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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_121/2022  
 
 
Arrêt du 8 novembre 2022  
I  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Hohl, Présidente, Kiss, Niquille, 
Rüediet May Canellas. 
Greffière: Monti. 
 
Participants à la procédure 
Commune de A.________, 
représentée par Me Thierry Gachet et 
Me Bernard Ayer, avocats, 
défenderesse et recourante, 
 
contre  
 
B.________ AG, 
représentée par Me Andreas Güngerich et 
Me Jean-Rodolphe Fiechter, avocats, 
demanderesse et intimée. 
 
Objet 
demande de récusation de l'expert, 
 
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 9 février 2022 par la I re Cour d'appel civil du Tribunal cantonal du canton de Fribourg (101 2021 408 et 477). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Un long contentieux divise la société d'architectes B.________ AG et la Commune de A.________ à propos de la réalisation d'un ouvrage. 
La première a attrait la seconde en décembre 2011 devant le Tribunal civil de l'arrondissement de la Sarine pour lui réclamer 2,3 millions de francs d'honoraires supplémentaires. En réponse, la commune défenderesse a exigé une réduction d'honoraires et des dommages-intérêts pour un total avoisinant le million de francs. 
En octobre 2015, il a été convenu de mettre en oeuvre deux expertises. Un expert a été désigné, puis la Présidente du Tribunal civil a élaboré les questionnaires ad hoc le 10 janvier 2020.  
Suite au désistement de l'expert, chaque partie a été invitée à proposer trois experts. La demanderesse a suggéré entre autres l'architecte C.________, dont la défenderesse a exigé la récusation dans des déterminations du 11 septembre 2020. Elle le soupçonnait de partialité du fait qu'il était membre d'honneur de la Société suisse des ingénieurs et des architectes (SIA) et vice-président de l'Union internationale des architectes (UIA). 
La Présidente du Tribunal civil a passé outre ces récriminations et désigné le prénommé en qualité d'expert, par ordonnance du 16 octobre 2020. 
La défenderesse a déposé un recours le 29 octobre 2020 auprès du Tribunal cantonal fribourgeois, qui l'a rejeté. Elle a alors saisi l'autorité de céans par la voie d'un recours en matière civile. 
Le 30 septembre 2021 (arrêt 4A_155/2021, ci-après l'arrêt de renvoi), la cour de céans a admis le recours, annulé l'arrêt attaqué et renvoyé la cause à l'autorité précédente pour que soit rendue une nouvelle décision dans le sens des considérants. 
L'autorité de céans n'a discerné en l'état aucune raison de récuser l'expert (consid. 5.3 i.f. de l'arrêt de renvoi). Elle a néanmoins constaté que l'expert n'avait pas eu l'occasion de s'exprimer, contrairement au réquisit de l'art. 49 al. 2 CPC. Aussi a-t-elle retourné la cause au Tribunal cantonal afin que soient recueillies les déterminations de l'expert, conformément à la règle précitée et au droit d'être entendues des parties (consid. 6 de l'arrêt de renvoi).  
 
B.  
Le 14 octobre 2021, le Tribunal cantonal a invité l'expert à se déterminer en lui résumant la situation en ces termes: 
 
--..). La commune s'était opposée à [votre] désignation, en mettant votre impartialité en cause en raison de votre fonction de vice-président de l'U[IA] et de votre qualité de membre d'honneur de la (...) SIA. 
En application de l'art. 49 al. 2 CPC, nous vous demandons de vous déterminer sur les motifs invoqués par la commune et de vous prononcer sur la question de votre récusation (...)." 
L'expert s'est expliqué dans un courrier du 22 octobre 2021 dont la teneur est partiellement reproduite: 
 
