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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_102/2023  
 
 
Arrêt du 17 octobre 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Jametti, Présidente, Rüedi et May Canellas. 
Greffier : M. Botteron. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par 
Me Manuel Piquerez, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________ SA, 
représentée par Me Baptiste Allimann, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
légitimation active; moment de l'examen, 
 
recours contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2023 par la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura (CC 80/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 24 avril 2018, la société A.________ SA (ci-après: la demanderesse ou la recourante) a conclu un contrat de leasing avec la société C.________ SA (ci-après: le donneur de leasing). Selon les conditions générales du contrat de leasing, A.________ SA s'engageait à conclure une assurance responsabilité civile ainsi qu'une assurance casco complète. Simultanément, elle cédait au donneur de leasing ses prétentions envers l'assurance. 
A.________ SA a conclu auprès de B.________ SA (ci-après: l'assurance ou la défenderesse ou l'intimée) une police d'assurance responsabilité civile et casco complète valable dès le 6 mars 2019 et portant notamment sur un véhicule Ferrari F430. 
Le 9 septembre 2019, le véhicule a connu un sinistre. A.________ SA a annoncé le cas à l'assurance, qui a refusé d'intervenir. 
 
B.  
Par requête en conciliation du 5 novembre 2020 suivie d'une demande du 23 mars 2021, A.________ SA a ouvert action tendant à la condamnation de l'assurance à couvrir le sinistre déclaré au mois de septembre 2019 et à lui verser les prestations d'assurance y relatives, soit au moins 61'433 fr. 45, ainsi qu'un montant de 23'540 fr. à titre de dommage-intérêts, avec suite de frais et dépens. 
Par réponse du 6 décembre 2021, l'assurance a conclu au rejet de la demande, au motif que la demanderesse a cédé ses droits au donneur de leasing et qu'elle n'a, de ce fait, pas la qualité pour agir. 
Le 22 mars 2022, dans sa réplique, la demanderesse a produit une cession de droits datée du 16 mars 2022 aux termes de laquelle le donneur de leasing lui cédait l'ensemble de ses prétentions envers l'assurance en lien avec le véhicule Ferrari F430 et le sinistre litigieux. 
Le 30 mars 2022, la société d'assurance, en duplique, a conclu à ce que la procédure soit limitée à la question de la légitimation active de la demanderesse. 
Par courrier du 5 avril 2022, la demanderesse a fait parvenir au tribunal un complément de la cession de créance du 16 mars 2022, daté du 5 avril 2022, lequel précisait que celle-ci était valable rétroactivement à compter de la date du sinistre, soit septembre 2019. 
Par ordonnance du 25 avril 2022, le Juge civil a limité la procédure à la question de la légitimation active de la demanderesse. 
Par décision du 21 juin 2022, le Juge civil a débouté la demanderesse de toutes ses conclusions, considérant que la légitimation active de celle-ci faisait défaut au moment de l'introduction de la requête de conciliation puis de la demande. 
Par arrêt du 12 janvier 2023, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura a rejeté l'appel de la demanderesse. En substance, la cour cantonale a considéré que la légitimation active devait s'examiner au moment de la litispendance, et que, bien que la demanderesse se soit vu céder la créance en indemnisation du sinistre en cours d'instance, celle-ci n'avait pas la légitimation active au moment de l'introduction de l'instance. 
 
C.  
Contre cet arrêt, qui lui a été notifié le 16 janvier 2023, la demanderesse a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral le 14 février 2023. Elle conclut à la réforme de l'arrêt en ce sens que la légitimation active de la demanderesse soit admise, subsidiairement, à son annulation et au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. 
La cour cantonale conclut au rejet du recours et à la confirmation de la décision entreprise. 
L'intimée conclut au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) par la partie demanderesse qui a succombé dans ses conclusions (art. 76 al. 1 LTF), contre un arrêt final (art. 90 LTF), rendu sur appel par le Tribunal supérieur du canton du Jura (art. 75 LTF), dans une affaire civile (art. 72 al. 1 LTF) dont la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), le recours est recevable. 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière civile peut être exercé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 136 I 241 consid. 2.1; 136 II 304 consid. 2.4). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes. Il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui (ATF 140 III 86 consid. 2, 115 consid. 2; 137 III 580 consid. 1.3).  
Le Tribunal fédéral n'est limité ni par les arguments soulevés dans le recours, ni par la motivation retenue par l'autorité précédente; il peut admettre un recours pour d'autres motifs que ceux qui ont été invoqués et le rejeter en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité précédente (ATF 138 II 331 consid. 1.3). Par exception à la règle selon laquelle il applique le droit d'office, il n'examine la violation d'un droit constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de façon détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 139 I 22 consid. 2.3; 137 III 580 consid. 1.3; 135 III 397 consid. 1.4 in fine). 
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Relèvent de ces faits tant les constatations relatives aux circonstances touchant l'objet du litige que celles concernant le déroulement de la procédure conduite devant l'instance précédente et en première instance, c'est-à-dire les constatations ayant trait aux faits procéduraux (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Le Tribunal fédéral ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes, c'est-à-dire arbitraires (ATF 141 IV 249 consid. 1.3.1; 140 III 115 consid. 2; 135 III 397 consid. 1.5) ou ont été établies en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
 
3.  
La question litigieuse est de savoir si la demanderesse a la légitimation active en vertu d'une cession de créance intervenue en cours de litispendance. 
La recourante invoque une violation de l'art. 164 al. 1 CO. Elle soutient être titulaire d'une cession de créance - respectivement d'une rétrocession - valide dès le jour du sinistre, et entend en tirer sa légitimation active. La recourante soutient que la forme écrite obligatoire pour le déploiement des effets de la cession de créance n'impose pas l'apposition d'une date sur l'acte de cession. Selon la recourante, le fait que la cour cantonale a considéré que la cession de créance n'était valable que dès la date apposée sur le contrat de cession viole le droit. 
 
3.1.  
 
3.1.1. Aux termes de l'art. 164 al. 1 CO, la cession de créance est un contrat (cf. art. 165 CO) par lequel le titulaire d'une créance (le cédant) transfère son droit à une autre personne (le cessionnaire). La cession opère la substitution du titulaire d'une créance par un nouveau titulaire (THOMAS PROBST, Commentaire romand, n. 1 ad art. 164 CO). Si le cessionnaire cède au cédant la créance qui lui a été transférée antérieurement par ce dernier, on parle de rétrocession (ATF 130 III 248, consid. 3.1; THOMAS PROBST, op. cit., n. 3 ad art. 164 CO). Toutes les conséquences juridiques de la cession s'appliquent à la rétrocession (ATF 130 III 248 consid. 3.1). Le contrat de cession de créance doit être passé en la forme écrite (art. 165 al. 1 CO).  
Conformément au régime général, le contrat déploie ses effets lorsqu'il est existant, soit lorsque les parties ont réciproquement et d'une manière concordante, manifesté leur volonté (art. 1 al. 1 CO), et valide, soit lorsqu'aucune cause d'invalidité n'empêche leur naissance (art. 11 ss CO) (BLAISE CARRON/PIERRE WESSNER, Droit des obligations - Partie générale, Vol. 1 2022, n. 1269). Lorsqu'un contrat doit être conclu dans une forme spéciale, sa validité est subordonnée à l'observation de celle-ci (art. 11 al. 1 CO). Si la forme prescrite n'est pas respectée, le contrat n'est pas valide, soit nul, et ne déploie aucun effet (art. 11 al. 2 CO; ATF 90 II 34 consid. 3). 
Cette règle s'applique à la cession de créance. Lorsque le contrat de cession de créance ne respecte pas la forme prescrite par la loi - soit la forme écrite - le contrat ne déploie aucun effet (VON TUHR/ESCHER, Allgemeiner Teil des schweizerischen Obligationenrecht, T. II, Zurich 1974, p. 336). Lorsqu'une cession de créance ne respectant pas la forme prescrite peut être confirmée par l'établissement ultérieur d'une cession de créance valide, celle-ci ne déploie ses effets qu'au moment de la perfection du contrat respectant les exigences de forme et pour le futur (arrêt 4C.41/2003 du 24 juin 2003 consid. 4.4; GIRSBERGER/HERMANN, in Basler Kommentar, Obligationenrecht I, 7e éd. 2020, n° 11 ad art. 165 CO; THOMAS PROBST, in Commentaire romand, Code des obligations I, 3e éd. 2021, n° 11 ad art. 165 CO; VON TUHR/ESCHER, op. cit., p. 336). 
 
3.1.2. La question de savoir si la rétrocession de créance suffit à conférer la légitimation active au demandeur relativement à la créance litigieuse, c'est-à-dire si elle l'autorise à faire valoir en justice la prétention de ce chef en tant que titulaire du droit, ressortit au droit matériel. Seule la question de savoir si celle-ci a été invoquée en temps utile et si le tribunal peut la prendre en considération est une question de procédure (ATF 130 III 248 consid. 2; HOHL, Procédure civile, Tome I, 2ème éd. 2016, n. 767).  
 
3.1.3. La légitimation active ou la légitimation passive relève du fondement matériel de l'action; elle appartient au sujet (actif ou passif) du droit invoqué en justice (ATF 142 III 782 consid. 3.1.3.2; 130 III 417 consid. 3.1 et 3.4; 126 III 59 consid. 1a; 125 III 82 consid. 1a). Le défaut de légitimation active ou passive entraîne le rejet de la demande (ATF 142 III 782 consid. 3.1.3). Il incombe au demandeur de prouver les faits desquels il tire sa légitimation active (ATF 123 III 60 consid. 3a). Le Tribunal fédéral examine librement la légitimation active et passive (art. 106 al. 1 LTF; ATF 142 III 782 consid. 3.1.4; 130 III 417 consid. 3.1; 128 III 50 consid. 2b/bb; 123 III 60 consid. 3a).  
L'acte introductif d'instance de l'art. 64 al. 2 CPC par lequel le demandeur ouvre l'action contre le défendeur afin de respecter le délai de droit matériel - de prescription ou de péremption - auquel est soumis son droit est le même que celui qui crée la litispendance au sens de l'art. 62 al. 1 CPC. La date déterminante pour apprécier la légitimation active est donc celle de l'ouverture d'action et de la litispendance (arrêts 4A_282/2021 du 29 novembre 2021 consid. 4.3; 4A_560/2015 du 20 mai 2016 consid. 4.1.1; 4A_482/2015 du 7 janvier 2016 consid. 2.2). 
Lorsque la procédure au fond doit être précédée d'une tentative de conciliation (art. 197 CPC), l'acte qui introduit l'instance est le dépôt de la requête de conciliation (art. 62 al. 1 CPC). Partant, la litispendance débute à ce moment-là (titre marginal de l'art. 62 CPC). Elle a en particulier pour effet procédural d'interdire aux parties de porter la même action devant une autre autorité (exception de litispendance; art. 64 al. 1 let. a CPC) et de fixer définitivement le for (perpetuatio fori; art. 64 al. 1 let. b CPC). Elle entraîne également la fixation de l'objet du procès et la fixation des parties à celui-ci, des modifications n'étant alors possibles qu'aux conditions restrictives prévues par le code (arrêt 4A_560/2015 du 20 mai 2016 consid. 4.1.2). 
 
3.2. En l'espèce, la cour cantonale a considéré que la demanderesse, qui avait justifié de sa légitimation active dans sa réplique par une cession de créance n'existant que depuis le 16 mars 2022, n'était pas titulaire du droit auquel elle prétendait au moment de l'introduction de l'instance, lors du dépôt de la requête de conciliation. Par conséquent, elle n'avait pas la légitimation active à ce moment-là.  
 
3.3. La recourante soutient d'abord que la cour cantonale a violé le droit en exigeant que la cession de créance soit datée pour être valide. Son argument tombe à faux dans la mesure où la cour cantonale n'a pas soumis la validité de la cession de créance à l'apposition d'une date sur celle-ci.  
La recourante soutient ensuite que l'établissement de la cession de créance en forme écrite le 16 mars 2022, complétée le 5 avril 2022, a eu pour effet de lui céder les droits d'agir contre l'intimée rétroactivement au jour du sinistre et qu'elle avait par conséquent la légitimation active au moment de l'introduction de l'instance. Le contrat de cession de créance ne déploie ses effets que dès la perfection de celui-ci pour autant que l'exigence de forme prescrite soit respectée (art. 11 al. 2 CO). Par conséquent, la demanderesse ne pouvait se prévaloir d'effets juridiques attachés à la cession avant que celle-ci n'existe. Il s'ensuit que la demanderesse recourante ne s'est vu céder les droits d'agir contre l'intimée que dès la réception de la cession signée, soit après l'introduction de l'instance. La cour cantonale a donc considéré à juste titre que la demanderesse n'avait pas la légitimation active au début de la litispendance. 
Il s'ensuit que la cour cantonale n'a pas violé le droit et que le grief de la recourante doit être rejeté. 
 
4.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté. La recourante, qui succombe, prendra à sa charge les frais de la procédure et versera une indemnité de dépens à l'intimée (art. 66 al. 1 et 68 al. 1-2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr. sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera une indemnité de 3'500 fr. à l'intimée à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal du canton du Jura. 
 
 
Lausanne, le 17 octobre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
Le Greffier : Botteron