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[AZA 3] 
 
4C.167/2000 
 
Ie COUR CIVILE 
**************************** 
 
28 septembre 2000 
 
Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz, 
juges. Greffier: M. Ramelet. 
 
__________ 
 
Dans la cause civile pendante 
entre 
Martial Vincent, à Vallamand, demandeur et recourant, représenté par Me Robert Liron, avocat à Yverdon-les-Bains, 
 
et 
Mobilière Suisse, Société d'assurances, à Berne, défenderesse et intimée, représentée par Me Baptiste Rusconi, avocat àLausanne; 
(responsabilité civile du détenteur de véhicule automobile) 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent 
les faits suivants: 
 
A.- a) Martial Vincent, né le 17 mai 1954, exerce la profession d'agriculteur à Vallamand. Marié et père de trois enfants, il a collaboré jusqu'à la fin 1990 à l'exploitation du domaine de son père, puis s'est vu confier la responsabilité du domaine, qu'il a exploité depuis lors en qualité d'indépendant. 
 
Le 3 octobre 1984, Robert Durussel, dont la responsabilité civile de détenteur est couverte par la Mobilière Suisse, Société d'assurances (ci-après: la Mobilière), a perdu la maîtrise de son automobile sur la route reliant Vallamand-Dessus à Payerne et heurté de plein fouet la voiture venant en sens inverse, conduite par Martial Vincent, lequel a été grièvement blessé. Martial Vincent, qui ne portait pas de ceinture de sécurité, a souffert d'un traumatisme crânio-cérébral, d'une fracture ouverte multifragmentaire de la mandibule, de fractures médio-diaphysaires multifragmentaires des deux fémurs ainsi que d'une fracture du péroné droit; il a dû subir de multiples opérations, longues et douloureuses, qui ont nécessité son hospitalisation à plusieurs reprises. 
 
Il a été retenu que Durussel, asthmatique à l'époque de l'accident, a perdu la maîtrise de son véhicule à la suite d'une quinte de toux qui a entraîné une perte de conscience momentanée. Il a été libéré au pénal de l'accusation de lésions corporelles graves par négligence. 
 
b) Après l'accident, en raison de la faiblesse musculaire de ses jambes, Martial Vincent a dû progressivement abandonner l'élevage du bétail dans les années 1985-1986. Il n'a en outre plus exercé son activité accessoire de chauffeur poids lourds, qui lui procurait quelques milliers de francs par an. Enfin, il a abandonné sa charge de municipal. 
 
Martial Vincent a été incapable de travailler à 100 % du 3 octobre 1984 jusqu'en avril 1985, à 75 % depuis lors qu'au 29 novembre 1986, à nouveau à 100 % du 30 novembre 1986 au 1er février 1987, à 75 % du 2 février 1987 jusqu'au 31 mars 1987, et, enfin, à 50 % depuis le 1er avril 1987. Il a été mis au bénéfice d'une rente entière de l'assurance-invalidité depuis 1985, puis d'une demi-rente depuis le 1er janvier 1991. 
 
c) En octobre 1991, le conseil de Martial Vincent a confié une expertise à l'Office d'estimation de la Chambre vaudoise d'agriculture, lequel a mandaté l'expert Olivier David. Dans son rapport du 19 février 1992, celui-ci s'est efforcé de déterminer le revenu potentiel du domaine de Martial Vincent selon deux hypothèses de départ, la première tenant compte de l'orientation ancienne du domaine incluant l'élevage du bétail (Variante dite B) et la seconde (Variante dite A) retraçant l'orientation actuelle qu'a pris l'exploitation après que l'agriculteur a dû renoncer à élever du bétail. 
L'expert David a calculé les marges brutes des différentes branches de production (blé d'automne, orge d'automne, betteraves à sucre, oignons, etc.) en se fondant notamment sur le Dépouillement des données comptables pour la Suisse romande de la FAT, Station fédérale de recherches en économie d'entreprise et en génie rural, à Tänikon, puis il a soustrait du total les charges réelles de structure (frais de machines, de main d'oeuvre, d'amortissements, intérêts des dettes, etc.). Dans la Variante A, le revenu agricole a été fixé à 71 392 fr., alors que celui de la Variante B a été arrêté à 112 506 fr. L'expert a conclu que la modification de la structure de son exploitation, surtout par l'abandon du bétail, a fait subir à Martial Vincent pour l'année 1991 une perte de revenu agricole d'environ 41 000 fr., ce qui représente 36,5 % du revenu potentiel. 
 
d) Le 21 août 1992, Martial Vincent a ouvert action contre la Mobilière et lui a réclamé paiement de 778 743 fr.40 en capital. Il a par la suite réduit ses conclusions à 678 743 fr.40 après paiement d'un acompte de 100 000 fr., qui s'ajoutait à un précédent versement de 82 000 fr. opéré par la défenderesse avant procès. Le demandeur a décomposé ses prétentions de la manière suivante: 
"- Perte de gain future Fr. 773'502.-- - Inv. supplémentaires (mécanisation) Fr. 82'500.-- - Perte de gain accessoire future Fr. 80'000.-- - Frais suppl. (exemption armée et pompiers) Fr. 3'260.-- - Frais de transport Fr. 7'595. 40 - Indemnités aux tiers accompagnateurs Fr. 1'260.-- - Traitements dentaires futurs Fr. 4'176.-- - Frais de cure futurs Fr. 83'520.-- - Tort moral Fr. 50'000.-- soit au total Fr.1'085'813. 40 
Dont à déduire- acomptes versés par la défenderesse Fr. 182'000.--- prétentions récursoires AI du chef de 
 
ses prestations futures Fr. 225'070.-- soit un total net en capital de Fr. 678'743. 40". 
 
 
En cours d'instance, l'expert comptable et fiscal Jean-David Monribot a été chargé d'une expertise judiciaire; il a déposé son rapport le 29 juin 1995, suivi d'un complément le 23 septembre 1996. Selon l'expert, dès lors que le demandeur est seul responsable de l'exploitation depuis le 1er janvier 1991, c'est, à défaut de comptabilité, sur la base des taxations fiscales liées à l'exploitation de l'ensemble du domaine, effectuées au regard de normes de revenu social tirées des statistiques FAT, qu'il convient de déterminer les revenus du domaine. Se fondant sur les statistiques FAT 1989/1991 et sur celles 1991/1993, l'expert Monribot a arrêté le revenu de l'exploitation selon l'orientation nouvelle (avec abandon du bétail, Variante A) à 71 392 fr. pour la première période et à 57 858 fr. pour la seconde; selon l'orientation ancienne (avec maintien de la production laitière, Variante B), il a estimé ce même revenu à 112 506 fr. 
(FAT 1989/1991) et 59 486 fr. (FAT 1991/1993). A suivre Monribot, la différence de revenu entre les deux variantes, déterminée sur une base statistique, atteint ainsi 41 114 fr. 
pour la période 1989/1991 et 1628 fr. pour la période 1991/1993. 
 
Un second expert a été commis pendant l'instruction, à savoir Michel Nicolet, d'Audict Fiduciaire S.A., lequel a déposé son rapport le 13 juin 1998. Au regard des normes FAT 1991/1993, cet expert a déterminé le revenu de l'exploitation à 50 921 fr. selon la Variante A et à 90 070 fr. selon la Variante B, d'où une différence de 39 149 fr. 
 
En procédure, le demandeur a admis que ses prétentions en réparation du préjudice découlant de son incapacité temporaire de travail avaient été couvertes par les prestations de l'assurance-invalidité jusqu'au 31 décembre 1990. 
 
La défenderesse a conclu à libération. 
 
B.- Par jugement du 27 avril 1999, dont les considérants ont été notifiés le 6 avril 2000, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a rejeté les conclusions du demandeur. 
Admettant qu'aucun des détenteurs impliqués dans l'accident n'avait commis de faute, la cour cantonale a jugé, en substance, que, nonobstant l'identité des risques inhérents à l'emploi des deux véhicules, la circonstance que Durussel se soit porté sur la gauche de la chaussée en raison d'une perte de conscience justifiait que la défenderesse supporte l'entier du dommage subi par le demandeur. Faisant application de l'art. 46 al. 1 CO, les magistrats vaudois ont considéré que le demandeur n'avait pas établi l'existence d'une perte de gain indemnisable, actuelle ou future, ni d'une atteinte à son avenir économique. Si les juges cantonaux ont rejeté entièrement les prétentions du demandeur tendant à l'octroi d'une "perte de gain accessoire future", à l'indemnisation du dommage découlant de l'obligation de payer des taxes d'exemption ainsi qu'au paiement de "frais de cure futurs", ils lui ont octroyé 82 500 pour les investissements en machines supplémentaires rendus nécessaires par son handicap physique, 8500 fr. pour les frais de déplacement qu'il a consentis et les indemnités qu'il a versées aux conducteurs qui l'ont pris en charge, 2400 fr. pour les traitements dentaires qui lui ont été prodigués entre 1984 et 1994, montant ramené à 1600 fr. en raison du défaut de port de la ceinture de sécurité (art. 59 al. 2 LCR), et, enfin, 25 000 fr. pour le tort moral éprouvé, somme ramenée à 23 750 fr. après réduction de 5 % pour l'omission de porter ladite ceinture, d'où un total de 116 350 fr. (82 500 fr. + 8500 fr. + 1600 fr. + 23 750 fr.). Toutefois, comme la défenderesse a versé un premier acompte de 82 000 fr. avant l'introduction du procès, suivi d'une second acompte de 100 000 fr. en cours d'instance, l'autorité cantonale a admis qu'en payant les deux montants précités, la défenderesse avait déjà satisfait à ses obligations, même compte tenu d'un intérêt compensatoire de 5 % l'an depuis la date de l'accident. 
 
C.- Martial Vincent exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral, subsidiairement un recours en nullité. 
Il conclut principalement que la défenderesse soit condamnée à lui payer 488 530 fr. plus intérêts à 5 % dès le 21 août 1992. A titre subsidiaire, il requiert l'admission de son recours en nullité, l'annulation du jugement déféré et le renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
L'intimée propose le rejet du recours. 
 
Considérantendroit : 
 
1.- a) Le recourant interjette, par un mémoire unique, un recours en réforme et, subsidiairement, un recours en nullité. Selon la jurisprudence, cette manière de procéder est admissible (ATF 126 I 50 consid. 1; 123 II 289 consid. 1a p. 290). En vertu de la subsidiarité du recours en nullité par rapport au recours en réforme (art. 68 al. 1 in initio OJ), il convient ainsi d'examiner préalablement si la voie de la réforme est en l'occurrence ouverte, question que le Tribunal fédéral examine d'office et librement (ATF 126 I 81 consid. 1; 126 III 274 consid. 1; 125 III 461 consid. 2). 
 
Interjeté par la partie qui a intégralement succombé dans ses conclusions en paiement et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la valeur litigieuse dépasse largement le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ), le recours en réforme est recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ). 
 
b) Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ). 
 
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a et les arrêts cités). Dans la mesure où le recourant présenterait un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée sans se prévaloir de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte. 
Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). 
 
Si le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties, lesquelles ne peuvent prendre de conclusions nouvelles (art. 55 al. 1 let. b in fine OJ), il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), pas plus que par ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a; 123 III 246 consid. 2). 
 
2.- a) L'accident survenu le 3 octobre 1984 résulte de la collision entre deux voitures automobiles pilotées par leurs détenteurs, laquelle a causé des lésions corporelles. Comme l'a bien vu l'autorité cantonale, l'art. 61 LCR est applicable. 
 
 
Selon le premier alinéa de cette disposition, le dommage corporel subi par un détenteur sera supporté par les détenteurs de tous les véhicules automobiles impliqués, en proportion de leur faute, à moins que des circonstances spéciales, notamment les risques inhérents à l'emploi du véhicule, ne justifient un autre mode de répartition. Ce texte légal tend ainsi à mettre la faute au premier plan lors de la répartition des dommages entre détenteurs (Message du Conseil fédéral du 14 novembre 1973, in: FF 1973 II p. 1168/1169). Mais, si aucun des détenteurs ne peut se voir reprocher une faute, c'est le risque inhérent de chaque véhicule impliqué dans l'accident qui permettra de répartir les responsabilités. Le principe est que chacun supporte son propre dommage en tant que le préjudice résulte du risque inhérent attaché à son automobile. La jurisprudence a cependant admis que d'autres circonstances, principalement celles qui sont mentionnées à l'art. 61 al. 2LCR, autorisent un partage différent des responsabilités; il s'agit de l'incapacité passagère de discernement du conducteur ou de la défectuosité du véhicule non imputable à faute au détenteur (ATF 123 III 274 consid. 1a/bb p. 279). Le Tribunal fédéral a encore précisé que si de telles circonstances, en compagnie des risques spécifiques, doivent jouer un rôle dans la responsabilité civile entre les divers détenteurs de véhicules automobiles, elles ne peuvent justifier une responsabilité exclusive d'un des détenteurs que tout au plus dans des cas exceptionnels, par exemple si un détenteur circule sur la gauche de la chaussée à la suite d'une perte de conscience ou d'une rupture de direction (ATF 123 III 274 ibidem et les références doctrinales). 
 
 
L'examen des circonstances, au sens de l'art. 61 al. 1 LCR, fait largement appel au pouvoir d'appréciation du juge. Le Tribunal fédéral contrôle certes librement la décision rendue dans l'exercice de ce pouvoir, mais il ne la revoit qu'avec réserve (ATF 123 III 274 consid. 1a/cc); il n'intervient que si l'autorité cantonale s'est écartée sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation ou lorsqu'elle s'est appuyée sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle ou, à l'inverse, lorsqu'elle n'a pas tenu compte d'éléments qui auraient absolument dû être pris en considération (cf. ATF 123 III 246 consid. 6a p. 255, 274 consid. 1a/cc; 122 III 262 consid. 2a/bb). 
 
b) Les constatations de la cour cantonale relatives aux circonstances et aux causes de l'accident relèvent de l'appréciation des preuves; elles ressortissent au fait et lient la juridiction fédérale de réforme (art. 55 al. 1 let. c OJ). L'appréciation de la faute est en revanche une question de droit que le Tribunal fédéral revoit sans entrave (ATF 115 II 283 consid. 1a in fine). 
 
 
En l'espèce, la Cour civile a retenu que le demandeur, détenteur lésé, alors que le fardeau de la preuve lui incombait (art. 8 CC), n'avait pas établi que le conducteur Durussel, libéré des fins de l'action pénale diligentée à son endroit, ait commis une quelconque faute. Elle a encore constaté que la défenderesse n'avait jamais prétendu que le lésé aurait été lui-même en faute. Ces points ne sont à bon droit plus discutés et sont donc acquis. 
 
