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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_748/2022  
 
 
Arrêt du 2 juin 2023  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux 
Jacquemoud-Rossari, Présidente, Denys et Hurni. 
Greffière : Mme Meriboute. 
 
Participants à la procédure 
Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD, 
recourant, 
 
contre  
 
A.________, 
représenté par Me Jean-Luc Addor, avocat, 
intimé. 
 
Objet 
Discrimination raciale (art. 261bis CP), 
 
recours contre le jugement de la Cour d'appel 
pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud 
du 1er avril 2022 (n° 116 PE20.004987-EMM). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 18 novembre 2021, le Tribunal de police de l'arrondissement de l'Est vaudois a condamné A.________ pour discrimination raciale et incitation à la haine (I) à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, le montant du jour-amende étant fixé à 150 fr. (Il), avec sursis pendant 2 ans (Ill), ainsi qu'à une amende de 900 fr., la peine privative de liberté de substitution étant de 9 jours (IV), a mis les frais de la cause, par 2'650 fr., à sa charge (V) et a rejeté sa demande d'indemnité fondée sur l'art. 429 CPP (VI). 
 
B.  
Par jugement du 1er avril 2022, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a admis partiellement l'appel formé par A.________ (I). Elle l'a libéré du chef d'accusation de discrimination raciale et incitation à la haine, tout en confirmant la mise à sa charge des frais de la cause et le rejet de la demande d'indemnité fondée sur l'art. 429 CPP (II). En outre, les frais d'appel, par 2'350 fr., ont été mis par un quart à la charge de A.________, le solde étant laissé à la charge de l'Etat (III). Une indemnité d'un montant de 3'460 fr. 40 a été allouée à A.________, à la charge de l'Etat de Vaud, pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits en procédure d'appel (IV). Les frais de première instance et la part des frais d'appel mis à la charge du prénommé ont été compensés avec l'indemnité allouée pour la procédure d'appel, le solde dû par l'Etat à celui-ci étant de 222 fr. 90 (IV bis). 
En substance, la cour cantonale a retenu les faits suivants. 
 
B.a. Né en 1949 au Maroc, A.________ est ressortissant français. Marié, il est le père de cinq enfants, tous majeurs et indépendants financièrement. Il a effectué ses études à l'Ecole B.________ de U.________, puis à l'Ecole C.________, faisant en parallèle une licence ès sciences économiques. Il a par la suite travaillé dans le public tout au long de sa carrière, terminant celle-ci auprès de D.________, dont il est retraité depuis 2013. Selon ses déclarations, il touche chaque mois une retraite de l'ordre de 3'350 EUR nets, impôts déduits, et des revenus locatifs d'environ 2'500 EUR. Il a en effet indiqué être propriétaire, outre de son logement principal et de sa résidence secondaire à V.________, de 6 appartements à U.________ qu'il loue. Il a encore déclaré que sa fortune se composait de plus d'un petit portefeuille. Il n'a aucune dette.  
 
B.b. Son casier judiciaire suisse est vierge. Son casier judiciaire français mentionne deux condamnations prononcées, les 20 mars et 17 avril 2008, pour diffamation envers particulier (s) par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique.  
 
B.c. Il ressort des faits établis par la cour cantonale que l'acte d'accusation rendu le 5 août 2021 par le ministère public avait la teneur suivante:  
 
"A.________ a été invité le [...] 2020 au local E.________ sis chemin W.________ à X.________ dans le cadre d'une conférence publique organisée par le groupe "F.________" pour s'exprimer sur le thème de "La question raciale". 
A cette date, dans le caveau du local, alors qu'à tout le moins 10 personnes s'y trouvaient, A.________, assis à la table de conférence, a déclaré de façon à pouvoir être entendu par l'ensemble des individus présents: "il y a pire que le coronavirus, il y a le judéovirus". Ces propos ont été tenus de façon suffisamment intelligible pour que l'ensemble de l'assistance présente, dont le journaliste G.________ assis au dernier rang de la salle, les entende. Les déclarations de A.________ ont fait l'objet d'un article publié dans [...]". 
 
C.  
Le Ministère public du canton de Vaud forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 1er avril 2022. Il conclut, principalement, à la réforme du jugement en ce sens que le jugement du Tribunal correctionnel de l'arrondissement de l'Est vaudois du 18 novembre 2021 est confirmé et les chiffres II à V sont supprimés. En outre, les frais d'appel sont mis à la charge de A.________. 
Subsidiairement, il conclut à ce que la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
D.  
Invités à se déterminer sur le recours, la cour cantonale a renoncé à se déterminer, se référant aux considérants de sa décision, tandis que l'intimé a formulé des observations. L'intimé conclut, avec suite de frais et dépens, au rejet du recours du recourant et à la confirmation du jugement attaqué. Ces écritures ont été communiquées au recourant à titre de renseignement. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
En application de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 3 LTF, l'accusateur public a qualité pour former un recours en matière pénale. 
Savoir quelle autorité au sein d'un canton constitue l'accusateur public est une question qui doit se résoudre à l'aune de la LTF. Lorsqu'il existe un ministère public compétent pour la poursuite de toutes les infractions sur l'ensemble du territoire, seule cette autorité aura la qualité pour recourir au Tribunal fédéral. En revanche, savoir qui, au sein de ce ministère public, a la compétence de le représenter est une question d'organisation judiciaire, soit une question qui relève du droit cantonal (ATF 142 IV 196 consid. 1.5.2). 
Dans le canton de Vaud, l'art. 27 al. 2 de la loi du 19 mai 2009 sur le Ministère public (LMPu/VD; RS/VD 173.21) dispose que le procureur général ou ses adjoints sont seuls compétents pour saisir le Tribunal fédéral. 
En l'espèce, le mémoire de recours est signé par le Procureur général du canton de Vaud. Le recours est donc recevable. 
 
2.  
Le recourant invoque une violation de l'art. 261bis CP. La cour cantonale aurait écarté à tort le caractère public du comportement. 
 
 
2.1. Aux termes de l'art. 261bis CP, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 30 juin 2020, se rend coupable de discrimination raciale celui qui, publiquement, aura incité à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse (al. 1); celui qui, publiquement, aura propagé une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique les membres d'une race, d'une ethnie ou d'une religion (al. 2) ou encore celui qui aura publiquement, par la parole, l'écriture, l'image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d'une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou qui, pour la même raison, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité (al. 4). Depuis le 1er juillet 2020, et l'entrée en vigueur à cette date de la nouvelle du 14 décembre 2018 (RO 2020 1609), la portée de la disposition est étendue à la discrimination, au rabaissement et à l'incitation à la haine en raison de l'orientation sexuelle.  
L'art. 261bis CP vise notamment à protéger la dignité que tout homme acquiert dès la naissance et l'égalité entre les êtres humains. En protégeant l'individu du fait de son appartenance à un groupe ethnique ou religieux, la paix publique est indirectement protégée (ATF 148 IV 188 consid. 1.3; 140 IV 67 consid. 2.1.1; 133 IV 308 consid. 8.2 et les références citées; arrêt 6B_777/2022 du 16 mars 2023 consid. 1.1.1 destiné à publication). La norme concrétise les engagements internationaux de la Suisse dans le cadre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale conclue à New York le 21 décembre 1965 (RS 0.104), entrée en vigueur pour la Suisse le 29 décembre 1994 (ATF 148 IV 188 consid. 1.3; 140 IV 67 consid. 2.1.1; 133 IV 308 consid. 8.2 et les références citées; arrêt 6B_644/2020 du 14 octobre 2020 consid. 1.2). 
Le judaïsme constitue une religion au sens de l'art. 261bis CP (ATF 143 IV 77 consid. 2.3; 124 IV 121 consid. 2b; 123 IV 202 consid. 4c). 
L'auteur doit agir publiquement, c'est-à-dire en dehors d'un cercle privé (ATF 130 IV 111 consid. 5.2.2), par des paroles, des écrits, des images, des gestes ou des voies de fait (ATF 145 IV précité consid. 2.2). Sont privées les déclarations qui ont lieu dans un cercle familial ou d'amis ou dans un environnement de relations personnelles ou empreint d'une confiance particulière (ATF 130 IV 111 consid. 5.2.2; arrêt 6B_636/2020 du 10 mars 2022 consid. 5.1, non publié in ATF 148 IV 113). Savoir si cette condition est remplie dépend des circonstances concrètes, parmi lesquelles le nombre des personnes présentes peut jouer un rôle (ATF 130 IV 111 consid. 5.2.2). 
 
2.2. Du point de vue subjectif, le délit est intentionnel, le dol éventuel pouvant suffire (ATF 148 IV 113 consid. 3; 145 IV 23 consid. 2.3; arrêts 6B_857/2022 du 13 avril 2023 consid. 1.3.1; 6B_777/2022 précité consid. 1.1.3 destiné à publication; 6B_1126/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1.3).  
Déterminer ce qu'une personne a su, envisagé, voulu ou accepté relève du contenu de la pensée, à savoir de faits "internes", qui, en tant que tels, lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'ils aient été retenus de manière arbitraire (ATF 147 IV 439 consid. 7.3.1; ATF 141 IV 369 consid. 6.3). Est en revanche une question de droit celle de savoir si l'autorité cantonale s'est fondée sur une juste conception de la notion d'intention et si elle l'a correctement appliquée sur la base des faits retenus et des éléments à prendre en considération (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3; ATF 135 IV 152 consid. 2.3.2; ATF 133 IV 9 consid. 4.1; arrêts 6B_220/2022 du 31 octobre 2022 consid. 2.2 destiné à publication; 6B_418/2021 du 7 avril 2022 consid. 3.1.2). 
 
2.3. La cour cantonale a libéré l'intimé du chef de prévention de discrimination raciale et incitation à la haine.  
En substance, la cour cantonale a retenu qu'aucun élément n'était susceptible de remettre en cause la version du journaliste selon laquelle l'intimé avait effectivement dit "il y a pire que le coronavirus, il y a le judéovirus". A cet égard, la cour cantonale s'est étonnée du fait que l'intimé ne se soit jamais prononcé sur ce qu'il avait réellement pu dire à ses proches, en se penchant vers eux, en lieu et place de ce qui avait été reporté par le journaliste. Plus encore, elle s'est étonnée que l'intimé n'ait jamais fourni l'identité des proches concernés ou qu'il n'ait pas demandé leur audition. 
Elle a retenu que la distance qui séparait l'intimé de ses proches n'avait pas été précisément déterminée. Le journaliste avait expliqué qu'il était lui-même assis au dernier rang et se trouvait à 4 ou 5 mètres de l'intimé, alors que les proches de ce dernier étaient assis au premier rang en face de l'intimé - donc à largement moins de 5 mètres -, et que celui-ci s'était penché vers eux pour leur parler. L'intimé avait quant à lui déclaré que le journaliste était distant de plus que les 5 mètres par lui évoqués, ce qui permettait de déduire que ses accompagnants étaient quand même à quelques mètres de lui. La cour cantonale a toutefois considéré que cet élément n'était pas déterminant pour apprécier la notion de publicité des propos. 
La cour cantonale a estimé que l'élément de la publicité n'était pas réalisé. Selon elle, le fait que l'intimé aurait dit, au sujet des propos litigieux, "je le dis avant que la caméra ne tourne", donnait à penser qu'il n'avait pas l'intention de les partager publiquement. Le journaliste qui cherchait manifestement un "scoop", avait donc probablement écouté ce que disait le prévenu à ses proches, alors même que les propos tenus étaient dits, selon ses propres termes, "en aparté" et alors que l'intimé s'était penché vers ceux-ci. En conséquence, la cour cantonale a écarté l'intention de l'intimé de s'exprimer publiquement, ne serait-ce que parce qu'il était conscient des risques d'un tel comportement. Elle a également écarté le dol éventuel, considérant qu'à ce moment, il s'adressait "hors caméra", "en aparté" à deux proches et que ne se trouvaient dans la salle qu'une dizaine de personnes qu'il n'entendait pas faire participer à ses déclarations. 
 
2.4. Il convient de se déterminer sur le caractère public des propos de l'intimé au regard des circonstances concrètes. Si la distance entre l'intimé et ses deux accompagnants n'a pas été clairement déterminée, il n'est pas contesté que le journaliste - qui se trouvait au dernier rang de la salle - avait entendu distinctement les propos. Les paroles étaient donc suffisamment audibles jusqu'au dernier rang, et par là même pour les autres tiers se trouvant déjà dans la salle. En dehors des deux accompagnants, il n'est pas établi que l'intimé connaissait la dizaine de personnes présentes, ni le journaliste, de sorte qu'il ne se trouvait pas dans un environnement de relations personnelles ou empreint d'une confiance particulière.  
L'intimé qui se décrit lui-même comme "un homme public" (cf. dossier cantonal, PV d'audition du prévenu du 17 février 2021, p. 3; art. 105 al. 2 LTF) était présent à l'évènement en qualité d'orateur. De manière générale, le public assistant à une conférence est précisément là pour écouter le conférencier et lui accorder une attention spéciale, et ce, avant même le début de l'exposé proprement dit. Il est dès lors indifférent que le journaliste puisse avoir été à la recherche d'un "scoop". De même, on ne peut lui reprocher d'avoir écouté l'intimé, celui-ci s'étant exprimé à intelligible voix pour l'entier de l'assistance. 
Le fait d'avoir dit: "je le dis avant que la caméra ne tourne", montre bien que l'intimé avait conscience du caractère problématique de ses propos et qu'il ne souhaitait pas qu'ils soient enregistrés. Toutefois, cela ne permet en rien d'écarter le caractère public des propos litigieux au sein de la salle de conférence et vis-à-vis du public présent. D'autant plus qu'une telle locution est intrinsèquement de nature à éveiller la curiosité et l'attention de l'assistance. 
Le recourant critique la cour cantonale qui, se référant aux termes du journaliste, retient que les propos ont été tenus "en aparté". A cet égard, le journaliste a décrit un "aparté qui n'en était pas un" (cf. dossier cantonal, PV d'audition de témoin du 30 mars 2021, p. 3; art. 105 al. 2 LTF). Quoi qu'il en soit, la configuration de la salle de conférence, le statut d'orateur de l'intimé et le fait que ses paroles ont été prononcées de telle sorte qu'elles soient perçues jusqu'au dernier rang et donc par là même, sans difficulté, par les autres tiers déjà présents, suffisent à nier le caractère privé des déclarations. L'intimé ne pouvait qu'en être conscient au moment de s'exprimer. 
Au regard de ce qui précède, l'élément constitutif relatif à la publicité était réalisé. 
Le recours doit être admis, le jugement entrepris annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision. 
 
3.  
L'intimé, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité à l'accusateur public qui obtient gain de cause (cf. art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, le jugement attaqué est annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'500 fr., sont mis à la charge de l'intimé. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 2 juin 2023 
 
Au nom de la Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jacquemoud-Rossari 
 
La Greffière : Meriboute