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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1P.737/2003 /svc 
 
Arrêt du 2 mars 2004 
Ire Cour de droit public 
 
Composition 
MM. les Juges Féraud, juge présidant, 
Reeb et Fonjallaz. 
Greffier: M. Kurz. 
 
Parties 
K.________, 
recourant, représenté par Me Pierre Mauron, avocat, 
 
contre 
 
D.________, 
M.________, 
A.________, 
intimées, 
toutes les trois représentées par Me Isabelle Brunner Wicht, avocate, 
Ministère public du canton de Fribourg, 
rue de Zaehringen 1, 1700 Fribourg, 
Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal de l'Etat 
de Fribourg, case postale 56, 1702 Fribourg. 
 
Objet 
appréciation des preuves en procédure pénale, 
 
recours de droit public contre l'arrêt de la Cour d'appel pénal du 8 septembre 2003. 
 
Faits: 
A. 
Par jugement du 27 mars 2002, le Tribunal pénal de la Gruyère a condamné K.________, ressortissant congolais né en 1954, à cinq ans et demi de réclusion pour infractions à la réglementation routière, injure, menaces, contrainte, actes d'ordre sexuel avec des enfants, contrainte sexuelle et viol. Le tribunal a notamment retenu que K.________ avait, depuis février 1994 et jusqu'en mai 1999, abusé de D.________, née en 1982 et qu'il faisait passer pour sa fille, en usant de pressions psychologiques, de menaces et de violences. Le tribunal a estimé crédibles les déclarations de la victime selon laquelle des attouchements auraient été commis, ainsi que des relations sexuelles dès novembre-décembre 1996. Le fait que l'hymen de la victime soit intact, que la victime n'ait pas été infectée par l'herpès génital dont souffrait K.________, et qu'elle ne soit pas tombée enceinte malgré des rapports sans préservatifs, ne permettait pas de remettre en cause les déclarations de la victime. Le tribunal a également retenu qu'aux alentours du 31 juillet 1999, K.________ avait commis à deux reprises des attouchements sur A.________, née en 1987, et avait violé sa mère, M.________. Il a révoqué un sursis dont était assortie une précédente condamnation à dix mois d'emprisonnement, et prononcé une expulsion de Suisse pour quinze ans. Les conclusions civiles ont été accordées, partiellement en ce qui concerne A.________. 
B. 
Par arrêt du 8 septembre 2003, la cour d'appel pénal du Tribunal cantonal fribourgeois a confirmé ce jugement. K.________ demandait l'audition de la doctoresse W.________, qui avait été entendue comme experte par le tribunal. Toutefois, les questions qu'il désirait lui poser (disparition de l'hymen après cinquante rapports sexuels) étaient inutiles: les autres preuves étaient suffisantes et le nombre des rapports sexuels n'était pas forcément aussi élevé. Les éléments médicaux (persistance de l'hymen, absence d'infection et de grossesse) n'étaient pas propres à susciter un doute, la crédibilité de la victime était, selon l'expert, "d'un très haut niveau", voire "maximale", en comparaison de celle de l'accusé, qui avait tendance à fabuler. La thèse d'une manipulation familiale ou d'une vengeance avait été écartée pour des motifs pertinents. S'agissant de M.________, son attitude après le viol (retour le lendemain chez l'accusé; plainte pour les attouchements sur sa fille, mais dénonciation pour viol un mois plus tard seulement) était certes curieuse, mais pouvait s'expliquer par une certaine naïveté, par son désir d'obtenir la garde de sa fille et par la crainte que lui inspirait l'accusé. Les imprécisions quant à la date précise du viol n'étaient pas déterminantes. Les accusations de A.________ étaient elles aussi précises et crédibles. 
C. 
K.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt, dont il demande l'annulation. Il requiert l'assistance judiciaire. 
 
La cour cantonale n'a pas formulé d'observations. Le Ministère public, ainsi que les parties civiles - qui demandent également l'assistance judiciaire - concluent au rejet du recours. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
Le recours de droit public est formé en temps utile contre un arrêt final rendu en dernière instance cantonale. Le recourant, dont la condamnation se trouve confirmée par l'arrêt attaqué, a qualité (art. 88 OJ) pour contester ce prononcé. 
2. 
Invoquant son droit d'être entendu et le droit à un procès équitable, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir renoncé à l'audition de la doctoresse W.________, sur le point de savoir si l'hymen de la victime pouvait encore être intact après une cinquantaine de rapports sexuels. La cour cantonale aurait en vain cherché à relativiser le nombre des rapports sexuels. 
2.1 Garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu permet au justiciable de participer à la procédure probatoire en exigeant l'administration des preuves déterminantes (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 16 et les arrêts cités). Ce droit ne s'étend toutefois qu'aux éléments pertinents pour décider de l'issue du litige. Il est ainsi possible de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes, lorsque le juge parvient à la conclusion qu'elles ne sont pas décisives pour la solution du litige ou qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion. Ce refus d'instruire ne viole le droit d'être entendu des parties que si l'appréciation anticipée de la pertinence du moyen de preuve offert, à laquelle le juge a ainsi procédé, est entachée d'arbitraire (ATF 125 I 127 consid. 6c/cc in fine p. 135, 417 consid. 7b p. 430; 124 I 208 consid. 4a p. 211, 241 consid. 2 p. 242, 274 consid. 5b p. 285 et les arrêts cités; sur la notion d'arbitraire, voir ATF 127 I 60 consid. 5a p. 70). La garantie d'un procès équitable (art. 6 par. 1 CEDH), ainsi que les droit procéduraux figurant à l'art. 6 par. 3 CEDH, n'offre pas, sur ce point, de protection supplémentaire à celle qui découle du droit d'être entendu. 
2.2 La Cour d'appel a retenu que le verdict de culpabilité était fondé sur les déclarations des parties et l'appréciation de leur crédibilité, les éléments médicaux n'étant à eux seuls pas déterminants. Lors de l'examen, la doctoresse W.________ n'avait pas constaté de lésion pouvant prouver qu'il y avait eu rapport sexuel. Elle a déclaré devant le tribunal que l'hymen disparaissait en cas de rapports fréquents, sans pouvoir en préciser le nombre. Selon le recourant, elle aurait précisé - sans que cette déclaration ne soit protocolée - que même un hymen complaisant (c'est-à-dire souple ou petit) finissait par disparaître. Les déclarations du témoin font clairement ressortir qu'il est impossible de définir après combien de rapports l'hymen disparaît, celui-ci pouvant encore être intact à un âge mûr, et également dans le cas particulier si les rapports sexuels, quel qu'en soit le nombre, avaient commencé en 1996 ou 1997. Une nouvelle audition ne pouvait manifestement rien apporter de concluant, de sorte que le refus de la cour cantonale ne viole pas le droit d'être entendu. 
3. 
Le recourant se plaint ensuite d'une appréciation arbitraire des preuves, et d'une violation de la présomption d'innocence. Il relève que l'existence d'un hymen intact serait particulièrement rare après des actes tels que ceux qui lui sont reprochés. L'absence d'infection herpétique serait également de nature à susciter des doutes, de même que l'absence de grossesse, alors que le recourant n'utilisait pas de préservatif et pratiquait le "coitus interruptus", méthode présentant un risque de fécondation de 60%. 
3.1 Consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH, selon l'adage in dubio pro reo, la présomption d'innocence interdit au juge de prononcer une condamnation alors qu'il éprouve des doutes sur la culpabilité de l'accusé. Des doutes abstraits ou théoriques, qui sont toujours possibles, ne suffisent cependant pas à exclure une condamnation. Pour invoquer utilement la présomption d'innocence, le condamné doit donc démontrer que le juge de la cause pénale, au regard de l'ensemble des preuves à sa disposition, aurait dû éprouver des doutes sérieux et irréductibles au sujet de la culpabilité (ATF 127 I 38 consid. 2 p. 40; 124 IV 86 consid. 2a p. 87/88; 120 Ia 31 consid. 2e p. 38, consid. 4b p. 40). 
L'appréciation des preuves est arbitraire, donc contraire à l'art. 9 Cst., lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral n'invalide l'appréciation retenue par le juge de la cause que si elle apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective ou adoptée sans motifs objectifs. Il ne suffit pas que les motifs du verdict soient insoutenables; il faut en outre que l'appréciation soit arbitraire dans son résultat. Il ne suffit pas non plus qu'une solution différente puisse être tenue pour également concevable, ou apparaisse même préférable (ATF 129 I 49 consid. 4 p. 58; 127 I 38 consid. 2 p. 40, 126 I 168 consid. 3a p. 170; voir aussi ATF 129 I 8 consid. 2.1 in fine p. 9). 
3.2 S'agissant des abus sexuels commis sur D.________, l'argumentation du recourant porte sur trois points déterminés, à savoir des considérations d'ordre médical propres, selon lui, à induire un doute sur sa culpabilité. Le recourant passe toutefois sous silence l'élément essentiel sur lequel le tribunal a fondé sa conviction, à savoir les déclarations de la victime. Celles-ci ont été jugées constantes et cohérentes; le rapport d'expertise relève qu'il n'existe aucun trouble psychique particulier, hormis les suites du syndrome post-traumatique provoqué par les atteintes psychiques et physiques subies. Aucun élément n'allait dans le sens d'un délire, d'un mensonge ou même d'un arrangement des faits en sa faveur. L'expert attribue ainsi aux déclarations de la victime un degré de vraisemblance très élevé, voire même "maximal". Les autres psychologues appelés à s'exprimer ont tous été dans le même sens. Il est encore relevé que la victime n'est habitée par aucun esprit de vengeance, la dénonciation lui étant apparue comme le seul moyen de sortir d'une situation d'horreur. 
 
Face à des déclarations de la victime particulièrement dignes de foi, seuls des éléments objectifs importants pouvaient être à même de susciter un doute sérieux sur la culpabilité du recourant. Les considérations d'ordre médical ne sont pas déterminantes à cet égard. L'expert a relevé une certaine probabilité, qu'il n'a pas été en mesure d'évaluer précisément, que la victime conserve un hymen intact en dépit de rapports sexuels nombreux. A propos de l'absence d'infection, le tribunal a retenu, sur le vu d'indices concluants, et sans que le recourant ne se plaigne d'arbitraire à cet égard, que le recourant n'avait vraisemblablement été infecté qu'en décembre 1998, de sorte que les dernières relations imposées à D.________ pouvaient avoir eu lieu en dehors d'un épisode contagieux. Enfin, l'absence de grossesse, en dépit des risques liés au " coitus interruptus ", n'est pas incompatible avec le taux de fécondation (de 60%), étant précisé que ce taux ne permet pas de tenir compte des particularités individuelles, notamment la fertilité et la maîtrise de la méthode par celui qui la pratique. Même considérés ensemble, les éléments invoqués ne font pas apparaître les faits reprochés comme suffisamment improbables pour mettre en doute les déclarations de la victime. 
3.3 S'agissant du viol subi par M.________, le recourant relève l'attitude contradictoire de la victime, retournée au domicile du recourant le lendemain des faits; la plainte du 9 août 1999 ne concernait que les attouchements commis sur sa fille, sans allusion à un viol. Les déclarations de M.________, estimées "plutôt crédibles" par l'expert, comporteraient de nombreuses contradictions, notamment quant à la date et à la présence de sa seconde fille le lendemain. 
 
La Cour d'appel a reconnu que la crédibilité de M.________ était moindre que celle de D.________. Le rapport d'expertise du 7 mai 2001 fait état d'une personnalité émotionnellement labile. L'expert précise toutefois que ces traits sont peu marqués, le sujet ne pouvant être considéré comme sévèrement troublé. Il met en évidence l'existence d'un état de stress post-traumatique lié à une infraction contre l'intégrité sexuelle. Il conclut à la crédibilité du sujet. Les contradictions et imprécisions relevées par le recourant sont elles aussi expliquées, dans une certaine mesure, par l'expert. Ainsi, celui-ci estime que la naïveté et l'impulsivité dont faisait preuve la victime, ainsi que son fort désir d'obtenir la garde de sa fille peuvent expliquer qu'elle soit retournée le lendemain chez le recourant, pensant que celui-ci pourrait tout de même l'aider; la crainte inspirée par le recourant - qui prétendait disposer de pouvoirs occultes - pouvait aussi expliquer le caractère tardif des accusations; la confusion - notamment au niveau des dates - pouvait avoir plusieurs causes, sans être pour autant incompatible avec la sincérité du sujet. Dans un avis complémentaire du 20 août 2001, l'expert se prononce sur la validité scientifique des avis relatifs à la crédibilité des adultes; il confirme, plus clairement encore, que celle de M.________ "atteint un niveau élevé". Les déclarations de la victime sont encore corroborées par d'autres éléments objectifs: selon son ami d'alors, M.________ aurait, depuis fin juillet 1999, recommencé à fumer, souffert d'ulcères à l'estomac et connu des blocages sexuels. En outre, la victime a été capable de donner des détails concernant l'anatomie du recourant et ses préférences sexuelles, concordant avec les déclarations de D.________. Il apparaît ainsi que la version des faits de la victime ne se trouve pas en contradiction avec des éléments objectifs qui permettraient d'en faire douter de manière significative. 
3.4 S'agissant enfin des accusations de A.________, le recourant relève également les contradictions concernant le nombre de fois, les dates et la présence de sa petite soeur. Ces objections sont toutefois, elles aussi, secondaires: la crédibilité de la victime est à nouveau attestée, une première fois par le Service universitaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chargé du suivi de l'enfant depuis la séparation de ses parents, qui, dans un rapport du 24 mars 2000, après avoir pris connaissance de la déposition de A.________, précise que celle-ci avait déjà évoqué des gestes déplacés, et estime qu'il n'y a pas de raison de mettre en doute l'authenticité de son témoignage. L'expert mis en oeuvre confirme, dans ce cas également, l'existence d'un état de stress post-traumatique, et conclut sans restriction à la crédibilité de la victime. Les imprécisions relevées par le recourant ne sont pas de nature à faire apparaître un doute irrépressible sur sa culpabilité. 
4. 
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté. Le recourant a demandé l'assistance judiciaire, et les conditions en sont réalisées. Me Mauron est désigné comme avocat d'office, rétribué par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire. L'octroi de l'assistance judiciaire ne dispense pas le recourant du paiement d'une indemnité de dépens allouée aux trois intimées, qui obtiennent gain de cause. Toutefois, pour le cas où les dépens ne pourraient être recouvrés, il y a lieu d'accorder l'assistance judiciaire, les indications fournies sur ce point étant suffisantes. Me Brunner Wicht, qui agit au nom des trois intimées, est désignée au besoin comme avocate d'office. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est rejeté. 
2. 
La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Pierre Mauron est désigné comme avocat d'office du recourant; une indemnité de 2000 fr. lui est allouée, à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral. 
3. 
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire. 
4. 
Une indemnité de dépens de 3000 fr. est allouée aux intimées, à la charge du recourant. Au cas où les dépens ne pourraient être recouvrés, les intimées sont mises au bénéfice de l'assistance judiciaire, et la caisse du Tribunal fédéral versera à Me Isabelle Brunner Wicht, avocate d'office, une indemnité de 3000 fr. à titre d'honoraires. 
5. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Ministère public du canton de Fribourg et à la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg. 
Lausanne, le 2 mars 2004 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
Le juge présidant: Le greffier: