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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
4P.105/2003 /ech 
 
Arrêt du 7 octobre 2003 
Ire Cour civile 
 
Composition 
Mme et MM. les Juges Corboz, président, Klett et Favre. 
Greffière: Mme Aubry Girardin. 
 
Parties 
X.________ S.A., 
recourante, représentée par Me Jean de Saugy, avocat, boulevard des Philosophes 9, 1205 Genève, 
 
contre 
 
Y.________ Ltd STI, 
intimée, représentée par Me Nicolas Junod, avocat, rue Charles-Bonnet 4, case postale 399, 1211 Genève 12, 
 
Chambre civile de la Cour de justice genevoise, 
case postale 3108, 1211 Genève 3. 
 
Objet 
art. 9 Cst.; procédure civile; administration des preuves 
 
(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice genevoise du 11 avril 2003). 
 
Faits: 
A. 
Le 1er janvier 1996, X.________ S.A. (ci-après: X.________), une société suisse, et Y.________ Ltd STI (ci-après: Y.________), dont le siège est à Ankara, ont conclu un contrat de distribution. Selon cet accord, X.________ concédait à Y.________ le droit exclusif de vendre en Turquie neuf médicaments. Cette dernière devait acquérir chaque année une quantité minimale de ces médicaments auprès de X.________. Y.________ supportait les frais nécessaires à leur distribution, sa rémunération consistant dans le bénéfice qu'elle pouvait obtenir par leur revente; elle devait en outre s'efforcer d'augmenter les ventes en utilisant du matériel publicitaire fourni par X.________ et obtenir de l'autorité compétente les droits d'enregistrement nécessaires. Les parties ont opté pour l'application du droit suisse et ont prévu une clause d'élection de for en faveur des tribunaux ordinaires genevois. 
 
Conclu pour une année, ce contrat était renouvelable d'année en année, sauf avis de résiliation donné au moins trois mois avant l'échéance. Il pouvait aussi être résilié de manière anticipée en cas de demande de faillite ou de violation de l'une ou l'autre de ses clauses, si la partie défaillante n'y avait pas remédié dans un délai de 30 jours. Après expiration du contrat, Y.________ ne pouvait prétendre à aucun dommage, indemnité ou compensation du fait de l'échéance. 
 
Par courrier du 19 septembre 1997, X.________ a signifié à Y.________ la résiliation du contrat de distribution au 31 décembre 1997, en l'invitant à lui restituer les droits d'enregistrement relatifs aux médicaments objets de l'accord et les demandes d'enregistrement pendantes, afin que les autorités sanitaires turques puissent assurer le transfert des droits d'enregistrement en faveur de sa nouvelle filiale turque. 
 
Comme Y.________ a contesté avoir reçu cette résiliation, X.________ lui a notifié une seconde résiliation avec effet immédiat, le 16 décembre 1997, en invoquant le non-paiement de factures exigibles qui n'avaient pas été acquittées dans un délai de 30 jours. 
 
Le 22 décembre 1997, Y.________ et X.________ ont conclu un accord selon lequel Y.________ acceptait l'extinction du contrat de distribution au 31 décembre 1997, s'engageait à transférer à X.________ les droits d'enregistrement, ainsi que les demandes d'enregistrement en cours, à lui restituer son matériel publicitaire et à lui verser 149'600 USD. Elle renonçait également à lui réclamer le paiement de divers montants et, enfin, elle reconnaissait devoir à X.________ 1'292'585 USD 68 et 316'852'010 LIT. Celle-ci renonçait pour sa part au paiement de ces deux derniers montants, s'engageait à livrer gratuitement différents médicaments à Y.________ pendant le premier trimestre 1998 et à annuler un séquestre obtenu à Genève le 10 décembre 1997. Cet accord, soumis au droit suisse et à la juridiction des tribunaux genevois, n'a été que partiellement exécuté. 
 
Le 23 décembre 1997, X.________ a fait notifier à Y.________ deux poursuites par voie de faillite portant sur 1'433'156 USD et 298'433'156 LIT, montants correspondant aux factures antérieures au 31 décembre 1997. Y.________ a fait opposition, en soutenant être créancière de X.________ en vertu de la convention du 22 décembre 1997. 
 
Le 14 janvier 1998, X.________ a requis du Tribunal de commerce d'Ankara le prononcé de la mainlevée des oppositions et le prononcé de la faillite de Y.________. 
 
Y.________ a, pour sa part, formé devant le juge turc une demande reconventionnelle en paiement d'indemnités punitives. 
 
Le 18 février 1998, X.________, faisant référence aux articles 29 à 31 CO, a déclaré à Y.________ qu'elle invalidait la convention du 22 décembre 1997 avec effet rétroactif. Elle a réclamé le paiement des factures en souffrance et de celles relatives aux livraisons de médicaments effectuées en janvier 1998. 
 
Par jugement du 16 avril 1998, le Tribunal de commerce d'Ankara a rejeté les demandes de X.________. Considérant que le comportement de cette dernière était abusif, elle l'a condamnée à verser à Y.________ 40 % des sommes réclamées. Pour déterminer si X.________ était titulaire des créances qu'elle faisait valoir par voie de poursuites, le tribunal a examiné la portée de la convention du 22 décembre 1997 et il a considéré qu'aucun élément ne permettait d'en déduire que cet accord n'était pas valable. 
 
A la suite d'un arrêt de la Cour de cassation d'Ankara du 24 septembre 1998 rendu sur recours de X.________, le Tribunal de commerce a confirmé, le 25 mars 1999, son jugement du 16 avril 1998 s'agissant des demandes de mise en faillite et de mainlevée d'opposition formées par X.________ et a rejeté la demande reconventionnelle de Y.________ en paiement d'indemnités punitives. Ce jugement, non frappé de recours, est devenu définitif le 7 septembre 1999, selon apostille de l'autorité compétente figurant sur la décision. 
B. 
Le 24 novembre 1999, Y.________ a déposé une demande en justice auprès du Tribunal de première instance de Genève, concluant au paiement par X.________ de 2'219'593 fr. 20 avec intérêt. Selon Y.________, ce montant correspondait au manque à gagner subi en raison du refus de X.________ de lui livrer des médicaments gratuitement, conformément aux termes de la convention du 22 décembre 1997. 
 
X.________ a conclu au déboutement de Y.________ et, à titre reconventionnel, elle lui a réclamé 1'422'156 USD et 298'631'975 LIT avec intérêt, montants qui avaient fait l'objet des poursuites du 23 décembre 1997, ainsi que 789'842 USD correspondant au manque à gagner de sa filiale turque en raison du refus de Y.________ de lui transférer les licences d'exploitation. Par la suite, X.________ a encore réclamé, à titre additionnel, 752'661 fr. avec intérêt en remboursement des médicaments livrés à Y.________ en janvier 1998. 
 
En réponse à la demande reconventionnelle, Y.________ a soulevé d'entrée de cause une exception de chose jugée, en faisant valoir que les deux premiers montants réclamés faisaient déjà l'objet du jugement du 25 mars 1999 rendu par le Tribunal de commerce d'Ankara. 
 
Par jugement sur incident du 17 janvier 2002, le Tribunal de première instance a admis l'exception de chose jugée en raison du jugement rendu entre les parties par le Tribunal de commerce d'Ankara et a déclaré irrecevables les conclusions tant reconventionnelles qu'additionnelles formées par X.________. 
 
Le 11 avril 2003, la Chambre civile de la Cour de justice genevoise a admis très partiellement l'appel interjeté par X.________, dans la mesure où elle a déclaré recevables les conclusions additionnelles prises par cette dernière à l'encontre de Y.________. Elle a confirmé le jugement du 17 janvier 2002 pour le surplus et renvoyé la cause au Tribunal de première instance pour instruction et décision sur le fond. 
C. 
Contre cet arrêt, X.________ interjette un recours de droit public au Tribunal fédéral. Invoquant l'arbitraire et une violation de son droit d'être entendue, elle conclut à l'annulation de l'arrêt du 11 avril 2003 et au renvoi de la cause à l'instance cantonale pour nouvelle décision, sous suite de frais et dépens. 
 
Y.________, dans ses observations signées par un avocat-stagiaire, propose le rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. La Chambre civile de la Cour de justice s'est, pour sa part, référée aux considérants de son arrêt. 
 
Parallèlement à son recours de droit public, X.________ a également interjeté un recours en réforme au Tribunal fédéral. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité du recours de droit public (ATF 129 I 173 consid. 1, 185 consid. 1). 
1.1 La décision attaquée confirme d'une part le jugement préjudiciel de première instance s'agissant de l'irrecevabilité des conclusions reconventionnelles formées par la recourante en raison de l'existence du jugement rendu en Turquie le 25 mars 1999. D'autre part, elle admet la recevabilité des conclusions additionnelles également prises par la recourante, en renvoyant la cause à l'autorité inférieure pour instruction et décision sur le fond. 
 
La jurisprudence considère qu'une décision qui rejette à titre préjudiciel une demande pour cause de litispendance est une décision finale (ATF 96 I 449 consid. 1). Par analogie, il en va de même si le rejet résulte de l'admission d'une exception de chose jugée, car celle-ci a pour résultat qu'il ne sera pas entré en matière sur la demande (cf. ATF 121 III 474 consid. 2 p. 477). L'arrêt attaqué doit par conséquent être qualifié de décision partielle, dès lors qu'il a pour résultat de statuer définitivement sur une partie des prétentions en cause (ATF 129 III 25 consid. 1.1), en l'occurrence sur la demande reconventionnelle (cf. ATF 116 II 80 consid. 2b). 
 
La jurisprudence rendue en matière de droit public assimile les sentences partielles à des décisions incidentes au sens de l'art. 87 OJ (ATF 127 I 92 consid. 1b et les références citées). Cependant, lorsqu'un jugement partiel fait à la fois l'objet d'un recours de droit public et d'un recours en réforme, il convient de s'en tenir à la pratique selon laquelle, si la voie du recours en réforme est ouverte à l'encontre de la décision incidente, le recours de droit public sera également considéré comme recevable, indépendamment des exigences de l'art. 87 OJ (cf. ATF 127 I 92 consid. 1b p. 94; 117 II 349 consid. 2b p. 351). 
 
En l'occurrence, il ressort de la procédure introduite parallèlement par la recourante devant le Tribunal fédéral que la voie du recours en réforme dirigé contre l'arrêt du 11 avril 2003 est ouverte (cf. arrêt du 7 octobre 2003 dans la cause 4C.153/2003 opposant les parties consid. 1.2). Il en découle que, conformément à la jurisprudence précitée, cette décision peut également être attaquée par la voie du recours de droit public, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur l'existence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 87 al. 2 OJ
1.2 Au surplus, les autres conditions de recevabilité de cette voie de droit étant réunies (cf. art. 84 al. 2, 86 al. 1 et 88 ss OJ), il convient d'entrer en matière. 
1.3 Sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce, le recours de droit public a une fonction purement cassatoire (ATF 129 I 173 consid. 1.5; 128 III 50 consid. 1b p. 53) La conclusion formulée par la recourante qui tend en plus au renvoi à l'instance cantonale est donc admissible, mais superflue, car si le recours de droit public était déclaré bien-fondé, l'autorité cantonale de dernière instance devrait précisément statuer en tenant compte des considérants de l'arrêt du Tribunal fédéral (cf. ATF 112 Ia 353 consid. 3c/bb p. 354). 
1.4 La réponse de l'intimée est également recevable, bien qu'elle ait été présentée par un avocat-stagiaire, dès lors que l'art. 29 al. 2 OJ, interprété a contrario, n'est pas applicable à la procédure du recours de droit public (ATF 105 Ia 67 consid. 1a, confirmé in arrêt du Tribunal fédéral non publié 1P.496/1995 du 22 mai 1996 consid. 1a). 
2. 
Invoquant l'art. 4 Cst., la recourante se plaint d'arbitraire et d'une violation de son droit d'être entendue. Elle reproche en substance à la cour cantonale de n'avoir pas donné suite à ses offres de preuves tendant à démontrer que la procédure s'était déroulée de manière irrégulière devant les autorités judiciaires turques, en particulier qu'elle n'avait pas été autorisée à faire entendre des témoins. 
2.1 Au préalable, il convient d'indiquer à la recourante que la disposition sur laquelle elle se fonde se rapporte à l'ancienne Constitution fédérale et a été remplacée, depuis le 1er janvier 2000, par l'art. 9 Cst. s'agissant de l'interdiction de l'arbitraire et par l'art. 29 al. 2 Cst. garantissant le droit d'être entendu. La jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancien droit en ces matières demeure cependant valable (ATF 128 V 272 consid. 5b/bb p. 278; 126 I 168 consid. 3a). 
2.2 L'autorité tombe dans l'arbitraire s'agissant de l'appréciation des preuves et des constatations de fait lorsqu'elle ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1). Il appartient au recourant d'établir la réalisation de ces conditions en tentant de démontrer, par une argumentation précise, que la décision incriminée est insoutenable (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 129 I 185 consid. 1.6; 122 I 70 consid. 1c p. 73). 
 
En ce qui concerne le droit d'être entendu, la recourante se fonde sur les garanties offertes par la Constitution fédérale, sans se prévaloir de la violation d'une règle de droit cantonal de procédure qui lui offrirait une protection supérieure. C'est donc exclusivement à la lumière de l'art. 29 al. 2 Cst. que son grief sera examiné. 
 
La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu - découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. - notamment le droit pour le justiciable d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa; 125 V 332 consid. 3a p. 335). S'agissant plus précisément du droit de fournir des preuves, la jurisprudence a exposé que l'autorité avait l'obligation de donner suite aux offres de preuve présentées en temps utile et dans les formes requises, à moins qu'elles ne soient manifestement inaptes à apporter la preuve ou qu'il s'agisse de prouver un fait sans pertinence (cf. ATF 124 I 241 consid. 2 et les arrêts cités). Cela n'empêche toutefois pas le juge de refuser une mesure probatoire si, en appréciant, d'une manière non arbitraire, les preuves déjà apportées, il parvient à la conclusion que les faits pertinents sont déjà établis et qu'un résultat même favorable au recourant de la mesure probatoire sollicitée ne pourrait plus modifier sa conviction (ATF 124 I 208 consid. 4a, V 90 consid. 5b p. 94; 122 II 464 consid. 4a). 
2.3 En l'espèce, la cour cantonale n'a pas donné suite à la requête de la recourante demandant l'ouverture d'enquêtes en vue de déterminer si la procédure qui s'était déroulée en Turquie l'avait été de manière régulière et plus particulièrement si elle avait été autorisée à faire entendre des témoins. Les juges cantonaux ont motivé leur refus en soulignant qu'il ressortait clairement des jugements rendus en Turquie que les deux parties avaient comparu à la procédure, qu'elles étaient assistées d'avocats, qu'elles avaient participé à toute la procédure et qu'elles avaient été en mesure de faire valoir leurs moyens de défense. Les parties avaient d'ailleurs utilisé ces garanties en portant le litige devant la cour de cassation. Les juges cantonaux ont ajouté que l'ordre public suisse ne s'opposait pas à ce qu'une procédure soit tranchée sur pièces, sans l'audition de témoins, ni à ce que le tribunal saisi procède à une appréciation anticipée des preuves. Il en ressort que c'est également en appréciant les preuves de manière anticipée que la cour cantonale a refusé de donner suite aux offres de preuves de la recourante. 
 
Cette dernière ne prétend pas, dans son recours de droit public, que les constatations de la cour cantonale sur le déroulement de la procédure en Turquie seraient arbitraires ou que les juges auraient oublié de prendre en considération un fait pertinent, de sorte qu'il n'y a pas de raison de s'écarter de la description de cette procédure figurant dans l'arrêt attaqué (cf. ATF 118 Ia 20 consid. 5a). Sur la base de celle-ci, on ne voit pas en quoi le refus des juges turcs d'entendre les témoins de la recourante permettrait d'en conclure que la procédure ne serait pas conforme à l'ordre public suisse. La cour cantonale pouvait ainsi, sans violer les art. 9 et 29 al. 2 Cst., ne pas donner suite à la demande d'ouverture d'enquêtes formée par la recourante à ce sujet. 
 
Le recours de droit public doit donc être rejeté. 
3. 
Compte tenu de l'issue de la procédure, la recourante supportera l'émolument de justice et versera à l'intimée une indemnité à titre de dépens (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est rejeté. 
2. 
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de la recourante. 
3. 
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens. 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre civile de la Cour de justice genevoise. 
Lausanne, le 7 octobre 2003 
Au nom de la Ire Cour civile 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: La greffière: