Wichtiger Hinweis:
Diese Website wird in älteren Versionen von Netscape ohne graphische Elemente dargestellt. Die Funktionalität der Website ist aber trotzdem gewährleistet. Wenn Sie diese Website regelmässig benutzen, empfehlen wir Ihnen, auf Ihrem Computer einen aktuellen Browser zu installieren.
Zurück zur Einstiegsseite Drucken
Grössere Schrift
 
Urteilskopf

149 III 131


18. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause Fédération A. contre B. (anciennement D.) (recours en matière civile)
4A_492/2021 du 24 août 2022

Regeste

Internationale Schiedsgerichtsbarkeit; internationale Investitionsstreitigkeiten; vorläufige Anwendung eines völkerrechtlichen Vertrags; Zuständigkeit des Schiedsgerichts (Art. 26 und Art. 45 des Vertrags vom 17. Dezember 1994 über die Energiecharta [VEC]; Art. 25 und Art. 31 f. des Wiener Übereinkommens vom 23. Mai 1969 über das Recht der Verträge [VRK]; Art. 190 Abs. 2 lit. b IPRG).
Prüfungsbefugnis des Bundesgerichts bei der Rüge der Unzuständigkeit (E. 6.4.1). Grundsätze der Auslegung völkerrechtlicher Verträge (E. 6.4.2). Gültigkeit der im VEC vorgesehenen Schiedsvereinbarung (E. 6.4.3). Begriff der vorläufigen Anwendung eines völkerrechtlichen Vertrags vor seinem Inkrafttreten (E. 6.4.5). Umfang und Grenzen der vorläufigen Anwendung des VEC (E. 6.4.6-6.4.8).

Sachverhalt ab Seite 132

BGE 149 III 131 S. 132

A.

A.a Le 17 décembre 1994, la Fédération A. a signé le Traité du 17 décembre 1994 sur la Charte de l'énergie (RS 0.730.0; ci-après: TCE).
Selon l'art. 45 par. 1 TCE, ledit traité était applicable à titre provisoire dès sa signature, dans certaines limites, jusqu'à son entrée en vigueur.
En août 1996, le Gouvernement (...) a soumis le TCE à la Chambre basse du parlement national en vue de sa ratification, laquelle a été refusée.
Le 20 août 2009, la Fédération A. a informé le dépositaire du TCE de son intention de ne pas devenir partie contractante au traité en question.

A.b Dans les années 1990, E., l'une des plus importantes compagnies pétrolières de (...), a été privatisée.

A.c C. est une holding (...) détenant des participations dans de nombreuses sociétés sises en (...) et dans diverses sociétés offshore.

A.d D., entité de droit luxembourgeois, a été constituée le 31 janvier 2003 en tant que société de financement visant à servir les intérêts du groupe E. Lors de sa création, D. était détenue par la société néerlandaise F., laquelle était contrôlée par C.
Le 4 août 2016, D. a fusionné avec I., société sise aux Iles Vierges britanniques. Le 1er septembre 2016, la société reprenante I. a modifié sa raison sociale en B.

A.e Le 2 décembre 2003 et le 19 août 2004, D. a conclu deux contrats de prêt avec C. en vertu desquels elle s'est engagée à lui prêter des sommes pouvant atteindre 80 milliards de (...) et 355 millions de dollars américains (USD).
Les montants versés à C. ont été financés au moyen de deux prêts, non garantis, qui ont été accordés à D. les 20 novembre 2003 et 18 août 2004 par deux sociétés du groupe E., à savoir J. et K., entités ayant leur siège respectivement aux Iles Vierges britanniques et à Chypre. Selon les termes convenus par les parties, D. ne devait
BGE 149 III 131 S. 133
s'acquitter de sa dette à l'égard de J. et de K. qu'une fois que C. l'aurait remboursée.
(...)

A.g Entre octobre 2002 et décembre 2005, les autorités fiscales (...) ont effectué plusieurs audits visant C. Sur la base de leurs décisions de taxation couvrant les exercices fiscaux 2000 à 2004, elles ont retenu que C. avait commis diverses infractions fiscales et que celle-ci était débitrice d'un montant avoisinant (...) (soit approximativement 24 milliards USD).
Dans le courant de l'année 2004, les autorités (...) ont entrepris des démarches tendant à l'exécution forcée des décisions de taxation précitées. Elles ont notamment gelé les avoirs détenus par C. auprès de divers établissements bancaires et ont saisi ses participations dans plusieurs sociétés.

A.h Le 4 août 2006, la faillite de C. a été prononcée.
D. a vainement tenté, à plusieurs reprises, de faire valoir, dans le cadre de la faillite, ses prétentions découlant des prêts qu'elle avait accordés à la faillie. La liquidation de la faillite de C. a pris fin le 15 novembre 2007 et la faillie a été radiée du registre du commerce (...) le 21 novembre 2007.

B. Le 15 février 2013, D., se fondant sur l'art. 26 par. 4 point b) TCE, a introduit une procédure d'arbitrage contre la Fédération A. en vue d'obtenir le paiement d'un peu plus de 13 milliards de dollars USD à titre de dommages-intérêts dérivant d'une prétendue expropriation illégale des investissements effectués par elle en (...). La demanderesse faisait valoir, en substance, que les prêts consentis à C. représentaient des investissements protégés par le TCE et que la Fédération A. l'avait expropriée en provoquant illégalement la faillite de C.
Un Tribunal arbitral de trois membres a été constitué, conformément au Règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), sous l'égide de la Cour permanente d'arbitrage (CPA), et son siège fixé à Genève.
Par lettre du 11 avril 2014, la Fédération A. a soulevé l'exception d'incompétence, qu'elle a fondée sur cinq motifs alternatifs, parmi lesquels figurait l'objection suivante:
- la Fédération A. n'a jamais ratifié le TCE, qu'elle n'a appliqué à titre provisoire, conformément à l'art. 45 par. 1 TCE, jusqu'en 2009 que dans la mesure où cette application provisoire n'était pas incompatible avec sa Constitution ou ses lois et règlements.
BGE 149 III 131 S. 134
Le Tribunal arbitral a décidé de scinder la procédure et d'examiner préliminairement trois motifs étayant l'exception d'incompétence, les deux autres objections censées justifier ladite exception devant être traitées avec le fond de la cause.
Le Tribunal arbitral a rendu, le 18 janvier 2017, une sentence incidente sur compétence par laquelle il a notamment rejeté l'objection d'incompétence susmentionnée.
Par arrêt du 20 juillet 2017, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours interjeté par la Fédération A. à l'encontre de la sentence incidente sur compétence (arrêt 4A_98/2017 partiellement publié in ATF 143 III 462). En bref, il a considéré que la formation arbitrale, dans la sentence incidente entreprise, avait certes écarté de manière définitive trois des cinq motifs alternatifs avancés par la défenderesse à l'appui de son exception d'incompétence mais ne s'était, toutefois, pas prononcée sur les deux autres, qu'elle avait décidé de traiter avec la cause au fond. Le Tribunal arbitral n'avait dès lors pas statué définitivement sur sa compétence, raison pour laquelle le recours était irrecevable (ATF 143 III 462 consid. 3.3).
A la suite du prononcé de cet arrêt, le Tribunal arbitral a poursuivi l'instruction de la cause. Statuant le 23 juillet 2021, il a rendu sa sentence finale par laquelle il a partiellement fait droit aux prétentions élevées par la demanderesse.

C. Le 14 septembre 2021, la Fédération A. (ci-après: la recourante) a formé un recours en matière civile, assorti d'une requête d'effet suspensif, aux fins d'obtenir l'annulation de la sentence incidente sur compétence du 18 janvier 2017 ainsi que de la sentence finale rendue le 23 juillet 2021. Elle a également demandé au Tribunal fédéral de constater l'incompétence du Tribunal arbitral.
La requête d'effet suspensif a été rejetée par ordonnance du 1er novembre 2021.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure de sa recevabilité.
Extrait des considérants:

Erwägungen

6. (...)

6.4.1 Saisi du grief d'incompétence, le Tribunal fédéral examine librement les questions de droit, y compris les questions préalables, qui déterminent la compétence ou l'incompétence du tribunal arbitral (ATF 146 III 142 consid. 3.4.1; ATF 133 III 139 consid. 5; arrêt 4A_618/2019
BGE 149 III 131 S. 135
du 17 septembre 2020 consid. 4.1). Il en va de même lorsqu'il est amené à interpréter le sens que revêtent certains termes utilisés dans un traité bilatéral ou multilatéral d'investissement, étant précisé que pareille interprétation s'effectuera, dans un tel cas, conformément aux règles de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (CV; RS 0.111) (ATF 144 III 559 consid. 4.1; ATF 141 III 495 consid. 3.2 et 3.5.1; arrêt 4A_65/2018 du 11 décembre 2018 consid. 2.4.1 et les références citées). Ainsi la Cour de céans a-t-elle par exemple été amenée à définir les notions de contract claims, de treaty claims et de clause parapluie au regard de certaines dispositions du TCE (ATF 141 III 495 consid. 3.2) ou encore à déterminer le sens que revêtait le terme "investissement" utilisé dans un traité bilatéral d'investissement et à rechercher si l'activité déployée par le soi-disant investisseur entrait dans la définition de cette notion (arrêt 4A_616/2015 du 20 septembre 2016 consid. 3). Même si elle n'ignore pas la place importante que les sentences arbitrales rendues dans le domaine de la protection internationale des investissements occupent dans les ouvrages spécialisés, la Cour de céans s'attachera à déterminer elle-même le sens à donner à certains termes d'un traité international, en tenant compte le cas échéant de la doctrine et en s'inspirant, éventuellement, des solutions dégagées par les tribunaux arbitraux en la matière, étant précisé que les solutions rendues dans certaines causes arbitrales ne lient ni les autres tribunaux arbitraux ni le Tribunal fédéral, de sorte qu'on ne saurait voir dans la jurisprudence arbitrale une source à proprement parler du droit de l'arbitrage (ATF 144 III 559 consid. 4.4.2; arrêt 4A_80/2018 du 7 février 2020 consid. 2.4.3 et les références citées).
Le Tribunal fédéral ne revoit cependant l'état de fait à la base de la sentence attaquée - même s'il s'agit de la question de la compétence - que si l'un des griefs mentionnés à l'art. 190 al. 2 LDIP (RS 291) est soulevé à l'encontre dudit état de fait ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux (cf. art. 99 al. 1 LTF) sont exceptionnellement pris en considération dans le cadre de la procédure du recours en matière civile (ATF 144 III 559 consid. 4.1; ATF 142 III 220 consid. 3.1; ATF 140 III 477 consid. 3.1; ATF 138 III 29 consid. 2.2.1).

6.4.2 L'interprétation du TCE doit s'effectuer conformément aux art. 31 ss CV, qui codifient en substance le droit coutumier international (ATF 145 II 339 consid. 4.4.1; ATF 122 II 234 consid. 4c; arrêt 4A_80/2018, précité, consid. 3.1.2).
BGE 149 III 131 S. 136
L'art. 31 par. 1 CV prévoit qu'un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. En plus du contexte (cf. art. 31 par. 2 CV), il sera tenu compte, selon l'art. 31 par. 3 CV, de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions (let. a); de toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle est établi l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité (let. b) et de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties (let. c). Les travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles le traité a été conclu constituent des moyens complémentaires d'interprétation lorsque l'interprétation donnée conformément à l'art. 31 CV laisse le sens ambigu ou obscur ou conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable (cf. art. 32 CV).
L'art. 31 par. 1 CV fixe un ordre de prise en compte des éléments de l'interprétation, sans toutefois établir une hiérarchie juridique obligatoire entre eux. Le sens ordinaire du texte du traité constitue le point de départ de l'interprétation. Ce sens ordinaire des termes doit être dégagé de bonne foi, en tenant compte de leur contexte et à la lumière de l'objet et du but du traité. L'objet et le but du traité correspondent à ce que les parties voulaient atteindre par le traité. L'interprétation téléologique garantit, en lien avec l'interprétation selon la bonne foi, l'"effet utile" du traité. Lorsque plusieurs significations sont possibles, il faut choisir celle qui permet l'application effective de la clause dont on recherche le sens, en évitant d'aboutir à une interprétation en contradiction avec la lettre ou l'esprit des engagements pris. Un Etat contractant doit partant proscrire tout comportement et toute interprétation qui aboutiraient à éluder ses engagements internationaux ou à détourner le traité de son sens et de son but (ATF 144 II 130 consid. 8.2.1 et les références citées; arrêts 4A_80/2018, précité, consid. 3.1.2; 4A_65/2018, précité, consid. 2.4).

