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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1B_538/2022  
 
 
Arrêt du 12 juin 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Müller, Juge présidant, 
Merz et Kölz. 
Greffière : Mme Arn. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
3. C.________, 
tous les trois représentés par Me Ludovic Tirelli, avocat, 
recourants, 
 
contre 
 
Ministère public central du canton de Vaud, Division affaires spéciales, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD. 
 
Objet 
Procédure pénale; accès au dossier; irrecevabilité du recours cantonal, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale, du 7 octobre 2022 (677 - PE21.015154-LML). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Une enquête pénale a été ouverte par le Ministère public central, division affaires spéciales (ci-après: le Ministère public), à la suite d'une intervention de police survenue le 30 août 2021 à Morges, durant laquelle le policier D.________ a tiré au moyen d'une arme à feu sur E.________, qui est décédé.  
 
A.b. Dans le cadre de cette procédure, F.________, G.________ et H.________, policiers ayant pris part à l'intervention du 30 août 2021, ont été entendus, une première fois le jour des faits, puis une seconde fois au mois de juin 2022, en qualité de personnes appelées à donner des renseignements. Les trois policiers ont demandé un accès limité au dossier, soit obtenir chacun une copie de leur procès-verbal d'audition devant le Ministère public.  
 
A.c. Le 1er juillet 2022, B.________, A.________ et C.________ ont requis l'extension de la procédure et la mise en prévention de D.________, F.________, G.________ et H.________ pour omission de prêter secours au sens de l'art. 128 CP. Par courrier du 11 juillet 2022, le Procureur a répondu à cette requête en indiquant qu'il estimait qu'il était prématuré de statuer et qu'il se déterminerait sur la suite à lui donner à l'issue des prochaines auditions.  
 
A.d. Par ordonnance du même jour, le Ministère public a octroyé à F.________, G.________ et H.________ l'accès limité au dossier, soit pour chacun à leurs propres déclarations devant le Ministère public.  
 
B.  
Par arrêt du 7 octobre 2022, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois (ci-après: la cour cantonale ou le Tribunal cantonal) a déclarée irrecevable le recours interjeté conjointement par B.________, A.________ et C.________ contre l'ordonnance du 11 juillet 2022 en leur niant la qualité pour recourir. 
 
C.  
Par acte du 20 octobre 2022, B.________, A.________ et C.________ forment un recours en matière pénale contre cette décision en concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l'instance précédente pour qu'elle examine au fond le recours formé le 13 juillet 2022 contre l'ordonnance du 11 juillet 2022. 
Invités à se déterminer sur le recours, le Tribunal cantonal se réfère à ses considérants tandis que le Ministère public conclut au rejet du recours. Les recourants maintiennent leurs conclusions. 
Par ordonnance du 10 novembre 2022, la Juge présidant de la Ire Cour de droit public du Tribunal fédéral a admis la requête d'effet suspensif et de mesures provisionnelles présentée par les recourants tendant à ce qu'interdiction soit faite au Ministère public central de remettre aux policiers concernés une copie de leur procès-verbal d'audition. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours est dirigé contre une décision d'irrecevabilité prise en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF) dans le cadre d'une procédure pénale. Le recours en matière pénale, au sens de l'art. 78 al. 1 LTF, est donc en principe ouvert. 
De nature incidente, l'ordonnance entreprise ne met pas un terme à la procédure pénale. Le recours au Tribunal fédéral n'est dès lors en principe recevable qu'en présence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Cela étant, lorsque le recours est formé contre une décision d'irrecevabilité, cette situation équivaut, sous l'angle de la recevabilité, à un déni de justice formel. Le recours sur ces points particuliers est donc ouvert indépendamment d'un préjudice irréparable (ATF 143 I 344 consid. 1.2; arrêt 1B_550/2021 du 13 janvier 2022 consid. 1). 
Pour le surplus, l'auteur d'un recours déclaré irrecevable en instance cantonale a qualité, au sens de l'art. 81 LTF, pour contester ce prononcé (arrêt 1B_370/2019 du 4 octobre 2019 consid. 1.1). Le recours a en outre été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue par une autorité statuant en tant que dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF). 
 
2.  
Les recourants considèrent que la qualité pour recourir leur a été déniée à tort en violation de l'art. 382 CPP en relation avec l'art. 101 CPP. Ils invoquent notamment l'arrêt 1B_340/2017 du Tribunal fédéral. Ils affirment avoir, à l'appui de la recevabilité de leur recours cantonal, invoqué le risque de collusion. Ils expliquent en particulier avoir déposé une requête d'extension de la procédure à l'encontre des trois policiers pour l'infraction d'omission de prêter secours et ajoutent avoir exposé, dans leurs observations déposées devant la cour cantonale, qu'il existait un risque de collusion dès lors que les policiers en question auraient eu toute l'opportunité de se concerter, d'échanger leurs déclarations et d'accorder leur version pour la suite de la procédure. Selon les recourants, il faudrait tenir compte du fait que les policiers en question n'ont à ce jour pas eu accès aux déclarations de leurs collègues. 
 
2.1.  
 
2.1.1. La qualité pour recourir est définie à l'art. 382 al. 1 CPP. Selon cette disposition, elle est reconnue à toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision.  
Il existe un intérêt juridiquement protégé lorsque le recourant est touché directement et immédiatement dans ses droits propres, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il est touché par un simple effet réflexe. L'intérêt juridiquement protégé se distingue de l'intérêt digne de protection, qui n'est pas nécessairement un intérêt juridique, mais peut être un intérêt de fait. Dans le cadre des voies de droit instituées par le CPP, un simple intérêt de fait ne suffit pas à conférer la qualité pour recourir. Le recourant doit ainsi établir que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu'il peut en conséquence en déduire un droit subjectif. La violation d'un intérêt relevant d'un autre sujet de droit est insuffisante pour créer la qualité pour recourir (ATF 145 IV 161 consid. 3.1). Une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision ne possède donc pas la qualité pour recourir et son recours est irrecevable (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1). 
Par ailleurs, le recourant doit avoir un intérêt actuel et pratique au recours (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1), respectivement à l'examen des griefs soulevés (arrêt 1B_550/2021 précité consid. 3.2). Il n'est renoncé exceptionnellement à cette condition que si la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, si sa nature ne permet pas de la soumettre à une autorité judiciaire avant qu'elle ne perde son actualité et s'il existe un intérêt public suffisamment important à la solution des questions litigieuses en raison de leur portée de principe (ATF 146 II 335 consid. 1.3; 142 I 135 consid. 1.3.1; arrêts 1B_233/2022 du 4 octobre 2022 consid. 2.1; 1B_550/2021 précité consid. 3.2). 
 
2.1.2. Selon l'art. 101 al. 3 CPP, des tiers peuvent consulter le dossier s'ils font valoir à cet effet un intérêt scientifique ou un autre intérêt digne de protection et qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose.  
Selon la jurisprudence, il ne suffit pas au tiers de seulement faire valoir un intérêt digne de protection, mais il doit également démontrer avoir effectivement personnellement un tel intérêt; si tel n'est pas le cas, le tiers n'a aucun droit à avoir accès au dossier pénal. De plus, le tiers n'étant pas partie à la procédure, son intérêt à obtenir l'accès au dossier est de moindre importance par rapport à celui notamment du prévenu et/ou des parties plaignantes, qui en ont besoin pour la défense de leurs droits. Un intérêt digne de protection d'un tiers au sens de l'art. 101 al. 3 CPP ne doit ainsi être admis qu'exceptionnellement et dans des cas où cela se justifie, sauf à prendre autrement le risque de retard ou d'abus (cf. art. 102 al. 1 CPP; arrêt 1B_340/2017 du 16 novembre 2017 consid. 2.1 et les références citées). 
 
2.2. En l'espèce, la cour cantonale a retenu que, pour justifier l'existence d'un intérêt juridiquement protégé, les recourants ont invoqué qu'ils entendaient requérir du Ministère public l'ouverture d'une instruction pour omission de prêter secours (art. 128 CP) contre les policiers entendus en tant que personnes appelées à donner des renseignements. La cour cantonale a toutefois considéré que les recourants n'exposaient pas, ni a fortiori ne démontraient, en quoi ils seraient touchés directement et immédiatement dans leurs droits propres; ils ne démontraient pas que la décision attaquée violait une règle de droit ayant pour but de protéger leurs intérêts et qu'ils pouvaient en déduire un droit subjectif. L'explication donnée par les recourants - quant à la réquisition d'ouvrir une instruction pénale contre les trois policiers en cause - n'était pas suffisante. Par ailleurs, les recourants n'exposaient pas en quoi le risque de collusion, invoqué sur le fond et non pas à l'appui de la recevabilité de leur recours, les léserait dans leurs droits propres. Au surplus, selon la cour cantonale, un tel risque n'était pas concrètement rendu vraisemblable en l'espèce: en effet, les policiers avaient déjà été entendus longuement par le Ministère public sur les circonstances de leur intervention et notamment sur leur comportement après que la victime avait été atteinte. La cour cantonale a ajouté qu'un tel risque ne saurait exister du seul fait que des personnes appelées à donner des renseignements disposent d'une copie du procès-verbal consignant leurs propres déclarations. En outre, si le statut procédural de ces trois personnes devait être modifié en ce sens qu'elles deviennent prévenues, elles auraient alors le droit de consulter l'entier du dossier de la procédure pénale pendante conformément à l'art. 101 CP.  
 
2.3. En l'occurrence, la question de savoir si, dans le cadre de la procédure cantonale, les recourants avaient insuffisamment étayé leur qualité pour recourir, comme le retient la cour cantonale dans l'arrêt attaqué, peut rester indécise pour les motifs suivants. En effet, la cour cantonale s'est également brièvement prononcée sur le fond. Elle a exposé pour quelles raisons le risque de collusion invoqué par les recourants pour s'opposer à la transmission desdits procès-verbaux n'était pas vraisemblable. Cette appréciation apparaît fondée. Les recourants se prévalent en vain de l'arrêt 1B_340/2017 précité dans lequel un prévenu s'est opposé avec succès, en raison du risque de collusion, à la consultation du dossier pénal par un tiers. En effet, à la différence du cas cité par les recourants, les policiers concernés ont déjà été auditionnés par la police cantonale, puis par le Ministère public en qualité de personnes appelées à donner des renseignements et ils ne demandent qu'un accès très limité au dossier, à savoir uniquement à leur propre procès-verbal d'audition. Comme relevé par le Ministère public, ces documents ne font que relater, pour chacun des policiers entendus, leur propre version des faits et leur propres souvenirs du déroulement des événements. Dans la mesure où ces policiers ont été longuement auditionnés par le Ministère public en juin 2022 sur les circonstances de leur intervention et notamment sur leur comportement après que la victime avait été atteinte, le risque de collusion peut être écarté. Les policiers mis en cause auraient en outre déjà eu la possibilité d'échanger au sujet de ces événements avant ou après leur audition, laquelle remontait d'ailleurs à plusieurs mois au jour de l'arrêt attaqué. En outre, une éventuelle modification de leur version des faits pourrait, le cas échéant, être relativisée par les autorités pénales. A l'instar du Ministère public, on ne voit pas en quoi la remise aux policiers de leurs propres déclarations compromettrait une éventuelle extension de la procédure à leur encontre pour l'infraction d'omission de prêter secours.  
 
2.4. Dans ces conditions, le recours doit être rejeté, aux frais des recourants qui succombent (art. 65 et 66 al. 1 LTF).  
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge des recourants. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, au Ministère public central du canton de Vaud, Division affaires spéciales, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale, et à la mandataire de D.________. 
 
 
Lausanne, le 12 juin 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Müller 
 
La Greffière : Arn