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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
{T 0/2} 
 
1B_430/2015  
   
   
 
 
 
Arrêt du 5 janvier 2016  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président, 
Chaix et Kneubühler. 
Greffière : Mme Kropf. 
 
Participants à la procédure 
 A.________, représenté par Me Stephen Gintzburger, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
 Bertrand Bühler, Procureur au Ministère public de l'arrondissement de Lausanne, chemin de Couvaloup 6, 1014 Lausanne, 
intimé. 
 
Objet 
Procédure pénale, récusation, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 19 octobre 2015. 
 
 
Faits :  
 
A.   
Depuis le 3 novembre 2014, le Procureur Bertrand Bühler du Ministère public de l'arrondissement de Lausanne instruit une enquête contre A.________ pour "avoir déposé une plainte mensongère à l'encontre de B.________ afin de s'approprier un vase d'une grande valeur de manière astucieuse". 
Le 24 septembre 2015, le prévenu a été entendu par le Procureur Bertrand Bühler. Au cours de cette audience, A.________ a demandé la récusation de ce magistrat au motif que le second aurait déclaré que le premier était un "menteur patenté". Le Procureur a conclu au rejet de cette demande, observations sur lesquelles le prévenu s'est déterminé le 10 octobre 2015. Par arrêt du 19 octobre 2015, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté la demande de récusation. 
 
B.   
Par acte du 9 décembre 2015, A.________ forme un recours en matière pénale contre ce jugement, concluant à l'admission de sa demande de récusation. A titre subsidiaire, il requiert le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Le recourant sollicite aussi l'octroi de l'assistance judiciaire. 
L'autorité précédente, ainsi que le Procureur intimé ont renoncé à se déterminer, le second se référant aux observations déposées devant la première. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Conformément aux art. 78 et 92 al. 1 LTF, une décision relative à la récusation d'un magistrat pénal peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière pénale. Le recourant, dont la demande de récusation a été rejetée, a qualité pour agir (art. 81 al. 1 LTF). Pour le surplus, interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF), les conclusions prises sont recevables (art. 107 LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière. 
 
2.   
Le recourant se prévaut de constatations manifestement inexactes des faits et de violations de l'interdiction de l'arbitraire et du principe du droit d'être entendu. 
Dans la mesure où ces griefs seraient pertinents, il n'y a toutefois pas lieu de les examiner vu l'issue du litige. 
 
3.   
Invoquant les art. 30 al. 1 Cst., 6 § 1 CEDH et 56 let. f CPP, le recourant reproche à l'autorité précédente d'avoir considéré que l'expression "menteur patenté" ne constituait pas un motif de récusation. 
 
3.1. Un magistrat est récusable pour l'un des motifs prévus aux art. 56 let. a à e CPP. Il l'est également, selon l'art. 56 let. f CPP, "lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention". Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 § 1 CEDH. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.1 p. 179 s.; 138 IV 142 consid. 2.1 p. 144 et les arrêts cités).  
Dans le cadre de l'instruction, le ministère public est tenu à une certaine impartialité même s'il peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment donné de l'enquête. Cela est en particulier le cas lorsqu'il décide de l'ouverture d'une instruction (qui suppose l'existence de soupçons suffisants au sens de l'art. 309 al. 1 CPP) ou lorsqu'il ordonne des mesures de contrainte. Tout en disposant, dans le cadre de ses investigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste tenu à un devoir de réserve. Il doit s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2 p. 180; 138 IV 142 consid. 2.2.1 p. 145). 
 
3.2. Selon la jurisprudence, on ne saurait admettre systématiquement la récusation d'un procureur au motif qu'il aurait déjà rendu dans la même cause une ordonnance de non-entrée en matière ou de classement annulée par l'autorité de recours. D'une part en effet, des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances dénotent que le juge est prévenu ou justifient à tout le moins objectivement l'apparence de prévention. D'autre part, la jurisprudence considère le magistrat appelé à statuer à nouveau après l'annulation d'une de ses décisions est en général à même de tenir compte de l'avis exprimé par l'instance supérieure et de s'adapter aux injonctions qui lui sont faites (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.3 p. 180; 138 IV 142 consid. 2.3 p. 146).  
Pour ces raisons également, il n'y a pas lieu de remettre en cause la pratique consistant à faire instruire successivement par le même magistrat des plaintes réciproques, le cas échéant en suspendant l'une jusqu'à droit connu sur l'autre, même si, en traitant de la première, certaines questions sont susceptibles d'avoir une influence sur la seconde. Seules des circonstances exceptionnelles permettent dans ces cas de justifier une récusation lorsque, par son attitude ou ses déclarations précédentes, le magistrat a clairement fait apparaître qu'il ne sera pas capable d'aborder la seconde procédure en faisant éventuellement abstraction des opinions qu'il a précédemment émises (arrêt 1B_328/2015 du 11 novembre 2015 consid. 3.2). La jurisprudence exige cependant que l'issue de la seconde cause ne soit pas prédéterminée, mais qu'elle demeure indécise quant à la constatation des faits et à la résolution des questions juridiques (ATF 134 IV 289 consid. 6.2 p. 294; 131 I 24 consid. 1.2 p. 26; arrêt 1B_282/2008 du 16 janvier 2009 consid. 2.4 et 2.5 publié in Pra 2009 94 635). 
 
3.3. La cour cantonale a considéré qu'il était établi que le recourant avait menti au cours de la présente procédure, ainsi que dans la précédente où il avait la qualité de plaignant. Selon les premiers juges, il n'était ainsi pas choquant que le Procureur ait mis ses déclarations en doute, notamment puisqu'il disposait d'éléments concrets le démontrant. La juridiction précédente a ensuite relevé que l'expression utilisée n'était pas "très adéquate, voire à la limite de ce qui était admissible", mais qu'au vu des circonstances, il s'agissait "tout au plus [d']une façon maladroite du Procureur de s'exprimer face à un prévenu qui sert des explications clairement contraires à la vérité".  
 
3.4. Ce raisonnement ne peut être suivi. Certes, les propos tenus par le recourant paraissent soulever certaines interrogations, ce qui pourra, le cas échéant, être invoqué par le Procureur devant le juge du fond et devra être expliqué par le recourant.  
En revanche, au stade de l'instruction, le Procureur n'a pas encore la qualité de partie au sens de l'art. 104 al. 1 let. c CPP (sur cette position, cf. ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2 in fine p. 180; 138 IV 142 consid. 2.2.2 p. 145 s.). En tant que direction de la procédure (art. 61 CPP), son attitude et/ou ses déclarations ne doivent donc pas laisser à penser que son appréciation quant à la culpabilité du prévenu serait définitivement arrêtée (art. 6 et 10 CPP). Or, l'expression utilisée ne paraît plus garantir que l'issue de la cause demeurerait encore indécise en particulier quant à la constatation des faits potentiellement constitutifs des infractions examinées. En effet, le Procureur ne s'est pas limité à relever les contradictions entre les différents propos tenus par le recourant, mais a qualifié - de manière fort négative - le comportement a priori adopté. En traitant le recourant de "menteur patenté", le magistrat intimé - qui a également instruit la cause dans laquelle le recourant était plaignant - semble ainsi tenir pour établi que celui-ci ait menti à réitérées reprises au cours des deux procédures pénales. Les termes utilisés laissent aussi à penser que les possibles déclarations à venir du recourant seraient de facto dénuées de toute crédibilité, voire que le magistrat intimé serait déjà convaincu de la culpabilité du prévenu. Dans ces circonstances, une instruction menée tant à charge qu'à décharge ne semble plus pouvoir être assurée. 
Il en résulte que le recourant pouvait à juste titre considérer la remarque tenue lors de l'audience du 24 septembre 2015 non plus comme une maladresse, mais comme un signe d'une possible prévention de la part du Procureur intimé à son encontre. Partant, la Chambre des recours pénale a violé le droit fédéral en rejetant la requête de récusation (art. 56 let. f CPP) et ce grief doit être admis. 
 
4.   
Il s'ensuit que le recours est admis. L'arrêt du 19 octobre 2015 de la Chambre des recours pénale est annulé. La requête de récusation déposée le 24 septembre 2015 est admise et la cause est renvoyée à l'autorité précédente afin qu'un autre procureur soit désigné pour la suite de la procédure. 
Conformément à l'art. 68 al. 1 LTF, une indemnité de dépens est alloué au recourant, à la charge du canton de Vaud. Cela rend sans objet sa requête d'assistance judiciaire. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Il appartiendra à la cour cantonale de statuer sur les frais et dépens relatifs à la procédure cantonale (art. 67 et 68 al. 5 LTF). 
 
 
  
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est admis. L'arrêt du 19 octobre 2015 de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois est annulé et la requête de récusation du Procureur Bertrand Bühler est admise. La cause est renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale. 
 
2.   
Une indemnité de dépens pour la procédure fédérale, arrêtée à 2'000 fr., est allouée au mandataire du recourant, à la charge du canton de Vaud. 
 
3.   
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 5 janvier 2016 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Fonjallaz 
 
La Greffière : Kropf