--..) on peut supposer que la Commune de A.________ voit dans ces deux organisations [SIA et UIA, réd.] des groupes d'intérêts ou de pression des architectes (lobbying), tels qu'ils existent dans certaines autres professions. En partant de cette hypothèse, leur réserve concernant la probabilité de mon impartialité est plus que compréhensible et justifiée. Les informations suivantes devraient cependant contribuer à corriger quelque peu l'image préconçue. 
Bien que la SIA soit une organisation professionnelle (...) de droit privé, elle exerce également une fonction quasi souveraine en étant responsable de l'établissement de normes pour le secteur de la construction en Suisse. (...) [elle] est quasiment organisée sur une base paritaire et peut donc difficilement être comprise comme une organisation de lobbyistes. 
Au cours de mes dix années de présidence du 'Groupe Professionnel Architecture' de la SIA (...), j'ai surtout traité de sujets d'intérêt public et initié le processus de sensibilisation à une culture du bâti de qualité (Baukultur). (...) 
Mon statut de membre d'honneur de la SIA n'a donc qu'indirectement à voir avec la représentation des intérêts des architectes. Outre mon initiative pour la réorganisation de l'association, c'est plutôt mon engagement en faveur de la compréhension de l'environnement bâti comme tâche et responsabilité pour la société dans son ensemble qui m'a fait entrer dans le cercle des membres d'honneur (...). Le fait que des personnalités comme le Dr jur. (...) Peter Gauch ou le Dr jur. Rainer Schumacher (...), ou encore l'astronaute Claude Nicolier en sont également membres, devrait au moins être un indice que ce petit club n'est pas un cercle douteux d'architectes susceptibles de corruption. 
En ce qui concerne l'UIA (...), la situation devrait être encore plus claire. 
(...). L'accent est mis sur les questions de formation, l'harmonisation ou du moins la coordination des pratiques professionnelles, les concours certifiés UNESCO-UIA et sur la mise en oeuvre de l'Agenda 2030 des Nations Unies (...). Cette organisation n'a donc rien à voir avec une représentation directe des intérêts des architectes. 
Mon rôle et mon objectif déclaré en tant que premier vice-président de l'UIA et représentant des sections européennes au sein du Bureau de l'UIA étaient, en plus de représenter cette organisation au siège de l'ONU à Genève, notamment de réorganiser l'UIA elle-même en vue de procédures plus démocratiques et de plus de transparence, car une certaine infiltration de l'organisation par des forces représentant des intérêts géopolitiques était devenue perceptible au fil des ans. (...) 
Vous comprendrez (...) certainement que, de mon point de vue, la réserve émise par la Commune de A.________ me surprend quelque peu. 
(...) 
Mais cela conduit peut-être à une autre question: est-il admissible que ce travail d'expertise soit confié à un architecte...? 
La Présidente du Tribunal de l'arrondissement de la Sarine (...), qui m'a contacté il y a un an, pourra vous confirmer que j'ai eu quelque difficulté à accepter l'invitation à me mettre à disposition comme expert potentiel, car toute expertise de ce type est toujours délicate, laborieuse et souvent associée à des déceptions pour les deux parties. Compte tenu du manque d'experts indépendants dans ce domaine, mais aussi du fait que je me considère comme impartial dans cette affaire, j'ai finalement tout de même accepté. Néanmoins, cela ne me dérangerait pas que la responsabilité pour ce devoir ne me soit pas imputée. (...) " 
Considérant que ces déterminations laissaient transparaître des signes de prévention, la défenderesse a déposé formellement une nouvelle "requête de récusation" le 11 novembre 2021. 
Dans une missive établie le jour suivant, elle a énoncé divers points sur lesquels elle souhaitait entendre l'expert. En substance, celui-ci était prié d'indiquer quelle méthode de calcul il utiliserait pour départager les travaux couverts par le forfait des prestations fournies hors forfait. Il devait aussi se positionner par rapport à la Charte "Faire Honorare für kompetente Leistungen" du 27 février 2015 ["Honoraires équitables pour des prestations qualifiées", réd.]. A cette fin, une série de pièces devaient lui être transmises, à savoir le courrier même contenant ces réquisitions, les deux demandes de récusation (du 11 septembre 2020 et du 11 novembre 2021), l'échange d'écritures complet et "le questionnaire" établi par la Présidente du Tribunal civil. 
Le Tribunal cantonal a transmis à l'expert toutes les pièces et écritures énumérées. Il lui a laissé dix jours pour dire si, "au vu de leur contenu", il maintenait sa prise de position du 22 octobre 2021. 
L'expert a répondu comme il suit le 2 décembre 2021: 
(...) il ne s'agit pas tant d'informations supplémentaires destinées à étayer la nouvelle demande de récusation de l'expert prétendument déjà identifié comme n'étant pas impartial, mais plutôt - pour le dire de manière un peu cavalière - d'un matériel de démonstration ou de test destiné à soumettre l'expert à un examen de conscience - dans la bonne tradition inquisitoriale. 
(...) Outre le fait que la démarche envisagée par Me Gachet ne correspond guère à l'idée de l'article 49 CPC, al. 2, il ne semble ni proportionné ni déontologiquement approprié de laisser un expert s'exprimer - de préférence gracieusement - sur les questions essentielles de l'affaire avant même qu'il ne soit mandaté, pour ensuite et sur la base des déclarations faites, faire appel à lui ou non. (...) 
(...) ce n'est au final pas [seulement] le délai pour la prise de position (10 jours), le volume du dossier ou l'étendue temporelle de l'opération (20 ans) et la complexité qui en découle qui posent problème pour toute forme de prise de position dans cette affaire, mais surtout le fait qu'il manque au dossier les éléments qui auraient été réellement pertinents et (...) indispensables à toute évaluation: les accords entre les parties (contrats, avenants, etc.). Sans ces éléments, même un échange d'écritures de 800 pages (...) devient maculature. 
Partant de ce constat, il semble opportun que je me contente de répondre à votre question, à savoir si je confirme ou non la position que j'ai exposée dans ma lettre du 22 octobre 2021. 
Compte tenu du fait que ma situation professionnelle ou personnelle n'a pas fondamentalement changé (...), je peux confirmer sans réserve la position (...) alors adoptée. (...) " 
Au surplus, l'expert a qualifié d'aléatoires et/ou d'erronées les déductions que la défenderesse tirait de ses premières déterminations. Il a évoqué au passage "les décisions importantes et (généralement) justes de la COMCO" et a précisé quelle était la nature du problème d' "infiltration" signalé au sein de l'UIA: des services de renseignements nationaux cherchaient à instrumentaliser des ONG. 
Le Tribunal cantonal a invité les parties à se déterminer. La défenderesse s'est exécutée le 17 décembre 2021 et la demanderesse le 20 décembre 2021. 
Statuant à nouveau le 9 février 2022, dite autorité a rejeté le recours du 29 octobre 2020 et rejeté, dans la mesure où elle était recevable, la nouvelle demande de récusation du 11 novembre 2021. Elle a, par là même, confirmé la nomination de l'expert. 
En bref, les juges cantonaux n'ont décelé aucun élément factuel nouveau concernant la question de l'impartialité de l'expert. Celui-ci s'était exprimé "de manière consciencieuse et précise" sur la nature des fonctions exercées au sein de la SIA et de l'UIA. Malgré les vives critiques émises par la défenderesse notamment dans sa requête du 11 novembre 2021, il s'était toujours montré mesuré dans ses propos et ses réactions. En définitive, il avait pleinement rassuré sur son objectivité et son impartialité. Et il s'était dispensé à juste titre de se déterminer sur toutes les interpellations et pièces produites par la défenderesse. 
 
