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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1P.701/2003 /col 
 
Arrêt du 11 mars 2004 
Ire Cour de droit public 
 
Composition 
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Féraud. 
Greffier: M. Kurz. 
 
Parties 
A.________, 
recourant, représenté par Me Yaël Hayat, avocate, 
 
contre 
 
B.________, agissant en tant que curateur de l'enfant C.________, 
D.________, représentée par Me Robert Assaël, avocat, 
intimés, 
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3, 
Cour de cassation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3. 
 
Objet 
appréciation des preuves en procédure pénale, 
 
recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genève du 24 octobre 2003. 
 
Faits: 
A. 
Par arrêt du 20 janvier 2003, la Cour correctionnelle du canton de Genève, statuant sans jury, a condamné A.________ à six mois d'emprisonnement et à trois ans d'expulsion de Suisse, avec un sursis de deux ans, pour tentative d'acte d'ordre sexuel avec un enfant. La cour a retenu qu'au printemps 2001, A.________, s'était rendu au domicile de D.________ qui était alors sa compagne. La fille de celle-ci, C.________, alors âgée de sept ans, se trouvait seule dans l'appartement. A.________ s'était plaint de douleurs à l'aine; il avait demandé à C.________ de mettre de la crème à cet endroit en enlevant son pantalon et son slip, puis lui avait demandé de toucher son sexe, ce qu'elle avait refusé en lui disant qu'il était fou. Il lui avait ensuite demandé s'il pouvait toucher son sexe mais en avait été empêché par le refus de C.________ et l'arrivée d'une amie de celle-ci. La cour a considéré que les affirmations de la fillette étaient compatibles avec le langage de son âge, que la psychologue George et l'experte Ducrey avaient été convaincues par la véracité du récit et que les faits dénoncés, d'une gravité toute relative, ne permettaient pas de suspecter une vengeance de l'enfant. La cour a en revanche libéré A.________ de l'accusation de viol contre sa compagne D.________. 
B. 
Par arrêt du 24 octobre 2003, la Cour de cassation genevoise a rejeté le pourvoi formé par A.________. Le verdict était fondé sur le témoignage de la victime, et sur les appréciations relatives à sa crédibilité. Pour l'essentiel, les déclarations faites à la police, puis à la psychologue et à l'experte, étaient concordantes. Les imprécisions quant à l'arrivée de l'amie de la victime étaient secondaires. La psychologue avait entendu la fillette à trois reprises; les entrevues avaient lieu d'abord avec la mère, puis avec la fillette seule, et ses déclarations paraissaient libres. L'experte avait confirmé ce point de vue, dans son rapport ainsi que devant le juge d'instruction, en présence de l'inculpé. Une manipulation de la part de la mère était exclue. A.________ se plaignait aussi de ce que des témoignages à décharge n'aient pas été retenus, mais ces témoignages ne portaient pas sur les faits proprement dits. 
C. 
Agissant par la voie d'un recours de droit public avec demande d'effet suspensif et d'assistance judiciaire, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler ce dernier arrêt. 
La Cour de cassation se réfère à son arrêt, de même que le Procureur général. Agissant par son curateur, C.________ conclut au rejet du recours, dans la mesure où il est recevable. D.________ se réfère à ces dernières observations. 
Par ordonnance présidentielle du 22 décembre 2003, la demande d'effet suspensif a été rejetée. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
Le recours de droit public est formé en temps utile contre un arrêt final rendu en dernière instance cantonale. Le recourant, dont la condamnation se trouve confirmée par l'arrêt attaqué, a qualité (art. 88 OJ) pour contester ce prononcé. 
2. 
Le recourant se plaint d'arbitraire et d'une violation de l'adage "in dubio pro reo". Il relève les différentes variations dans les déclarations de l'enfant, en particulier l'épisode de la pommade, non mentionné devant l'experte. La cour cantonale ne pouvait considérer cet élément comme secondaire puisqu'il s'agirait du seul élément constitutif d'acte d'ordre sexuel, à l'origine de la plainte pénale. S'agissant de l'arrivée de son amie, l'enfant avait déclaré devant la police que celle-ci l'avait "sauvée", décrivant en détail la conversation qu'elle aurait eue; devant l'experte, elle avait indiqué que l'amie avait sonné, qu'elle lui avait tout raconté et que cette dernière avait estimé qu'il fallait avertir la police; or, l'amie en question avait nié être venue dans l'appartement le jour des faits. Le recourant critique le déroulement des entretiens avec la psychologue, en relevant que l'enfant n'avait jamais été interrogée sans la présence de sa mère, ce qui serait déterminant dans la perspective d'une éventuelle manipulation. La psychologue aurait omis d'analyser le contexte familial, notamment le fait que l'enfant, dont le père est resté à l'étranger, ne supportait pas la relation de sa mère avec le recourant. L'expertise contiendrait aussi des contradictions et des lacunes: il est relevé que l'enfant est à même de distinguer la réalité des fantasmes, alors que celle-ci avait déjà menti auparavant; l'appréciation sur la crédibilité ne serait nullement étayée, l'experte relevant qu'une manipulation n'est pas exclue, les souffrances de la mère empiétant sur le vécu de la fille; l'experte n'aurait pas non plus tenu compte des contradictions dans les propos de l'enfant. La Cour de cassation aurait enfin omis de tenir compte de témoignages pourtant déterminants. 
2.1 Consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH, la présomption d'innocence interdit au juge de prononcer une condamnation alors qu'il éprouve des doutes sur la culpabilité de l'accusé. Des doutes abstraits ou théoriques, qui sont toujours possibles, ne suffisent cependant pas à exclure une condamnation. Pour invoquer utilement la présomption d'innocence, le condamné doit donc démontrer que le juge de la cause pénale, au regard de l'ensemble des preuves à sa disposition, aurait dû éprouver des doutes sérieux et irréductibles au sujet de la culpabilité (ATF 127 I 38 consid. 2 p. 40; 124 IV 86 consid. 2a p. 87/88; 120 Ia 31 consid. 2e p. 38, consid. 4b p. 40). 
L'appréciation des preuves est arbitraire, donc contraire à l'art. 9 Cst., lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral n'invalide l'appréciation retenue par le juge de la cause que si elle apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective ou adoptée sans motifs objectifs. Il ne suffit pas que les motifs du verdict soient insoutenables; il faut en outre que l'appréciation soit arbitraire dans son résultat. Il ne suffit pas non plus qu'une solution différente puisse être tenue pour également concevable, ou apparaisse même préférable (ATF 129 I 49 consid. 4 p. 58; 127 I 38 consid. 2 p. 40, 126 I 168 consid. 3a p. 170; voir aussi ATF 129 I 8 consid. 2.1 in fine p. 9). 
2.2 La crédibilité des propos de C.________ a été examinée successivement par une psychologue appelée à témoigner, puis par une experte. La première a vu l'enfant à trois reprises en janvier, février et mars 2002. Entendue le 15 mars 2002 par le juge d'instruction, elle s'est dite convaincue de la véracité des déclarations, compte tenu de la constance des affirmations, de l'aspect émotif, de la gène ressentie et de la crainte que le recourant inspirait à l'enfant. Le récit ne paraissait pas dicté. Dans son rapport du 25 juin 2002, l'experte relate la situation familiale; elle expose avoir interrogé l'enfant, seule, durant une heure; celle-ci est décrite comme normale dans son développement psychomoteur et ses aptitudes relationnelles, avec toutefois des aspects dépressifs. Son âge lui permettait de distinguer la réalité des fantasmes, et son fonctionnement psychique n'autorisait pas de mettre en doute sa compréhension des événements ainsi que la véracité de ses dires. Observée en présence de sa mère, l'enfant ne paraissait pas pouvoir être manipulée ou influencée pas sa mère ou son oncle. L'analyse des déclarations faisait ressortir un discours libre, cohérent, spontané et détaillé, le comportement étant en harmonie avec le récit. L'experte conclut clairement à la crédibilité du récit. Entendue par le juge d'instruction, elle a confirmé de manière plus catégorique encore ses conclusions, en relevant que les hypothèses d'une erreur, de la confusion entre fantasme et réalité, et du mensonge ou de l'inversion avaient pu être écartées. La brièveté du rapport est expliquée part le fait que l'experte n'a éprouvé aucun doute. En outre, le fait que l'enfant se soit corrigée d'elle-même sur un point était un très bon indice de crédibilité. 
2.3 Lorsque la crédibilité de la victime est attestée par deux opinions d'experts, le tribunal ne saurait s'en écarter que pour des motifs particulièrement importants (cf. ATF 122 V 157 consid. 1c p. 161 et les arrêts cités). 
