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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8C_50/2023  
 
 
Arrêt du 14 septembre 2023  
 
IVe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président, Viscione et Métral. 
Greffière : Mme Betschart. 
 
Participants à la procédure 
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), Division juridique, Fluhmattstrasse 1, 6002 Lucerne, 
recourante, 
 
contre  
 
A.________, 
représenté par Me Bernard Cron, avocat, 
intimé. 
 
Objet 
Assurance-accidents, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 8 décembre 2022 (A/2081/2019 ATAS/1091/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________, né en 1989, travaillait pour B.________ Sàrl comme chauffeur-livreur et était à ce titre assuré auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA). Le 8 mai 2018, il a été victime d'une agression. Alors que sa camionnette de livraison était garée sur le côté de la route, le rétroviseur a été touché par un scootériste. L'assuré est sorti du véhicule pour prendre une photo des dégâts. Selon une agente de la police municipale, témoin de la scène, le conducteur du scooter a asséné un coup de poing au visage de l'assuré, puis a percuté son flanc droit avec son scooter alors que celui-ci s'était mis devant lui pour l'empêcher de fuir, et l'a fait tomber. Le bilan radiologique effectué à l'hôpital C.________ juste après l'accident, comprenant des radiographies du poignet droit ainsi que des scanners thoraco-abdominal et de la colonne cervicale, n'a pas mis en évidence de fracture, de lésion osseuse post-traumatique ni d'atteinte post-traumatique des organes infra-abdominaux. Le diagnostic de contusion du rachis dorso-lombaire a été retenu. En outre, ces examens ont révélé un antélisthésis de L5 de grade I de 4 mm sur lyse isthmique bilatérale. La CNA a pris en charge le cas.  
 
A.b. Par décision du 11 février 2019, la CNA a mis fin aux prestations d'assurance avec effet au 28 février 2019, retenant que les troubles dont se plaignait encore l'assuré n'étaient pas suffisamment démontrables du point de vue organique et qu'il n'y avait pas de séquelle en lien de causalité adéquate avec l'accident.  
 
A.c. Par décision du 16 avril 2019, la CNA a écarté l'opposition formée par A.________ contre la décision du 11 février 2019, qu'elle a confirmée. Sur le plan somatique en particulier, elle a repris les conclusions de son médecin d'arrondissement, le docteur D.________, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, qui a retenu en substance dans son rapport du 9 avril 2019 que le spondylolisthésis révélé par les examens réalisés à l'hôpital C.________ était sans rapport avec l'accident, que le diagnostic de contusion dorso-lombaire devait être retenu et qu'on pouvait raisonnablement estimer qu'au-delà de six mois, le lien de causalité entre les symptômes persistants et l'évènement initial était tout au plus possible.  
 
B.  
 
B.a. A.________ a interjeté un recours contre cette décision sur opposition auprès de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève. Celle-ci a ordonné une expertise médicale sur la question du lien de causalité entre les troubles du recourant et l'accident, qu'elle a confiée au professeur E.________, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique.  
Dans son rapport du 16 mars 2022, l'expert a constaté pour l'essentiel que la spondylolyse était un état préexistant que l'accident avait probablement activé, sans l'avoir causé, provoquant des douleurs importantes et invalidantes, et que la situation n'était pas encore stabilisée sur le plan des lombalgies. Par la suite, la CNA a produit une appréciation du 21 avril 2022 du docteur F.________, spécialiste en chirurgie orthopédique et médecin d'arrondissement, qui critiquait les conclusions du professeur E.________. Invité par la cour cantonale à préciser certains points de son expertise, s'agissant de la stabilisation de l'état de santé et de la capacité de travail de l'assuré, le professeur E.________ a répondu les 27 juillet et 21 août 2022 qu'une activité adaptée serait exigible à 50 % dès le 1er septembre 2022 et à 100 % dès septembre 2023. Dans son appréciation du 12 septembre 2022, le docteur F.________ soulignait l'absence d'éléments mettant en cause l'existence d'un statu quo sine atteint à six mois de l'accident. 
 
B.b. Se ralliant aux conclusions du professeur E.________, la cour cantonale a, par arrêt du 8 décembre 2022, partiellement admis le recours au sens des considérants, a annulé la décision sur opposition du 16 avril 2019 et a reconnu le droit de l'assuré à des indemnités journalières complètes jusqu'au 31 août 2022, puis à des indemnités journalières correspondant à une capacité de travail de 50 % dans une activité adaptée du 1er septembre 2022 au 31 août 2023. Elle a renvoyé la cause à l'intimée pour le calcul des indemnités journalières dues dès le 1er septembre 2022 au sens des considérants.  
 
C.  
La CNA interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, concluant, à titre principal, à sa réforme en ce sens que la décision sur opposition du 16 avril 2019 soit confirmée en tant qu'elle met fin au droit de l'assuré aux prestations découlant de la LAA au 28 février 2019, pour les suites de l'évènement du 8 mai 2018; à titre subsidiaire elle conclut au renvoi de la cause à la cour cantonale pour mise en oeuvre d'une seconde expertise médicale et nouvel arrêt. 
A.________ conclut au rejet du recours et demande à être mis au bénéfice de l'assistance judiciaire. Le Tribunal cantonal et l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office (art. 29 al. 1 LTF) et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 147 I 333 consid. 1; 146 IV 185 consid. 2; 144 II 184 consid. 1). 
 
1.1. Le recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) est recevable contre les décisions finales, soit celles qui mettent fin à la procédure (art. 90 LTF), et contre les décisions partielles, soit celles qui statuent sur un objet dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause (art. 91 let. a LTF) ou qui mettent fin à la procédure à l'égard d'une partie des consorts (art. 91 let. b LTF). Les décisions préjudicielles et incidentes autres que celles concernant la compétence ou les demandes de récusation (cf. art. 92 LTF) ne peuvent faire l'objet d'un recours que si elles peuvent causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF).  
 
1.2. En l'espèce, la cour cantonale a rendu un arrêt (partiel) final dans la mesure où elle a dit que l'intimé avait droit à des indemnités journalières complètes jusqu'au 31 août 2022. En revanche, en tant qu'il renvoie la cause à la recourante pour qu'elle calcule les indemnités journalières correspondant à une capacité de travail de 50 % dues dès le 1er septembre 2022 (en tenant compte de la mise en valeur exigible de la capacité de gain du recourant dans une activité adaptée), l'arrêt entrepris constitue une décision (partielle) incidente, car il ne met pas fin à la procédure (cf. ATF 140 V 282 consid. 2; 138 I 143 consid. 1.2). Dès lors que cette partie de l'arrêt cantonal contient une injonction d'ordre matériel - imposant à la recourante le versement des indemnités journalières - le renvoi de la cause à la recourante est susceptible de lui causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (cf. ATF 140 V 282 consid. 4.2; arrêt 8C_493/2022 du 8 mars 2023 consid. 1.3 et les arrêts cités).  
 
1.3. Pour le reste, l'arrêt attaqué a été rendu par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans une cause de droit public (art. 82 LTF) qui n'entre pas dans le catalogue des exceptions prévues par l'art. 83 LTF. Le recours en matière de droit public, déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi, est donc recevable.  
 
2.  
Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF) et n'est limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Cela étant, le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes (ATF 145 V 304 consid. 1.1), et ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF). 
 
3.  
 
3.1. Le litige porte sur la question de savoir si la cour cantonale a violé le droit fédéral en reconnaissant le droit de l'intimé à des indemnités journalières complètes et à la prise en charge des frais de traitement au-delà du 28 février 2019. Est litigieuse plus particulièrement l'existence de troubles somatiques en lien de causalité avec l'accident assuré au-delà de cette date.  
 
3.2. Lorsque la décision qui fait l'objet d'un recours porte à la fois sur des prestations en espèces et en nature de l'assurance-accidents, comme c'est le cas en l'occurrence, le Tribunal fédéral constate avec un plein pouvoir d'examen les faits communs aux deux objets litigieux et se fonde sur ces constatations pour statuer, en droit, sur ces deux objets; en revanche, les faits qui ne seraient pertinents que pour statuer sur le droit aux prestations en nature ne sont revus que dans les limites définies aux art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF (arrêts 8C_400/2022 du 21 décembre 2022 consid. 2.3; 8C_592/2021 du 4 mai 2022 consid. 2.2 et les références).  
 
4.  
 
4.1. L'arrêt entrepris a correctement exposé les dispositions légales et les principes jurisprudentiels applicables en l'espèce, s'agissant notamment du droit aux prestations de l'assurance-accidents (art. 6 LAA), de l'exigence d'un lien de causalité naturelle et adéquate entre l'évènement dommageable et l'atteinte à la santé (ATF 148 V 138 consid. 5.1.1; 142 V 435 consid. 1; 129 V 177 consid. 3.1) et de l'appréciation des rapports médicaux (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3.a). Il suffit par conséquent d'y renvoyer.  
 
4.2. On rappellera toutefois qu'en vertu de l'art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l'atteinte à la santé n'est que partiellement imputable à l'accident. Lorsqu'un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l'assurance-accidents d'allouer des prestations cesse si l'accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l'accident. Tel est le cas lorsque l'état de santé de l'intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l'accident (statu quo ante) ou à celui qui existerait même sans l'accident par suite d'un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n'est pas rétabli, l'assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l'état maladif préexistant, dans la mesure où il s'est manifesté à l'occasion de l'accident ou a été aggravé par ce dernier (ATF 146 V 51 consid. 5.1 et les arrêts cités). Le seul fait que des symptômes douloureux ne se sont manifestés qu'après la survenance d'un accident ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet évènement (raisonnement "post hoc ergo propter hoc"; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb; arrêt U 215/97 du 23 février 1999 consid. 3b, in RAMA 1999 n° U 341 p. 407). En principe, on examinera si l'atteinte à la santé est encore imputable à l'accident ou ne l'est plus (statu quo ante ou statu quo sine) sur le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1), étant précisé que le fardeau de la preuve de la disparition du lien de causalité appartient à la partie qui invoque la suppression du droit (ATF 146 V 51 précité consid. 5.1 et les arrêts cités; arrêt 8C_606/2021 du 5 juillet 2022 consid. 3.2).  
 
4.3. S'agissant de la valeur probante d'une expertise judiciaire, on rappellera en plus que le juge ne s'écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d'une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4; 125 V 351 E. 3a).  
 
5.  
 
5.1. Les juges cantonaux ont considéré que les éléments médicaux au dossier lors du dépôt du recours ne suffisaient pas à trancher le droit aux prestations, raison pour laquelle ils ont ordonné la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire. En revanche, l'expertise du professeur E.________ et les précisions amenées dans ses compléments du 27 juillet et du 21 août 2022 satisfaisaient aux réquisits de la jurisprudence. Ils n'avaient ainsi pas de motif de s'écarter des conclusions de l'expert, s'agissant de la capacité de travail et de gain du recourant. La règle générale rappelée par la jurisprudence en cas d'aggravation traumatique d'un état préexistant de la colonne vertébrale, selon laquelle le statu quo est atteint en une année (cf. consid. 7.1.1 ci-après), ne saurait primer sur les résultats de l'examen concret dans le cas d'espèce, étant souligné que lors du status du professeur E.________, une très importante contracture paravertébrale subsistait et que la mobilité restait limitée.  
Les appréciations des docteurs D.________ et F.________ ne suffisaient pas à remettre en cause l'expertise judiciaire dès lors que ces praticiens se fondaient sur l'absence de lésion structurelle causée par l'accident pour fixer le statu quo ante et, ce faisant, passaient essentiellement sous silence le fait que le traumatisme avait induit une déstabilisation de la spondylolyse en tant qu'état préexistant, laquelle entraînait les douleurs incapacitantes de l'assuré. Les critiques du docteur F.________ du 21 avril 2022 ne justifiaient pas non plus de nier toute valeur probante à l'expertise judiciaire. Se ralliant aux conclusions du professeur E.________ quant à l'incapacité de travail devant perdurer jusqu'au 31 août 2023, la juridiction cantonale a reconnu le droit de l'intimé aux indemnités journalières et au traitement médical jusqu'à cette date. L'expertise du professeur E.________ ayant une pleine valeur probante, les juges cantonaux ont, par appréciation anticipée des preuves, renoncé à la mise en oeuvre d'une nouvelle expertise et à l'audition du docteur F.________. Pour le surplus, ils ont confirmé que la recourante n'avait pas à prendre en charge les suites des troubles psychiques. Ils n'ont pas suivi le professeur E.________ en ce qui concerne son appréciation de l'indemnité pour atteinte à l'intégrité, puisqu'il proposait le versement d'une telle indemnité tout en retenant que les douleurs qui la justifiaient pouvaient s'amender grâce au traitement et qu'il serait ainsi prématuré de trancher cette question. 
 
5.2. La recourante reproche aux juges cantonaux d'avoir violé le droit fédéral en reconnaissant le droit de l'intimé à des prestations temporaires. Singulièrement, ils se seraient prononcés en référence à la stabilisation de l'état de santé et à la capacité de travail, alors que serait décisif le point de savoir si les causes accidentelles de l'atteinte à la santé ne jouaient plus de rôle et devaient ainsi être considérées comme ayant disparu. Parallèlement, ils auraient constaté les faits et apprécié les preuves de manière manifestement inexacte en suivant l'avis du professeur E.________.  
 
6.  
 
6.1. Le professeur E.________ a fondé son rapport d'expertise du 16 mars 2022 sur l'anamnèse et l'examen clinique de l'intimé, sur les pièces au dossier et sur une analyse de 134 articles médicaux.  
Il a posé les diagnostics avec répercussion sur la capacité de travail de status après agression par un tiers, de réaction aiguë à un facteur de stress post-traumatique avec persistance de symptômes somatiques d'épisode dépressif léger apparu le 8 mai 2018, de choc émotionnel avec syndrome dépressif post-traumatique, de contusion du côté gauche de la face, de contusion de la main et du poignet droits, de contusion dorso-cervicale, de traumatisme lombaire, de spondylolyse isthmique bilatérale L5 apparue antérieurement et probablement activée le 8 mai 2018, d'antélisthésis L5 de grade 1 sur spondylolyse isthmique bilatérale apparu antérieurement, de discopathie L5-S1 par dessiccation apparue antérieurement et de discopathie L5-S1 par rupture de l'annulus fibrosus probablement apparue antérieurement. Une aggravation de la lyse isthmique bilatérale ou de l'antélisthésis L5-S1 n'était pas attendue. S'agissant des lombalgies, la situation évoluait mais on pouvait s'attendre à une amélioration progressive en poursuivant le traitement. Sur le plan des contusions, la situation était stabilisée une année après l'accident. Les contusions du poignet, de la main, de la région cervico-dorsale et de la face s'étaient largement amendées et n'entraînaient plus d'incapacité de travail. On pouvait admettre que la spondylolyse, présente de manière asymptomatique chez 6 % de la population, était un état antérieur; l'accident l'avait réactivée, sans l'avoir causée. La littérature admettait qu'un traumatisme, même léger, pouvait entraîner une symptomatologie douloureuse persistante dans le cas d'une spondylolyse ou d'un spondylolisthésis préexistants. Dans le cas de l'intimé, il était indéniable qu'un traumatisme avait eu lieu sur le dos en situation de spondylolyse avec spondylolisthésis, ce qui entraînait stress et contraintes sur le rachis et avait ainsi pu durablement rompre l'équilibre de la charnière lombo-sacrée. Des phénomènes inflammatoires locaux pouvaient aboutir à des douleurs importantes et invalidantes. L'accident avait probablement décompensé un état préexistant, à savoir la spondylolyse L5, le spondylolisthésis L5-S1 de stade 1 et la discopathie L5. Le décours de cette lésion activée se caractérisait par son caractère persistant sur plusieurs années, comme le révélait la littérature. La notion de statu quo sine ne s'appliquait pas en l'occurrence, puisque la spondylolyse isthmique n'avait dans la règle pas d'évolution aggravée irréversible. 
L'expert a qualifié la causalité de certaine s'agissant du status après agression, de la réaction aiguë à un facteur de stress post-traumatique, de l'épisode dépressif léger, du choc émotionnel avec syndrome dépressif post-traumatique, des contusions du côté gauche de la face, de la main et du poignet droits, et de la contusion dorso-cervicale. Le lien de causalité était probable (plus de 50 %) en ce qui concernait l'activation de la spondylolyse isthmique bilatérale L5. Il n'y avait pas de lien de causalité entre l'accident et l'antélisthésis et la discopathie L5-S1 par dessiccation. La discopathie L5-S1 par rupture de l'anneau fibreux était en lien de causalité possible (moins de 50 %) avec l'accident. S'agissant de la capacité de travail, la contusion lombaire avait entraîné une situation douloureuse et invalidante, qui aurait duré six à neuf mois au plus sans spondylolisthésis. 
Le statu quo n'était pas atteint s'agissant du status après agression, de la réaction aiguë à un facteur de stress post-traumatique avec persistance de symptômes somatiques, ou de l'épisode dépressif léger. Il n'était pas atteint non plus pour le traumatisme lombaire, l'activation de la spondylolyse isthmique bilatérale L5, l'antélisthésis L5 grade 1, la discopathie L5-S1 par dessiccation ni pour la discopathie L5-S1 par rupture de l'annulus fibrosus. Pour les contusions, il était atteint six mois après l'accident. 
Les limitations fonctionnelles liées aux lombalgies étaient les suivantes: pas de travail penché en avant ou en arrière, pas de rotations du tronc, pas de port de charges de plus de 10 kg, pas de position debout statique, et alternance de position toutes les heures. Il fallait éviter les échelles et les échafaudages. La capacité de travail, compte tenu des seules atteintes en lien de causalité au moins probable avec l'accident, était nulle dans l'activité de chauffeur-livreur. L'expert a repris les limitations fonctionnelles au plan psychologique retenues par l'assurance-invalidité. Dans une activité adaptée, la capacité de travail était de 50 % et pouvait être augmentée progressivement selon l'évolution. S'agissant de l'amélioration que l'on pouvait attendre du traitement, le professeur E.________ a retenu que le traitement médicamenteux, la physiothérapie et la psychothérapie devaient être poursuivis. Les composants sociaux jouaient un rôle important dans le décours des lombalgies, et un environnement social et économique défavorable aurait des répercussions néfastes sur l'efficacité du traitement. Une meilleure intégration, notamment par l'apprentissage du français et un reclassement, en optimiserait les effets. À défaut, le traitement seul avait peu de chances d'aboutir à une réintégration professionnelle. Avec ces mesures, on pouvait raisonnablement s'attendre, après une période qui se comptait en mois, voire en années, à une amélioration permettant un retour à la vie active. Les lésions du recourant ne devraient pas empêcher un retour à la vie professionnelle dans une activité adaptée. 
L'expert s'est en outre prononcé sur l'atteinte à l'intégrité, sur les différents rapports médicaux au dossier et sur d'autres facteurs: S'agissant de la gravité des lésions, les contusions n'étaient pas graves. La spondylolyse, le spondylolisthésis de grade I de L5 sur S1, la dessiccation du disque L5-S1 et la rupture de l'annulus fibrosus n'avaient en soi aucun caractère de gravité. La déstabilisation, à la suite du traumatisme, d'un équilibre de la colonne lombaire était de nature à entraîner les troubles douloureux et fonctionnels décrits. Ces lésions étaient graves, en ce sens qu'elles entraînaient un handicap important. Le "Oswestry Low back pain score" de 66/100 de l'intimé s'observait dans les handicaps sévères. Le pronostic était lentement favorable. 
 
6.2. Cependant, le docteur F.________ a soutenu que la théorie de la décompensation traumatique avancée par le professeur E.________ impliquait un mécanisme très violent, entrainant une fracture aiguë de l'isthme. "Il était connu qu'un traumatisme succédait souvent à l'apparition de la symptomatologie douloureuse des spondylolisthésis" (recte: "qu'une symptomatologie douloureuse... succédait souvent à un traumatisme"). Selon la littérature, un spondylolisthésis avec spondylolyse était par définition instable, c'est-à-dire mobile. En l'espèce, les clichés radiologiques récents révélaient une spondylolyse mobile, donc instable. En outre, le traumatisme n'avait pas été violent pour la colonne lombaire. En conclusion, le spondylolisthésis n'avait pas été créé par l'évènement, ni même aggravé de façon définitive par celui-ci. La mobilité du segment vertébral L5-S1 n'avait pas pu être aggravée par l'évènement. La morphologie de la colonne sus-jacente, en particulier au niveau discal, n'était pas fondamentalement altérée, les dégradations discales L5-S1 faisaient partie de l'anomalie spondylolisthésique, particulièrement dans une évolution à 55 ans (sic). Il était clair que l'évènement avait cessé ses effets en causalité naturelle au maximum six mois plus tard. Il y avait bien une révélation de la lyse isthmique bilatérale de causalité probable, mais temporaire.  
 
7.  
 
7.1. En cas de lombalgies et lombosciatalgies, la jurisprudence admet qu'un accident a pu décompenser des troubles dégénératifs préexistants au niveau de la colonne lombaire, auparavant asymptomatiques. En l'absence d'une fracture ou d'une autre lésion structurelle d'origine accidentelle, elle considère toutefois que selon l'expérience médicale, le statu quo sine est atteint, au degré de la vraisemblance prépondérante, en règle générale après six à neuf mois, au plus tard après une année. Il n'en va différemment que si l'accident a entraîné une péjoration déterminante, ce qui doit être établi par des moyens radiologiques et se distinguer d'une évolution ordinaire liée à l'âge (cf. arrêts 8C_102/2021 du 26 mars 2021 consid. 6.3.1; 8C_408/2019 du 26 août 2019 consid. 3.3; 8C_726/2010 du 19 novembre 2010 consid. 3.4; 8C_326/2008 du 24 juin 2008 consid. 3.2 et 3.3; 8C_677/2007 du 4 juillet 2008 consid. 2.3.2, in SVR 2009 UV n° 1 p. 1; U 290/06 du 11 juin 2007 consid. 4.2.1, in SVR 2008 UV n° 11 p. 34; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 60/02 du 18 septembre 2002 consid. 3.2).  
 
7.2. En l'espèce, l'expert judiciaire et le médecin d'arrondissement partagent l'avis qu'on est en présence d'un état préexistant, qui n'était pas causé par l'accident, faute de traumatisme sévère, l'intimé ayant chuté de sa hauteur. En effet, le professeur E.________ a expliqué, que la survenue d'un spondylolisthésis ou d'une spondylolyse lombaire post traumatique était comprise comme étant une lésion rare qui ne survenait que lors d'un traumatisme majeur (chute d'une hauteur de plusieurs mètres, collision sévère, écrasement). Le docteur F.________ a retenu que la théorie traumatique ne pouvait prospérer que lorsque le traumatisme était très sévère, ce dernier entrainant une fracture aiguë de l'isthme lors du mécanisme très violent. Il a noté en outre que le spondylolisthésis était un glissement de la vertèbre L5 sur le sacrum. Sur le plan médico-assécurologique, il n'avait pas été créé par l'évènement, ni même aggravé de façon définitive, en vraisemblance prépondérante. La mobilité du segment vertébral L5-S1 n'avait pas pu être aggravée par l'évènement à faible cinétique, évènement qui n'avait pas créé d'atteinte de surcroît.  
En ce qui concerne l'état préexistant, ces deux praticiens sont rejoints par le docteur D.________, qui a relevé que le bilan radiologique effectué par le Service des urgences de l'hôpital C.________ le 8 mai 2018 n'avait pas mis en évidence de fracture, en particulier de fracture vertébrale dorso-lombaire, ou de lésion structurelle pouvant être mise en rapport avec le traumatisme. Au surplus, le docteur G.________, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, qui avait examiné l'intimé le 24 mai 2019, a expliqué dans son rapport du même jour que le CT-Scanner thoraco-abdominal réalisé le 8 mai 2019 (recte: 2018) montrait l'absence de lésion fracturaire avec la présence d'un antélisthésis de L5-S1 et une lyse isthmique bilatérale de L5. Il précisait qu'il était très fréquent de découvrir fortuitement des lyses isthmiques, qui étaient des lésions fréquentes pouvant atteindre jusqu'à 15 % de la population et qui n'étaient que très rarement liées à des accidents. L'image de cette lyse isthmique ne faisait pas du tout penser à une lyse fracturaire; il s'agissait probablement d'une lésion présente depuis plusieurs années. Cette lésion n'expliquait pas à elle-même les problèmes du patient. Probablement, l'accident, avec le choc au niveau lombaire, pouvait provoquer des douleurs lombaires propres à aggraver une situation déjà précaire. 
 
7.3. Il ressort de ce qui vient d'être dit qu'en l'espèce, aucun élément médical objectif n'atteste l'existence d'une fracture ou d'une lésion structurelle attribuable à l'accident. En l'absence d'une telle lésion, la persistance de douleurs et d'une importante contracture musculaire ne suffit pas à constater, au degré de la vraisemblance prépondérante, une aggravation déterminante d'origine accidentelle. Dans ce contexte, les considérations du professseur E.________ relatives à l'absence de pertinence de la notion de statu quo sine, au motif que la spondylolyse isthmique reste dans la majorité des cas asymptomatique, ne peuvent pas être suivies car elles négligent les autres atteintes dégénératives constatées dans le cas d'espèce. Par ailleurs, le professeur E.________ n'expose pas en quoi les articles et ouvrages scientifiques qu'il cite feraient état de connaissances médicales nouvelles, postérieures à la jurisprudence citée ci-avant (consid. 7.1) et qui justifieraient de la remettre en cause.  
 
7.4. Vu ce qui précède, l'expertise du professeur E.________ ne permet pas de constater la persistance d'un rapport de causalité naturelle entre les lombalgies présentées par l'intimé et l'accident assuré, plus d'une année après cet accident. Contrairement à l'avis de la recourante, elle suffit en revanche pour admettre la persistance d'un rapport de causalité pendant une année après l'accident, ce que la jurisprudence n'exclut pas. Sur ce point, la recourante ne peut pas être suivie lorsqu'elle demande, en se référant aux avis des docteurs D.________ et F.________, le constat d'un statu quo sine moins d'une année après l'accident. Le docteur D.________ a certes soutenu qu'un statu quo sine était atteint six mois déjà après l'accident, mais au terme d'une analyse très schématique, sans s'appuyer sur un examen clinique de l'assuré ni analyser en détail les constatations cliniques de ses confrères. Il en va de même du docteur F.________, qui a par ailleurs pris en considération, dans son analyse du 5 avril 2022, une évolution de vie à 55 ans, alors que l'intimé était âgé de 29 ans au moment de l'accident. Dans ces conditions, les avis exprimés par ces deux médecins ne suffisent pas à établir, au degré de vraisemblance prépondérante, un statu quo sine moins d'une année après l'évènement accidentel.  
 
8.  
Les autres constatations de la juridiction cantonale, relatives à l'absence d'atteinte à la santé psychique en relation de causalité adéquate avec l'accident et à l'absence d'atteinte à l'intégrité, ne font l'objet d'aucun grief des parties et peuvent être confirmées sans autre discussion à ce stade. 
 
9.  
L'intimé, qui succombe pour l'essentiel, supportera les frais judiciaires. Il a cependant déposé une demande d'assistance judiciaire. Dès lors que les conditions d'octroi en sont réalisées (art. 64 al. 1 et 2 LTF), l'assistance judiciaire lui est accordée. L'intimé est rendu attentif au fait qu'il devra rembourser la Caisse du Tribunal fédéral, s'il retrouve ultérieurement une situation financière lui permettant de le faire (art. 64 al. 4 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est partiellement admis. L'arrêt de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 8 décembre 2022 est annulé et la cause renvoyée à la CNA pour qu'elle statue à nouveau sur le droit aux prestations postérieurement au 28 février 2019 au sens des considérants. Pour le surplus, le recours est rejeté. 
 
2.  
L'assistance judiciaire est accordée et M e Bernard Cron est désigné comme avocat d'office de l'intimé. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimé. Ils sont toutefois supportés provisoirement par la Caisse du Tribunal fédéral. 
 
4.  
Une indemnité de 2'800 fr., supportée par la Caisse du Tribunal fédéral, est allouée à M e Bernard Cron à titre d'honoraires. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lucerne, le 14 septembre 2023 
 
Au nom de la IVe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Wirthlin 
 
La Greffière : Betschart