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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
4P.181/2003 /ech 
 
Arrêt du 3 novembre 2003 
Ire Cour civile 
 
Composition 
Mme et MM. les Juges Corboz, président, Klett et Favre. 
Greffière: Mme Aubry Girardin. 
 
Parties 
X.________ S.A., 
recourante, représentée par Me Alain Schweingruber, avocat, case postale 872, 2800 Delémont, 
 
contre 
 
A.________, 
intimée, représentée par Me Yves Richon, avocat, case postale 169, 2800 Delémont 1, 
 
Cour civile du Tribunal cantonal de la République et Canton du Jura, Le Château, case postale 24, 
2900 Porrentruy 2. 
 
Objet 
droit d'être entendu; arbitraire 
 
(recours de droit public contre l'arrêt de la Cour civile du Tribunal cantonal jurassien du 14 juillet 2003). 
 
Faits: 
A. 
Depuis 1990, A.________ a été employée par l'entreprise X.________ SA, en qualité de frontalière au bénéfice d'un permis G. Pour obtenir cette autorisation, l'employeur a dû soumettre les conditions de travail de son employée au Service Z.________. Pour les périodes d'octobre 1997 à septembre 1999, d'octobre 1999 à septembre 2001 et d'octobre 2001 à septembre 2003, X.________ SA a respectivement annoncé un salaire horaire de 15 fr.20, de 15 fr.60 et de 15 fr.30. 
 
L'examen des bulletins de salaire de A.________ révèle que, pour ces mêmes périodes, le salaire horaire qui lui a été versé était inférieur au salaire déclaré par X.________ SA au Service Z.________. 
B. 
Le 7 octobre 2002, A.________ a introduit devant le Conseil de Prud'hommes du Tribunal de Porrentruy une action en paiement contre X.________ SA portant sur 6'846 fr.30 avec intérêt à 5 % depuis l'échéance. Ce montant représentait la différence entre le salaire horaire perçu entre janvier 1995 et 2001 et le salaire horaire déclaré au Service Z.________. Dans son calcul, A.________ n'a pas tenu compte des primes qu'elle avait touchées en plus de son salaire horaire. 
 
X.________ SA a conclu au déboutement de A.________ en soutenant que les salaires annoncés au Service Z.________ étaient globaux et incluaient les primes de présence et d'assiduité, conformément au chiffre 9.2 du règlement interne de l'entreprise, qui faisait partie intégrante du contrat de travail et fixait la composition du salaire horaire. 
 
Par jugement du 29 janvier 2003, la présidente du Conseil de prud'hommes a rejeté la demande, en relevant en substance que la rémunération totale versée à A.________ depuis le 6 octobre 1997, qui comprenait le salaire de base et les primes, dépassait le salaire horaire déclaré au Service Z.________. 
 
Statuant sur pourvoi en nullité de A.________, la Cour civile du Tribunal cantonal jurassien a, par arrêt du 14 juillet 2003, annulé le jugement attaqué et condamné X.________ SA à verser à A.________ la somme de 4'095 fr.05 (recte: 4'059 fr.05), avec intérêt à 5 % dès le 15 octobre 1999, ainsi qu'aux dépens de première instance et de nullité. En résumé, la Cour civile, appréciant les éléments du dossier, a considéré que les primes, en particulier les primes de présence et d'assiduité, ne faisaient pas partie du salaire de base soumis à autorisation et qu'en retenant l'inverse, l'autorité de première instance était tombée dans l'arbitraire. L'employée était donc en droit de toucher les salaires horaires de base découlant de l'autorisation administrative pour la période non prescrite du 1er novembre 1997 au 30 septembre 2001, avec intérêt à 5 % dès le 15 octobre 1999 correspondant à l'échéance moyenne. 
C. 
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral, X.________ SA conclut à l'annulation de l'arrêt du 14 juillet 2003 avec suite de frais et dépens. Elle se plaint d'une violation de son droit d'être entendu et invoque en outre l'arbitraire. 
 
A.________ propose le rejet du recours, avec suite de frais et dépens. 
 
La Cour civile a présenté des observations, tout en se référant pour le surplus aux considérants de son arrêt, et a conclu au rejet du recours. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
1.1 Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre une décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ). 
 
L'arrêt attaqué est final dans la mesure où la cour cantonale a statué au fond, sur une demande pécuniaire, par une décision qui n'est susceptible d'aucun autre moyen de droit sur le plan fédéral ou cantonal, s'agissant du grief de violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ). 
 
La recourante est personnellement touchée par la décision entreprise, qui la condamne au paiement d'une somme d'argent, de sorte qu'elle a un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette décision n'ait pas été adoptée en violation de ses droits constitutionnels; en conséquence, la qualité pour recourir (art. 88 OJ) doit lui être reconnue. 
Interjeté en temps utile compte tenu des féries (art. 34 al. 1 let. b et 89 al. 1 OJ) dans la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), le présent recours est à cet égard recevable. 
1.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 129 I 113 consid. 2.1; 128 III 50 consid. 1c p. 53 s. et les arrêts cités). 
1.3 Aux termes de l'art. 369 ch. 2 du Code de procédure civile du canton du Jura du 9 novembre 1978 (RS/JU 271.1), les jugements rendus en dernier ressort par le juge civil peuvent être attaqués en nullité quand le jugement viole le droit de façon évidente, c'est-à-dire qu'il est en contradiction avec des dispositions formelles du droit civil ou des lois de procédure ou qu'il est fondé sur une appréciation manifestement inexacte des pièces ou des preuves. A côté des griefs strictement formels et dont la conséquence est uniquement cassatoire (cf. Hohl, Procédure civile, tome II, Berne 2002, p. 276 no 3071), le motif de nullité tiré d'une violation grossière d'une disposition légale claire ou d'une appréciation manifestement fausse des faits et des preuves, qui suppose un rapport causal avec la décision, peut, s'il est admis, entraîner la réforme du jugement entrepris, et pas uniquement son annulation (Kummer, Grundriss des Zivilprozessrechts, Berne 1984, p. 206). C'est d'ailleurs ce qui s'est produit en l'espèce, la cour cantonale ayant elle-même statué sur le fond (cf. art. 374 CPC/JU). 
 
Le fait que les juges aient réformé la décision de première instance n'a toutefois aucune incidence sur le pouvoir d'examen de la cour cantonale, qui est limité aux motifs de recours restrictivement énoncés par la loi (cf. art. 368 s. CPC/JU) et qui est identique, s'agissant de l'appréciation des preuves, à celui du Tribunal fédéral saisi d'un recours de droit public. Dans un tel cas, celui-ci ne se limite pas à vérifier, sous l'angle de l'arbitraire, si l'autorité cantonale de recours s'est elle-même livrée à une interprétation insoutenable. Il examine au contraire librement si c'est à juste titre que celle-ci n'a pas retenu l'arbitraire (cf. ATF 125 I 492 consid. 1a/cc p. 494; 111 Ia 353 consid. 1b p. 355). 
 
2. 
La recourante reproche en premier lieu à la cour cantonale d'avoir violé son droit d'être entendu en n'examinant pas le moyen tiré de l'abus de droit. 
2.1 En ce qui concerne le droit d'être entendu, la recourante se fonde sur les garanties offertes par la Constitution fédérale et la CEDH, sans se prévaloir de la violation d'une règle de droit cantonal de procédure qui lui offrirait une protection supérieure. C'est donc exclusivement à la lumière de l'art. 29 al. 2 Cst. et de l'art. 6 CEDH que son grief sera examiné (ATF 126 I 15 consid. 2a et les arrêts cités). 
 
Il n'y a pas lieu de se départir de la jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancienne Constitution s'agissant du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. (cf. ATF 128 V 272 consid. 5b/bb p. 278). Il en ressort notamment que le droit d'être entendu n'impose pas à l'autorité l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, lui semblent pertinents (ATF 126 I 97 consid. 2b; 121 I 54 consid. 2c p. 57 et les arrêts cités). La faculté d'écarter certains éléments de preuve ou certains griefs, sur la base d'une appréciation anticipée des preuves, n'est contraire ni à la Cst., ni à la CEDH (cf. ATF 125 I 127 consid. 6c/cc p. 135), pour autant que cette appréciation n'apparaisse pas arbitraire (ATF 124 I 208 consid. 4a et les arrêts cités). 
2.2 Selon la jurisprudence, la possibilité pour l'employeur d'invoquer l'abus de droit envers un salarié étranger qui n'aurait pas réclamé immédiatement l'intégralité du salaire auquel il aurait eu droit en application de l'art. 9 OLE (RS 823.21) ne doit être admise que de manière très restrictive, sous peine de rendre illusoire la protection accordée par l'art. 341 al. 1 CO, selon lequel le travailleur ne peut renoncer aux créances résultants des dispositions impératives de la loi. Seuls les cas d'abus de droit caractérisés sont réservés (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4C.126/2003 du 18 juillet 2003 destiné à la publication, consid. 5.2 et les arrêts cités). Il ne suffit en tous les cas pas que le travailleur ait accepté sans protester un salaire inférieur ni qu'il ait attendu plusieurs années, voire l'expiration de son contrat de travail, pour faire valoir sa prétention (ATF 129 III 171 consid. 2.4 p. 176; cf. s'agissant spécifiquement de l'art. 9 OLE: cf. arrêts du Tribunal fédéral 4C.249/2000 du 18 décembre 2000 consid. 3c et d; 4C.448/1996 du 16 septembre 1997 consid. 1c/aa). 
 
Comme la recourante se borne à soutenir que le comportement de l'intimée serait abusif, parce que cette dernière avait accepté sans protester son salaire durant plusieurs années, son grief apparaît d'emblée impropre à établir un abus de droit. S'agissant d'un point dénué de toute pertinence, on ne peut reprocher à la cour cantonale d'avoir violé le droit d'être entendu de la recourante en n'entrant pas en matière. 
3. 
En second lieu, la recourante invoque l'arbitraire. Elle fait principalement grief à la cour cantonale d'avoir appliqué de manière insoutenable l'art. 9 OLE
3.1 Le litige portant sur une valeur litigieuse inférieure à la limite ouvrant la voie du recours en réforme (art. 46 OJ), la recourante peut, sous l'angle de l'arbitraire, émettre des critiques relevant de l'application du droit fédéral sans porter atteinte au caractère subsidiaire du recours de droit public (cf. art. 84 al. 2 OJ; cf. ATF 124 III 134 consid. 2b). 
3.2 Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 129 I 8 consid. 2.1; 127 I 60 consid. 5a p. 70). Arbitraire et violation de la loi ne sauraient être confondus; une violation doit être manifeste et reconnue d'emblée pour être considérée comme arbitraire. Le Tribunal fédéral n'a pas à examiner quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement dire si l'interprétation qui a été faite est défendable. Il n'y a pas d'arbitraire du seul fait qu'une autre solution paraît également concevable, voire même préférable (ATF 126 III 438 consid. 3 in fine; 125 II 129 consid. 5 p. 134). En outre, pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 8 consid. 2.1 in fine; 128 I 177 consid. 2.1). 
3.3 Dans une jurisprudence constante, le Tribunal fédéral admet que l'art. 9 OLE déploie des effets de droit civil, dans le sens où cette disposition oblige l'employeur de respecter les conditions qui assortissent l'autorisation délivrée, en particulier de verser le salaire approuvé par l'autorité administrative; le travailleur dispose alors d'une prétention qu'il peut faire valoir devant les juridictions civiles, conformément à l'art. 342 al. 2 CO (ATF 122 III 110 consid. 4d p. 114 s. et les références citées; confirmé notamment in arrêt du Tribunal fédéral du 18 juillet 2003 précité, destiné à la publication, consid. 5.1). 
 
En l'espèce, la cour cantonale ne s'est pas écartée de l'art. 342 al. 2 CO ni de l'art. 9 OLE, dès lors que, considérant que l'intimée avait touché une rémunération de base inférieure au salaire indiqué dans l'autorisation administrative, elle a alloué à celle-ci la rémunération minimale approuvée par l'autorité administrative. 
3.4 En réalité, le litige concerne la façon dont cette autorisation administrative a été interprétée et relève de l'appréciation de preuves et de l'établissement des faits. 
 
En ce domaine, il y a arbitraire lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur le sens et la portée d'un tel élément, ou encore lorsqu'elle tire des constatations insoutenables des éléments recueillis (ATF 129 I 8 consid. 2.1; 127 I 38 consid. 2a p. 41). 
 