6.4.3 En l'occurrence, la convention d'arbitrage résulte d'un mécanisme particulier puisque son point d'ancrage se situe directement dans un traité multilatéral signé par des Etats pour la protection des investissements, traité dont l'art. 26 prévoit le recours à l'arbitrage pour régler les différends relatifs aux prétendues violations de ses clauses matérielles (appelées aussi substantielles). La pratique arbitrale assimile pareille disposition à une offre de chacun des Etats contractants de résoudre par l'arbitrage les litiges qui pourraient
BGE 149 III 131 S. 137
l'opposer aux investisseurs (non parties au traité) des autres Etats contractants. La convention d'arbitrage n'est conclue qu'au moment où l'investisseur accepte l'offre de l'Etat, ce qu'il fera le plus souvent par l'acte concluant que constitue le dépôt d'une requête d'arbitrage. Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de préciser que le mécanisme particulier visé par l'art. 26 TCE constitue une convention d'arbitrage formellement valable (ATF 141 III 495 consid. 3.4.2).

6.4.4 A titre liminaire, il sied de préciser que les considérations émises par la recourante au sujet de l'absence d'un consentement clair et non équivoque de sa part à la voie de l'arbitrage sont dénuées de pertinence. Il est en effet incontesté que l'intéressée a consenti, sans la moindre réserve, à l'application provisoire des dispositions du TCE, conformément à l'art. 45 par. 1 dudit traité. Or, l'art. 26 par. 3 point a) TCE prévoit expressément et sans la moindre ambiguïté que chaque partie contractante donne son consentement inconditionnel à la soumission de tout différend à une procédure d'arbitrage. Au demeurant, la recourante ne saurait se réfugier derrière les termes "partie contractante" pour en conclure qu'elle ne serait pas visée par ladite disposition faute de ratification du TCE, dès lors que l'art. 45 TCE tend précisément à assimiler, en principe, l'Etat signataire dudit traité, qui consent sans réserve à son application provisoire, à une partie contractante jusqu'au terme de ce régime provisoire. La question litigieuse n'est dès lors pas celle de savoir si la recourante a consenti aux modes de règlement des différends prévus par l'art. 26 TCE, ce qui ne fait guère de doute vu sa décision claire d'appliquer provisoirement le TCE, mais uniquement de déterminer si l'intéressée pouvait légitimement s'opposer à l'application provisoire de l'art. 26 TCE en vertu de la clause d'incompatibilité ancrée à l'art. 45 par. 1 TCE. Pour y répondre, il convient, tout d'abord, de se pencher plus avant sur le mécanisme de l'application provisoire d'un traité international, ce qui implique d'interpréter l'art. 45 TCE, puis d'examiner, dans un second temps, si l'application provisoire des dispositions du TCE était ou non incompatible avec le droit interne (...)

6.4.5 Un traité international ne déploie en principe pas d'effet juridique avant son entrée en vigueur (art. 24 CV). L'art. 25 par. 1 CV dispose toutefois qu'un traité ou une partie d'un traité peut s'appliquer à titre provisoire en attendant son entrée en vigueur si le traité lui-même en dispose ainsi ou si les Etats ayant participé à la négociation en étaient ainsi convenus d'une autre manière. L'application provisoire d'un traité vise, ainsi, à permettre à celui-ci de produire
BGE 149 III 131 S. 138
des effets juridiques dès sa signature, et non à compter de sa ratification par l'Etat concerné, avant même que ne soient achevées les procédures d'approbation du traité en question (CLAUDE SCHENKER, L'application provisoire des traités: droit et pratique suisses, RSDIE 2015 p. 218; ANNELIESE QUAST MERTSCH, Provisionally Applied Treaties: Their Binding Force and Legal Nature, 2012, p. 7 s.; MATTHEW BELZ, Provisional Application of the Energy Charter Treaty: Kardassopoulos v. Georgia and Improving Provisional Application in Multilateral Treaties, in Emory International Law Review 2008 p. 729; ALBANE GESLIN, La mise en application provisoire des traités, 2005, p. 23; GERHARD HAFNER, Provisional Application of Treaties, Austrian Review of International and European Law 2019 p. 72; TOMOKO ISHIKAWA, Provisional Application of Treaties at the Crossroads between International and Domestic Law, in ICSID Review 31/2 p. 270). Un Etat qui consent à l'application provisoire d'un traité international est dès lors tenu de respecter les obligations énoncées dans le traité dans la mesure et selon les termes prévus par la clause afférente à l'application provisoire dudit traité (SCHENKER, op. cit., p. 228 et les références citées; ISHIKAWA, op. cit, p. 276 s.; FENGHUA LI, The Yukos cases and the provisional application of the Energy Charter Treaty, Cambridge International Law Journal 2017 p. 84 s.). Il ne faut toutefois pas perdre de vue que l'application provisoire d'un traité et la ratification de celui-ci obéissent à des règles distinctes. L'application provisoire d'un traité international n'est ainsi pas synonyme d'entrée en vigueur provisoire de celui-ci, même si l'application provisoire d'un traité tend précisément à ce que celui-ci déploie immédiatement des effets juridiques (GESLIN, op. cit., p. 127 ss; ARSANJANI/REISMAN, Provisional Application of Treaties in International Law: The Energy Charter Awards, Cannizzaro E. [éd.], in The law of treaties beyond the Vienna Convention, 2011, p. 87; CRINA BALTAG, The Energy Charter Treaty, The notion of Investor, 2012, p. 34; KAJ HÓBER, The Energy Charter Treaty, A commentary, 2020, p. 515; PETER LAIDLAW, Provisional Application of the Energy Charter As Seen in the Yukos Dispute, in Santa Clara Law Review 2012 p. 658 s.; MERTSCH, op. cit., p. 142). Ainsi, on relèvera, à titre d'exemple, qu'un Etat peut, en principe, plus facilement renoncer à l'application provisoire d'un traité que se départir de celui-ci une fois qu'il l'a ratifié.

