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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
{T 0/2} 
 
1B_226/2016  
   
   
 
 
 
Arrêt du 15 septembre 2016  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président, 
Merkli et Kneubühler. 
Greffière : Mme Sidi-Ali. 
 
Participants à la procédure 
 A.________, 
 B.________, 
tous les deux représentés par Me Raphaël Treuillaud, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
 C.X.________ SA, en liquidation, représentée par Me Vincent Jeanneret, avocat, 
 D.________, représenté par Me François Micheli, avocat, 
intimés, 
 
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
procédure pénale; capacité de postuler de l'avocat, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale 
de recours, du 17 mai 2016. 
 
 
Faits :  
 
A.   
Dès la fin de l'année 2008, B.________ a été, en qualité de représentant de l'actionnaire unique, président du conseil d'administration de la compagnie d'assurance-vie C.Y.________ SA, dont la direction générale était assurée par D.________. C.Y.________ SA a été déclarée en faillite le 15 décembre 2014. A la suite d'une dénonciation de la FINMA et d'une plainte de C.X.________ SA en liquidation, le Ministère public a ouvert une procédure pénale contre B.________ et D.________, qui ont été mis en prévention pour gestion déloyale avec dessein d'enrichissement illégitime. 
Le 1er octobre 2015, B.________ a mandaté l'avocat A.________ pour la défense de ses intérêts, aux côtés de l'avocat F.________, constitué le 29 avril 2015. Les deux conseils ont assisté leur client lors des audiences qui se sont déroulées devant le Ministère public les 7, 14 et 28 octobre 2015. Lors de l'audience du 7 octobre 2015, le représentant de C.X.________ SA en liquidation a relevé que A.________ avait été l'avocat de la société par le passé et a estimé qu'il en résultait un potentiel conflit d'intérêts. 
 
B.   
Par décision du 3 novembre 2015, le Ministère public a fait interdiction à A.________ de représenter B.________ dans la procédure en cours, ce avec effet immédiat. Statuant sur recours de A.________, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève a confirmé cette décision par arrêt du 17 mai 2016. 
 
C.   
A.________ et B.________ recourent contre cette décision auprès du Tribunal fédéral. Ils demandent l'annulation de l'arrêt attaqué et à ce qu'il soit dit que A.________ peut assister B.________ dans la procédure précitée. 
Le Ministère public et le Tribunal cantonal se réfèrent à leurs décisions respectives. C.X.________ SA en liquidation conclut au rejet du recours. Les recourants ne répliquent pas. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF) et qui touche les recourants dans leurs intérêts juridiquement protégés (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF), le recours est recevable comme recours en matière pénale. 
La décision attaquée constitue une décision incidente pour le prévenu (arrêts 1B_358/2014 12 décembre 2014; 4A_140/2013 du 4 juillet 2013 consid. 1.1; 1B_420/2011 du 21 novembre 2011 consid. 1.2). Le recours en matière pénale n'est donc recevable que si la décision entreprise est susceptible de causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 133 IV 335 consid. 4; 129 I 129 consid. 1.1). Cette hypothèse doit être admise pour le prévenu qui se voit privé définitivement de la possibilité de librement choisir son avocat (arrêt 1B_358/2014 du 12 décembre 2014 consid. 2). Le recours de l'avocat est également recevable, la décision attaquée présentant, pour lui, un caractère final. 
 
2.   
Les recourants contestent que la direction de la procédure au sens de l'art. 61 CPP serait compétente pour interdire à l'avocat de choix du prévenu d'exercer son mandat. 
L'autorité en charge de la procédure statue d'office et en tout temps sur la capacité de postuler d'un mandataire professionnel (ATF 141 IV 257 consid. 2.2 p. 261; arrêt 1B_149/2013 du 5 septembre 2013 consid. 2.4.2; cf. également ATF 138 II 162 consid. 2.5.1 p. 167). En effet, l'interdiction de postuler dans un cas concret - à distinguer d'une suspension provisoire ou définitive - ne relève en principe pas du droit disciplinaire, mais du contrôle du pouvoir de postuler de l'avocat (ATF 138 II 162 consid. 2.5.1 p. 168). Les recourants se réfèrent eux-mêmes à l'art. 62 CPP qui prévoit que la direction de la procédure ordonne les mesures nécessaires au bon déroulement et à la légalité de la procédure. Or, la question de savoir si l'avocat doit se départir de son mandat en vertu, notamment, de la loi du 23 juin 2000 sur la libre circulation des avocats (Loi sur les avocats, LLCA; RS 935.61) relève précisément de la légalité de la procédure et de son bon déroulement. A cet égard, les recourants se méprennent lorsqu'ils considèrent que la décision attaquée limite l'interdiction de représentation aux audiences, l'avocat étant en l'espèce au contraire interdit de représenter son client dans toute la procédure, quelles que soient les démarches que cela implique. 
 
3.  
 
3.1. Dans les règles relatives aux conseils juridiques, l'art. 127 al. 4 CPP réserve la législation sur les avocats. L'art. 12 let. c LLCA prescrit à l'avocat d'éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé. Cette règle est en lien avec la clause générale de l'art. 12 let. a LLCA, selon laquelle l'avocat exerce sa profession avec soin et diligence, de même qu'avec l'obligation d'indépendance rappelée à l'art. 12 let. b LLCA (ATF 141 IV 257 consid. 2.1 p. 260; 134 II 108 consid. 3 p. 109 s.).  
L'avocat a notamment le devoir d'éviter la double représentation, c'est-à-dire le cas où il serait amené à défendre les intérêts opposés de deux parties à la fois (ATF 135 II 145 consid. 9.1 p. 154; 134 II 108 consid. 3 p. 110 et les références), car il n'est alors plus en mesure de respecter pleinement son obligation de fidélité et son devoir de diligence envers chacun de ses clients (ATF 141 IV 257 consid. 2.1 p. 260; arrêt 2C_688/2009 du 25 mars 2010 consid. 3.1, in SJ 2010 I p. 433). Il y a violation de l'art. 12 let. c LLCA lorsqu'il existe un lien entre deux procédures et que l'avocat représente dans celles-ci des clients dont les intérêts ne sont pas identiques. Il importe peu en principe que la première des procédures soit déjà terminée ou encore pendante, dès lors que le devoir de fidélité de l'avocat n'est pas limité dans le temps (ATF 134 II 108 consid. 3 p. 110 et les références). Il y a conflit d'intérêts au sens de l'art. 12 let. c LLCA dès que survient la possibilité d'utiliser, consciemment ou non, dans un nouveau mandat les connaissances acquises antérieurement sous couvert du secret professionnel, dans l'exercice d'un premier mandat. Il faut éviter toute situation potentiellement susceptible d'entraîner un tel conflit d'intérêts (arrêts 5A_967/2014 du 27 mars 2015 consid. 3.3.2; 2C_885/2010 du 22 février 2011 consid. 3.1; 2P.297/2005 du 19 avril 2006 consid. 4.1). Un risque purement abstrait ou théorique ne suffit pas, le risque doit être concret. Ainsi, dès qu'un conflit d'intérêts survient et que ses clients se trouvent opposés l'un à l'autre, l'avocat doit arrêter de les représenter (cf. ATF 135 II 145 consid. 9.1 p. 154 s.; 134 II 108 consid. 4.2.1 p. 112). 
Une prudence particulière doit s'imposer à l'avocat en raison des apparences créés à l'égard de l'ancien client qui peut légitimement ressentir une impression de trahison de la part de son ancien conseil (MICHEL VALTICOS, Commentaire Romand, in VALTICOS/ REISER/CHAPPUIS (édit.), Commentaire romand, Loi sur les avocats, 2009, n° 176 ad art. 12 LLCA).  
 
3.2. En l'occurrence, les faits constatés par la cour cantonale qui concrétiseraient le conflit d'intérêt sont les suivants. L'avocat a bénéficié, durant près de six ans, de mandats variés et réguliers de la part de C.Y.________ SA. Il a ensuite, durant près d'un an - et jusqu'à moins d'un an avant sa constitution dans la présente affaire -, fourni des services de domiciliation à la société, ce qui était de nature à mettre à sa portée des informations sur le fonctionnement interne de la faillie auxquelles un autre mandataire n'aurait pas eu accès. Au jour de sa constitution, l'avocat recourant détenait du reste encore une créance à l'encontre de la faillie, cette créance n'ayant été cédée que par la suite. Dans ces circonstances, on peut certes admettre, avec les recourants et à l'instar de ce qu'ont constaté les premiers juges, qu'il n'est en l'état pas établi que le mandataire disposerait d'informations allant au-delà de ce que pourrait lui communiquer son client. Il n'en demeure pas moins que l'avocat recourant a été en contact avec la société faillie par l'intermédiaire d'autres personnes que son seul client, qu'il a ainsi pu prendre connaissance d'informations - délibérément ou non - allant au-delà de ce que ce dernier aurait pu lui communiquer, ce peu de temps encore avant la constitution de son mandat, et qu'il existe ainsi un risque de conflit d'intérêts concret, ce même si un tel risque devait finalement ne pas se matérialiser. Au demeurant, les recourants prêtent eux-mêmes à la décision attaquée l'effet d'obliger "le prévenu à mandater pour l'assister en audience un avocat ayant une moins bonne connaissance de son dossier", alors qu'il ne peut y avoir absence de conflit d'intérêts que si les connaissances de l'avocat recourant ne vont pas au-delà de ce qu'un autre mandataire pourrait savoir. Enfin, comme l'a relevé la cour cantonale, la succession de C.X.________ SA en liquidation à la société C.Y.________ SA ne change rien, sur le fond, au risque de conflit d'intérêts. Dans ces circonstances, l'interdiction faite à l'avocat recourant de représenter son client et consort dans la procédure dirigée contre celui-ci, sur plainte notamment de C.X.________ SA en liquidation, est justifiée.  
 
4.   
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté, aux frais de ses auteurs, qui succombent. Ceux-ci verseront par ailleurs des dépens à l'intimée C.X.________ SA en liquidation, qui a agi par l'intermédiaire d'un avocat. 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
Les recourants verseront à l'intimée C.X.________ SA en liquidation le montant de 1'000 fr. à titre de dépens. 
 
3.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours. 
 
 
Lausanne, le 15 septembre 2016 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Fonjallaz 
 
La Greffière : Sidi-Ali