Dans le cas présent, il n'est pas contesté que les autorisations ont été délivrées par l'autorité administrative à la suite de demandes de permis de frontalier indiquant un "salaire de base par heure". Compte tenu de cette mention dépourvue d'ambiguïté, on ne voit manifestement pas qu'en estimant que ce montant ne correspondait pas à un salaire global, mais seulement à un salaire de base et qu'il n'incluait pas les primes, la cour cantonale ait apprécié arbitrairement les preuves. Il en découle que l'employée au bénéfice du permis de frontalier pouvait prétendre au salaire de base découlant de l'autorisation administrative, indépendamment du montant des primes perçues en plus de cette rémunération et qui n'entraient pas dans la définition du salaire de base. 
 
Les critiques de la recourante tendant à démontrer que la cour cantonale a, de manière insoutenable, refusé de retenir que le salaire annoncé portait sur une rémunération globale incluant les primes sont donc privées de tout fondement. Dans ce contexte, il importe peu qu'en ajoutant les primes, l'intimée ait finalement perçu une rémunération totale supérieure aux montants déclarés par l'employeur et à l'origine de l'autorisation administrative, puisque seul le salaire de base servait de référence. Quant aux jurisprudences cantonales invoquées par la recourante, elles concernent le point de savoir quels éléments doivent être compris dans la notion de rémunération, lorsque l'autorisation administrative ne le précise pas. Cette question ne se pose pas en l'occurrence, puisqu'il était clairement indiqué que la rémunération annoncée se rapportait au "salaire de base par heure". La cour cantonale pouvait ainsi admettre sans arbitraire que ces décisions cantonales, dont s'était inspiré le jugement de première instance, étaient en définitive sans pertinence. Enfin, on ne discerne pas de contradiction dans la motivation de la cour cantonale qui, après avoir exclu la prise en compte des primes d'assiduité et de présence dans le calcul du salaire de base, a admis que le tribunal de première instance n'était pas tombé dans l'arbitraire en y incluant la rémunération perçue par la recourante à titre de "coefficient personnel". En effet, la cour cantonale a relevé que, contrairement aux primes d'assiduité et de présence, cette dernière indemnité avait un caractère régulier. Au demeurant, en confirmant l'interprétation du premier juge, l'arrêt attaqué a adopté une position favorable à la recourante, puisqu'en incluant l'indemnité liée au coefficient personnel dans le salaire de base effectivement touché par l'intimée, les juges ont réduit d'autant le montant finalement dû par l'employeur. 
3.5 Dans ces circonstances, la cour cantonale n'est pas tombée dans l'arbitraire en annulant le jugement de première instance qui avait débouté l'intimée de toutes ses conclusions et en allouant à celle-ci la différence entre le salaire horaire de base déclaré à l'autorité administrative en vue de l'octroi du permis et le salaire de base effectivement touché par l'employée. 
4. 
Ces considérations commandent le rejet du recours de droit public. 
 
Il faut toutefois préciser que l'arrêt entrepris contient une erreur matérielle admise par les deux parties et qu'il convient de corriger. En effet, conformément aux considérants de l'arrêt cantonal, la recourante doit être condamnée à payer à l'intimée la somme de 4'059 fr.05, et non pas celle, citée dans le dispositif, de 4'095 fr.05. L'arrêt du Tribunal de céans rejetant le recours de droit public doit ainsi être compris dans ce sens, sans qu'il soit nécessaire d'admettre très partiellement le recours de droit public sur cet unique point, qui relève de l'inadvertance manifeste. 
5. 
Compte tenu de la valeur litigieuse, la procédure est gratuite (art. 343 al. 2 et 3 CO; ATF 115 II 30 consid. 5b p. 41). En revanche, la recourante, qui succombe, sera condamnée au paiement d'une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens en faveur de l'intimée (art. 159 al. 1 OJ; ATF 115 II 30 consid. 5c p. 42 et l'arrêt cité). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est rejeté. 
2. 
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens. 
3. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal de la République et Canton du Jura. 
Lausanne, le 3 novembre 2003 
Au nom de la Ire Cour civile 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: La greffière: