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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1P.138/2002/dxc 
 
Arrêt du 17 juin 2002 
Ire Cour de droit public 
 
Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du Tribunal fédéral, 
Reeb, Catenazzi, 
greffier Thélin. 
 
X.________, 
recourant, représenté par Me Laurent Moreillon, avocat, 
place St-François 5, case postale 3860, 1002 Lausanne, 
 
contre 
 
A.________, 
B.________, 
C.________, 
Credit Suisse Group SA, 8070 Zurich, 
tous quatre représentés par Me Christian Fischer, avocat, avenue Juste-Olivier 9, 1006 Lausanne, 
D.________, représenté par Me François Chaudet, avocat, 
place Benjamin-Constant 2, case postale 3673, 
1002 Lausanne, 
Y.________, représentée par Me Maurizio Roveri, avocat, 
via Somaini 10, 6900 Lugano, 
Compagnie d'applications et de relations économiques 
(Care SA), 1003 Lausanne, représentée par Me Philippe Reymond, avocat, avenue d'Ouchy 14, case postale 155, 1000 Lausanne 13, 
intimés, 
François Jomini, Président du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Palais de Justice de l'Hermitage, 
route du Signal 8, 1014 Lausanne Adm cant VD, 
Procureur général du canton de Vaud, 
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne, 
Délégation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, 
1014 Lausanne. 
 
récusation 
 
(recours de droit public contre l'arrêt de la délégation du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 16 janvier 2002) 
 
Faits: 
A. 
A la suite d'une plainte de X.________, le Juge d'instruction cantonal du canton de Vaud a ouvert une enquête pénale contre A.________, B.________, C.________ et D.________, prévenus notamment d'escroquerie et de contrainte commises dans leur activité au service de Crédit Suisse Group SA. Le plaignant leur reproche de l'avoir privé d'une rémunération qui lui était due, à son avis, par l'établissement bancaire, à la suite de prestations d'intermédiaire qu'il prétend avoir fournies et qui auraient abouti à la conclusion d'une importante affaire; il leur reproche également d'avoir résilié le crédit hypothécaire dont il bénéficiait. 
 
Le 11 septembre 2001, A.________ et B.________ ont subi l'exécution d'un mandat d'amener émis par le Juge d'instruction. Ils ont protesté contre cette mesure de contrainte, par la voie d'une réclamation au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal; cette juridiction a accueilli leurs griefs par un arrêt du 1er octobre 2001, jugeant que les agents de la police de sûreté avaient commis un excès de zèle en gardant les deux prévenus, même pendant une courte durée, "à la disposition du Juge d'instruction". L'arrêt n'a été communiqué qu'aux réclamants, au Ministère public et au Juge d'instruction. 
 
Par ordonnances du 25 septembre et du 18 octobre 2001, ce magistrat a ordonné le séquestre de documents détenus par Crédit Suisse Group SA ou par des filiales de cette société. Celle-ci a contesté chacune des ordonnances par la voie d'un recours au Tribunal d'accusation. 
 
Le Juge d'instruction a également rendu deux ordonnances le 19 et le 30 novembre 2001, ayant pour objet de dénier la qualité de parties civiles, respectivement, à la société Care SA et à Y.________, épouse du plaignant. Ces prononcés ont aussi été déférés au Tribunal d'accusation. 
B. 
Le 21 novembre 2001, alors que trois de ces recours étaient déjà pendants, X.________ a demandé la récusation du juge François Jomini, Président du Tribunal d'accusation. Il faisait valoir que l'un des administrateurs de Crédit Suisse Group SA, Marc-Henri Chaudet, et le juge Jomini sont respectivement "Abbé-Président" et "Conseiller" de la Confrérie des vignerons; avec dix autres personnes, ils sont ainsi membres de la direction de cette organisation. A cela s'ajoutait que l'administrateur est le frère de Me François Chaudet, avocat du prévenu D.________, et que ce dernier, Marc-Henri Chaudet et le juge Jomini sont tous trois officiers de l'armée suisse et membres de la Société des officiers. 
 
Invitée à prendre position, Care SA a adhéré à la demande; elle a fait état de l'arrêt sur réclamation rendu le 1er octobre 2001, qui ne lui avait pas été communiqué et dont elle "requérait production", en affirmant que ce prononcé semblait constituer un indice de partialité des juges. 
La demande de récusation a été soumise à une délégation du Tribunal cantonal, composée de trois juges de ce tribunal, qui l'a rejetée par arrêt du 16 janvier 2002. 
C. 
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler ce dernier arrêt. Invoquant les art. 9, 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH, il se plaint d'une application prétendument arbitraire des dispositions cantonales concernant la récusation, et d'une violation de la garantie constitutionnelle d'un juge indépendant et impartial. 
 
Invités à répondre, D.________ propose le rejet du recours; Care SA et Y.________ concluent à son admission; A.________, B.________, C.________ et Crédit Suisse Group SA déclarent s'en remettre à justice; le Ministère public, la délégation du Tribunal cantonal et le juge Jomini ont renoncé à déposer des observations. 
D. 
Le 4 mars 2002, le Tribunal d'accusation a statué par quatre arrêts distincts sur les recours dont il était saisi; chacun de ces prononcés est l'objet d'un recours de droit public actuellement pendant devant le Tribunal fédéral. En outre, par un cinquième arrêt, le Tribunal d'accusation a rejeté une demande de récusation dirigée contre le substitut du Juge d'instruction cantonal en charge de l'affaire. 
 
Le 23 mai 2002, donnant partiellement suite à une demande de mesures provisionnelles présentée par Care SA, le Président de la Ire Cour de droit public a ordonné diverses mesures concernant la conservation et la consultation des documents dont le séquestre est litigieux. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
La garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par l'art. 6 par. 1 CEDH, à l'instar de la protection conférée par l'art. 30 al. 1 Cst., permet au plaideur de s'opposer à une application arbitraire des règles cantonales sur l'organisation et la composition des tribunaux, règles qui comprennent celles relatives à la récusation des juges. Elle permet aussi, indépendamment du droit cantonal, d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur son impartialité; elle tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du juge est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 116 Ia 135 consid. 2; voir aussi ATF 126 I 68 consid. 3 p. 73; 125 I 119 consid. 3a p. 122; 124 I 255 consid. 4a p. 261). 
 
Les art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 1 Cst. ne s'appliquent pas à la récusation d'un juge d'instruction ou d'un représentant du ministère public, car ces magistrats, pour l'essentiel confinés à des tâches d'instruction ou à un rôle d'accusateur public, n'exercent pas de fonction de juge au sens étroit (ATF 127 I 196 consid. 2b p. 198; 124 I 76;119 Ia 13 consid. 3a p. 16). Ils ne s'appliquent donc pas non plus au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois, dans la mesure où il s'agit d'un organe de surveillance des enquêtes pénales, dont les attributions excèdent celles d'une simple juridiction de recours. L'art. 29 al. 1 Cst. assure toutefois, en dehors du champ d'application des règles précitées, une garantie de même portée (ATF 127 I 196, loc. cit.; jurisprudence relative à l'art. 4 aCst.: ATF 125 I 119 consid. 3b p. 123 et les arrêts cités), à ceci près que cette disposition, à la différence desdites règles, n'impose pas l'indépendance et l'impartialité comme maxime d'organisation des autorités auxquelles elle s'applique ( ATF 125 I 119 consid. 3f p. 124). 
2. 
Aux termes de l'art. 29 CPP vaud., les magistrats de l'ordre judiciaire peuvent être récusés si leurs relations avec une partie, son mandataire ou son avocat sont de nature à compromettre leur impartialité; il n'est cependant tenu compte que des motifs importants tels que la parenté, l'alliance ou l'intérêt matériel ou moral au procès. 
 
Le recourant soutient que selon la jurisprudence cantonale, la portée de cette disposition doit être déterminée par référence à la réglementation correspondante du code de procédure civile vaudois; il reproche à la délégation du Tribunal cantonal de s'être plutôt référée à des avis de doctrine et à des précédents relatifs aux art. 22 et 23 OJ. Il invoque aussi une affaire dans laquelle la récusation d'un juge a été admise et qui était, à son avis, comparable à la présente cause. En dépit de cette argumentation, il n'apparaît pas que l'art. 29 CPP vaud. doive être interprété en ce sens qu'il conférerait au justiciable une protection plus étendue que celle assurée directement par la garantie constitutionnelle et conventionnelle précitée. Le grief tiré d'une application prétendument arbitraire de cette disposition cantonale est ainsi dépourvu de portée spécifique; il suffit d'examiner les motifs de la récusation litigieuse au regard de ladite garantie. 
3. 
L'impartialité du juge Jomini est mise en doute en raison de son appartenance au conseil de la Confrérie des vignerons, avec l'un des administrateurs de l'établissement bancaire impliqué dans la cause. Au regard de cette situation, le recourant se prétend fondé à redouter l'existence de liens d'amitié, de dépendance ou d'allégeance entre l'administrateur et le magistrat, susceptibles d'influencer indûment celui-ci dans le jugement des contestations soumises au Tribunal d'accusation. 
 
La Confrérie des Vignerons est une organisation ayant pour but, notamment, de vérifier et encourager la bonne exécution des travaux viticoles dans la région de Vevey; à cette fin, elle décerne périodiquement des récompenses aux exploitants dont le travail est jugé de la meilleure qualité. Ces récompenses étaient autrefois l'objet de cérémonies ou de festivités qui se sont développées et ont donné naissance, progressivement, à la Fête des vignerons; il s'agit d'un grand spectacle folklorique connu dans toute la Suisse, que la Confrérie organise environ quatre fois par siècle, à Vevey, le plus récemment en 1999. La Confrérie se réclame d'une ancienneté et d'une tradition immémoriales qui constituent, avec la renommée de la Fête, les éléments les plus marquants de son identité; elle poursuit donc aussi, au delà de son engagement en faveur de la viticulture, un but culturel (www.fetedesvignerons.ch/presentation et www.fetedesvignerons .ch/vigne, le 17 mai 2002; Emile Gétaz, La Confrérie des vignerons et la Fête des vignerons, Vevey 1969). 
 
Un certain prestige est attribué aux fonctions de direction ou de représentation de la Confrérie, de sorte que celles-ci exercent, cela n'est pas douteux, une influence dans la vie sociale des personnes concernées. Les relations jouent notoirement un rôle important, en général, dans le fonctionnement des organisations à but culturel. La collaboration nécessaire entre les membres de la direction contribue aussi à créer des liens de collégialité. On ne saurait toutefois présumer l'existence, entre eux, de liens d'amitié particulièrement intenses, ni de liens occultes sous le couvert des activités officielles de la Confrérie. Le recourant n'avance d'ailleurs aucun fait concret qui puisse corroborer ses soupçons; il reconnaît, au contraire, que la Confrérie n'est pas comparable à une "loge maçonnique". Or, à eux seuls, les liens ou affinités existant entre un juge et d'autres personnes exerçant la même profession, ou affiliées au même parti politique ou membres du même cercle, ou actives dans la même institution publique ou privée, impliquées dans la cause, ne suffisent pas à justifier la suspicion de partialité. En effet, la personne élue ou nommée à une fonction judiciaire est censée capable de prendre le recul nécessaire par rapport à de tels liens ou affinités, et de se prononcer objectivement sur le litige qui divise les parties. L'appartenance commune du juge Jomini et de l'administrateur Chaudet au conseil de la Confrérie ne crée donc pas une situation suffisamment singulière pour constituer un motif pertinent de récusation. Il en est de même, évidemment, de leur appartenance commune, avec D.________, au corps des officiers de l'armée suisse et de l'association qui les réunit. 
4. 
L'impartialité du juge Jomini est aussi mise en doute sur la base de l'arrêt sur réclamation du 1er octobre 2001. 
4.1 L'art. 183 CPP vaud. prévoit que si le prévenu a des plaintes à formuler au sujet de sa détention ou des opérations de la procédure, il peut les faire inscrire au procès-verbal ou adresser une réclamation au Tribunal d'accusation. La loi ne prévoit pas d'autres règles sur la procédure à suivre, en pareil cas, par ce tribunal; en particulier, elle n'exige pas que le prononcé consécutif à la réclamation soit communiqué aussi aux parties qui ne sont pas directement concernées. En dépit d'une demande formelle, par lettre du 20 novembre 2001, le recourant n'a pas obtenu communication de l'arrêt précité; le Président du Tribunal d'accusation lui a seulement indiqué, le 27 suivant, que la voie de la réclamation est ouverte au seul prévenu, dans le cadre du pouvoir de surveillance de ce tribunal, que le plaignant n'est jamais invité à prendre position et que l'arrêt ne lui est pas non plus remis. Néanmoins, le recourant avait pris connaissance de la réclamation en consultant le dossier; or, l'arrêt s'y trouve également et toutes les parties pouvaient donc aussi accéder à ce document, de la même manière. Tout cela ne recèle, en définitive, aucune dissimulation, ni aucun procédé insolite qui puisse constituer un indice de partialité. 
4.2 L'arrêt relève que "les indices de culpabilité contre les intéressés paraissent rétrospectivement insuffisants, ces derniers n'ayant pas été inculpés au terme de leur audition par le magistrat instructeur". Ce passage est cité dans l'arrêt présentement attaqué et le recourant y voit un indice de partialité. Il s'agit d'une appréciation des résultats de l'enquête postérieurs au mandat d'amener, qui n'était nécessaire ni pour juger de l'opportunité d'émettre ce mandat, ni, bien sûr, pour évaluer le comportement des agents chargés de l'exécution. Saisi d'une réclamation, le Tribunal d'accusation statuait toutefois dans le cadre du pouvoir de surveillance qui lui est conféré par l'art. 14 al. 3 CPP vaud., pouvoir qui l'autorise notamment à donner, même d'office, des indications ou des instructions sur la manière de conduire une enquête déterminée (Marc-Antoine Aubert, La réclamation au Tribunal d'accusation en procédure pénale vaudoise, thèse, Lausanne 1991, p. 48). Or, à la lecture des procès-verbaux d'auditions, les accusations pénales élevées par le plaignant apparaissent effectivement très inconsistantes. Exerçant le pouvoir précité, le Tribunal d'accusation pouvait donc utilement souligner cet aspect à l'intention du Juge d'instruction. Ainsi, compte tenu de ce contexte procédural particulier, l'appréciation portée par le Tribunal d'accusation ne justifie pas non plus la suspicion de partialité. 
5. 
Le recours de droit public se révèle en tous points mal fondé, ce qui entraîne son rejet. Le recourant doit acquitter, outre l'émolument judiciaire, les dépens à allouer à celui des prévenus qui s'est opposé au recours et obtient ainsi gain de cause. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est rejeté. 
2. 
Le recourant acquittera les sommes suivantes: 
2.1 Un émolument judiciaire de 3'000 fr.; 
2.2 Une indemnité de 1'500 fr. à verser à l'intimé D.________, à titre de dé pens. 
3. 
Il n'est pas alloué de dépens aux autres parties. 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Procureur général et au Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
Lausanne, le 17 juin 2002 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le président: Le greffier: