Wichtiger Hinweis:
Diese Website wird in älteren Versionen von Netscape ohne graphische Elemente dargestellt. Die Funktionalität der Website ist aber trotzdem gewährleistet. Wenn Sie diese Website regelmässig benutzen, empfehlen wir Ihnen, auf Ihrem Computer einen aktuellen Browser zu installieren.
Zurück zur Einstiegsseite Drucken
Grössere Schrift
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1B_145/2023  
 
 
Arrêt du 12 avril 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Chaix, Juge présidant, 
Müller et Merz. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représenté par Me Océane Probst, avocate, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton du Jura, Le Château, 2900 Porrentruy. 
 
Objet 
Détention provisoire, 
 
recours contre la décision du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Chambre pénale des recours, du 13 février 2023 (CPR 10 /2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, ressortissant ukrainien né en 1966, se trouve en détention provisoire depuis le 19 octobre 2022 sous la prévention de tentative de lésions corporelles graves, éventuellement lésions corporelles simples au moyen d'une arme ou d'un objet dangereux, éventuellement tentative de meurtre et menaces. Il lui est reproché d'avoir, le 16 octobre 2022 à son domicile de U.________, frappé à la jambe B.________ avec un couteau, causant à la victime une plaie profonde d'environ 3 cm au niveau de la face intérieure de la cuisse gauche. Le prévenu conteste les faits. Dans sa décision de mise en détention du 19 octobre 2022, le Juge des mesures de contrainte du canton du Jura a notamment considéré que les explications du prévenu, mis en cause par la victime ainsi que par des témoins, étaient invraisemblables. 
 
B.  
Par ordonnance du 17 janvier 2023, le Juge des mesures de contrainte a autorisé la prolongation de la détention pour trois mois en raison des risques de fuite et de collusion. 
Par décision du 13 février 2023, la Chambre pénale des recours du Tribunal cantonal jurassien a rejeté le recours formé contre cette décision. S'agissant des charges, le Juge des mesures de contrainte pouvait se référer à ses précédentes décisions des 19 octobre (mise en détention) et 19 décembre 2022 (rejet d'une demande de libération, décision confirmée le 17 janvier 2023 par la même Chambre). Le risque de fuite a été confirmé compte tenu de l'absence d'attaches avec la Suisse et du fait que le prévenu avait réussi à quitter l'Ukraine malgré le handicap physique dont il faisait état (il se déplaçait avec des béquilles). Le risque de collusion pouvait être écarté puisqu'il n'avait été retenu que jusqu'à l'audition du recourant qui avait finalement eu lieu le 6 février 2023. En revanche, le risque de réitération devait être retenu, le prévenu ayant fait l'objet de sept condamnations en Ukraine (pour détention d'armes et trafic de stupéfiants) pour un total d'environ 29 ans de privation de liberté. S'agissant d'éventuelles mesures de substitution, la cour cantonale s'est référée à sa précédente décision du 17 janvier 2023: aucune mesure n'était propre à prévenir le risque de fuite. 
 
 
C.  
Le 21 février 2023, A.________ a adressé au Tribunal pénal fédéral (TPF) une lettre rédigée en ukrainien (avec en annexe la décision du 13 février 2023), qui a été transmise au Tribunal fédéral comme objet de sa compétence. Le recourant a été invité à produire une traduction de son écriture. Par acte du 15 mars 2023, l'avocate d'office du recourant a produit un complément au recours, concluant à l'annulation de la décision du 13 février 2023, à la mise en liberté du recourant, au prononcé de mesures de substitution, subsidiairement au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouveau jugement dans le sens des considérants. Simultanément, elle a produit une traduction de l'écriture initiale du recourant. Une écriture du recourant a encore été transmise le 17 mars 2023 par le TPF. L'avocate du recourant a par la suite demandé l'assistance judiciaire pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
La Ministère public conclut au rejet du recours. Dans ses déterminations - tardives -, la cour cantonale conclut au rejet du recours et à la confirmation de sa décision, sans autres observations. 
Dans sa réplique, le recourant maintient ses conclusions et considère qu'il n'existerait pas de soupçons suffisants à son encontre. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouvert contre une décision relative à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP. Formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et qui touche le recourant dans ses intérêts juridiquement protégés (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF), le recours en matière pénale est recevable, qu'il s'agisse tant de l'écriture initiale du recourant, traduite dans le délai imparti, que du mémoire complémentaire de son avocate. 
 
2.  
Dans un grief d'ordre formel, le recourant se plaint dans sa propre écriture de ce que son ancienne avocate, en laquelle il n'avait plus confiance et qui a été par la suite remplacée, l'aurait tout de même assisté devant le Juge des mesures de contrainte. Il ne fait toutefois valoir sur ce point aucune violation d'une règle ou d'un principe juridique, de sorte que le grief est insuffisamment motivé (art. 42 al. 2 LTF). Au demeurant, tant que l'avocate d'office n'avait pas été relevée de sa fonction, elle demeurait tenue d'assister le recourant qui a ainsi bénéficié d'une défense effective; elle a en effet présenté en temps utile des observations écrites au sujet des charges suffisantes, des risques de collusion, de fuite et de récidive, ainsi qu'à propos des mesures de substitution proposées. Le recourant ne prétend pas qu'elle aurait omis un moyen particulier ou commis une quelconque erreur de forme ou de fond. Le recourant a par ailleurs été représenté pas sa nouvelle avocate d'office devant la cour cantonale, qui a fait valoir en substance les mêmes arguments. On ne discerne dès lors aucune irrégularité susceptible de conduire à l'annulation de l'arrêt attaqué. 
 
3.  
Une mesure de détention provisoire n'est compatible avec la liberté personnelle garantie aux art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par un risque de fuite ou par un danger de collusion ou de réitération (art. 221 al. 1 let. a, b et c CPP). 
 
3.1. Préalablement à ces conditions, il doit exister des charges suffisantes, soit de sérieux soupçons de culpabilité, à l'égard de l'intéressé (art. 221 al. 1 CPP; art. 5 par. 1 let. c CEDH). Il n'appartient pas au juge de la détention de procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge et d'apprécier la crédibilité des personnes qui mettent en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure. Si des soupçons, même encore peu précis, peuvent être suffisants dans les premiers temps de l'enquête, la perspective d'une condamnation doit apparaître avec une certaine vraisemblance après l'accomplissement des actes d'instruction envisageables (ATF 143 IV 330 consid. 2.1; 143 IV 316 consid. 3.1 et 3.2).  
 
3.2. Dans leurs premières écritures, ni le recourant ni son avocate ne semblent contester l'existence de charges suffisantes. Le recourant affirme cependant que le Ministère public aurait présenté les faits de manière unilatérale et accusatoire, ne permettant pas d'établir la vérité et nécessitant un complément d'enquête. A supposer qu'il faille y voir une contestation de l'existence de charges suffisantes, le grief ne serait pas suffisamment motivé au regard des exigences de l'art. 42 al. 2 LTF. Ce n'est qu'en réplique que le recourant, par son avocate, conteste de manière suffisamment motivée l'existence de charges à son encontre. Une telle argumentation, qui n'a pas été présentée dans le délai de recours, est toutefois irrecevable. En effet, selon la jurisprudence, le droit de réplique n'a pas vocation à permettre à la partie recourante de présenter des arguments nouveaux ou des griefs qui auraient déjà pu figurer dans l'acte de recours lui-même (cf. ATF 143 II 283 consid. 1.2.3; arrêt 1C_237/2021 du 4 janvier 2023 consid. 1.3).  
Quoi qu'il en soit, malgré ses dénégations, le recourant est clairement mis en cause par la victime, qui a déclaré avoir été agressée après avoir refusé de participer à un vol; le recourant l'aurait en outre menacée de la "découper en morceaux". Les autres personnes présentes sur les lieux n'ont pas assisté directement à l'agression mais ont entendu des voix et constaté la présence de traces de sang que le recourant a nettoyées. A ce stade de l'enquête, les charges sont suffisantes. 
 
4.  
Le recourant conteste ensuite le risque de fuite. Il relève qu'il a quitté l'Ukraine par instinct de survie en raison de la guerre. Son état de santé se dégraderait jour après jour en détention et ne lui permettrait pas de prendre la fuite à nouveau. Il aurait fait des connaissances à son arrivée en Suisse et bénéficierait du soutien de l'association jurassienne d'accueil des migrants. Une fuite à l'étranger mettrait sa vie en péril. Dans son écriture en personne, le recourant revient dans le détail sur son état de santé: il est invalide depuis 17 ans et se déplace avec des béquilles, sur de courtes distances. Il présenterait en outre plusieurs maladies chroniques. 
 
4.1. Conformément à l'art. 221 al. 1 let. a CPP, la détention provisoire peut être ordonnée s'il y a sérieusement lieu de craindre que le prévenu se soustraie à la procédure pénale ou à la sanction prévisible en prenant la fuite. Selon la jurisprudence, le risque de fuite doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères, tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'Etat qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font apparaître le risque de fuite non seulement possible, mais également probable. La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier le placement ou le maintien en détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF 145 IV 503 consid. 2.2; 143 IV 160 consid. 4.3).  
 
4.2. Le recourant s'est enfui d'Ukraine en mars 2022 en raison de la guerre. Ses parents et sa soeur sont demeurés dans ce pays et il n'a aucune attache avec la Suisse, en dehors de quelques connaissances récentes et de l'organisme d'accueil des migrants qui lui apporte une aide matérielle. Rien ne le dissuaderait par conséquent d'entrer dans la clandestinité ou de quitter la Suisse, par exemple pour un pays limitrophe, afin d'échapper à une sanction pénale. Les difficultés de déplacement liées à ses problèmes physiques - il se déplace en chaise roulante, avec des béquilles ou une canne - ne l'ont pas empêché de voyager depuis l'Ukraine; il prétend avoir pu réaliser ce périple par instinct de survie, mais la nécessité d'échapper à une lourde peine pourrait également l'inciter à un nouveau déplacement, nettement moins important s'agissant de se rendre dans un pays voisin (cf. ATF 145 IV 503 consid. 2.3 concernant une personne de plus de 80 ans présentant une cardiopathie). Le risque de fuite apparaît ainsi évident, ce qui dispense d'examiner en détail la question du risque de réitération.  
 
5.  
Le recourant estime que des mesures de substitution telles que le port d'un bracelet électronique, la saisie de ses documents d'identité ou l'obligation de se présenter régulièrement à un poste de police, permettraient de prévenir le risque de fuite. Les conditions carcérales ne seraient pas adaptées à son état de santé, le recourant demandant également que son invalidité soit constatée par des médecins. 
 
5.1. Le principe de proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. et 212 al. 2 let. c CPP) impose d'examiner les possibilités de mettre en oeuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention. Cette exigence est concrétisée par l'art. 237 al. 1 CPP, qui prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention. Selon l'art. 237 al. 2 CPP, font notamment partie des mesures de substitution la fourniture de sûretés (let. a), la saisie des documents d'identité et autres documents officiels (let. b), l'assignation à résidence ou l'interdiction de se rendre dans un certain lieu ou un certain immeuble (let. c), l'obligation de se présenter régulièrement à un service administratif (let. d). Cette liste est exemplative et le juge de la détention peut également, le cas échéant, assortir les mesures de substitution de toute condition propre à en garantir l'efficacité (ATF 142 IV 367 consid. 2.1). En particulier, le tribunal peut ordonner l'utilisation d'appareils techniques qui peuvent être fixés à la personne sous surveillance (art. 237 al. 3 CPP).  
 
5.2. La cour cantonale a écarté à juste titre les mesures de substitution proposées par le recourant, lesquelles ne l'empêcheraient pas de s'enfuir à l'étranger ou de passer dans la clandestinité. La jurisprudence considère en effet qu'une surveillance électronique ne permet qu'un contrôle a posteriori (ATF 145 IV 503 consid. 3.3), que la saisie de documents d'identité émis par un Etat étranger n'offre en outre aucune garantie quant au risque de fuite (cf. arrêt 1B_383/2020 du 13 août 2020 consid. 5.2) et que tel est également le cas des mesures de contrôle proposées, lesquelles ne reposent que sur la seule volonté du recourant de s'y soumettre.  
 
5.3. Le recourant estime enfin que son état de santé serait incompatible avec la détention qu'il subit; il désire être détenu dans un environnement médical et obtenir une constatation de son invalidité afin que la sentence rendue à son encontre soit équitable. Ces questions n'ont pas été examinées par l'instance précédente et le recourant ne prétend pas qu'elles lui auraient été valablement soumises. Pour cette raison, ces objections - qui d'ailleurs relèvent davantage du régime carcéral, respectivement de l'instruction sur le fond, que du principe même de la prolongation de la détention provisoire - sont irrecevables. Il appartient cela étant à l'administration pénitentiaire de fournir au recourant les soins que requiert son état, et le recourant dispose de moyens adéquats pour obtenir le cas échéant le respect de cette obligation.  
 
6.  
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. Le recourant a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire et les conditions en sont réunies (art. 64 al. 1 LTF). Il y a lieu de désigner Me Océane Probst en tant qu'avocate d'office du recourant pour la procédure fédérale et de lui allouer une indemnité à titre d'honoraires, qui seront supportés par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 64 al. 1 LTF), ni alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
La requête d'assistance judiciaire est admise. Me Océane Probst est désignée comme avocate d'office du recourant et une indemnité de 1500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire du recourant, au Ministère public de la République et canton du Jura et au Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Chambre pénale des recours. 
 
 
Lausanne, le 12 avril 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Chaix 
 
Le Greffier : Kurz