Par décision du 12 mars 2018, confirmée sur opposition le 21 novembre 2018, Allianz a, sur la base de l'expertise du CEMed, mis un terme aux prestations d'assurance avec effet au 8 décembre 2017, considérant que le lien de causalité naturelle entre l'événement du 14 juin 2016 et les troubles actuels n'était plus donné.
B.
A.________ a déféré la décision du 21 novembre 2018 à la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Chambre des assurances sociales). Après avoir requis le dossier de l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: l'office AI) et réceptionné un rapport d'expertise du service de neurologie des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) établi à la demande dudit office - retenant le diagnostic de troubles neurologiques d'origine fonctionnelle (rapport du 29 novembre 2020) -, la Chambre des assurances sociales a suspendu la procédure de recours jusqu'au prononcé de la décision de l'assurance-invalidité. L'office AI a mandaté le centre médico-administratif d'expertises (ci-après: CEMEDEX) pour une nouvelle expertise. Les experts (le docteur E.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, le docteur F.________, médecin praticien, et le docteur G.________, spécialiste en rhumatologie) ont posé le diagnostic - entre autres - de syndrome douloureux régional complexe (SDRC) du membre supérieur gauche (rapport du 28 juin 2021). Après avoir soumis le dossier à son service de réadaptation, l'office AI a, par décision du 18 avril 2023, alloué à l'assurée une rente entière d'invalidité à compter du 1er juin 2017.
Par arrêt du 20 décembre 2023, la Chambre des assurances sociales a admis le recours et réformé la décision du 21 novembre 2018 dans le sens de la prise en charge par Allianz, au-delà du 8 décembre 2017, des suites de l'accident du 14 juin 2016.
C.
Allianz interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant principalement à sa réforme en ce sens que la décision sur opposition du 21 novembre 2018 soit confirmée. À titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause au Tribunal cantonal ou à elle-même pour nouvelle décision. Le recours est assorti d'une requête d'effet suspensif.
A.________ conclut au rejet du recours. La cour cantonale et l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer. Allianz a répliqué.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2.
2.1. Le litige porte sur le droit de l'intimée aux prestations de l'assurance-accidents au-delà du 8 décembre 2017, singulièrement sur le point de savoir s'il existe un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre les troubles subsistant après cette date et l'accident du 14 juin 2016.
2.2. Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF . Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF) et n'est limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, et ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF).
2.3. Dans la procédure de recours concernant l'octroi ou le refus de prestations en espèces de l'assurance-accidents, le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par l'autorité précédente (art. 97 al. 2 et art. 105 al. 3 LTF ).
3.
3.1. Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle. Le droit à des prestations découlant d'un accident assuré suppose notamment, entre l'événement dommageable de caractère accidentel et l'atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu'il y a lieu d'admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou ne serait pas survenu de la même manière (ATF 148 V 356 consid. 3; 148 V 138 consid. 5.1.1; 142 V 435 consid. 1). Savoir si l'événement assuré et l'atteinte en question sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait que l'administration ou, cas échéant, le juge examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d'ordre médical, et qui doit être tranchée à la lumière de la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l'appréciation des preuves dans l'assurance sociale (ATF 142 V 435 consid. 1; 129 V 177 consid. 3.1).
3.2. Le droit à des prestations de l'assurance-accidents suppose en outre l'existence d'un lien de causalité adéquate entre l'accident et l'atteinte à la santé. La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de manière générale favorisée par une telle circonstance (ATF 148 V 356 consid. 3; 139 V 156 consid. 8.4.2; 129 V 177 consid. 3.2). En cas d'atteinte à la santé physique, la causalité adéquate se recoupe toutefois largement avec la causalité naturelle, de sorte qu'elle ne joue pratiquement pas de rôle (ATF 138 V 248 consid. 4 et les références). En cas d'atteinte à la santé psychique, les règles applicables en matière de causalité adéquate sont différentes selon qu'il s'agit d'un événement accidentel ayant entraîné une affection psychique additionnelle à une atteinte à la santé physique (ATF 115 V 133 consid. 6 et 403 consid. 5), d'un traumatisme psychique consécutif à un choc émotionnel (ATF 129 V 177 consid. 4.2), ou encore d'un traumatise de type "coup du lapin" à la colonne cervicale, d'un traumatisme analogue à la colonne cervicale ou d'un traumatisme cranio-cérébral (ATF 134 V 109).
3.3. Selon le principe de la libre appréciation des preuves, le juge apprécie les preuves médicales qu'il a recueillies sans être lié par des règles formelles. En ce qui concerne la valeur probante d'un rapport médical, il est déterminant que les points litigieux aient fait l'objet d'une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu'il ait été établi en pleine connaissance de l'anamnèse, que la description du contexte médical et l'appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l'expert soient dûment motivées. Au demeurant, l'élément déterminant pour la valeur probante n'est ni l'origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a).
4.
La cour cantonale a écarté l'expertise du docteur C.________ (CEMed), qu'elle a considérée comme peu probante s'agissant de la notion de causalité naturelle. Elle a ensuite constaté que l'expertise des HUG, laquelle répondait aux exigences jurisprudentielles sur la valeur probante des rapports médicaux, retenait le diagnostic de troubles neurologiques d'origine fonctionnelle (sans atteinte objectivable) qui, s'il apparaissait en lien de causalité naturelle avec l'événement du 14 juin 2016, n'était pas en lien de causalité adéquate. Examinant si d'autres avis médicaux versés au dossier faisait état d'un SDRC, les premiers juges ont retenu que l'expert G.________ (CEMEDEX) avait posé ce diagnostic. S'il n'avait certes pas examiné en détail les critères de Budapest, les constatations relevées dans l'expertise étaient, selon les premiers juges, suffisantes pour considérer ces critères comme remplis. Au demeurant, le docteur H.________, spécialiste en anesthésiologie, avait initialement posé ce diagnostic (rapport du 12 décembre 2018), lequel était corroboré, toujours selon les premiers juges, par le fait que différents médecins avaient qualifié la situation de l'intimée d'intrigante ou de curieuse eu égard à la discordance entre la discrétion objective de l'électrisation et l'importance des troubles. Après avoir admis le lien de causalité entre le SDRC et l'événement du 14 juin 2016 à l'aune des critères jurisprudentiels, les juges cantonaux ont considéré que la recourante devait prendre en charge les suites de l'événement au-delà du 8 décembre 2017.
5.
La recourante se plaint d'un établissement inexact des faits, d'une appréciation arbitraire des preuves ainsi que d'une violation de l'art. 6 al. 1 LAA. En substance, elle reproche à l'instance précédente d'avoir accordé pleine valeur probante à l'expertise du CEMEDEX, en présence d'un diagnostic de SDRC non motivé. Les juges cantonaux auraient renoncé à poser des questions aux experts mandatés dans une procédure de l'assurance-invalidité et auraient spontanément complété l'expertise en déclinant eux-mêmes les critères de Budapest, retenant pour chacun d'entre eux que l'intimée présenterait l'ensemble des symptômes et signes cliniques pertinents. Pour autant, le dossier médical ferait état d'autres pathologies, diagnostiquées également par les experts du CEMEDEX et pouvant expliquer à elles seules les troubles de l'intimée (lésion nerveuse, déficit sensitivo-moteur du membre supérieur gauche, impotence du membre supérieur gauche avec troubles sensitifs mal systématisés, névralgie et allodynie, diffuse electrical injury, trouble de l'adaptation, syndrome douloureux somatoforme, état de stress post-traumatique, troubles neurologiques d'origine fonctionnelle). De surcroît, les premiers juges n'auraient pas examiné l'influence des autres pathologies, notamment des troubles neurologiques fonctionnelles, sous l'angle de la causalité.
6.
6.1. En l'état, il est patent que les experts du CEMed, des HUG et du CEMEDEX ne s'accordent pas sur le diagnostic ni sur la nature somatique ou psychique des troubles présentés par l'intimée.
6.1.1. Pour les experts du CEMed, l'intimée présentait un status après électrisation du membre supérieur gauche surchargé d'éléments sans substrat somatique, des troubles de l'adaptation avec réaction anxieuse et dépressive et un probable syndrome douloureux somatoforme. Selon le docteur C.________, l'examen clinique avait mis en évidence des troubles sensitivomoteurs atypiques ainsi qu'un oedème modéré du membre supérieur gauche, avec une petite rougeur à la face interne distale de l'avant-bras, seule anomalie clairement somatique documentable. Il existait une certaine discordance entre la discrétion objective de l'électrisation et l'importante persistance actuelle des troubles, de telle sorte que des facteurs de somatisation de type syndrome douloureux sans substrat organique ne pouvaient être écartés. L'expert neurologue a estimé que l'apparition des troubles était vraisemblablement due à l'électrisation mais que l'état somatique était actuellement en relation de causalité uniquement possible avec l'événement accidentel. Par ailleurs, selon le docteur D.________, les diagnostics sur le plan psychique n'étaient pas en lien de causalité naturelle avec l'accident vu le peu de sévérité de celui-ci.
6.1.2. Les experts des HUG ont, quant à eux, retenu le seul diagnostic de troubles neurologiques d'origine fonctionnelle. Ils ont expliqué ce diagnostic par les nombreux symptômes neurologiques rapportés spontanément par l'intimée (troubles de la sensibilité de tout le membre supérieur gauche mais également de la partie supérieure du thorax gauche, hémiface gauche, membre inférieur gauche et péri-mamelon droit), par les plaintes exprimées (lâchage du membre inférieur gauche, faiblesse généralisée du bras gauche, vertiges et troubles de la concentration) ainsi que par l'absence d'atteintes nerveuses objectivées (IRM cervicale et cérébrale, ENMG). Ces experts ont en outre noté que les douleurs, comme les troubles sensitivomoteurs, pouvaient s'inscrire dans le trouble neurologique fonctionnel; cependant, la possibilité que ceux-ci s'intègrent plus largement dans un syndrome douloureux somatoforme ne relevait pas de leur domaine d'expertise, tout comme l'existence d'un SDRC surajouté.
6.1.3. Enfin, les experts du CEMEDEX ont posé les diagnostics (principaux) suivants: status après électrocution avec troubles neurologiques d'origine fonctionnelle, syndrome douloureux régional complexe (SDRC), trouble anxieux et dépressif mixte, douleur avec faiblesse du membre inférieur gauche sans support anatomique, autres vertiges périphériques. En particulier, l'expert G.________ a retenu que l'intimée avait subi une électrisation à bas voltage, sans aucun signe neurologique objectif (électromyographie normale). La seule constatation objective a été cliniquement une augmentation du volume du bras et de l'avant-bras, qui n'avait pas changé depuis; on ignorait si elle existait auparavant. Il existait une impotence fonctionnelle avec des signes neuropathiques selon le questionnaire DN4 (résultat de 8/10). En revanche, cet examen n'avait montré aucune rétraction articulaire, les amplitudes étaient tout à fait normales, il n'y avait pas de changement de température ni de changement de couleur du membre supérieur gauche, pas d'hypersudation, pas d'hyperpilosité ni de réseaux veineux apparents. La douleur apparaissait disproportionnée par rapport à l'événement initial. L'expert G.________ a noté que tous les autres diagnostics avaient été éliminés et que "[t]out ceci répond[ait], en effet, aux critères de Budapest pour un syndrome douloureux régional complexe (CRPS) ". Il a en outre conclu à une capacité de travail de 100 % "depuis toujours" dans une activité correspondant aux aptitudes de l'intimée.
6.2. En ce qui concerne le syndrome douloureux régional complexe (ou complex regional pain syndrome [CRPS]), anciennement nommé algodystrophie ou maladie de Sudeck, on rappellera qu'il a été retenu en 1994 par un groupe de travail de l'International Association for the Study of Pain (IASP). Il constitue une entité associant la douleur à un ensemble de symptômes et de signes non spécifiques qui, une fois assemblés, fondent un diagnostic précis (DR F. LUTHI/DR. P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L. TURLAN/DR M. KONZELMANN, Syndrome douloureux régional complexe, in Revue médicale suisse 2019, p. 495). L'IASP a réalisé un consensus diagnostique aussi complet que possible avec la validation, en 2010, des critères dits de Budapest. La pose du diagnostic de SDRC requiert ainsi, selon les critères de Budapest, que les éléments caractéristiques suivants soient satisfaits (arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.1; cf. également DAVID IONTA, Le syndrome douloureux régional complexe (SDRC) et causalité en LAA, in Jusletter 18 octobre 2021, ch. 19 et les références) :
1. Une douleur persistante disproportionnée par rapport à l'événement déclencheur.
2. Le patient doit rapporter au moins un symptôme dans trois des quatre catégories suivantes:
- Sensorielle: hyperesthésie et/ou une allodynie
- Vasomotrice: asymétrie au niveau de la température et/ou changement/asymétrie au niveau de la coloration de la peau
- Sudomotrice/oedème: oedème et/ou changement/asymétrie au niveau de la sudation
- Motrice/trophique: diminution de la mobilité et/ou dysfonction motrice (faiblesse, tremblements, dystonie) et/ou changements trophiques (poils, ongles, peau).
3. Le patient doit démontrer au moment de l'examen au moins un signe clinique dans deux des quatre catégories suivantes:
- Sensorielle: hyperalgésie (piqûre) et/ou allodynie (au toucher léger et/ou à la pression et/ou à la mobilisation)
- Vasomotrice: différence de température et/ou changement/asymétrie de coloration de la peau
- Sudomotrice/oedème: oedème et/ou changement/asymétrie au niveau de la sudation
- Motrice/trophique: diminution de la mobilité et/ou dysfonction motrice (faiblesse, tremblement, dystonie) et/ou changements trophiques (poils, ongles, peau).
4. Il n'existe aucun autre diagnostic permettant de mieux expliquer les symptômes et les signes cliniques.
Ces critères sont exclusivement cliniques et ne laissent que peu de place aux examens radiologiques (radiographie, scintigraphie, IRM). L'utilisation de l'imagerie fait l'objet d'une controverse dans le milieu médical, mais garde un rôle notamment dans la recherche de diagnostics différentiels, ou lorsque les signes cliniques sont discrets ou incomplets ainsi que dans certaines formes atypiques (DRS K. DISERENS/P. VUADENS/PR JOSEPH GHIKAIN, Syndrome douloureux régional complexe: rôle du système nerveux central et implications pour la prise en charge, in Revue médicale suisse 2020, p. 886; F. LUTHI/M. KONZELMANN, Le syndrome douloureux régional complexe [algodystrophie] sous toutes ses formes, in Revue médicale suisse 2014, p. 271). En pratique, si les critères 1 à 3 sont remplis et le critère 4 est respecté, on doit considérer que le patient souffre d'un SDRC; toutefois la valeur prédictive positive n'est que de 76 %. Si les critères sont partiellement remplis, il faut poursuivre le diagnostic différentiel et réévaluer le patient. Si les critères ne sont pas remplis, le patient a une probabilité quasi nulle d'avoir un SDRC (DR F. LUTHI/DR P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L. TURLAN/DR M. KONZELMANN, op. cit., p. 498).
S'agissant de l'admission d'un lien de causalité entre un accident et une algodystrophie, le Tribunal fédéral a considéré, dans un arrêt 8C_384/2009 du 5 janvier 2010, que trois conditions cumulatives devaient être remplies: 1° la preuve d'une lésion physique après un accident (p. ex. un hématome ou une enflure) ou l'apparition d'une algodystrophie à la suite d'une opération nécessitée par l'accident; 2° l'absence d'un autre facteur causal de nature non traumatique (p. ex. état après un infarctus du myocarde, après une apoplexie, etc.); 3° une courte période de latence entre l'accident et l'apparition de l'algodystrophie (au maximum six à huit semaines). Dans un article paru dans la brochure actualisée et rééditée sous le titre "SDRC Syndrome douloureux régional complexe" (W. JÄNIG/R. SCHAUMANN/W. VOGT [éditeurs]) en 2013, ses auteurs expliquent que la question de la causalité entre un accident et un SDRC doit être résolue en étudiant en particulier l'évolution en fonction du temps et en prenant en compte les critères de Budapest ainsi que d'autres facteurs ayant marqué significativement le décours. Selon ces auteurs, ce n'est qu'une fois que l'expert a posé un diagnostic de SDRC qu'il faut, s'agissant de la causalité accidentelle, démontrer qu'une lésion corporelle de l'extrémité concernée s'est bien produite; si tel est le cas, se pose alors la question de savoir si le SDRC est apparu durant la période de latence correspondante de six à huit semaines (R. SCHAUMANN/W. VOGT/F. BRUNNER, Expertise, in: SDRC Syndrome douloureux régional complexe, 2013, p. 130 s.). Cette période de latence de six à huit semaines ne constitue qu'une valeur empirique et ne fait nullement l'objet d'un consensus médical. Au demeurant, elle a été proposée en 1998, soit avant que les critères diagnostiques du SDRC aient été établis. On ne saurait dès lors établir, sur le plan juridique, une règle absolue sur le délai dans lequel les symptômes du SDRC devraient se manifester (cf. arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.2.1 et 5.2.2 et les références). Dans un arrêt 8C_177/2016 du 22 juin 2016, le Tribunal fédéral a du reste précisé, s'agissant du temps de latence entre l'événement accidentel et l'apparition du SDRC, qu'il n'est pas nécessaire qu'un SDRC ait été diagnostiqué dans les six à huit semaines après l'accident pour admettre son caractère causal avec l'événement accidentel; il est en revanche déterminant qu'on puisse conclure, en se fondant sur les constats médicaux effectués en temps réel, que la personne concernée a présenté, au moins partiellement, des symptômes typiques du SDRC durant la période de latence de six à huit semaines après l'accident (arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.2.3 et les arrêts cités).
6.3. En l'occurrence, le docteur G.________ n'a pas motivé le diagnostic de SDRC ni exposé les éléments caractéristiques qui permettraient de confirmer ce diagnostic. Son rapport retranscrit l'anamnèse personnelle et l'anamnèse médicale de l'intimée, faisant apparaître des divergences qui n'ont pas été discutées dans le cadre de l'expertise. Le docteur G.________ évoque les constats de son examen clinique, soit un membre supérieur gauche présentant une impotence fonctionnelle mais avec des amplitudes respectées, l'absence de rétractation articulaire, aucune asymétrie de température ni changement de couleur, pas d'hypersudation ni d'hyperpilosité. Il prétend ensuite que tous les autres diagnostics ont été éliminés et conclut sans autre démonstration que "tout ceci répond, en effet, aux critères de Budapest". Cela est peu convainquant, d'autant que le docteur G.________ semble exclure tout autre diagnostic, sans pour autant discuter celui de trouble fonctionnel posé par le co-expert F.________, et avant lui par les experts des HUG. Il paraît néanmoins admettre qu'une partie des symptômes relève de ce trouble fonctionnel - en tout cas s'agissant de l'hypoesthésie globale de la jambe gauche - mais n'en fait aucunement état au moment d'évoquer les critères diagnostics d'un SDRC.
6.4. La juridiction cantonale a constaté les lacunes de l'expertise, en procédant elle-même à l'examen des éléments caractéristiques pour poser le diagnostic de SDRC. Or elle ne pouvait pas, comme elle l'a fait, admettre ce diagnostic en examinant si les critères de Budapest étaient effectivement présents. En effet, dès lors qu'il incombe au médecin d'évaluer l'état de santé et de poser le diagnostic (ATF 140 V 193 consid. 3.2), il n'appartient pas au juge de poser de son propre chef des conclusions qui relèvent de la science et des tâches du corps médical (arrêt 8C_724/2021 du 8 juin 2022 consid. 4.1.2 et les références). Le docteur G.________ n'ayant pas démontré si et dans quelle mesure les constatations qu'il a faites remplissaient les critères de Budapest, on ne saurait considérer le diagnostic de SDRC comme établi au degré de la vraisemblance prépondérante, pas plus que son lien de causalité avec l'accident.
En tout état de cause, l'avis médical du docteur H.________ ne suffit pas à confirmer ce diagnostic dès lors qu'il s'est limité à noter que "les critères diagnostics (de Budapest) sont remplis", sans autre développement. Par ailleurs, on ne saurait suivre l'avis des premiers juges aux termes duquel le diagnostic de SDRC ne relevait pas de la spécialité du docteur C.________. Ils n'ont en outre pas exposé les raisons qui justifieraient que ce spécialiste en neurologie - contrairement au spécialiste en anesthésiologie (docteur H.________) - ne puisse pas apprécier les critères de Budapest et poser ou écarter le diagnostic de SDRC. Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de juger comme pleinement probant l'avis de médecins-experts, l'un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, l'autre spécialiste en neurologie, qui s'étaient prononcés de manière compréhensible et convaincante sur le diagnostic de SDRC (arrêt 8C_231/2019 du 12 juillet 2019 consid. 3.2.1), étant au demeurant rappelé que le SDRC est une atteinte appartenant aux maladies neurologiques, orthopédiques et traumatologiques (arrêt 8C_234/2023 du 12 décembre 2023 consid. 3.2). Il s'ensuit que le fait que le docteur C.________ soit neurologue ne suffit pas à faire douter de la pertinence de son appréciation. Cela étant, cet expert ne s'est pas déterminé sur le diagnostic différentiel de SDRC, pourtant évoqué dans plusieurs rapports médicaux à sa disposition.
6.5. En définitive, à la lecture de l'évaluation consensuelle des experts du CEMEDEX, on constate que ces derniers retiennent tout à la fois des troubles neurologiques d'origine fonctionnelle (troubles sensitivomoteurs mal systématisés, sans substrat neurologique périphérique ni central) et un SDRC. Une discussion relative à la compatibilité de ces deux diagnostics et à leurs éventuelles interactions aurait à tout le moins été nécessaire. En tout état de cause, il persiste des doutes sérieux quant aux diagnostics à retenir, à leur origine somatique ou psychiatrique, et au rôle que l'accident aurait joué dans le développement des troubles de l'intimée. Il convient par conséquent de renvoyer la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle mette en oeuvre une expertise judiciaire. Cette expertise devra revêtir une forme pluridisciplinaire (neurologique, rhumatologique, psychiatrique) intégrant une discussion de synthèse entre les divers experts consultés, lesquels devront notamment se prononcer sur les diagnostics, la causalité, éventuellement le statu quo sine vel ante ainsi que sur l'influence de ces diagnostics sur la capacité de travail et sur l'atteinte à l'intégrité.
7.
La conclusion subsidiaire de la recourante se révélant bien fondée, le recours doit être admis partiellement, avec pour conséquence l'annulation de l'arrêt entrepris. La cause sera renvoyée à la cour cantonale pour qu'elle complète l'instruction conformément aux considérants, puis rende une nouvelle décision.
Le présent arrêt rend sans objet la requête d'effet suspensif présentée par la recourante.
8.
En ce qui concerne la répartition des frais judiciaires et les dépens, le renvoi de la cause pour nouvel examen et décision revient à obtenir gain de cause au sens des art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF, indépendamment du fait qu'une conclusion ait ou non été formulée à cet égard, à titre principal ou subsidiaire (ATF 137 V 210 consid. 7.1; arrêt 8C_465/2017 du 12 janvier 2018 consid. 5, non publié in ATF 144 V 42). L'intimée, qui succombe, supportera donc les frais judiciaires. Elle n'a pas droit à des dépens. La recourante n'a pas non plus droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est partiellement admis. L'arrêt de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 20 décembre 2023 est annulé et la cause lui est renvoyée pour nouvelle décision. Le recours est rejeté pour le surplus.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 30 août 2024
Au nom de la IVe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant : Maillard
La Greffière : Barman Ionta