Les contradictions sur lesquelles le recourant met l'accent (concernant l'épisode de la pommade et l'arrivée de l'amie de la victime) ne se rapportent pas directement aux faits reprochés au recourant: celui-ci a été condamné pour tentative d'acte d'ordre sexuel, en raison des propositions qu'il a faites à la victime, en demandant d'abord à C.________ de lui toucher le sexe, puis en lui demandant s'il pouvait toucher le sexe de la victime. Le recourant soutient que l'amie de la victime aurait nié s'être rendue dans l'appartement au moment des faits; en réalité, l'amie en question a simplement déclaré, le 10 janvier 2002 à la police, qu'elle n'était pas présente "au moment où le monsieur a demandé à C.________ de la toucher". Elle le lui aurait raconté "par la suite", ce qui n'exclut manifestement pas qu'elle soit bien arrivée au moment des faits, sans y avoir assisté. Le recourant critique ensuite le fait que la psychologue n'ait jamais vu l'enfant en dehors de la présence de sa mère. A ce sujet, la cour cantonale a estimé qu'il n'était pas établi que l'enfant n'avait pas été entendue hors la présence de sa mère; la psychologue a en effet expliqué, le 15 mars 2002, qu'elle avait vu "C.________ et sa maman" à trois reprises; elle précise ensuite qu"en règle générale", la mère et l'enfant sont présents au début de la séance, puis l'enfant est entendu seul avant qu'une nouvelle séance ne soit fixée, en présence de la mère. Rien ne permet effectivement de penser, bien que cela ne ressorte pas très clairement de la déposition, que les séances ne se soient pas déroulées de cette manière. Il n'y a en tout cas aucun arbitraire à le retenir. Le recourant, présent lors de cette audition, aurait d'ailleurs pu s'en assurer, s'il avait des doutes à ce sujet, en interrogeant le témoin. Pour le surplus, la psychologue s'est estimée à même d'évaluer la crédibilité des propos de l'enfant, sans avoir à tenir compte du contexte familial, en particulier des souffrances engendrées par la séparation du père de la victime. 
Le recourant critique également le rapport d'expertise, en relevant, de manière essentiellement appellatoire, les contradictions dont il serait entaché. Pour autant qu'elles soient recevables, ces critiques apparaissent dénuées de pertinence. L'expert a estimé que l'enfant était à même de distinguer la réalité des fantasmes, ce qui n'exclut pas qu'elle ait pu mentir en certaines autres occasions; la personnalité de type névrotique n'est manifestement, selon l'expertise, pas incompatible avec la sincérité des affirmations. L'expert ne peut exclure "que C.________ ait été manipulée au moment des faits", mais exclut toute manipulation au moment où elle l'a interrogée, ce qui n'est pas non plus contradictoire. L'experte mentionne par ailleurs un épisode durant lequel la fille aurait corrigé une affirmation de la mère, montrant ainsi qu'elle n'était pas "suggestible". Lorsque l'experte affirme que les déclarations de l'enfant peuvent être superposées avec celles faites à la police, cela se rapporte aux éléments essentiels, des divergences étant toujours possibles sur des points secondaires. Le recourant reproche également à l'experte d'avoir méconnu la situation familiale rappelée ci-dessus. Toutefois, lors de son audition, l'experte a supposé que l'enfant n'avait pas tout de suite parlé à sa mère, afin de protéger la relation de celle-ci avec le recourant, étant précisé qu'elle appréciait ce dernier. Cela contredit l'hypothèse du recourant selon laquelle l'enfant ne supportait pas la relation entre sa mère et le recourant. 
En définitive, les objections présentées par le recourant ne sont pas propres à mettre en doute les conclusions auxquelles sont parvenues la psychologue, puis l'experte. Le verdict de culpabilité, confirmé par la cour cantonale ne viole, par conséquent, ni l'interdiction de l'arbitraire, ni la présomption d'innocence. 
3. 
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Le recourant a demandé l'assistance judiciaire, et les conditions en sont réalisées. Me Hayat est désignée comme avocate d'office, rétribuée par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire. L'intimée C.________, qui a procédé par l'intermédiaire de son curateur, a droit à des dépens, à la charge du recourant. D.________ n'a pas déposé d'observations, se contentant de se référer à la réponse du curateur; il n'y a pas lieu de lui allouer des dépens. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. 
2. 
La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Yaël Hayat est désignée comme avocate d'office du recourant; une indemnité de 2000 fr. lui est allouée, à titre d'honoraires, versée par la caisse du Tribunal fédéral. 
3. 
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire. 
4. 
Une indemnité de dépens de 2000 fr. est allouée à B.________, curateur, à la charge du recourant. 
5. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève. 
Lausanne, le 11 mars 2004 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: Le greffier: