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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_813/2023  
 
 
Arrêt du 9 novembre 2023  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président, 
Koch et Hurni. 
Greffier : M. Tinguely. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
recourante, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
Refus de lever des mesures de substitution à la détention provisoire, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 21 septembre 2023 (ACPR/729/2023 - P/15996/2021). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Par suite de plaintes pénales déposées notamment par B.________ et par les parents de celui-ci (ci-après également: les plaignants), le Ministère public de la République et canton de Genève instruit une procédure pénale contre A.________ des chefs de diffamation, calomnie, injure, menaces et contrainte (cause P/15996/2021).  
Il est reproché à A.________ d'avoir publié sur les réseaux sociaux, depuis le mois de novembre 2021, des propos à caractère diffamatoire, voire calomnieux, notamment envers B.________, père de sa fille C.________, née en 2011, et duquel la prévenue vit séparée depuis 2016. 
 
A.b. Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse, A.________ a déjà été condamnée, le 26 novembre 2020, pour diffamation, calomnie et tentative de contrainte, par suite de plaintes pénales déposées par B.________ et par les parents de celui-ci.  
En outre, par jugement du 31 mai 2023, rendu par le Tribunal de police genevois dans une procédure distincte de celle d'espèce (P/10989/2020), A.________ a été condamnée pour des infractions de même nature. Une procédure d'appel, introduite par A.________, est pendante devant la Chambre d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise. 
 
B.  
 
B.a. Par ordonnance du 4 juillet 2023, constatant que A.________ présentait un risque particulièrement élevé de réitération d'atteintes portées à l'honneur de B.________ et de ses parents notamment, le Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève (TMC) a complété et prolongé jusqu'au 4 janvier 2024 les mesures de substitution à la détention provisoire qu'il avait ordonnées à l'égard de la prévenue dès le 12 avril 2022, respectivement dès le 15 novembre 2022, en y ajoutant le point suivant:  
 
"[let.] e. Interdiction absolue de procéder à quelque publication que ce soit, de quelque nature que ce soit, par quelques canaux ou sur quelques réseaux que ce soit, notamment mais pas exclusivement: Facebook, Linkedin et tout autre site internet, TikTok, Snapchat, Instagram ou toute autre application, etc.". 
 
B.b. Le 16 août 2023, A.________ a requis du TMC la levée de l'interdiction susmentionnée. A l'appui de sa requête, elle a expliqué s'être présentée, dans le canton de Genève, aux élections du Conseil national et du Conseil des États, qui se tenaient le 22 octobre 2023, de sorte que cette interdiction portait atteinte à la garantie de ses droits politiques au sens de l'art. 34 Cst., dès lors qu'elle l'empêchait de mener adéquatement sa campagne.  
Par ordonnance du 23 août 2023, le TMC a rejeté cette requête. 
 
B.c. Par arrêt du 21 septembre 2023, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise a rejeté le recours que A.________ avait formé contre l'ordonnance du 23 août 2023.  
 
C.  
 
C.a. Par acte du 23 octobre 2023, A.________ interjette un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 21 septembre 2023, en concluant principalement à sa réforme en ce sens que la mesure de substitution figurant sous let. e du dispositif de l'ordonnance du TMC du 4 juillet 2023 soit levée. A titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision. Elle sollicite en outre l'octroi de l'assistance judiciaire.  
 
C.b. Invitée à se déterminer sur le recours, la Chambre pénale de recours renonce à formuler des observations, se référant aux considérants de l'arrêt attaqué. Le Ministère public ne se détermine pas.  
 
C.c. Par ordonnance du 6 novembre 2023, le Président de la IIe Cour de droit pénal a admis la requête de mesures provisionnelles assortie au recours en ce sens que la recourante a été autorisée, en dérogation à l'interdiction formulée sous let. e de l'ordonnance du TMC du 4 juillet 2023, à publier sur internet, et en particulier sur les réseaux sociaux, des informations qui sont en lien strict avec la campagne électorale qu'elle entend mener dans le cadre de sa candidature au second tour de l'élection du Conseil des États, prévue dans le canton de Genève le 12 novembre 2023; dans ce cadre, il lui demeure au surplus interdit de formuler tout propos qui concernerait, de près ou de loin, B.________, les parents de celui-ci ou d'éventuels tiers avec lesquels elle serait en litige, ainsi que de faire allusion à ces personnes.  
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouvert contre une décision relative aux mesures de substitution à la détention provisoire au sens des art. 237 ss CPP (arrêts 1B_107/2023 du 30 mars 2023 consid. 1; 1B_637/2022 du 26 janvier 2023 consid. 1). Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF, la recourante a qualité pour recourir contre l'arrêt attaqué qui confirme les mesures de substitution ordonnées à son égard. Pour le surplus, le recours a été formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue par une autorité statuant en tant que dernière instance cantonale (art. 80 LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière. 
 
2.  
La recourante ne conteste pas l'existence de charges suffisantes (cf. art. 221 al. 1 CPP), ni celle d'un risque de réitération (cf. art. 221 al. 1 let. c CPP), pas plus qu'elle ne revient, en soi, sur le bien-fondé du prononcé de mesures de substitution au sens de l'art. 237 al. 1 CPP
 
3.  
Invoquant notamment une violation de l'art. 237 al. 5 CPP ainsi que du principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), la recourante concentre ses critiques sur le refus de la cour cantonale d'adapter les mesures de substitution en vigueur, depuis le 4 juillet 2023 et jusqu'au 4 janvier 2024, à son statut de candidate, dans le canton de Genève, aux élections fédérales des 22 octobre 2023 (Conseil des États [premier tour] et Conseil national) et 12 novembre 2023 (Conseil des États [second tour]). 
 
3.1.  
 
3.1.1. Conformément au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. et 197 al. 1 let. c CPP), il appartient au juge de la détention d'examiner les possibilités de mettre en oeuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention (règle de la nécessité). Cette exigence est concrétisée par l'art. 237 al. 1 CPP, qui prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention. Selon l'art. 237 al. 2 CPP, font notamment partie des mesures de substitution la fourniture de sûretés (let. a), la saisie des documents d'identité (let. b), l'assignation à résidence ou l'interdiction de se rendre dans un certain lieu ou un certain immeuble (let. c), l'obligation de se présenter régulièrement à un service administratif (let. d), l'obligation d'avoir un travail régulier (let. e), l'obligation de se soumettre à un traitement médical ou à des contrôles (let. f) et l'interdiction d'entretenir des relations avec certaines personnes (let. g). Cette liste est exemplative et le juge de la détention peut également, le cas échéant, assortir les mesures de substitution de toute condition propre à en garantir l'efficacité (ATF 145 IV 503 consid. 3.1 et les arrêts cités).  
 
3.1.2. Selon l'art. 237 al. 5 CPP, le tribunal peut en tout temps révoquer les mesures de substitution, en ordonner d'autres ou prononcer la détention provisoire ou la détention pour des motifs de sûreté si des faits nouveaux l'exigent ou si le prévenu ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées. Dans la mesure où le prévenu respecte les conditions qui lui ont été imposées, il n'est donc possible de revenir sur une décision antérieure que si de nouvelles circonstances l'exigent (arrêts 1B_79/2019 du 15 mars 2019 consid. 3.4; 1B_473/2012 du 12 septembre 2012 consid. 5.5). En revanche, si le prévenu ne respecte pas ses obligations, les mesures de substitution peuvent être révoquées ou modifiées même si aucune circonstance nouvelle n'est intervenue par ailleurs (arrêts 1B_79/2019 du 15 mars 2019 consid. 3.4; 1B_173/2013 du 29 mai 2013 consid. 4.3).  
Le tribunal compétent dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans l'application de l'art. 237 al. 5 CPP, comme cela ressort de la formulation potestative de la disposition (arrêt 7B_159/2023 du 13 juillet 2023 consid. 2.2). Le principe de la proportionnalité lui impose néanmoins de choisir, lorsque des mesures de substitution alternatives entrent en considération, celles qui sont les moins incisives par rapport au risque à pallier (MANFRIN/VOGEL, in Basler Kommentar, Strafprozessordnung, 3e éd. 2023, n° 113 ad art. 237 CPP; CHRISTIAN COQUOZ, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd. 2019, n° 2 ad art. 237 CPP). 
 
 
3.2.  
 
3.2.1. Il n'est guère contestable que la recourante présente un risque particulièrement élevé de réitération d'infractions contre l'honneur (diffamation, calomnie, injure), voire également contre la liberté (contrainte, menaces), qui pourraient être commises notamment au préjudice de B.________ et des parents de celui-ci.  
Il ressort ainsi de l'arrêt attaqué que la recourante a fait l'objet de mesures de substitution sous la forme, depuis le 12 avril 2022, d'une interdiction de contact avec les plaignants "par quelque moyen que ce soit (notamment courrier postal, courrier électronique, messageries en tous genres, réseaux sociaux) " ainsi que, depuis le 15 novembre 2022, sous la forme d'une interdiction "de tenir par écrit ou oralement, en dehors [du cadre judiciaire], quelque propos que ce soit à l'encontre des plaignants de nature à porter atteinte à leur honneur ou se rapportant aux faits [qui font l'objet de procédures pénales]". Or la recourante a été arrêtée par la police à au moins trois reprises durant cette période (14 septembre 2022, 1er novembre 2022 et 3 juillet 2023) en raison de "nouveaux faits", qui lui ont notamment valu d'être placée en détention provisoire du 1er novembre 2022 au 31 décembre 2022. 
Le rapport d'expertise psychiatrique, établi le 5 février 2023, relève du reste que la recourante souffre d'un trouble sévère de la personnalité ayant pour conséquence une "quérulence d'une ampleur peu commune". Selon les experts, la recourante "choisissait délibérément d'enfreindre les ordonnances pénales et mesures de substitution prononcées contre elle", le risque de réitération étant ainsi "non seulement avéré mais [aussi] assumé" par l'intéressée (cf. arrêt attaqué, "En fait", let. B, p. 2 ss). 
 
3.2.2. Pour autant, en tant qu'elle porte sur une "interdiction absolue de procéder à quelque publication que ce soit, de quelque nature que ce soit, [ce] par quelques canaux ou sur quelques réseaux que ce soit", la mesure de substitution litigieuse apparaît particulièrement invasive.  
En particulier, dès lors qu'elle ne se rapporte pas directement au risque à prendre en considération en l'espèce et aux infractions redoutées, l'interdiction litigieuse, telle que formulée, pourrait avoir pour effet de causer à la recourante une atteinte disproportionnée à ses libertés d'opinion et d'expression (art. 16 al. 1 et 2 Cst.; art. 10 CEDH), voire, eu égard à son statut de candidate aux élections fédérales, à ses droits politiques (art. 34 al. 1 Cst.). 
 
3.2.3. Certes, l'expérience a démontré, selon les constatations cantonales, qu'une mesure de substitution sous la forme d'une interdiction de publication faisant mention des plaignants, telle que celle en vigueur jusqu'au 3 juillet 2023, n'avait pas dissuadé la recourante de commettre de nouveaux actes répréhensibles au préjudice des plaignants.  
Il n'est toutefois pas fait état, dans l'arrêt attaqué, de tels actes répréhensibles qui auraient été commis entre le 4 juillet 2023 - date de l'entrée en vigueur de la mesure litigieuse - et le 16 août 2023 - date à laquelle la recourante a requis la levée de cette mesure -, ni même d'ailleurs après cette dernière date. Or, en l'absence de tels actes, il ne pouvait pas d'emblée être exclu que, moyennant le rappel de la teneur de l'art. 237 al. 5 CPP et en particulier de l'éventualité d'un placement en détention provisoire en cas de non-respect de ses obligations, la recourante soit en mesure de faire la part des choses et en particulier de s'abstenir, dans le cadre de la campagne électorale qu'elle entendait mener et, plus généralement, dans le cadre de ses activités politiques, de tenir des propos susceptibles de porter atteinte à l'honneur des plaignants. 
 
3.2.4. Cela étant, il apparaît qu'en formulant à l'égard de la recourante une mesure de substitution ne lui laissant en définitive aucune possibilité de s'exprimer publiquement sur quelque sujet que ce soit, la cour cantonale a violé le principe de la proportionnalité.  
 
4.  
Il s'ensuit que le recours doit être admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour qu'elle rende une nouvelle décision à brève échéance. 
Il ne sera pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF), ni alloué de dépens (art. 68 al. 1 LTF), attendu qu'en l'occurrence la recourante a agi sans l'assistance d'un mandataire professionnel; ce dernier point rend au surplus également sans objet la demande d'assistance judiciaire. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 21 septembre 2023 est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle rende une nouvelle décision à brève échéance. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est sans objet. 
 
3.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires, ni alloué de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué à la recourante, au Ministère public de la République et canton de Genève, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, et à l'avocat Ludovic Tirelli, Vevey. 
 
 
Lausanne, le 9 novembre 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Abrecht 
 
Le Greffier : Tinguely