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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_32/2023  
 
 
Arrêt du 31 août 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, Présidente, Hohl et May Canellas. 
Greffier : M. Botteron. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par 
Me Hubert Theurillat, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________ SA, 
représentée par 
Me Alexandre Lehmann, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
responsabilité aquilienne (art. 41 CO), fardeau de l'allégation (art. 55 CPC), motivation de l'appel (art. 311 CPC), 
 
recours contre l'arrêt rendu le 1er décembre 2022 par la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura (CC 67 / 2021). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________ SA (ci-après: la société lésée, la demanderesse, l'appelante ou la recourante) fabrique et vend des boîtes de montres. 
B.________ SA (ci-après: la défenderesse ou l'intimée) est une entreprise de construction, exploitant en particulier une entreprise de maçonnerie, de terrassements, de béton armé et de travaux publics. 
Dans le courant de l'année 2011, dans le cadre d'un réaménagement du lit de l'Allaine à Z.________, la République et Canton du Jura a confié la direction des travaux à quatre entreprises, dont le bureau d'ingénieurs C.________ SA. L'intimée a conclu un contrat d'entreprise avec le canton du Jura représenté par C.________ SA, en vertu duquel elle était chargée notamment de déplacer deux conduites électriques d'une tension de 16'000 Volts (16 KV) appartenant à D.________ SA. 
A l'issue des travaux, l'une des deux conduites a été enfouie à une profondeur exacte inconnue mais se situant entre 20 et 40 cm en-dessous du terrain naturel. L'entreprise D.________ SA, qui donnait des instructions en tant qu'exploitante et propriétaire des conduites, a chargé l'intimée de les enrober dans du gravier. L'intimée a signalé à D.________ SA qu'en l'état, les conduites n'étaient pas enfouies suffisamment profondément, et a proposé de les enfouir plus profondément, ou de les enrober dans du béton, ce que D.________ SA a refusé. Les conduites n'ont pas non plus été protégées par des plaques métalliques. 
Le 5 décembre 2011, après la fin des travaux de terrassement, un employé de l'entreprise de E.________, paysagiste, procédant à la pose d'une natte en géotextile biodégradable dans le terrain, a planté dans le sol une agrafe métallique de 40 cm, endommageant de ce fait l'une des conduites, sur l'épissure du câble réalisée par D.________ SA lors du déplacement de celle-ci. S'en est suivie une coupure de courant d'une durée de 35 minutes. 
La demanderesse a soutenu avoir subi une interruption de sa production. Elle évalue son dommage à 63'004 fr. 
 
 
B.  
Le 19 juillet 2013, la demanderesse a introduit une requête de preuve à futur tendant à l'administration d'une expertise dans le but d'établir les responsabilités à l'origine du dommage causé en date du 5 décembre 2011. 
Selon le rapport d'expertise du 31 octobre 2014 réalisé par F.________, ingénieur en électricité HES, la conduite, à l'issue du chantier, se trouvait enfouie à une profondeur entre 20 et 40 cm, profondeur qui ne respectait pas les normes applicables, en particulier l'art. 68 al. 2 de l'Ordonnance du 30 mars 1994 sur les lignes électriques (OLEI; RS : 734.31), qui prévoit une profondeur d'enfouissement minimale de 80 cm pour les installations à haute tension. En outre, l'installation contrevenait également à l'art. 68 al. 3 OLEI, qui prévoit que lorsque cette profondeur ne peut pas être respectée, des mesures de protection supplémentaires doivent être prises, telles que la pose de plaques de protection métalliques, tout spécialement pour prévenir les dommages mécaniques. 
 
C.  
Par demande du 24 février 2017, suite à une tentative de conciliation infructueuse, la demanderesse a actionné B.________ SA en concluant à sa condamnation à lui verser la somme de 63'004 fr. avec intérêts à 5 % l'an dès le 5 décembre 2015, ainsi que la somme de 13'839 fr. 60 à titre de frais et dépens de première et deuxième instances de la procédure de preuve à futur, et au paiement des frais et dépens de la procédure de conciliation. 
La demanderesse reproche à la défenderesse d'être responsable du dommage qu'elle prétend avoir subi, en raison de sa violation des normes légales en matière d'enfouissement d'une conduite électrique. La défenderesse a conclu au rejet de la demande. Celle-ci rejette sa responsabilité. Elle soutient qu'elle n'était qu'auxiliaire dans l'exécution et n'a fait que se conformer aux instructions reçues de D.________ SA. 
Par décision du 8 juillet 2021, la Juge civile du Tribunal de première instance de Porrentruy a rejeté la demande. Elle a exclu la responsabilité de la défenderesse en raison du fait qu'elle n'était qu'une simple exécutante des travaux, sans pouvoir décisionnel. Ayant alerté D.________ SA de l'irrégularité de la profondeur de la conduite, la défenderesse avait satisfait à ses obligations et ne pouvait se voir imputer aucune faute. Elle avait en outre pris des mesures, en signalant le tracé de la conduite souterraine à la surface du sol par une marque à la peinture. La condition de la faute faisant défaut, la Juge civile n'a pas examiné les autres conditions de la responsabilité. 
Par arrêt du 1 er décembre 2022, statuant sur l'appel de la demanderesse, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura a rejeté l'appel par substitution de motif, en excluant que la défenderesse ait commis un acte illicite. Examinant encore la condition du dommage, la cour cantonale a considéré que l'appel n'était pas suffisamment motivé sur ce point et le dommage insuffisamment allégué dans la demande.  
 
D.  
Contre cet arrêt qui lui a été notifié le 2 décembre 2022, la demanderesse a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral le 17 janvier 2023. Elle conclut à sa réforme en ce sens que sa demande en paiement de 63'004 fr. soit admise avec intérêts à 5 % l'an dès le 5 décembre 2015. Subsidiairement, elle conclut à la réforme de l'arrêt cantonal en ce sens que la défenderesse soit reconnue responsable à son égard et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour déterminer le dommage. A titre plus subsidiaire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle instruction et décision au sens des considérants. 
Par ordonnance du 19 janvier 2023, la requête d'effet suspensif a été rejetée, faute de motivation. 
L'intimée a conclu au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. 
La recourante a répliqué. 
La cour cantonale a pris des conclusions en rejet du recours et confirmation de la décision attaquée. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) par la partie demanderesse qui a succombé dans ses conclusions (art. 76 al. 1 LTF), contre un arrêt final (art. 90 LTF), rendu sur appel par le Tribunal supérieur du canton du Jura (art. 75 LTF), dans une affaire civile (art. 72 al. 1 LTF) dont la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), le recours est recevable au regard de ces dispositions. 
 
2.  
Le recours en matière civile au Tribunal fédéral doit être motivé, les motifs devant exposer succinctement en quoi l'acte attaqué viole le droit (art. 42 al. 1-2 LTF). Lorsque la décision attaquée comporte plusieurs motivations indépendantes, alternatives ou subsidiaires dont chacune suffit à sceller le sort de la cause ou d'une partie de celle-ci, il appartient au recourant, sous peine d'irrecevabilité, de démontrer, par une motivation conforme à l'art. 42 al. 2 LTF, que chacune d'e ntre elles est contraire au droit (ATF 142 III 364 consid. 2.4; 138 III 728 consid. 3.4; 136 III 534 consid. 2). 
 
2.1. Les instances cantonales ont examiné la cause au regard de l'art. 41 al. 1 CO, ce qui n'est pas contesté et est conforme au droit fédéral.  
Selon cette disposition, celui qui cause, d'une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenu de le réparer. Les quatre conditions suivantes doivent être réalisées: un acte illicite, une faute de l'auteur, un dommage et un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre l'acte fautif et le dommage (ATF 132 III 122 consid. 4.1). Il incombe à la partie demanderesse de prouver les faits permettant de constater que chacune des quatre conditions est réalisée (art. 8 CC). Comme les quatre conditions sont cumulatives, il suffit que l'une d'entre elles ne soit pas réalisée pour que la demande doive être rejetée, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres (arrêts 4A_603/2020 du 16 novembre 2022 consid. 4.1; 4A_354/2020 du 5 juillet 2021 consid. 5; 4A_594/2009 du 27 juillet 2010 consid. 3.2). 
Dans sa décision, la juge de première instance a rejeté la demande de la société lésée en niant que soit réalisée la condition de la "faute". La défenderesse, en tant que simple exécutante des travaux, avait suivi les instructions données par l'entreprise propriétaire et exploitante du réseau électrique, laquelle était au courant de la profondeur d'enfouissement insuffisante. La juge de première instance a donc jugé superflu de se prononcer sur les autres conditions de la responsabilité. 
Procédant par substitution de motifs, la cour cantonale a rejeté l'appel et, partant, la demande de la société lésée pour deux motifs: elle a considéré que non seulement la condition de l'acte illicite n'était pas réalisée, mais que celle du dommage ne l'était pas non plus. 
Sur la condition de l'acte illicite, la cour cantonale a consacré l'essentiel de sa motivation à examiner si l'entreprise avait commis un acte illicite, si elle avait agi pénalement par négligence (art. 239 CP) et si elle avait violé les règles de prudence qui lui incombaient. Elle a considéré que, puisque tous les pouvoirs décisionnels quant à l'enfouissement de la conduite ou aux mesures de protection étaient en mains de la propriétaire et exploitante, la défenderesse n'avait pas commis d'acte illicite en suivant les instructions données par celle-ci. 
Sur la condition du dommage, la cour cantonale a considéré qu'elle ne serait de toute façon pas en mesure de se prononcer sur le dommage allégué par la demanderesse. Même si la juge civile ne s'est pas prononcée sur cette question, dans son appel, la demanderesse renvoyait sur cette question aux explications de son représentant en audience, ainsi qu'aux pièces produites en procédure de première instance ou aux pièces du dossier. La cour cantonale a considéré qu'un tel renvoi aux arguments présentés en première instance ou aux pièces du dossier, ni ne suffisait à satisfaire au devoir de motivation, ni ne constituait un allégué suffisant, alors que le dommage était contesté par la défenderesse. 
 
2.2. La recourante mentionne les deux motifs, consacrant 14 pages à la première condition, celle de l'acte illicite, et un paragraphe de dix lignes à la seconde, celle du dommage.  
Sur cette dernière, elle ne s'en prend pas à la motivation de la cour cantonale pour démontrer qu'il n'y a eu de sa part ni violation de l'art. 311 CPC, ni allégué insuffisant. Elle se limite en effet à affirmer que le dommage a été exposé et explicité par son représentant en procédure et que, puisqu'il était contesté, elle a requis la mise en oeuvre d'une expertise, qui a été rejetée. 
Comme la première juge n'avait pas tranché la question du dommage, l'examen de cette condition n'étant plus nécessaire, on ne saurait reprocher à la demanderesse appelante de n'avoir pas motivé son appel conformément à l'art. 311 al. 1 CPC (sur l'exigence de motivation de l'appel, cf. l'arrêt 4A_621/2021 du 30 août 2022 consid. 3 et 3.1 et les arrêts cités). 
En revanche, la recourante ne démontre pas que c'est en violation du droit que la cour cantonale a considéré également que l'allégué de sa demande relatif à son dommage n'était pas suffisant. 
Son grief est donc irrecevable. 
 
2.3. Au demeurant, bien que la cour cantonale mêle l'exigence de motivation de l'appel imposée par l'art. 311 al. 1 CPC et le devoir d'alléguer le dommage découlant du droit matériel, il résulte de sa motivation qu'elle considère que la demanderesse n'a consacré à son dommage et à sa quotité que des allégués insuffisants.  
Or, pour faire partie du cadre du procès, cette condition du dommage devait avoir été alléguée, le demandeur en supportant le fardeau de l'allégation objectif conformément à l'art. 8 CC (ATF 149 III 105 consid. 5.1 et les arrêts cités) et la charge de la motivation suffisante (HOHL, Procédure civile, vol. I, 2ème éd. 2016, n. 1266). 
Or, il résulte de l'allégué "article 4" de la demande que "[c]et incident a eu pour conséquence d'interrompre pendant plusieurs heures la production de l'entreprise A.________ SA, l'électricité ayant été coupée du fait de l'endommagement du câble électrique propriété de [D.________ SA]". En outre, il ressort de l'allégué "article 8" de la demande que "[v]u le rapport d'expertise de preuve à futur de F.________ SA, à U.________, et les conclusions retenues par celle-ci, la demanderesse a réclamé à la défenderesse son dommage qui s'élève à CHF 63'004.-- avec intérêts à 5 % dès la survenance de l'incident soit dès le 5 décembre 2011. En sus, la demanderesse a réclamé à la défenderesse les frais et dépens de procédure de preuve à futur de première et deuxième instances, toutefois, en vain." 
Sur cette base, aucune administration des preuves, que ce soit par expertise ou par témoignages ne pouvait être effectuée, de sorte que c'est à raison que la cour cantonale a rejeté l'action de la demanderesse, faute d'allégation suffisante. Un renvoi de la cause en première instance pour trancher cette question était ainsi superflu. 
 
3.  
Il s'ensuit que le recours est irrecevable. La recourante, qui succombe, prendra à sa charge les frais de la procédure et versera une indemnité de dépens à l'intimée (art. 66 al. 1 et 68 al. 1-2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 3'500 fr à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura. 
 
 
Lausanne, le 31 août 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
Le Greffier : Botteron