6.4.6 Ces précisions faites, il convient de souligner que le TCE opère une nette distinction entre l'entrée en vigueur dudit traité et son application provisoire, laquelle est régie par l'art. 45 TCE. Avant de
BGE 149 III 131 S. 139
pousser plus avant l'examen de cette disposition, il sied d'en rappeler la teneur des deux premiers paragraphes, afin de faciliter la compréhension des explications qui vont suivre:
1. Les signataires conviennent d'appliquer le présent traité à titre provisoire, en attendant son entrée en vigueur pour ces signataires conformément à l'art. 44, dans la mesure où cette application provisoire n'est pas incompatible avec leur Constitution ou leurs lois et règlements.
2.
a) Nonobstant le par. 1, tout signataire peut, lors de la signature, déposer auprès du dépositaire une déclaration selon laquelle il n'est pas en mesure d'accepter l'application provisoire. L'obligation énoncée au par. 1 ne s'applique pas au signataire qui a procédé à cette déclaration. Tout signataire de ce type peut à tout moment retirer cette déclaration par notification écrite au dépositaire.
b) Ni un signataire qui procède à une déclaration telle que visée au point a) ni des investisseurs de ce signataire ne peuvent se prévaloir du bénéfice de l'application provisoire au titre du par. 1.
c) Nonobstant le point a), tout signataire qui procède à une déclaration telle que visée à ce point applique à titre provisoire la partie VII, en attendant l'entrée en vigueur du présent traité pour ledit signataire conformément à l'art. 44, dans la mesure où cette application provisoire n'est pas incompatible avec ses lois et règlements.
Il ressort de la formulation de l'art. 45 par. 1 et 2 TCE que l'Etat signataire s'engage à appliquer provisoirement les dispositions du TCE, dès la signature de celui-ci, dans les limites de la clause d'incompatibilité. Il s'agit d'un engagement contraignant, comme l'illustrent les termes utilisés à l'art. 45 par. 2 point a) TCE ("L'obligation énoncée au par. 1"). En d'autres termes, un signataire est en principe tenu, conformément à l'art. 45 TCE, d'appliquer immédiatement les dispositions du TCE, comme si celui-ci était déjà entré en force. Si le signataire s'abstient de formuler une déclaration visée par l'art. 45 par. 2 TCE, la seule limite à l'application provisoire des dispositions du traité réside dans la clause d'incompatibilité.
Avant d'examiner plus attentivement le sens et la portée qu'il convient de donner à la clause d'incompatibilité, il y a lieu de se pencher sur la structure de l'art. 45 TCE, et, singulièrement, sur l'articulation de ses deux premiers paragraphes. L'art. 45 par. 2 de ladite disposition prévoit que tout signataire peut, lors de la signature, déposer auprès du dépositaire une déclaration selon laquelle il n'est pas en mesure d'accepter l'application provisoire du TCE. Comme le démontre le terme "Nonobstant" figurant en tête de l'art. 45 par. 2 point a) TCE,
BGE 149 III 131 S. 140
il n'existe aucune corrélation entre les deux premiers paragraphes de ladite disposition. Ainsi, un signataire peut parfaitement renoncer à appliquer provisoirement les dispositions du TCE, en formulant une déclaration au sens de l'art. 45 par. 2 point a) TCE, quand bien même l'application provisoire dudit traité ne se révèle pas incompatible avec son droit interne. A l'inverse, l'engagement pris par un signataire d'appliquer provisoirement les dispositions du TCE dans les limites de la clause d'incompatibilité ne présuppose pas que l'Etat concerné ait formulé une déclaration en ce sens, puisqu'une telle exigence ne ressort pas de l'art. 45 par. 1 TCE (TARCISIO GAZZINI, Provisional Application of the ECT in the Yukos Case, in ICSID Review 2015/2 p. 295 s.; GERHARD HAFNER, The "Provisional Application" of the Energy Charter Treaty, Binder C. et al. [éd.], in International Investment Law 2009, p. 602 ss; HÓBER, op. cit., p. 526; PIOTR SZWEDO, Case Comment: (Former) Yukos v. Russian Federation before the Permanent Court of Arbitration, Journal of International Cooperation Studies 2010 p. 59 s.). En l'occurrence, il est constant que la recourante n'a pas effectué de déclaration sur la base de l'art. 45 par. 2 point a) TCE aux fins de manifester son intention de ne pas appliquer provisoirement ledit traité. Cela ne saurait toutefois la priver de la possibilité de se prévaloir de la clause d'incompatibilité ancrée à l'art. 45 par. 1 TCE.

6.4.7 Aux termes de l'art. 45 par. 1 TCE, les signataires conviennent d'appliquer le TCE à titre provisoire en attendant son entrée en vigueur, "dans la mesure où cette application provisoire n'est pas incompatible avec leur Constitution ou leurs lois et règlements". Si l'on procède à l'interprétation de bonne foi de la clause d'incompatibilité suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but, force est de constater que deux interprétations sont a priori possibles relativement à la portée à donner à ladite clause (MERTSCH, op. cit., p. 99; BORJA ALVAREZ SANZ, The Yukos Saga Reloaded: further developments in the interplay between domestic legislations and provisionally applied treaties, in International Law and Politics 2017 p. 593 s.).
D'une part, il est soutenable de retenir que les termes " cette application provisoire" font référence au principe même de l'application provisoire du TCE dans son ensemble. Le déterminant "cette" tendrait ainsi à démontrer qu'un Etat pourrait refuser d'appliquer provisoirement le TCE uniquement si le principe même d'une telle application provisoire est incompatible avec son droit interne. C'est
BGE 149 III 131 S. 141
l'approche dit du "tout ou rien" (cf. BALTAG, op. cit., p. 39 ss; SOPHIE LEMAIRE, Chronique de jurisprudence arbitrale en droit des investissements, Revue de l'arbitrage 2016/2 p. 627 s.; ALEX NIEBRUEGGE, Provisional Application of the Energy Charter Treaty: The Yukos Arbitration and the Future Place of Provisional Application in International Law, Chicago Journal of International Law vol. 8/1 p. 369; LENA SERHAN, Arbitration Unbound: How the Yukos Oil Decision Yields Uncertainty for International-Investment arbitration, Texas Law Review 2016 p. 119). En d'autres termes, une application provisoire partielle du TCE serait inadmissible, puisque ledit traité serait considéré dans sa globalité.
D'autre part, il est aussi envisageable d'interpréter la clause d'incompatibilité, en ce sens qu'un Etat signataire pourrait appliquer provisoirement certaines dispositions du TCE, mais non celles qui se révéleraient incompatibles avec son droit interne. Une telle interprétation trouve une assise dans les termes utilisés à l'art. 45 par. 1 TCE ("dans la mesure où"), lesquels expriment l'idée d'une gradation ou d'une variation au niveau de la portée de l'application provisoire. Une telle approche impliquerait dès lors d'examiner au cas par cas ("piecemeal approach") si l'application provisoire des différentes dispositions du TCE est ou non incompatible avec le droit interne de l'Etat concerné (cf. dans ce sens: SEBASTIAN PRITZKOW, Das völkerrechtliche Verhältnis zwischen der EU und Russland im Energiesektor, Eine Untersuchung unter Berücksichtigung der vorläufigen Anwendung des Energiecharta-Vertrages durch Russland, 2011, p. 64; ARSANJANI/REISMAN, op. cit., p. 92 s.; MERTSCH, op. cit., p. 102 et les références citées; GAZZINI, op. cit., p. 298 ss; ROE/HAPPOLD, Settlement of Investment Disputes under the Energy Charter Treaty, 2011, p. 73; ISHIKAWA, op. cit., p. 281).
En l'occurrence, le Tribunal arbitral a considéré qu'il n'y avait pas lieu de trancher cette question, dans la mesure où l'application provisoire de l'art. 26 TCE n'était de toute manière pas incompatible avec le droit interne (...). Il y a lieu d'adopter une démarche similaire, puisque si le Tribunal fédéral aboutissait à la même conclusion que celle retenue par la formation arbitrale, la question litigieuse pourrait souffrir de demeurer indécise.

6.4.8 A la lumière des règles d'interprétation prévues par l'art. 31 CV, la Cour de céans juge que l'interprétation faite par le Tribunal arbitral de la clause d'incompatibilité et, singulièrement, des termes "pas incompatible", résiste aux critiques dont elle est l'objet de la part de
BGE 149 III 131 S. 142
la recourante. Interprétés de bonne foi, les termes précités visent à éviter un conflit entre l'application provisoire des dispositions du TCE et le droit interne de l'Etat concerné. La clause d'incompatibilité permet, en effet, de ménager un certain équilibre entre des intérêts opposés tendant, d'une part, à l'application la plus large et la plus rapide possible des dispositions du TCE au profit de tous les acteurs du secteur de l'énergie, et singulièrement des investisseurs étrangers, tout en évitant, d'autre part, que cela ne se traduise par un conflit insurmontable avec l'ordre juridique interne d'un Etat signataire. L'absence d'incompatibilité entre les dispositions du TCE et celles de l'ordre juridique (...) ne signifie en revanche pas que les deux corps de règles devraient avoir un contenu similaire. Il suffit que ces normes puissent coexister. Qu'une règle prévue par le TCE ne trouve pas son pendant dans l'ordre juridique (...) ne permet pas, en soi, de conclure à l'existence d'une incompatibilité. Point n'est davantage besoin que le droit interne (...) autorise formellement l'application provisoire de telle ou telle disposition du traité en question. A l'inverse, il n'est pas nécessaire qu'une règle de droit interne interdise expressément l'application provisoire d'une disposition du TCE pour retenir la présence d'une incompatibilité. La notion d'incompatibilité suppose toutefois l'existence d'une norme de droit interne s'opposant à l'application provisoire d'une disposition du TCE. Ceci correspond du reste, dans une très large mesure, à l'interprétation proposée par la recourante dans ses écritures, puisque celle-ci indique, en effet, que la question qui se pose est celle de savoir s'il existe un conflit entre une disposition du TCE, d'une part, et une norme de droit interne, d'autre part. En définitive, la clause d'incompatibilité suppose de déterminer si une norme de droit (...) s'oppose à l'application provisoire des dispositions dudit traité.
Il résulte, par ailleurs, de la formulation de la clause d'incompatibilité, et singulièrement de l'usage des termes "pas incompatible", qu'il incombe à la partie qui allègue l'existence d'une incompatibilité entre l'application provisoire des dispositions du TCE et le droit interne de l'Etat concerné d'en faire la démonstration. Il découle de la structure de l'art. 45 TCE et d'une interprétation de bonne foi des termes qui y sont utilisés que l'application provisoire dudit traité est considérée comme étant la règle, la clause d'incompatibilité étant manifestement conçue comme une exception visant à fixer certaines limites au régime de l'application provisoire du traité en question, comme le souligne de façon convaincante l'intimée dans sa réponse, sans
BGE 149 III 131 S. 143
être véritablement contredite sur ce point par son adverse partie. Aussi n'est-ce pas à la partie demanderesse d'établir que l'application provisoire d'une disposition du TCE est en l'espèce possible dans la mesure où elle n'est pas incompatible avec le droit interne de l'Etat concerné. Une telle interprétation ne trouve en effet aucune assise dans le texte de l'art. 45 par. 1 TCE.
L'intimée souligne du reste, à juste titre, que les termes "compatible" et "pas incompatible" ne sont pas interchangeables et qu'il n'est pas possible de substituer la première formulation à la seconde tournure, sans modifier la portée de l'art. 45 par. 1 TCE. Par conséquent, il incombe à la partie qui prétend que le droit interne de l'Etat concerné est incompatible avec l'application provisoire d'une disposition du TCE d'en faire la démonstration et de fournir tous les éléments permettant d'aboutir à pareille conclusion. La tentative de la recourante visant à démontrer le contraire ne saurait prospérer. Il ressort, en effet, de la sentence incidente que les parties étaient toutes deux d'avis que le fardeau de la preuve d'une incompatibilité avec le droit interne incombait à l'Etat défendeur (sentence incidente, p. 77 note infrapaginale 434: "It is common ground between the Parties that the burden of establishing inconsistency rests upon the Respondent"). Aussi, la recourante est-elle malvenue de venir soutenir pour la première fois, devant le Tribunal fédéral, qu'il appartiendrait à son adverse partie de faire la démonstration d'une telle incompatibilité, alors qu'elle a admis le contraire lors de la procédure arbitrale. En tout état de cause, on ne saurait suivre la thèse défendue par la recourante puisque cela reviendrait à exiger de l'intimée qu'elle fournisse une preuve négative, c'est-à-dire l'absence d'incompatibilité entre l'application provisoire des dispositions du TCE et les normes du droit interne (...). Enfin, l'argument de la recourante selon lequel les parties contractantes n'auraient pas fait usage d'une double négation à l'art. 45 par. 1 TCE, dans les six langues officielles dudit traité (cf. art. 50 TCE) - étant précisé que le texte d'un traité authentifié en plusieurs langues fait en principe foi dans chacune de ces langues (art. 33 par. 1 CV) -, ne lui est d'aucun secours, comme le démontre de façon pertinente l'intimée dans sa duplique.
Au vu de ce qui précède, le recours aux moyens complémentaires d'interprétation selon l'art. 32 CV n'est pas nécessaire, dès lors que la seule application des principes d'interprétation posés à l'art. 31 CV ne conduit pas à un résultat qui est manifestement absurde ou
BGE 149 III 131 S. 144
déraisonnable et a permis de donner un sens aux termes "pas incompatible".

Inhalt

Ganzes Dokument
Regeste: deutsch französisch italienisch

Sachverhalt

Erwägungen 6

Referenzen

BGE: 144 III 559, 141 III 495, 143 III 462, 146 III 142 mehr...

Artikel: art. 31 ss CV, art. 31 par. 1 CV, art. 32 CV, Art. 190 Abs. 2 lit. b IPRG mehr...