C.  
Contre cette nouvelle décision, la défenderesse (ci-après la recourante) a déposé un recours en matière civile aux fins d'obtenir la récusation de l'expert. 
La demanderesse (l'intimée) a conclu au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité, réponse qui n'a inspiré aucun commentaire à la recourante. 
Peu après (courrier du 20 avril 2022), l'intimée a déclaré retirer certains propos tenus dans son mémoire. Etaient concernés les passages où elle reprochait à l'avocat de la recourante de verser dans la calomnie et de faire des affirmations attentatoires à la personne et à l'honneur de l'expert. 
La recourante y a vu une "attitude excessive de proximité avec l'expert" confirmant la nécessité de récuser celui-ci. Elle a par ailleurs "fermement contesté" avoir intimidé et harcelé l'expert, ou s'être acharnée contre lui. 
L'autorité précédente s'est référée à son arrêt. 
La requête d'effet suspensif insérée dans le recours a été admise par ordonnance du 7 avril 2022. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Déposé en temps utile (art. 45 al. 1 et 100 al. 1 LTF), le présent recours fait suite à un arrêt de renvoi. Sa recevabilité n'est pas litigieuse (cf. consid. 1 de l'arrêt de renvoi).  
 
1.2. La recourante s'en est remise à justice quant à "la recevabilité des différents actes en procédure" de l'intimée.  
S'il discerne des propos inconvenants dans un mémoire, le Tribunal fédéral peut le renvoyer à son auteur en lui fixant un délai pour remédier à cette irrégularité (art. 42 al. 6 LTF). Partant, le justiciable qui regrette des propos malheureux ou contraires à la bienséance doit pouvoir les retrancher sans attendre d'y être éventuellement invité par le juge. Ceci dit, le retrait de déclarations inconvenantes n'est pas forcément synonyme d'éradication. Preuve en est qu'une amende disciplinaire (art. 33 al. 1 LTF), voire une action judiciaire reste possible - étant entendu que l'expression d'un repentir peut permettre d'esquiver de telles suites. De prime abord, il ne paraît donc pas exclu de s'appuyer sur des déclarations retranchées pour en déduire des liens de proximité avec l'expert. Mais peu importe, puisqu'on se trouve loin d'une telle hypothèse. Les propos retirés attestent tout au plus de l'acrimonie ambiante, dont on ne saurait tenir l'intimée pour seule responsable. Quant au contenu de la réponse, il ne justifiait pas d'appliquer l'art. 42 al. 6 LTF - ce que la recourante n'a du reste pas demandé. 
 
2.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral s'appuie sur les faits constatés par l'autorité précédente. Il ne peut les rectifier ou les compléter que s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - autrement dit, arbitraire - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 1 et 2 LTF). Encore faut-il que la correction requise par le justiciable puisse influer sur l'issue de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
Du moment qu'il brandit un droit constitutionnel tel que la protection contre l'arbitraire (art. 9 Cst.), le recourant doit satisfaire au principe d'allégation (ci-dessous consid. 2.2 i.f.; ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266; 133 II 249 consid. 1.4.3 p. 255).  
 
2.2. Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), qui doit être appliqué d'office (art. 106 al. 1 LTF). Eu égard, toutefois, à l'exigence de motivation sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF en lien avec l'art. 42 al. 2 LTF), le Tribunal fédéral peut se cantonner aux griefs invoqués, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes (ATF 140 III 115 consid. 2 p. 116). En outre, il examine le grief de violation des droits fondamentaux uniquement si le recourant a indiqué quel droit constitutionnel était concerné et expliqué par le menu où se nichait le vice. Il s'agit là du principe d'allégation (cf. art. 106 al. 2 LTF; ATF 134 II 244 consid. 2.2; 133 II 396 consid. 3.2).  
 
2.3.  
 
2.3.1. A en croire la recourante, le Tribunal fédéral devrait "agir en pleine juridiction", c'est-à-dire examiner la cause avec une cognition libre, en fait comme en droit. Cette exigence - dont on voit qu'elle ne concorde pas avec les préceptes qui viennent d'être rappelés - découlerait de l'art. 6 § 1 CEDH: celui-ci imposerait "au moins un recours au niveau national dans le cadre duquel le tribunal saisi a la compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit".  
 
2.3.2. Pour mémoire, la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH) se base sur l'ensemble de la procédure menée dans l'ordre juridique national et requiert qu' à une reprise au moins, un tribunal indépendant puisse appréhender la contestation civile dans toute son ampleur avec une cognition libre ("pleine juridiction"; cf. par ex. CourEDH, affaire Sigma Radio Television LTD. contre Chypre du 21 octobre 2011 [requêtes 32181/04 et 35122/05], n. 151; Terra Woningen B.V. contre Pays-Bas du 17 décembre 1996 [requête 20641/92], n. 51-55; Pramstaller contre Autriche du 23 octobre 1995 [requête 16713/90], n. 39; voir également arrêt 2C_43/2020 du 21 décembre 2021 consid. 6.1 et les arrêts cités; OLIVIER BIGLER, in Convention européenne des droits de l'homme, Commentaire des articles 1 à 18 CEDH, [Gonin/Bigler éd.], 2018, nos 81, 116-117 et 122-123 ad art. 6 CEDH; MARK VILLIGER, Handbuch der Europäischen Menschenrechtskonvention, 3e éd. 2020, n. 503).  
 
2.3.3. Le grief se révèle inconsistant. Outre qu'il est ici question d'une simple décision incidente, il est patent que la question litigieuse a été examinée par une instance judiciaire au moins avec un plein pouvoir d'examen.  
 
3.  
La recourante ouvre deux fronts: 
 
- Au niveau formel, diverses irrégularités auraient entaché la mise en oeuvre de l'arrêt de renvoi. Le Tribunal cantonal aurait violé son droit d'être entendue et aurait établi les faits de façon inexacte et incomplète. Il aurait indûment cautionné le refus de collaborer opposé par l'expert. Ce faisant, il aurait enfreint l'autorité de l'arrêt de renvoi, l'art. 49 al. 2 CPC et l'art. 29 al. 2 Cst. 
- Sur le fond, le tribunal supérieur aurait ignoré les marques de partialité révélées par les déclarations de l'expert et son comportement procédural après l'arrêt de renvoi. Les art. 47 al. 1 let. f CPC et 6 § 1 CEDH auraient été violés. 
 
I. Griefs quant au déroulement de la procédure après l'arrêt de renvoi  
 
4.  
 
4.1. On rappellera au préalable l'autorité dont jouit l'arrêt de renvoi. En vertu de ce principe, l'instance précédente appelée à rendre une nouvelle décision voit sa cognition limitée par les considérants de l'arrêt de renvoi. Elle est liée par les points définitivement tranchés. L'arrêt de renvoi fait aussi autorité pour les parties et le Tribunal fédéral lui-même. Un recours contre la nouvelle décision cantonale ne saurait reproduire des griefs que l'autorité de céans a déjà rejetés, ni soulever des nouveaux moyens qui auraient pu et dû être formulés dans le premier recours fédéral (ATF 143 IV 214 consid. 5.3.3; 135 III 334 consid. 2 et 2.1; arrêt 5A_394/2020 du 5 novembre 2020 consid. 3.1).  
 
4.2. La recourante soutient que le Tribunal cantonal aurait dû finalement admettre son recours du 29 octobre 2020, puisque l'arrêt de renvoi reconnaissait le bien-fondé de son grief concernant la nécessité d'entendre l'expert.  
Il est évident que le Tribunal fédéral, en lieu et place du tribunal supérieur, s'est chargé d'admettre le moyen et d'annuler la décision rejetant à tort le recours cantonal. Ceci dit, l'arrêt de renvoi ne préjugeait nullement du sort dudit recours après le complément d'instruction exigé. Le grief ne prend son sens qu'à la lecture des dernières lignes de la motivation: la recourante s'y plaint de n'avoir reçu aucuns dépens malgré l'admission d'un de ses moyens. Le traitement de cette question est réservé (cf. consid. 10 infra).  
 
5.  
La recourante dénonce un état de fait lacunaire et incomplet. Les juges cantonaux auraient indûment limité l'instruction au rôle respectif de la SIA et de l'UIA ainsi qu'aux fonctionsexercées par l'expert dans le cadre de ces associations.  
 
5.1. Au niveau de l'état de fait, l'autorité précédente a simplement résumé le déroulement de la procédure postérieure à l'arrêt de renvoi. A quelques exceptions près, elle n'a pas cité le contenu des écritures où se trouvaient les propos incriminés dans le présent recours.  
Ceci dit, elle a mentionné toutes les écritures topiques, dont elle a manifestement pris connaissance. Il ne saurait être question d'une violation du droit d'être entendu, ni d'un établissement lacunaire des faits. Ce sont bien plutôt les conclusions juridiques tirées de ces pièces - absence de marques de prévention - qui alimentent le mécontentement de la recourante. 
La cour de céans s'est résolue à citer une partie des passages litigieux, dans l'idée de faciliter la réponse aux griefs; la lecture du présent arrêt s'en trouve inévitablement alourdie. 
 
5.2. A lire la recourante, le Tribunal cantonal aurait dû élargir son champ d'investigation. De son argumentation foisonnante, elle extrait deux éléments sur lesquels elle aurait souhaité que l'expert fût interpellé, soit:  
 
- d'une part, la méthode de calcul des honoraires, sachant qu'il s'agissait de départager les travaux forfaitaires des prestations supplémentaires hors forfait. Le calcul selon le coût de l'ouvrage avait été sévèrement sanctionné par la COMCO. Il fallait s'assurer que l'expert saurait prendre ses distances.  
- d'autre part, la C harte intitulée "Honoraires équitables pour des prestations qualifiées".  
L'arrêt de renvoi fait autorité à l'égard de tous les acteurs du procès - y compris la recourante. Or, celle-ci avait déjà soulevé la problématique du calcul des honoraires dans son premier recours fédéral et plaidé que l'expert, vu sa position dans la SIA, n'avait pas l'indépendance requise pour se distancier d'une méthode désavouée par la COMCO. La cour de céans avait en bonne partie jugulé ce prétendu motif de récusation en soulignant qu' a priori, les fonctions de l'expert dans cette association professionnelle n'entravaient pas son indépendance et son impartialité. Elle avait aussi pris en compte les questionnaires établis en janvier 2020 par la Juge instructrice (arrêt de renvoi, consid. 5.3.2). Ainsi, seules de nouvelles informations sur les activités précises de l'expert au sein de la SIA auraient pu susciter une nouvelle discussion. Or, les explications de l'expert n'ont fait que confirmer les conclusions provisoires déduites des données livrées par le site Internet de la SIA. Le Tribunal cantonal n'a donc pas enfreint le droit fédéral en considérant que l'expert était dispensé de "se déterminer sur l'ensemble des éléments avancés et pièces produites". Au contraire, c'est la recourante qui a tenté de s'affranchir indûment des contraintes de l'arrêt de renvoi en exigeant des prises de position tous azimuts. Pareille démarche sortait aussi du champ de l'art. 49 al. 2 CPC.  
La recourante voulait également recueillir une prise de position sur la Charte précitée; elle n'explique pas précisément ce qui motivait cette exigence postérieure à l'arrêt de renvoi. Sachant que la COMCO a aussi requis la suppression de ce texte (cf. BLAISE CARRON, Le Règlement SIA 102 concernant les prestations et honoraires des architectes: l'édition 2020, in Journées suisses du droit de la construction 2021 p. 89), on peut inférer que la problématique reste la même, soit un prétendu manque d'indépendance par rapport au désaveu de la COMCO. Elle appelle dès lors une réponse identique.  
L'autorité précédente a reproché à la recourante de présenter un argumentaire "strictement appellatoire". Celle-ci croit détenir la preuve que celle-là aurait restreint son pouvoir d'investigation à l'arbitraire. Il n'en est rien. A l'évidence, cet adjectif employé de façon peut-être inopportune allait dans le sens des réflexions qui précèdent, à savoir que l'arrêt de renvoi avait déjà scellé l'essentiel de la question et que la recourante ne faisait qu'émettre des récriminations déjà traitées, sans invoquer des éléments nouveaux. 
 
6.  
La recourante dénonce encore une violation de son droit d'être entendue: elle aurait été empêchée de "plaider l'incident" comme elle l'avait sollicité. 
Certes, le Tribunal cantonal devait lui offrir la possibilité de s'exprimer sur les déterminations de l'expert - ce qu'il a fait. Toutefois, le droit d'être entendu ne va pas jusqu'à imposer une plaidoirie en audience. 
C'est le lieu de traiter le fond du litige. 
 
II. Questionnement de l'impartialité de l'expert  
 
7.  
A en croire la recourante, le Tribunal cantonal n'aurait pas su lire, dans les déclarations et l'attitude de l'expert, la marque d'une prévention apparente. Il aurait violé les art. 47 al. 1 let. f CPC et 6 § 1 CEDH
On ne répétera pas ici quels peuvent être les motifs de récuser un expert: ils ont déjà été présentés dans l'arrêt de renvoi (au consid. 5.2). Pour rester dans la théorie, on concédera à la recourante que l'attitude d'un expert au cours de la procédure ou ses prises de position lorsqu'il est interpellé sur son indépendance et son impartialité peuvent révéler une apparence de partialité (cf. au surplus ALFRED BÜHLER, Erwartungen des Richters an den Sachverständigen, in PJA 1999 p. 570 s. ch. 4). De là à considérer qu'un tel cas de figure s'est vérifié, il y a un pas qui ne saurait être franchi. 
 
8.  
Les premières déterminations du 22 octobre 2021 (let. B supra) trahiraient déjà la partialité de l'expert, selon la recourante.  
 
8.1. Le grief est inconsistant en tant qu'il concerne les fonctionsexercées par l'expert dans l'UIA et la SIA.  
Les explications données n'ont fait que confirmer les renseignements recueillis sur les sites Internet de ces deux associations (arrêt de renvoi consid. 5.3.1 et 5.3.2). L'expert n'a joué aucun rôle lors des négociations avec la COMCO; ses centres d'intérêts et d'activités étaient même éloignés de la problématique soulevée par la recourante. L'autorité de l'arrêt de renvoi dispense de tenir de longs discours. 
 
8.2. Certaines remarques distillées par l'expert le confondraient.  
L'intéressé a cru devoir s'expliquer sur le rôle de ces associations. Cette démarche était en soi superflue après l'arrêt de renvoi. La SIA est bien connue des tribunaux. Quant à l'UIA, des renseignements avaient déjà été recueillis. Pour la cour de céans, l' affiliation même à ces entités n'était pas litigieuse; tout au plus subsistait-il un doute quant aux fonctions spéciales exercées par l'expert, sur lesquelles celui-ci n'avait pas eu l'occasion de s'exprimer. Ceci dit, on ne saurait tout bonnement ignorer les commentaires, superflus ou non, qu'il a effectués sur ces entités.  
La recourante fustige certains propos concernant la SIA, qui aurait une fonction "quasi souveraine" dans l'établissement de "normes" pour le secteur de la construction, serait "quasiment organisée sur une base paritaire", ou dont le comité d'honneur, qualifié de "petit club", ne saurait être assimilé à un "cercle douteux d'architectes susceptibles de corruption". L'expert, sans doute un peu candide au début de la procédure, a dû penser que la recourante se méprenait sur le rôle et le fonctionnement de ces entités et a cru devoir lever les soupçons découlant de son affiliation, quitte à utiliser des termes forts. Mais il n'a certainement pas créé l'apparence d'une prévention et n'a pas fait "allégeance sans réserve" à la SIA, comme le lui reproche la recourante. Celle-ci prend ombrage du fait qu'il mentionne certains membres du comité d'honneur; elle semble oublier que leurs noms avaient été cités dans l'arrêt de renvoi (consid. 5.3.2) pour démontrer qu'il n'y avait a priori aucun motif de prévention lié à cette fonction.  
On ne voit pas non plus en quoi le fait de signaler un problème d'infiltration dans l'UIA - par des services de renseignements nationaux cherchant à instrumentaliser des ONG - dénoterait une prévention de l'expert. 
Celui-ci s'est effectivement demandé s'il était "admissible que ce travail d'expertise soit confié à un architecte". Cette interrogation doit évidemment être prise au second degré. L'expert a bien cerné le problème: le litige pose des questions techniques que doit trancher un architecte, soit un pair de l'intimée. Cet écueil incontournable est apparemment source d'inquiétude pour la recourante. Pour autant, elle ne saurait postuler que tout expert serait de facto prévenu puisque appartenant au même corps de métier que l'intimée (qui a de surcroît suggéré le nom de l'expert). L'appartenance à la SIA est une chose courante dans la profession, et la recourante ne saurait refuser systématiquement tout expert affilié à cette entité. De même, elle ne saurait indéfiniment tirer prétexte du fait que la COMCO a désavoué une méthode de calcul élaborée par la SIA.  
La recourante critique aussi le dernier paragraphe des déterminations, consacré aux raisons qui ont conduit l'expert à accepter d'accomplir une telle mission. Elle met en exergue le contact qu'il admet avoir eu avec la Juge instructrice du Tribunal civil. Or, il n'a pas été fait mystère de cet élément: l'arrêt de renvoi (sous let. A) précise que la magistrate a contacté tous les experts proposés pour savoir si une désignation était envisageable. La recourante reproche à l'expert son aveu selon lequel "cela ne [l]e dérangerait pas" de ne pas être désigné. Réaliser une expertise est loin d'être une sinécure, et les circonstances d'espèce parlent d'elles-mêmes. 
 
8.3. En bref, les déterminations du 22 octobre 2021 n'apportaient aucun élément nouveau propre à renverser les conclusions provisoirement tirées dans l'arrêt de renvoi. Les propos mêmes de l'expert ne trahissaient pas davantage une marque de prévention.  
 
9.  
 
9.1. La recourante a déposé une seconde demande de récusation (écriture du 11 novembre 2021). Formellement, une telle démarche paraît superflue, puisque l'intéressée disposait d'un droit de réplique (JEAN-LUC COLOMBINI, in Petit Commentaire, Code de procédure civile, 2020, n° 11 ad art. 49 CPC) et pouvait faire valoir ses motifs dans ce cadre. Matériellement, sa requête fondée sur les déterminations de l'expert était inconsistante, comme cela vient d'être expliqué.  
Il reste encore à examiner si la façon dont l'expert s'est exprimé dans son courrier du 2 décembre 2021 met en lumière une prévention apparente. 
 
9.2. Le Tribunal cantonal a transmis à l'expert toutes les écritures et pièces désignées par la recourante, en lui fixant un délai de dix jours pour en prendre connaissance et indiquer s'il maintenait ou non sa position.  
L'expert a ainsi dû se déterminer à brève échéance, sans que le tribunal n'ait exercé un filtre. Force est de constater qu'il a analysé correctement la problématique, relevant avec pondération que la démarche de la recourante "ne correspond[ait] guère à l'idée" de l'art. 49 al. 2 CPC
Sous le couvert de vérifier l'indépendance de l'expert, la recourante ne saurait exiger qu'il réponde par avance sur certains points du litige, pour pouvoir ensuite le récuser si la réponse obtenue lui déplaît. Encore une fois, il n'y a pas à discourir, à ce stade, des thématiques concernant la méthode de calcul des honoraires. Il suffit de confirmer, à la lumière des précisions fournies par l'expert sur ses fonctions au sein de la SIA et de l'UIA, qu'il ne présente aucun signe de prévention. 
La recourante lui reproche encore les expressions "examen de conscience" et "bonne tradition inquisitoriale". Si cette dernière n'est pas des plus heureuses, elle ne fait que trahir un agacement excusable de la part d'un non-juriste (on évitera ici le terme de "laïc") vu les requêtes auxquelles il était confronté et le ton peu amène employé par la partie adverse. 
 
9.3. En définitive, on ne discerne dans l'arrêt attaqué aucune violation de l'art. 47 al. 1 let. f CPC, respectivement de l'art. 6 § 1 CEDH.  
 
III. Grief sur les dépens  
 
10.  
 
10.1. Un ultime grief doit être traité. Il porte sur les dépens réduits que la recourante aurait voulu obtenir pour "la procédure devant le Tribunal cantonal", dans la mesure où son recours du 29 octobre 2020 dénonçait à juste titre une violation de l'art. 49 al. 2 CPC (consid. 4.2 supra).  
 
10.2. Selon l'art. 106 al. 1 CPC, les "frais" - id est les frais judiciaires et les dépens - sont mis à la charge de la partie succombante. Le juge peut s'écarter de cette règle générale dans diverses situations (art. 107 CPC). Son pouvoir d'appréciation est vaste (arrêt 5A_140/2019 du 5 juillet 2019 consid. 5.1.2 et les arrêts cités).  
En cas de renvoi, la loi permet de déléguer la répartition des frais de recours à la juridiction précédente (art. 104 al. 4 CPC). Celle-ci pourra ainsi prendre en compte l'issue du litige, selon la logique de l'art. 106 al. 1 CPC, plutôt que le sort de la procédure de recours (cf. arrêts 4A_364/2013 du 5 mars 2014 consid. 15.4 et 5A_517/2015 du 7 décembre 2015 consid. 3; Message du 28 juin 2006 relatif au CPC, FF 2006 6907 ad ch. 5.8.2). 
 
10.3. Curieusement, la recourante s'en prend à la seule répartition des dépens, à l'exclusion de l'émolument judiciaire, et pour la procédure de deuxième instance uniquement. Indépendamment de cette particularité, son grief est infondé.  
Car si elle a obtenu gain de cause sur un pan de son recours cantonal, la commune a finalement succombé sur ce qui faisait la substance du présent litige, soit la récusation de l'expert. Vu aussi le déroulement de la procédure après l'arrêt sur renvoi, on ne saurait sanctionner la manière dont le Tribunal cantonal a exercé son pouvoir d'appréciation dans la répartition des dépens de deuxième instance. 
 
IV. Conclusion  
 
11.  
Le recours se révélant entièrement mal fondé, il doit être rejeté aux frais de son auteur, qui versera à l'intimée une indemnité pour ses frais d'avocat (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, fixés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Fribourg. 
 
 
Lausanne, le 8 novembre 2022 
 
Au nom de la I re Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Hohl 
 
La Greffière : Monti