Confrontée à l'absence de faute des détenteurs et en présence de risques inhérents semblables (deux voitures), la Cour civile a pourtant fait supporter l'entier du préjudice subi par le demandeur à la défenderesse, au motif que l'assuré de celle-ci s'était porté sur la gauche en raison d'une perte de conscience, ce qui constituait un cas exceptionnel au sens de la jurisprudence susrappelée. Quoi qu'en pense l'intimée, ce raisonnement ne viole en rien le droit fédéral. Le fait pour un détenteur de se déporter sur la gauche de la route à cause d'une absence passagère de discernement constitue bel et bien une circonstance spéciale telle que l'entend l'art. 61 al. 1 LCR. L'opinion des auteurs cités dans l'ATF 123 III 274 consid. 1a/bb in fine (cf. 
Alfred Keller, Haftpflicht im Privatrecht, vol. II, 1ère éd., p. 169 s.; Jürg Baur, Kollision der Gefährdungshaftung gemäss SVG mit anderen Haftungen, thèse Zurich 1979, p. 82, ch. 3), qui se réfèrent tous deux à une telle occurrence, doit être suivie. Il est vrai que dans ce précédent, où un camion de lait de 12 tonnes, dont les freins avaient été mal réglés, a dévié sur la gauche pour percuter une jeep de 2 tonnes venant en sens inverse, le Tribunal fédéral a jugé que l'autorité cantonale n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation en ne faisant supporter au détenteur du camion que le 90 % du dommage. Mais, comme le relève avec pertinence Alfred Keller (Haftpflicht im Privatrecht, vol. II, 2e éd, p. 194) en commentant cette jurisprudence, cela ne signifie nullement que le Tribunal fédéral aurait sanctionné la cour cantonale si elle avait admis l'entière responsabilité du détenteur du poids lourd. 
 
3.- a) D'après l'art. 46 al. 1 CO, la victime de lésions corporelles a droit à la réparation du dommage qui résulte de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l'atteinte portée à son avenir économique. 
 
Le recourant déclare d'emblée qu'il n'entend plus contester devant le Tribunal fédéral que les décisions de la cour cantonale relatives à ses prétentions en indemnisation de la perte de gain future et en réparation du tort moral. 
Qu'il lui en soit donné acte. 
 
b) Le dommage est une diminution involontaire de la fortune nette. Il peut consister en une réduction de l'actif, en une augmentation du passif ou dans un gain manqué; il correspond à la différence entre le montant actuel du patrimoine et le montant que celui-ci aurait atteint si l'événement dommageable ne s'était pas produit (ATF 120 II 296 consid. 3b; 116 II 44 consid. 3a/aa). Dire qu'il y a eu dommage et quelle en est la quotité est une question de fait, soustraite à l'examen du Tribunal fédéral en instance de réforme (ATF 123 III 241 consid. 3a; 122 III 61 consid. 2c/bb; 122 III 219 consid. 3b). C'est en revanche une question de droit que de déterminer si le juge a perdu de vue l'exigence d'un dommage au sens juridique ou a méconnu le sens de cette notion pour s'être fondé sur des critères erronés ou dénués de pertinence pour calculer le préjudice (cf. ATF 120 II 296 consid. 3b et les références). 
 
4.- a) A propos du dommage futur allégué par le recourant, les magistrats vaudois ont retenu que les experts comptables et agricoles avaient apprécié différemment l'influence sur sa capacité de gain qu'a exercée l'atteinte à la santé dont il a été victime le 3 octobre 1984. Ils ont estimé que la méthode adoptée par l'expert Monribot était convaincante. 
De fait, pour la période antérieure à 1993 où le demandeur ne tenait pas de comptabilité, ont-ils poursuivi, l'expert s'est référé aux taxations fiscales liées à l'exploitation du domaine, lesquelles s'appuient précisément sur les normes de revenu social tirées des statistiques FAT, normes que les autres experts ont privilégiées sans pourtant les relier aux revenus imposés par le fisc. S'agissant de la période 1993/1994, l'expert Monribot a encore intégré à ses calculs les comptes établis par le demandeur. Dès lors que les méthodes de calcul des autres experts étaient trop abstraites, ce sont les données fournies par l'expert Monribot qui permettent mieux de cerner l'évolution des revenus tirés de l'exploitation. Or, depuis que le demandeur a dû abandonner l'élevage de bétail et la culture des pommes de terre dites de "consommation", les revenus cumulés du domaine suivent une tendance haussière, l'écart entre la variante B (orientation ancienne) et la variante A (orientation nouvelle) étant passé de 41 114 fr. pour la période 1989/1991 à 1628 fr. pour la période 1991/1993. La Cour civile en a déduit que cette évolution donne à penser que l'orientation actuelle de la production peut se révéler à long terme plus profitable que celle qui prévalait avant l'accident, de sorte qu'elle a admis que le demandeur n'a pas établi l'existence d'une perte de gain future. 
 
b) Le recourant élève plusieurs critiques contre le raisonnement de l'autorité cantonale, lesquelles seront examinées successivement. Il convient toutefois de lui rappeler que l'appréciation in concreto de la valeur probante d'une expertise ressortit au fait et ne peut donc pas être revue en instance de réforme (ATF 98 II 265 consid. II/2). Certes, lorsqu'il est saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral peut rechercher si l'expert s'est laissé guider par des critères juridiquement erronés. Mais, il n'appartient pas à la juridiction fédérale de réforme de vérifier si l'expert a correctement appliqué les méthodes de calcul propres à sa spécialité et non critiquables en droit (ATF 107 II 222 consid. 
II/2; arrêt non publié du 20 octobre 1986 dans la cause C.175/1986, consid. 1b). 
 
aa) Le recourant reproche à la Cour civile d'avoir accordé une importance particulière aux conclusions de l'expert Monribot. La méthode suivie par ce spécialiste ne serait pas correcte. Au lieu de se fonder sur les déclarations et taxations fiscales du demandeur ainsi que sur la comptabilité tenue par celui-ci dès 1993, Monribot aurait dû comparer entre elles les normes FAT applicables aux exploitations sans bétail (désignées par les experts Variante A) et les normes applicables aux exploitations avec bétail (dites Variante B), comme l'a fait l'expert Nicolet. A suivre le recourant, les chiffres de sa comptabilité ne sont qu'un des éléments qu'il y a lieu de prendre en compte pour apprécier le préjudice futur. Les termes de comparaison que l'expert Monribot a tirés des normes FAT seraient inopérants, car ces normes ne souffrent d'être rapprochées qu'entre elles. 
 
In casu, l'autorité cantonale a préféré l'opinion de l'expert Monribot à d'autres avis de spécialistes parce qu'elles se fondait sur des données d'espèce précises, et non pas uniquement sur des éléments fournis par la statistique. 
On cherche vainement en quoi, par ce choix, elle aurait pu violer le droit fédéral. En effet, le juge doit rechercher le dommage qu'a effectivement subi le lésé, ce qui signifie qu'il ne saurait se limiter à calculer abstraitement le préjudice, sans tenir compte des conditions personnelles de la victime (cf. ATF 117 II 609 consid. 9 p. 624; 113 II 345 consid. 1a p. 347). C'est précisément ce qu'a fait l'expert Monribot; pour déterminer l'évolution des revenus du domaine selon les variantes dites A et B, celui-ci s'est fondé, pour les années 1989 à 1992 où le demandeur ne tenait pas encore de comptabilité, sur les déclarations et taxations fiscales du recourant, lesquelles sont établies à partir des normes de revenu social déduites des statistiques FAT, et, pour 1993, sur les chiffres de la comptabilité du lésé. Cette méthode, qui tend à délimiter au mieux le préjudice qu'a réellement éprouvé la victime, ne saurait être qualifiée de juridiquement erronée. Du reste, le recourant reconnaît implicitement que le schématisme des données statistiques ne permet pas de rendre compte de son préjudice lorsqu'il allègue, à la page 8 de son mémoire de recours, que ses revenus "n'ont évidemment pas suivi au franc près l'évolution des normes FAT". Le grief, en tant qu'il ne relève pas de l'appréciation des preuves, est dénué de fondement. 
 
bb) Le recourant soutient que les entreprises qui ont continué l'élevage du bétail et la vente du lait sont demeurées plus prospères que les autres, malgré les soubresauts qu'a connus la politique agricole suisse. La cour cantonale aurait mis en doute cette thèse, sans être en mesure de justifier cette appréciation. 
 
Le moyen n'a rien à faire dans un recours en réforme. 
Le recourant ne se plaint pas d'une fausse application du droit fédéral, mais s'en prend de manière irrecevable aux motifs de la décision attaquée. A supposer qu'il invoque l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, déduite du droit d'être entendu, il se prévaudrait alors d'un droit de rang constitutionnel qu'il aurait dû présenter à l'appui d'un recours de droit public (art. 43 al. 1 in fine OJ). Le moyen est du reste téméraire, car la Cour civile a expliqué, in fine de son considérant III, que de nombreux agriculteurs ont renoncé à l'élevage du bétail en raison des coûts importants de main d'oeuvre générés par cette activité. 
 
cc) Le recourant prétend que c'est à tort que l'expert Monribot a pris en compte dans ses calculs les charges de structure d'un domaine qui est exploité par son propriétaire. 
A l'en croire, les charges devaient être appréciées sous l'angle du statut de fermier, dont il assure avoir toutes les caractéristiques. 
 
Le moyen se heurte d'emblée aux constatations souveraines des magistrats vaudois, qui ont retenu que, depuis 1991, le demandeur a la responsabilité du domaine, qu'il exploite désormais en qualité d'indépendant. A cela s'ajoute qu'appelé à se déterminer sur les constatations de l'expert David qui préconisait l'emploi en l'espèce des charges de structure valables pour les fermiers, l'expert Monribot a indiqué, dans son rapport d'expertise complémentaire du 23 septembre 1996, que l'usage de ces normes statistiques conduisait à un écart de plus de 21 % avec les charges comptabilisées en 1993 par le demandeur, alors que l'emploi des statistiques "pour propriétaire" donnait un résultat ne s'éloignant que de 1,47 % des charges résultant des comptes 1993 du demandeur. La méthode utilisée par l'expert Monribot ne prête donc nullement le flanc à la critique. Le grief est privé de tout fondement, si tant est qu'il soit recevable. 
 
5.- a) L'autorité cantonale a considéré que le principe de l'allocation au demandeur d'une indemnité pour tort moral était justifié, au vu des opérations longues et douloureuses qu'il a subies, ainsi que des séquelles durables dont il souffre toujours. Elle a cependant jugé, au regard de deux décisions cantonales et d'un arrêt du Tribunal fédéral, que l'indemnité réclamée, par 50 000 fr., était excessive dans les circonstances de l'espèce. Partant, elle a octroyé au recourant la somme de 25 000 fr., montant qu'elle a réduit de 5% en raison de la faute grave constituée par l'omission de porter la ceinture de sécurité. 
 
b) Le recourant est d'avis que l'indemnité de 50 000 fr. qu'il avait requise était admissible. Rappelant qu'il est bénéficiaire d'une demi-rente de l'assurance-invalidité depuis le 1er janvier 1991, il signale que les précédent mentionnés par la Cour civile sont relativement anciens et que la tendance est à l'augmentation du montant des indemnités satisfactoires. 
 
c) Le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles une indemnité équitable à titre de réparation morale (art. 47 CO). Cette indemnité a pour but exclusif de compenser le préjudice que représente une atteinte au bien-être. Le principe d'une indemnisation du tort moral et l'ampleur de la réparation dépendent d'une manière décisive de la gravité de l'atteinte et de la possibilité d'adoucir de façon sensible, par le versement d'une somme d'argent, la douleur physique ou morale (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 315; 118 II 404 consid. 3 b/aa; 116 II 733 consid. 4f; 115 II 156 consid. 2). La fixation de l'indemnité satisfactoire relève de l'appréciation du juge. Il s'agit d'une question de droit qui peut être revue en instance de réforme. Le Tribunal fédéral ne l'examine toutefois qu'avec retenue (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 315; 118 II 404 consid. 3b/bb; 117 II 50 consid. 4a/aa; 116 II 295 consid. 5a). Il n'intervient que lorsque l'autorité cantonale s'écarte sans motifs des critères fixés par la doctrine et la jurisprudence, prend en considération des faits sans pertinence ou, au contraire, ignore ceux qu'elle aurait dû considérer ou encore lorsque, dans son résultat, la somme allouée apparaît manifestement inéquitable ou choquante. Plus spécialement quant au montant, il faut se garder de comparaisons schématiques avec d'autres causes, les circonstances de chaque cas d'espèce étant déterminantes (ATF 123 III 306 consid. 9b p. 315). 
 
 
 
 
d) In casu, les juges cantonaux n'ont pas abusé de leur pouvoir d'appréciation. Ils ont fait état des souffrances endurées par le demandeur, des nombreuses hospitalisations qu'il a subies et des séquelles physiques de l'accident, lesquelles entraînent une réduction de la capacité de travail que les médecins avaient estimée à 50 % en 1990. 
Enfin, le montant alloué par la cour cantonale se tient dans le cadre des indemnités accordées par la jurisprudence fédérale et cantonale en matière d'atteinte permanente à l'intégrité corporelle (cf. les exemples plus ou moins comparables cités par Klaus Hütte/Petra Ducksch, Die Genugtuung, 3e éd., état: février 1999): 
 
- blessure au genou 
fracture du tibia 
risque d'arthrose post-traumatique 
invalidité de 25 à 50% 
(VIII/7 1987-1989, no 21) 16'500 fr. 
- musculature de la jambe gauche 
définitivement atteinte 
douleurs à vie 
invalidité de 50% 
(VIII/9 1990-1994, no 23) 20'000 fr. 
- fracture du tibia et du péroné 
luxation de l'épaule, traumatisme 
crânien, courte amnésie, complications, 
troubles de la mémoire 
invalidité de 25 % 
(VIII/23 1995-1997, no 19b) 25'000 fr. 
- syndrome de type "coup du lapin", 
instabilité de la colonne 
cervicale, douleurs persistantes 
invalidité de 50% dans la profession 
et de 20% dans la tenue du ménage 
(VIII/8 1998 ff., no 17) 30'000 fr. 
 
Il suit de là que l'indemnité de 25 000 fr. octroyée par la Cour civile doit être approuvée. Le Tribunal fédéral confirmera également la réduction de 5% pour faute concomitante du lésé, qui ne fait d'ailleurs l'objet d'aucune critique. 
 
6.- En définitive, le recours en réforme doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, le jugement attaqué étant confirmé. Comme tous les griefs du recourant pouvaient être examinés en instance de réforme, son recours en nullité est irrecevable (art. 68 al. 1 in initio OJ). 
 
Les frais et dépens doivent être mis à la charge du recourant qui succombe (art. 156 al. 1 et art. 159 al. 1 OJ). 
 
Par ces motifs, 
 
le Tribunal fédéral : 
 
1. Déclare le recours en nullité irrecevable; 
 
2. Rejette le recours en réforme dans la mesure où il est recevable et confirme le jugement attaqué; 
 
3. Met un émolument judiciaire de 8000 fr. à la charge du recourant; 
 
4. Dit que le recourant versera à l'intimée une indemnité de 10 000 fr. à titre de dépens; 
 
5. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois. 
 
___________ 
Lausanne, le 28 septembre 2000 ECH 
 
Au nom de la Ie Cour civile 
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE: 
Le Président, 
 
Le Greffier,